Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

samedi 15 septembre 2018

ABDOULAYE WADE : LA COLERE DE ZEUS



NB : Texte publié dans « Sud-Quotidien » du 14 septembre 2018


Dans l’Iliade, Homère nous conte une scène orageuse au cours de laquelle Zeus, au comble de la colère, sermonne vertement les dieux et les déesses réunis par ses soins et les somme de se conformer à sa décision sur le conflit opposant Troie aux Achéens, sous peine de le jeter dans les tréfonds de la Terre. Maïs le courroux du maître des dieux dissimule mal son malaise.

D’abord parce que sa décision était incompréhensible aussi bien des dieux que des hommes, elle est même contraire à l’ordre qu’il est censé garantir et elle va semer la zizanie et susciter des rébellions. Ensuite parce que sa position est quelque peu ambiguë : il veut la chèvre et le chou, il a bien un objectif principal, mais il en a un second, il a une intention cachée peu compatible avec son premier choix. Enfin sa décision fait fi de la répartition des pouvoirs au sein de l’Olympe : il exige des dieux et déesses qu’ils restent dans les limites strictes de leurs compétences, alors que lui-même est tenté d’aller bien au-delà de l’autorité qui lui est reconnue.

A près de 3.000 ans d’écart, Wade fait face au même dilemne.

Son objectif principal, prioritaire entre tous, c’est d’imposer la candidature de son fils à ses lieutenants (les dieux), à son parti (le peuple) et au pouvoir, afin de le porter à la tête de l’État et de lui donner ainsi l’occasion de parachever l’œuvre que le vote populaire avait brutalement interrompue.

Mais l’acharnement, voire l’aveuglement, qu’il met pour arriver à ses fins met en danger la cohésion et l’existence même  du parti qu’il avait fondé il y a près de 45 ans, alors qu’il cherche en même temps à arrêter l’hémorragie qui le mine. Il n’a pas fait le choix, plus radical, de le saborder et de rebâtir sur ses cendres une formation vouée exclusivement à la cause de son fils. Comme Zeus, il fait un double choix qui, dans son cas, accorde peu de place aux ambitions légitimes et aux prétentions politiques des hommes et femmes susceptibles de mener, à la place du candidat in absentia qu’il a choisi, le combat du parrainage, et plus tard celui de la campagne électorale.

Mais la comparaison avec Zeus ne s’arrête pas là.

Zeus  avait bâti sa force sur la maîtrise du tonnerre et de la foudre, Wade avait une autorité sans limites parce qu’il était à la tête du pouvoir exécutif et qu’il contrôlait tous les moyens de l’État. Force est de reconnaître qu’il n’exerce plus le premier et qu’il n’a pas non plus la main sur les instruments susceptibles de trancher en sa faveur, le Parlement, la Cour Suprême ou la CENI. Il est donc, légalement, dans l’impossibilité de venir à bout du principal obstacle qui s’oppose à la candidature de son fils. Recourir à la rue ce serait renier les fonctions qu’il a assumées en tant que défenseur des institutions de la République. Quant à l’autre ressource, l’argent, il en a peut-être encore, mais il n’est sans doute pas prêt à en faire le même usage que quand il était aux affaires, avec la même prodigalité et sans le risque de banqueroute.

Tout comme Zeus, il a présumé de ses forces en se prévalant d’une autorité qu’il n’a plus, car, la nature ayant horreur du vide, ses lieutenants n’espèrent plus grand-chose de lui et ont, en son absence, étendu leurs  champs d’influence et gagné en indépendance. Depuis l’avènement de ce que quelqu’un a appelé justement la « Régence », ce sont eux qui affrontent le pouvoir au quotidien, dans la rue, au Parlement et par la parole, qui tentent de séduire l’opinion, de lui faire oublier les erreurs du passé, de la rallier à la cause du parti. Contrairement au dauphin présomptif, beaucoup d’entre eux revendiquent des décennies de militantisme, certains ont acquis un électorat, voire un bastion. Pas plus que l’engueulade de Zeus n’avait  arrêté la sédition des dieux, celle de Wade, la menace ou l’humiliation, ne peuvent suffire pour ramener la sérénité dans les rangs de son parti et étouffer les ambitions personnelles de ses lieutenants.

Que risque Wade ?

L’Iliade laisse entendre que Troie avait été vaincue, ce qui était sans doute l’objectif premier de Zeus, mais la guerre avait laissé un champ de ruines et dans le camp de ses  protégés, les Achéens, la victoire avait un gout bien amer. Leur plus grand, plus vaillant soldat, Achille, avait été tué, un peu bêtement, par un adversaire que beaucoup considéraient comme une poule mouillée. Le guerrier le plus fort, Ajax, s’était suicidé de honte. Les rescapés étaient repartis en ordre dispersé et tandis que celui qui avait la réputation d’être le plus rusé, Ulysse, se perdait dans les labyrinthes marins, Agamemnon, le capitaine en chef, se faisait assassiner dès son retour par l’amant de sa femme…

Le coup de poker de Wade pourrait aboutir au même désastre.

Dans l’état actuel de notre connaissance du dossier et des lois en vigueur, à moins d’un extraordinaire retournement de situation, à moins que son fils en se « déclarant », au sens où l’entendait Jean Giraudoux, c’est-à-dire en nous livrant, par exemple, des secrets de son exil forcé qui seraient compromettants pour son adversaire, l’unique et exclusif plan de son père a peu de chance d’aboutir. Quant au deuxième pari de Wade, celui de conserver derrière son fils un parti fort, uni et solidaire, on peut d’ores et déjà prédire qu’il l’a perdu. Son dernier rétropédalage ne grandit pas le personnage parce qu’il donne l’impression, au mieux qu’il perd ses nerfs, au pire qu’il est sous influence, voire manipulé, ce qui avait été déjà le cas de Zeus, victime de la subornation d’une déesse. Wade, qui avait été l’homme politique le plus trahi de notre histoire contemporaine, a en quelque sorte jeté une mine dans son parti et il en restera des plaies et des ressentiments.

Deux paris tentés, deux paris perdus : en wolof cela s’appelle : «Ñakk 10, Ñakk lesteg » !

ISRAËL : 51e ETAT DES ÉTATS-UNIS D’AMERIQUE ?



NB : Texte publié dans « Sud-Quotidien » du 8 septembre 2018

Il est à présent clair que, face à la crise israélo-palestinienne, Donald Trump ne réagit pas en arbitre et en chef de la première puissance du monde soucieux de rétablir la paix et de garantir la justice. Contrairement à certains de ses prédécesseurs, Jimmy Carter ou Bill Clinton notamment, il se présente comme partie prenante au conflit et fait preuve d’un parti pris clairement affirmé. Israël peut désormais être considéré comme le 51e État des Etats-Unis, - (statut refusé à Porto Rico, où l’ouragan Maria avait fait non pas 64 mais 4600 victimes dont le sort avait laissé Donald Trump indifférent) - et le président américain défend les intérêts de l’État Hébreu avec la même énergie  qu’il mettrait à préserver ceux de la Floride ou du Minnesota.

Les pieds en Asie, la tête en Europe !

En vérité depuis quelques décennies, l’Etat d’Israël était devenu un pays qui a ses pieds au Proche-Orient et sa tête et son cœur en Europe. On peut dire que pour une bonne partie de sa population, il n’y a jamais eu vraiment de vrai « retour à la terre promise ». L’Etat fondé par l’expulsion des occupants légitimes de la Palestine, qui pour leur malheur n’ont pas de zone de repli, n’est plus pour certains Israéliens au mieux qu’une résidence secondaire d’où ils peuvent se livrer à ce qui est devenu depuis l’assassinat d’Yitzhak Rabin, le jeu favori de leurs dirigeants : humilier les Arabes et tirer à balles réelles sur des enfants armés de cailloux. Au pire leur pays est un porte-avion amarré au cœur du monde arabe et d’où partent chaque jour des missiles qui sèment la mort et laissent des décombres. D’autres citoyens israéliens ont imaginé une destination du troisième type et su tirer profit de cette double appartenance :la terre d’ Israël  est devenue pour eux un sauf-conduit qui leur permet d’échapper aux poursuites judiciaires !

Israël est absent de toutes les manifestations et de tous les regroupements économiques, culturels ou sportifs qui se déroulent sur le continent asiatique où pourtant il a ses racines. Il participe depuis quarante-cinq ans au concours Eurovision de la chanson, dont il a remporté le prix à plusieurs reprises. Il est partie prenante dans les championnats européens de football ou de basket dans lesquels ses chances de victoire sont d’ailleurs limitées, alors qu’il aurait probablement brillé en Asie. Il participe évidemment aux championnats européens d’athlétisme et vient d’y remporter la première médaille d’or de son histoire, grâce à une athlète d’origine kenyane qui ignore sans doute que depuis le vote de  la loi sur Israël « État-nation du peuple juif », elle ne sera jamais malgré sa médaille qu’une citoyenne de seconde zone. Certains diront que le pays a été contraint d’opérer ce choix en raison du boycott de ses représentants par les Etats arabes ou musulmans et du fait que 17 des 31 pays qui refusent de le reconnaitre sont en Asie. Il est vrai que dans ce domaine le pays a été quelquefois contraint à une forme de nomadisme continental, mais il faut aussi reconnaitre qu’Israël n’est pas lui non plus un modèle de tolérance et applique une discrimination à l’encontre de ceux qui n’approuvent pas sa politique. C’est ainsi que son souhait d’accueillir l’Eurovision 2019 bute sur un obstacle de taille : son refus d’autoriser l’entrée de son territoire à tous ceux, et ils sont nombreux, qui s’indignent des colonies sauvages implantées sur les  terres de Cisjordanie ou boycottent les produits des colons…

La réalité encore une fois c’est qu’Israël tire profit du boycott dont il est victime de la part de certains de ses voisins géographiques et, l’occasion faisant le larron, beaucoup d’Israéliens se réjouissent ouvertement de pouvoir compétir avec les « pays civilisés » plutôt qu’avec ceux de « l’Aise compliquée ». En tout cas leur gouvernement n’a manifesté aucun enthousiasme lorsqu’en 2002 la Ligue Arabe a proposé la reconnaissance de leur pays par ses membres, ce qui aurait mis fin au boycott, en contrepartie de la résolution du conflit qui l’oppose aux Palestiniens, dans le cadre de l’initiative de paix qu’elle avait initiée. Signalons enfin, pour montrer que ce boycott n’est pas un dogme, que pour la coupe du monde 2022, le Qatar n’a fait aucune objection à la présence d’une équipe israélienne…

Trump selon Woodward

Depuis plus d’un an Israël compte plus qu’un simple allié, il a en Donald Trump  un militant docile de ses causes, y compris celles qui sont contraires aux lois internationales. Le président républicain n’a pas de programme de résolution de la crise israélo-palestinienne, il applique purement et simplement celui du Premier Ministre israélien et qui repose sur la provocation et le déni des droits des Palestiniens. Il a fait des adversaires de l’État Hébreu les ennemis personnels des Etats-Unis et préfère donc faire ami-ami avec le président nord-coréen, qui, il est vrai, est comme lui un adepte du jeu des testostérones, que de tenter de discuter avec celui de l’Iran. Pourtant le premier exerce un pouvoir sans contrôle, possède la bombe atomique et terrorise ses voisins, alors que le second, qui est le plus modéré des présidents iraniens depuis le renversement de la monarchie, a été élu démocratiquement et gouverne sous le contrôle d’un parlement. La différence c’est que l’Iran est le seul pays du Moyen Orient qui tient encore tête à Israël et dont les menaces peuvent être prises au sérieux.

Donald Trump a détruit en un an les principes jusque-là établis d’une résolution d’un conflit qui est l’un des plus vieux du monde et probablement le plus complexe. Il a mis à mal le principe de « deux Etats pour deux peuples » qui faisait consensus au sein de la communauté internationale et  décidé unilatéralement de reconnaitre Jérusalem comme capitale d’Israël  et d’y transférer son ambassade. Il va désormais bien plus loin puisqu’il veut acculer les Palestiniens à la misère, physique et intellectuelle, en supprimant quasiment l’aide que leur fournissaient les Etats-Unis et en cessant tout financement de l’office de secours des 5 millions de réfugiés palestiniens. C’est désormais à un chantage que se livre le président américain pour faire plier les Palestiniens à la loi d’Israël. Netanyahou en rêvait, Trump l’a fait !

Pourtant les autorités israéliennes n’ont aucun intérêt à s’acoquiner avec un homme que certains n’hésitent plus à comparer à Hitler, tout au moins par son inculture, sa vulgarité et pour le danger qu’il représente. Après l’écrivain Michael Wolff et avant le cinéaste Michael Moore, Bob Woodward, le journaliste qui avait contribué à la chute de Nixon, nous livre dans un brûlot le portrait d’un homme inquiétant et qui représente tout simplement une menace pour la sécurité des Etats-Unis et donc pour celle du monde. Les propres conseillers de Trump confient leur désarroi à  la presse, le jugent inapte à la fonction qu’il occupe, et, pour éviter le pire, lui cachent certains dossiers ou ne lui transmettent pas certaines informations sensibles. D’autres avouent qu’ils ne restent à ses côtés que par devoir patriotique et pour l’empêcher de faire basculer la nation dans la catastrophe.

L’État d’Israël, au vu de son histoire et des justifications qui ont été à l’origine de sa création, s’honorerait-il à être le seul féal ami au monde d’un président dont se défie son propre entourage ?