NB : Texte
publié dans « Sud Quotidien » du 26 mars 2019
Dix-sept minutes, c’est le temps pendant
lequel des hommes, des femmes, des enfants du monde entier ont pu suivre, en
direct et pendant toute la durée du live, les images diffusées par Facebook et
montrant un tireur fou qui, armes de guerre à la main et caméra sur l’épaule, a
abattu cinquante hommes, femmes et enfants, sans distinction, dans deux mosquées
de Nouvelle Zélande, passant de victime en victime et achevant les blessés à
bout portant ! Dix-sept minutes c’est, en temps normal, la durée moyenne
d’un bulletin d’information sur une chaine de radio ou de télévision, dix-sept
minutes, c’est cinq minutes de plus que le temps que met Kenenisa Bekele pour
courir cinq kilomètres. Facebook peut, en deux secondes, supprimer la diffusion
en live de l’image d’une femme nue, mais il lui a fallu dix-sept minutes et
l’alerte d’un internaute pour arrêter celle d’une insoutenable tuerie !
Entre temps, 300.000 vidéos de cette barbarie sont passées sur son réseau, sans
compter celles qui ont été partagées par d’autres réseaux dont notamment, YouTube !
A côté de l’ignominie que représente ce massacre d’innocents tués sur la seule
base de leur croyance et dans un lieu voué à la prière, il y a le scandale que
ce forfait ait été si longtemps maintenu en ligne, visible par tous, téléchargé
et commenté, et qu’il ait été relayé par des chaines de télévision désireuses
de gonfler leur audience. C’était précisément l’objectif que visait le tueur,
comme cela avait été celui de Mohamed Merah, mais celui-ci ne s’en prenait pas
à des musulmans et ses images avaient été bloquées à la source, alors que la
chaine américaine Sky News a repris celles de Brenton Tarrent…
Une responsabilité
partagée
Les premiers responsables de ce scandale,
ce sont bien sûr les géants du numérique, Facebook en tête, incapables de
filtrer tous les messages qu’ils diffusent, complaisants pour certaines
outrances, affinant à l’occasion leurs algorithmes mais seulement pour booster
les échanges en ligne, préférant employer leurs modérateurs à lutter contre le
piratage et à protéger le droit d’auteur plutôt que surveiller les contenus des
messages des racistes ou suprémacistes blancs. Mais la responsabilité de tels
actes incombe aussi aux Etats qui les abritent et qui se refusent à la
taxation de leurs services, tolèrent leur vigilance sélective ainsi que celle
de médias qui comme eux, accueillent des politiques, à commencer par Donald Trump,
qui affichent ouvertement leur islamophobie et lancent des appels à la haine… Le
massacre de Christchurch était trop flagrant pour passer inaperçu dans les
médias du Nord, mais il est loin d’y avoir eu le retentissement de crimes
comparables qui ont eu lieu en Europe ou en Amérique et dont les victimes n’étaient
pas des musulmans. Pour nous en tenir à la France, ce jour-là, toute la classe
politique tremblait devant le danger que faisaient courir à tout le pays deux
ou trois petits orphelins rapatriés de Syrie, les chaines de télévision et de
radios n’avaient aucun scrupule à donner
la parole à des islamophobes patentés comme Robert Ménard
ou Elizabeth Lévy, ont préféré débattre du port du burkini dans les piscines
plutôt que de la responsabilité de l’extrême droite française sur la
radicalisation de l’auteur du massacre qui dit avoir trouvé son inspiration
chez les théoriciens du Grand Remplacement que ne renient pas certains de leurs
chroniqueurs vedettes. On a tué plus de monde à Christchurch qu’à Charlie Hebdo,
y compris des enfants dont le plus jeune avait 3 ans, on y a violé un lieu
sacré et pourtant, il ne s’est trouvé personne en France ou ailleurs, pour
crier : « Nous sommes tous Christchurch », et aucune marche de
solidarité d’envergure n’a eu lieu dans une capitale européenne. Je ne veux pas
dire que les drames de ce genre ne doivent être classés que selon le nombre ou
l’âge des tués, et du reste le Coran nous dit que « tuer un seul innocent
c’est assassiner l’Humanité », mais force est de reconnaitre que pour
l’Occident le degré de barbarie se mesure souvent à la qualité des victimes…
Mais peut-être qu’à quelque chose malheur
est bon, car cet épisode douloureux a révélé que dans cet Occident où sévissent
souvent le rejet du musulman et la xénophobie, il existe encore un Etat qui
cultive les bienfaits du vivre ensemble. La Première Ministre de la Nouvelle
Zélande ne s’est pas contentée de prendre des mesures, préventives, pour un
meilleur contrôle de la vente d’armes et de sommer Facebook de lui fournir des
explications. Elle a eu des gestes forts, symboliques, inimaginables dans un
pays comme la France où probablement ils provoqueraient une crise d’apoplexie
chez Nadine Morano ou Alain Finkielkraut. Elle a rendu visite aux mosquées
souillées par le crime pour réconforter les familles des victimes en portant un
voile noir sur la tête, en signe de respect, et son geste a été imité par de
nombreuses femmes néo-zélandaises de toutes confessions. Elle a ouvert son
discours devant les députés par la formule « Assalaam aleykum », affirmé
son soutien sans réserves à la minorité islamique et son appartenance à la
nation. L’exemple venant de si haut, le Parlement néo-zélandais a invité un
imam à venir prier devant ses membres, en séance plénière, et à entonner des
versets du Coran, des néo-zélandais de confession hindouiste ou chrétienne ont
offert leurs temples ou églises pour servir de lieu de culte aux musulmans,
l’appel à la prière a été relayé à travers tout le pays et des minutes de
silence ont été observées par la population. Bref, des gerbes de fleurs au
hakka maori, rien n’a été épargné pour apporter le témoignage d’une nation
blessée…
Voilà bien des années qu’aucune aussi
bonne nouvelle ne nous était venue du Nord !
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