NB :
Texte publié dans Sud-Quotidien du 20 aout 2018
A observer le déroulement des dernières consultations
électorales qui ont eu lieu en Afrique, du Kenya au Zimbabwe, plus récemment au
Mali, et en attendant celles encore plus périlleuses qui se dérouleront au
Cameroun ou en République Démocratique du Congo, en analysant leurs résultats,
on pourrait se poser cette grave question : les élections sont-elles
vraiment utiles sur notre continent, ou mieux encore, ont-elles un sens ?
Elles ont en tout cas
un coût.
Le coût humain est monstrueux.
Aux élections présidentielles qui viennent de s’achever au Mali, des électeurs
ont été molestés et violentés, un chef de bureau de vote froidement exécuté. On
me dira que de toute façon le Mali est un pays en guerre et que
les assassinats appartiennent au quotidien des Maliens, mais ni le Kenya
ni le Zimbabwe ne sont dans la même
situation. Il y a un an, au Kenya, nation de plus de 40 millions d’habitants,
vitrine de l’Afrique prospère et attrayante, les élections présidentielles
avaient fait près de 100 morts et des
dizaines de blessés. Mais ce n’était rien par rapport à celles qui s’étaient
tenues en 2007 et dont le bilan est macabre : 1200 morts, 600.000 personnes
déplacées. Au Zimbabwe, il y a quelques semaines, on a recensé au moins 6 morts
au cours d’une consultation dont l’un des objectifs était justement de donner
la preuve que le pays était ancré dans la démocratie après des dizaines
d’années de dictature.
Le coût humain, c’est
aussi celui qui résulte des moyens mis en place pour assurer la sécurité du
vote. Nos élections sont en temps de paix de grosses consommatrices de
forces de sécurité qui, paradoxalement sont souvent des forces de répression,
responsables de nombreuses victimes civiles.
Quand la situation est trouble, ce recours prend une dimension et exige
des moyens exceptionnels, comme ce fut le cas au Mali dont les dernières
élections ont été encadrées par 36.000 soldats et gendarmes. Cette force armée représenterait le double des
effectifs de l’armée régulière du pays et fait reposer l’exercice de la
démocratie sur des troupes étrangères. Financièrement, politiquement,
idéologiquement, cela constitue un dangereux précédent et un pari impossible à
tenir dans une nation en développement.
Le coût humain, c’est
enfin celui de l’assistance, civile celle-là, que représente la mobilisation
d’observateurs nationaux ou étrangers, dont la présence atteste du manque de
confiance que l’opinion se fait de la neutralité des gouvernants. On en arrive
à ce paradoxe que ce sont souvent des
observateurs venus d’Europe occidentale ou d’Amérique du Nord, dont certains
sont embedded dans les cortèges du
pouvoir, qui en fin de compte, servent
de références pour attester de la sincérité des votes.
La fête
des imprimeurs !
Le cout financier est
tout aussi insupportable au point qu’à l’approche de chaque élection, la
première démarche de nos gouvernants c’est toujours de mendier des soutiens
auprès des grandes puissances et des agences internationales. Qui paie commande
et les bailleurs posent leurs conditions, imposent leurs priorité et quelquefois
favorisent le parti qui est le plus
accommodant. Pour échapper aux pièges de l’assistanat et dans un élan de fierté
respectable, le gouvernement actuel de la République Démocratique du Congo
s’est engagé à financer les prochaines
élections présidentielles, mais en a-t-il les moyens ? C’est en effet un autre pari difficile à tenir
puisque cette charge représenterait 10% du budget du pays et que dans ce cas de
figure les élections se feraient aux dépens des secteurs prioritaires du
développement.
Par ailleurs,
l’argent destiné au financement des élections, quelle que soit sa provenance,
est un puits sans fonds, un tonneau des Danaïdes qu’il faut remplir sans cesse.
En effet il n’est pas prioritairement destiné à conforter la démocratie, par
exemple à conscientiser les citoyens sur les enjeux des consultations ou à
permettre aux partis les plus représentatifs de compétir à armes égales avec le
parti qui exerce le pouvoir. Cette manne est en réalité un investissement perdu
qui a souvent pour seul objet la prise en charge de dépenses qui sont renouvelées
lors de chaque élection. Au Sénégal, où les partis majoritaires se cramponnent
aux bulletins de vote individuels comme à une bouée de sauvetage, la
prolifération de partis politiques a transformé l’impression de ceux-ci en gouffre financier. Pour les législatives de 2017, il en a été confectionné plus de 240 millions répartis
entre 47 listes dont chacune selon les estimations de l’époque aurait couté 150
millions au budget de l’Etat ! On peut dire que les élections, c’est avant
tout la foire des imprimeurs !
Comment dès lors
expliquer que malgré leur interminable durée, malgré leur coût financier et humain,
malgré aussi l’engouement médiatique qui les entoure, les élections qui se
déroulent en Afrique mobilisent si peu de citoyens au point de mettre à mal la
légitimité même des élus ? Aux législatives sénégalaises, déjà évoquées
plus haut, la liste arrivée en tête, qui était une coalition de plusieurs
partis, avait raflé 75% des sièges, alors qu’elle avait rassemblé sous son nom moins
de 1,7 millions de voix, ce qui représente un peu plus de 10% de la population
totale du pays. Une dizaine de députés n’ont été élus que grâce au peu glorieux
« plus fort reste », c’est-à-dire qu’aucun d’eux n’avait atteint le
quotient national requis pour obtenir un
siège. Un député qui, dans un pays de 15 millions d’habitants, n’a été élu
qu’avec 18.000 voix, soit l’équivalent de la population d’une bourgade comme
Pout, peut-il raisonnablement prétendre au titre de « député du
peuple », alors qu’il a tout l’air d’être celui d’une coterie ?
Ces paradoxes et ces
incongruités ne sont évidemment pas propres à notre pays, comme l’illustration
en a été donnée par les dernières élections présidentielles maliennes. Dans un
pays qui compte plus de 18 millions d’habitants, les abstentionnistes
représentaient au premier tour plus de 54% des inscrits, ce qui est un indice
de la désaffection des populations pour ce type de consultations. Au tour
décisif un peu plus de 2,5 millions
d’électeurs ont effectué un vote utile, si bien qu’au bout du compte le
président sortant a été reconduit par moins de 1,8 million de citoyens, soit un dixième de la population du pays et bien
moins que celle de la seule capitale, Bamako !
Au fond, on a
l’impression que nos jeunes États n’organisent des élections, sans d’ailleurs
toujours respecter les échéances légales, que parce que c’est ce qui se fait
ailleurs, et notamment dans les pays qui nous servent de modèles et qui sont
souvent nos juges. C’est vrai qu’il n’y a peut-être pas d’autre solution pour
choisir des dirigeants sans verser dans la dictature, encore que l’élection
n’empêche pas la dictature. Le problème, c’est que nos élections sont rarement
l’occasion de confronter des idées et qu’elles donnent plus souvent lieu à des
querelles de personnes, quelquefois d’ethnies, voire de factions religieuses.
Peut-être aurions-nous du inventer notre propre exercice, voter autrement que
nos inspirateurs, sans user des mêmes méthodes, des mêmes rites, des mêmes exigences
bureaucratiques, des mêmes outils, des mêmes formules. Même après plus d’un
demi-siècle d’indépendance, le citoyen, l’électeur, reste, chez nous plus
qu’ailleurs, le suppôt des « spéculations et des manœuvres » des politiciens,
et la politique est un jeu réservé à un nombre très restreint de
personnes dont la majorité servent
plus leurs ambitions personnelles que les intérêts de la nation.
Voilà pourquoi
pouvoir et opposition réunis nous invitent à voter, même sans conviction. Le
reste est affaire d’experts, et ne nous concerne pas…
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