Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

samedi 15 août 2009

INNACCESSIBLE FRANCE OU L'ART DE REFUSER UN VISA PAR SERVICE INTERPOSE...

« DROIT A LA FRANCE ? »
Pourquoi sommes-nous si stressés dès le moment où il nous faut entreprendre une démarche en vue d’un déplacement en France ? Pourquoi sommes–nous plus stressés que quand il s’agit de se rendre en Turquie, aux Etats-Unis, voire en Chine ? Peut-être par ce que nous en demandons trop à la France et peut-être aussi parce que elle nous en promet trop.
Je suis francophone, francophile, « francolâtre » même comme le sont trop souvent les Sénégalais de ma génération, plus royalistes que le roi dans la défense de la qualité du français parlé et écrit. J’ai longtemps enseigné l’histoire, non seulement en français mais de France. J’ai dirigé une institution intergouvernementale dont la vocation est la promotion et la consolidation de l’enseignement dans la langue de Molière dans les pays qui ont le français en partage. Je suis écrivain de langue française, publié par des maisons d’édition françaises qui ont pignon sur rue et dont l’une, fréquentée autrefois par Senghor, Césaire ou Michel Leiris, a vu récemment sa directrice décorée de la Légion d’ Honneur par le président Sarkozy lui-même pour services rendus à la culture française. A l’occasion de la sortie de mon dernier livre, paru dans cette même maison, j’ai reçu l’invitation d’une institution reconnue et subventionnée par les collectivités et l’Etat français et qui est depuis plus de dix ans le symbole même de cette « coopération des peuples et des terroirs et non des banques » qu’affectionne, nous dit-on, l’Ambassadeur de France à Dakar. Africajarc est en effet un festival porté par tout un village (230 bénévoles sur une population de 600 âmes !), une manifestation fondée sur le « respect des différences et l’estime réciproque ». Je ne suis solliciteur ni d’emploi ni de subsides et me suis même engagé, à titre de contribution et pour le plaisir de l’échange, à prendre en charge les frais liés à mon déplacement…
La France a proclamé qu’elle allait faciliter la circulation des artistes, des intellectuels, des écrivains, des chercheurs… et sur la base de ces arguments, tenant compte des motivations qui sous-tendent mon projet, et malgré les déboires rencontrés dans le passé, j’ai pensé qu’une demande de visa ne devrait plus être pour moi qu’une formalité et que, d’une certaine manière, non seulement j’avais droit à la France, mais qu’il existait des Français qui avaient des droits sur moi et notamment celui de me convoquer au partage et au dialogue.
Je savais que pour avoir le visa il fallait, d’abord, accéder au Consulat, présenter en quelque sorte le corps du délit, mais je n’imaginais pas que cela était en soi une épreuve de taille, si difficile que je n’ai jamais pu la franchir après deux semaines de siège.
LE CONSULAT ET SES « COXEURS »
La méthode est connue et repose sur la délocalisation des tâches subalternes. Vous achetez donc - à la banque - un code téléphonique (c’est votre premier investissement sans garantie de succès), déclinez votre identité, exposez les motifs de votre demande et les contraintes de votre déplacement. Une voix neutre et standardisée vous fixe un rendez-vous : c’est un mois et demi… APRES la tenue de la rencontre à laquelle vous étiez convié ! Vous marquez votre étonnement ? « Oui, je vous ai bien compris mais je n’ai que ça pour le moment. Appelez de temps en temps, achetez une 2e, voire une 3e carte. Je prends note, mais nous ne sommes pas le Consulat ! ». C’est bien vrai, ils n’en sont que les « coxeurs » : vous n’avez jamais le même interlocuteur et une fois sur deux, on vous assure que tous les opérateurs étant occupés, il vous faudra rappeler. Et puis quelle idée de voyager à cette période : « c’est l’été monsieur, le consulat et toute la France sont en vacances et vous êtes trop nombreux à vouloir partir ! ». Français qui nous invitez, faites-le en hiver, quand il gèle et qu’il neige et non
en été quand votre pays est en fête !
Cela m’a coûté prés de … 200 000 F de ne PAS AVOIR EU le visa ! « Mais monsieur, on ne vous a pas refusé de visa, le consulat n’a même pas pris connaissance de votre dossier ! ». C’est bien le piège des mots, puisque le résultat est le même.
« IMMIGRATION CHOISIE » : PAR QUI ?
Avec la France nous sommes souvent trahis par nos sentiments et victimes de notre crédulité qui nous fait croire que nous traitons avec elle d’égal à égal. Nous nous laissons abuser par les mots et oublions toujours que si tous les pays sont égaux, il y en a qui sont plus égaux que d’autres et que « dans tous les rapports où l’une des parties n’est pas assez libre ni égale le viol, souvent, commence par le langage » (A. Mbembé). Le français est une langue concise et c’est déjà dans les mots que se dessinent les nuances. Un « immigré » c’est, selon Littré, quelqu’un qui est « venu dans un pays pour s’y établir », mais si un Sénégalais qui vit et travaille en France est un immigré, un Français qui vit et travaille chez nous est désigné par le terme autrement plus valorisant d’ « expatrié ». Un Français qui vient pour un court séjour au Sénégal est un « touriste », accueilli à bras ouverts, même quand il est sans le sou, un Sénégalais dans la même situation est versé dans la catégorie d’immigré potentiel et soumis à des tracasseries administratives. On veut nous faire croire qu’il est venu le temps de l’« immigration choisie » et que celle-ci est une « chance »pour les Africains, une entente « négociée entre les pays d’origine et les pays de destination » (Sarkozy, Bamako, mai 2007). Négociée ? Certainement pas ! Choisie ? Oui, mais par une seule des parties ! C’est en réalité un concept inventé, mis en forme et servi tout prêt à ses « partenaires » africains par la France. C’est une notion à sens unique puisque l’immigration n’est « choisie » que dans le sens Afrique-Europe. Pour qui se rend de France au Sénégal, notamment, l’immigration n’est ni sélective ni discriminatoire ni même onéreuse, puisque contrairement au Sénégalais, le Français qui veut venir chez nous n’a pas besoin de visa ni même de justifier ses moyens d’existence dans notre pays. Pourtant la réciprocité est l’un des principes fondamentaux des rapports entre nations et M. Sarkozy lui-même nous a assez martelé que les « relations entre états modernes doivent dépendre de la confrontation de (leurs) intérêts respectifs » (Bamako, juillet 2007). La France ne peut évidemment être seule mise en cause ici puisque d’autres pays africains de la sous-région appliquent ce principe de réciprocité.
Mais il est de la responsabilité des autorités françaises de cesser « d’annoncer des ruptures qui ne viennent jamais », de prétendre qu’il y a entre elle et nous « une parenté particulière » (Sarkozy, Bamako, mai 2006) et de nous traiter en étrangers indésirables (Sarkozy, Agen 2007). Le « face à face » entre la France et ses anciennes colonies d’Afrique auquel certains veulent mettre fin, est né de cette confusion entre sentiments et intérêts respectifs. On ne peut pas « refuser le poids des habitudes », on n’enterre pas la françafrique en commençant sa tournée inaugurale africaine par le Gabon de Bongo : c’est cela précisément « la personnalisation des relations » franco-africaines.
RENCONTRES MANQUEES, ESPOIRS DEÇUS !
Si la France veut, comme elle le prétend, faciliter la circulation des hommes de culture, des artistes, des chercheurs…, il faut qu’elle cesse d’ajouter des barrières aux anciennes barrières. Qu’au moins elle n’oblige pas ces « immigrés » choisis par elle à négocier chaque séjour au jour près, et accepte de leur délivrer des visas à longue durée, comme le font déjà les Américains, ou qu’elle leur facilite le contact avec une autorité qualifiée, en cas d’extrême urgence. Que le Consulat cesse d’être inaccessible, sourd à tous les appels, y compris ceux d’officiels sénégalais que l’on croyait « influents », sourd aux cris de détresse électroniques venus de France et qui expriment la gêne et le désarroi.
L’Ambassadeur de France rêve de « pouvoir expliquer librement l’action de son pays au Sénégal ». Il est sûr, dit-il, « d’être entendu sans parler » : il a de la chance car beaucoup d’Africains parlent à la France sans espoir d’être entendus ni même écoutés ! Moi même, je m’y suis essayé, en « laissant parler mon cœur », comme lui-même l’a fait devant ses invités, le 14 juillet dernier. Son Excellence a préféré « tenir entre ses mains » mon livre, plutôt que de le lire, le soupçonnant de n’exprimer que « la part amère de la rencontre entre nos deux pays et nos deux cultures ». Il préfère, pour ce qui le concerne, « la part féconde et enrichissante de cette rencontre, notamment dans le domaine des lettres ». C’est justement de cette part qu’on m’a privé en me faisant rater le rendez-vous d’Africajarc, ne me laissant que l’amertume.

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« A mes chers parents gaulois », Editions des Arènes, Paris 2007


4 commentaires:

Anonyme a dit…

Je suis une française désolée du comportement de M. SARKOZY. Il oublie trop souvent que sa famille provient d'une immigration non sélective !!
En attendant de vous voir en 2010 au festival d'Africarjac, je vais lire votre livre :
A mes chers parents gaulois

Anonyme a dit…

ce que je cherchais, merci

Anonyme a dit…

BONJOUR
JE SUIS PARFAITEMENT D'ACCORD AVEC VOTRE ANALYSE POUR NOUS AUTRES FRANCO SENEGALAIS LA SITUATION EST BEAUCOUP PLUS INTENABLE CAR NOUS SOMMES BALLOTER ENTRE LE CONSULAT DE NOTRE PAYS D'ORIGINE ET LE CONSULAT DE FRANCE JE NE SUIS MARIE AVEC UNE SENEGALAISE POUR L'AUDITION J'AI EU UN RENDEZ VOUS SUR 6MOIS POUR LA TRANSCRIPTION DU MARIAGE 3MOIS AU TOTAL C 'est APRES DEUX ANS DE MARIAGE que nous avons pu reunir tous les papiers nécessaires pour l'obtention de son visa....
Bravo pour votre analyse et votre production littéraire
cheikh

Anonyme a dit…

Bonsoir Monsieur Dia,
Une pétition est en cours en France pour dénoncer ce problème discriminatoire sans nom, à l'instar de nos voisins britanniques : le 17 mars 2010, l’association de défense des droits civils, MANIFESTO CLUB, a déposé au gouvernement britannique une pétition contre les restrictions de visas déjà signée par plus de 10 000 personnes.
http://www.manifestoclub.com/

Saviez-vous d'autre part que l'UNESCO a proclamé 2010 "Année internationale du rapprochement des Cultures" ?
http://www.unesco.org/fr/rapprochement-of-cultures/

Des artistes sont soutenus par des comités de fans qui se constituent :
http://www.facebook.com/group.php?gid=352968711873

Autant de forces qui se fédèrent pour tenter de faire bouger ces ignominies d'un autre âge.

Je ne vais pas manquer d'acquérir et lire l'un de vos ouvrages,
Avec tout le respect que vous méritez.