Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

jeudi 5 juillet 2012

DIEU, GARDEZ MOI DE MES AMIS...

NB Texte publié dans "Sud Quotidien" du 18 juin 2012

Le plus grand défi que devra relever Macky Sall tient à ce paradoxe : il a trop d’amis ! Entre les compagnons du bannissement, les alliés pour le combat final, les ralliés et les repentis, il balance entre faire plaisir à tous ses anciens et nouveaux amis ou mécontenter quelques-uns pour tenir les engagements pris devant le peuple. Un jour ou l’autre, le président aura à choisir, comme François Hollande, entre manquer à tout ou partie de ses amis ou manquer à sa parole et aux Sénégalais qui lui ont fait confiance...

Il en est des amitiés  en politique comme il en est de la monnaie : la mauvaise chasse la bonne et le président Wade en a fait l’amère expérience. En douze ans de  pouvoir, il avait pratiquement perdu en route tous ceux qui, sans d’autres ambitions que celle de faire changer les choses (« Sopi ! »), avaient mené à ses côtés le combat contre le régime socialiste. Aux derniers jours de son mandat, il n’était plus entouré que de ceux qui, avant de se vautrer dans les délices de l’Alternance, s’étaient opposés à son arrivée au pouvoir, l’avaient traité de « Fantômas », d’aventurier, de démagogue sorti du néant, l’avaient défié et proposé qu’il soit soumis à une ordalie. L’état-major de sa campagne électorale du second tour était donc aux mains de néo-PDS ou d’alliés de circonstance et, symboliquement, deux hommes incarnent ce renversement de situation. Wade avait été le bienfaiteur d’Ousmane Ngom et l’obligé de Pape Diop. Il avait nourri le premier, l’avait choisi pour représenter son parti dans le premier gouvernement de coalition de Diouf, avant que son protégé ne l’abandonne pour le combat le plus décisif de sa carrière politique. Il avait, au contraire, bénéficié des largesses de Pape Diop au temps des vaches maigres du PDS et avait récompensé la fidélité et l’effacement, voire la quasi inexistence de celui-ci, en lui confiant successivement trois des plus hauts postes de l’Etat. Aujourd‘hui que la défaite est consommée, Wade stigmatise son plus vieux bailleur en s’appuyant sur le fils ingrat, il  doit compter sur son ancien protégé, devenu son avocat, pour combattre son ancien mécène, qui s’est mué en challenger ! Quelle dure leçon pour lui sur l’inconstance des amitiés dans le monde  politique et la tortuosité de ses hommes.

Pour accéder à la magistrature suprême, Macky Sall a bénéficié d’un soutien encore plus large que celui qui avait porté Wade, pour la première fois, à la présidence de la République. Les 12 candidats éliminés au 1e tour des élections de 2012 s’étaient tous, unanimement, portés sur son nom, sans conditions ni préalables, nous dit-on… Mais on remarquera tout de même qu’à une ou deux exceptions près, tous ont attendu qu’il leur rende visite avant de se prononcer. Certains avaient de bonnes raisons pour exiger ou suggérer quelque chose en retour, d’autres, dont les voix ne pouvaient avoir aucun effet sur les résultats, estimaient sans doute que le seul fait de figurer parmi les postulants à la présidence leur donnait le titre de faiseurs de roi. Ces alliés pour le combat final avaient eux-mêmes des alliés et, qu’il y ait eu promesse ou non, tous, titulaires de la coalition comme suppléants ou faire-valoir, nourrissaient l’espoir d’une récompense. Les  cris d’orfraie, les menaces et les vitupérations lancés par d’anciens alliés ou souteneurs démontrent à l’envie la pertinence de cette remarque de La Fontaine : « On ne peut pas contenter tout le monde et son père ! ».

Au total donc, le nouveau président est à la tête d’une impossible majorité dont le management  est une épreuve difficilement surmontable. Comment résister à la pression, aux prétentions d’alliés aussi envahissants, aussi accros des médias, que sont Jean Paul Diaz, Abdoulaye Wilane, Mahmoud Saleh ou Moustapha Clissé Lo ? Cette liste n’est pas exhaustive et il ne s’agit là que  d’un échantillon des têtes d’affiches du patchwork politique qui constitue l’assise de la majorité présidentielle. Encore heureux que Macky Sall ait entre temps perdu une autre amitié aussi encombrante, celle de l’inénarrable Me Elhadj Diouf ! Comment par ailleurs satisfaire des alliés de la 25e heure (ce qui est le cas des personnes citées ici, à une exception près) sans blesser ou susciter des frustrations chez les compagnons des mauvais jours, quand Macky Sall était défenestré du Parlement et qu’on ne donnait pas cher de sa peau ? Comment résister à l’assaut des « transhumants » professionnels qui vous promettent d’élargir encore votre base et surtout de trouver des soutiens de rechange dans le cas où vos anciens amis seraient tentés de vous lâcher ? Comment surtout être le « Président de tous les Sénégalais », comme  l’avait promis le Chef de l’Etat, et dans le même temps, privilégier les liens affectifs sur la compétence, comme l’exigent tous ceux qui, à tort ou à raison, croient avoir participé à sa victoire ? Ils sont nombreux à prétendre qu’ils ont fait le roi, presque tout seuls, et à minimiser à dessein le rôle et les mérites de celui qui, depuis son éviction du Parlement, s’est construit un dessein. Ils sont encore plus nombreux à prétendre que toute aide mérite salaire, et à parler de trahison dès qu’on leur refuse un honneur ou une promotion. Au Sénégal c’est deux fois qu’il faut payer les militants : avant la victoire, quand rien n’est acquis, et après la victoire quand leur mission est terminée !

Gouverner c’est choisir, y compris dans ses amitiés. Un président de la République est toujours l’émanation d’un mouvement, d’une famille politique, et il est sain pour la démocratie qu’il y ait en face de lui un autre mouvement critique, voire opposé, pour faire contrepoids. Les systèmes « unanimistes » instaurés par ATT et Ouattara ont montré leurs limites. Le premier avait voulu gouverner presque sans parti, se posant en ami de tous, et il s’en va en laissant le Mali plus divisé qu’il n’a jamais été. Le second avait convié autour de lui tous les héritiers du Houphouétisme, ou tous les ennemis de Gbagbo, ce qui est à peu près la même chose, mais son écrasante victoire aux législatives a rompu l’équilibre et aujourd’hui beaucoup parmi ses alliés se sentent floués.

Avoir le même ennemi ne suffit donc pas pour faire une union. Au moment où s’engage ce qu’on pourrait appeler le 3e tour de l’élection présidentielle, il est utile de rappeler que l’assiette, le mode de calcul de la solidité d’une majorité se mesurent, non au nombre des factions qui la composent mais à leur compatibilité, à leur cohérence, à leur engagement à privilégier l’essentiel, quelquefois aux dépens de leur propre intérêt. Au fond, le combat contre ses adversaires, ceux du PDS comme ceux de BGG, est pour Macky Sall un combat relativement facile parce qu’il est logique et naturel et parce que, même désunis, ils ne peuvent faire oublier leur boulet commun. Le vrai danger lui viendra de ses propres amis et le président Sall pourrait faire sien ce mot historique : « Mon Dieu, protégez-moi de mes amis, mes ennemis je m’en charge ! ».

Le péril pourrait donc venir, d’abord, de la guerre  intestine qui se joue à l’intérieur de chacune des composantes de BBY et dont les manifestations les plus purulentes font les choux gras de la presse. Il y a, par exemple, la bouderie de la ci-devant porte-parole de l’AFP,  inscrite sur la liste d’une autre formation pour les législatives, ou les humeurs de certains cadres du PS, toutes consécutives aux choix opérés pour la constitution des listes électorales ou du gouvernement. Lorsqu’une partie d’un corps est attaquée, la gangrène se propage inexorablement et c’est tout le corps qui est affaibli. Les frustrés des partis alliés se retourneront en fin de compte contre le fédérateur, comme le fait déjà Me Elhadj Diouf qui s’est exfiltré de BSS pour devenir en quelques semaines l’un des principaux pourfendeurs de celui dont il exaltait la grandeur.

Plus dur, moins incertain, sera le péril qui viendra, tôt ou tard, de ceux qui se prétendent être les « amis » de Macky Sall, légitimistes qui revendiquent les premières places ou amis occasionnels qui, sans adhérer entièrement à son programme, souhaiteraient partager le pouvoir avec lui. Les plus dangereux, ce sont ces amis trop zélés, qui ne vous entourent pas mais vous encerclent, qui préfèrent souvent vivre à la périphérie des partis, sont toujours prompts à monter des loges, du genre  « Comité pour le soutien au Président Macky », voire « Sopp Mme Sall », et qui le pousseront à ignorer tous les signaux d’alerte. Les hommes de pouvoir finissent toujours par n’avoir plus autour d’eux que ceux qui sont les plus soumis à leur volonté et qui jamais ne les critiquent, plus vulgairement, ceux qui les brossent dans le sens du poil. Ce sont rarement les meilleurs !