Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

mercredi 25 mars 2020

« DESORMAIS, ON SE LEVE ET ON SE BARRE ! »


NB : Texte publié dans Sud-Quotidien du 23 mars 2020

Ces mots un peu désinvoltes ont été prononcés dans une toute autre circonstance que celle qui nous occupe ici, mais ils devraient être les mots d’ordre de tous ceux qui voudraient refuser la subjugation et les dictatures. Se lever et se barrer est un acte isolé, une décision individuelle et solitaire, mais cela peut devenir un acte contagieux et cela peut changer le monde.
Ils ont perdu une belle occasion de « se lever et de se barrer » les étudiants, les professeurs, les patriotes, tous ceux qui, le 26 juillet 2007, dans le grand amphithéâtre de l’Université Cheikh Anta Diop, ont subi dans un silence protocolaire, l’affligeant, l’outrageant, discours de Nicolas Sarkozy qui affirmait péremptoirement que « l’homme africain n’est pas entré dans l’Histoire (et que dans son) imaginaire il n’y a de place ni pour l’aventure humaine ni pour l’idée de progrès… ». Cette tirade était un déni de notre passé mais surtout un acte de violence contre notre dignité et face à un acte de violence « il n’y a pas de témoins, il n’y a que des participants »…
« Se lever et se barrer » c’est, quelquefois au contraire, rester assis, se cramponner à sa place et éconduire ceux qui vous la contestent. C’est ce que fit, le 1e décembre 1955, une frêle quadragénaire afro-américaine, Rosa Parks, petite couturière et femme de ménage à l’occasion, en refusant d’obéir au conducteur de bus qui lui intimait l’ordre de céder son siège à un passager blanc, conformément à la législation en vigueur.
Se lever et se barrer c’est encore, d’une certaine manière, ce que firent, pendant 381 jours, ses compatriotes noirs de Montgomery en Alabama, en boycottant la compagnie de bus de la ville et en se rendant à leur travail souvent à pied. Pour eux Rosa Parks avait été la femme qui s’était assise pour qu’ils restent debout et celle qui avait ouvert la lutte pour la conquête de leurs droits civiques…
Se lever et partir c’est comme agiter une banderole, c’est proférer une parole silencieuse, ce n’est pas la seule réponse possible mais c’est quelquefois la seule qui nous est laissée et c’est celle qui comporte le moins de risques. On peut interpeller celui qui crie ou perturbe l’ordre, on peut maitriser celui qui se livre à du vandalisme, mais quelle violence peut-on opposer à celui qui, sans mots ni gestes inutiles, quitte une salle ou une assemblée comme s’il était pressé par un besoin naturel urgent  ou s’il y avait nécessité pour lui de prendre de l’air ?
Se lever et partir c’est donner une réponse à ceux qui confondent majorité et totalité, c’est une riposte idéalement opposable aux hommes politiques en général et notamment aux gouvernants, qui ne s’expriment qu’ex cathedra, derrière le paravent des apparatchiks et de l’appareil d’Etat, qui ne peuvent ni être interpellés ni être interrompus. Rien n’est plus désastreux pour leur crédit qu’une salle qui se vide, qu’un meeting qui se désagrège, car leur pouvoir, et c’est leur point faible, n’a que la force que veulent lui attribuer ceux qu’ils gouvernent.
Mais « se lever et se barrer », quitter les sermons, les prêches et tous les happenings religieux, peut aussi être une réponse appropriée face aux féodalités maraboutiques. Lorsque les religieux s’érigent en monarques, qu’ils ouvrent des brèches au lieu de dresser des digues contre les calamités, lorsque c’est notre survie qui est en cause, c’est vers ceux qui savent que nous devons tourner nos regards et c’est précisément ce que nous recommande le Coran, et dans ce qui nous occupe ici, ceux qui savent ce sont les médecins, les virologues, les épidémiologistes, etc.
La foi n’est pas incompatible avec la lucidité et la vérité est que notre pays est une terre d’émigration, que notre diaspora habite les pays où le covid 19 commet le plus de victimes (plus de 800 morts en une seule journée en Italie !), qu’elle est même concentrée dans les régions les plus infectées de ces pays.
La vérité c’est que le covid 19 est un ennemi que l’on connait mal et contre lequel on n’a aucun remède, qu’il n’est pas ségrégationniste comme on l’avait cru, qu’il s’attaque de la même façon à tous les êtres humains, quels que soient leur âge, la couleur de leur peau, leur croyance.
La vérité c'est  que nous sommes un pays pauvre, que nous manquons de personnel et d’infrastructures de santé, en nombre comme en qualité, d’équipements médicaux (la France a besoin de 20 millions de masques par SEMAINE !), que nous dépendons de l’aide et quelquefois de la pitié de nos partenaires. Alors que le seul traitement connu contre le covid 19 reste le confinement, alors que les édifices religieux, les rues, les places sont vides à Paris, à New York, à Rome… les images de milliers de fidèles qui se pressent aux portes d’une grande mosquée sur les pas de l’une des plus éminentes autorités spirituelles de ce pays, elle-même escortée par la deuxième personnalité du gouvernement, brouillent les messages dispensés généreusement sur les ondes et donnent la preuve de notre inconséquence et celle de notre inconscience du danger.
La vérité c’est que, rapporté à sa population, le Sénégal est à ce jour le pays le plus infecté d’Afrique Noire, que notre capacité d’accueil est déjà saturée, que le pic de l’épidémie n’est pas encore atteint, que ce que nous prenons à la légère porte ailleurs le nom de guerre et de plus grande catastrophe sanitaire depuis un siècle.
La vérité c’est que plus d’un milliard de personnes, parmi les plus riches du monde, sont confinées dans leurs résidences, soumises à de sévères sanctions en cas de désobéissance, que leurs activités de production non essentielles sont pour la plupart au point mort, mais que cela n’a pas arrêté totalement la propagation du virus.
La vérité c’est que  la Chine, la Corée du sud ou Taiwan ont donné la preuve que la riposte la plus efficace face à la pandémie c’est la discipline, la rigueur, le sacrifice…
Se lever et se barrer quand le message religieux est équivoque, c’est  peut-être désormais la seule manière d’exprimer ses réserves sans mettre sa vie en danger car notre monde n’est toujours pas venu au bout des fanatismes et que nous vivons dans un pays où trop d’hommes sont jugés infaillibles. Mais les réserves à l’encontre des féodalités maraboutiques ne sont pas une hérésie ni une révolte contre l’Islam, qui est une religion sans clergé, une religion d’individus qui met chaque fidèle face à sa conscience et face à son Seigneur et qui ne fait pas de l’appartenance confrérique un dogme…
Quant à ceux qui nous gouvernent, leur mission fondamentale est de faire l’avenir : le nôtre est aujourd’hui menacé et ceux qui le mettent en danger doivent être leurs premiers adversaires…

mardi 17 mars 2020

LE CORONAVIRUS AURA-T-IL LA PEAU DE DONALD TRUMP ?

NB : Texte publié dans Sud-Quotidien du 17 mars 2020

Ce n’est, bien sûr, qu’une boutade qu’il ne faut évidemment pas prendre à la lettre, elle est peut-être bête et méchante, mais une chose est sûre : le virus venu de Chine n’arrange pas les affaires de l’homme à la moumoute rousse et pourrait même jouer le rôle d’un morbide deux ex machina susceptible de bousculer le rapport des forces entre lui et le candidat démocrate !
Donald Trump a l’habitude d’affubler ses adversaires de surnoms à son image, souvent plus vulgaires que spirituels, traitant de « Crazy Nancy » la présidente de la Chambre des Représentants, ou surnommant Pocahontas l’ancienne candidate à la candidature démocrate, Elisabeth Warren, mais avec le coronavirus, le plus dangereux ennemi qui ait croisé sa route depuis trois ans, il ne trouve pas ses mots. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé et comme on ne change pas une arme à laquelle on doit ses victoires, il avait essayé la désinvolture, la dérision, la fanfaronnade, le mensonge et l’outrance.
Il a d’abord tenté de minimiser les effets du virus, sur la population comme sur l’économie, mais en multipliant les rencontres et en continuant à serrer des mains, dont celles d’élus qui ont été ensuite placés en quarantaine préventive, il a  plutôt donné l’impression de manquer de sens de responsabilité. Même sur un sujet aussi grave, il n’a pas su résister  aux dérapages verbaux, prétendant, entre autres farces de mauvais goût, qu’on peut guérir du virus « en s’asseyant » ou en allant au travail, mais  il n’a fait rire personne en prétendant qu’il n’a pas touché son visage « depuis des semaines ».
Comme à son habitude encore, il a contesté les prévisions des scientifiques pour se référer à sa propre intuition et sans expliquer comment il était arrivé à ces résultats, il a prétendu que contrairement aux estimations des plus grands chercheurs, le taux de létalité du virus était de 1% au lieu de 3,4%. Comme il n’est pas à un paradoxe près, il a flatté les médecins américains, qui, malgré leur savoir, seraient selon lui tombés en pamoison devant ses connaissances médicales, au point qu’il aurait regretté de n’avoir pas choisi une carrière de médecin plutôt que celles d’homme d’affaires ou de chef de la première puissance mondiale !
Il a, d’avance, dégagé toute responsabilité en se livrant à son exercice favori, le mensonge, et en tirant sur sa cible préférée, Barack Obama, accusant celui-ci, à tort évidemment, d’avoir tardé à proclamer l’urgence nationale lors du déclenchement de la grippe H1N1 en 2009, et d’avoir même à l’époque ralenti la production de tests…
Malheureusement pour lui, Trump a plus de ressources pour construire un mur entre son pays et le Mexique et stopper l’afflux de migrants que pour arrêter une épidémie. Le coronavirus, qu’il prenait pour une grippe saisonnière parmi d’autres, un fléau qui ne pouvait toucher que les dictatures et les pays pauvres, a donc fait son entrée sur le territoire américain et infecté déjà des milliers de personnes dans plusieurs dizaines d’Etats. Sa propagation a mis en lumière la fragilité du système sanitaire américain, le manque de tests, leur coût pour des patients dépourvus d’assurance maladie, ont mis à mal la politique menée depuis trois ans pour démanteler l’Obamacare. L’épidémie, si elle perdure, pourrait par ailleurs avoir des effets collatéraux sur la composition du corps électoral américain car le covid 19 infecterait prioritairement les personnes âgées, dont beaucoup pourraient hésiter à se rendre aux urnes, et le moins qu’on puisse dire c’est que Trump n’est pas le candidat favori de la jeunesse !
Mais le plus grave sans doute pour le président américain c’est que ce qu’il appelait grippe est devenu une pandémie qui menace l’embellie que connaissaient les Etats-Unis et pourrait infecter le bien être des Américains, alors que l’arme de séduction massive de Trump avait été jusque-là le dynamisme insufflé à l’économie de son pays et qu’il met à son seul compte.
Il a fallu le « lundi noir » et l’effondrement des places boursières américaines pour que Trump sorte de sa tour d’ivoire. Mais, s’il semble avoir enfin pris conscience du danger, s’il a mis en place un plan de relance de l’économie, s’il s’est décidé à proclamer l’état d’urgence nationale, il n’a pas pour autant changé de méthode ni même vraiment de discours. On l’a vu à nouveau perdre ses nerfs et retrouver ses expressions favorites en s’attaquant à la Banque Centrale américaine et à son chef qu’il traite de «  minables ». Si, pour la deuxième fois depuis son élection, il s’est adressé solennellement à ses concitoyens à partir du Salon ovale, il a, comme à son habitude, balancé entre l’autoglorification et la stigmatisation. Il a annoncé la fermeture du territoire américain aux ressortissants européens (et même aux marchandises semblait-t-il dire, avant de se rétracter, par tweete évidemment !), ce qui est en soi dans l’air du temps, mais cette mesure ne protège pas totalement la population américaine puisque les Etats-Unis sont l’un des pays les plus réfractaires aux tests et que  lui-même s’était refusé de s’y plier. C’est par ailleurs une décision qu’il a prise unilatéralement et sans concertation avec ceux qui sont pourtant ses principaux alliés  dans le monde, mais nous savons depuis la crise syrienne que Donald Trump n’est pas un ami fiable. Enfin, et comme de coutume, il a martelé que son pays, son système de santé, ses concitoyens, étaient les meilleurs du monde, en tout, que pour lui le covid 19 est un « virus étranger » inventé par la Chine et s’il ferme la porte de son pays aux Européens c’est que ce sont ceux-ci qui l’ont introduit aux Etats-Unis…
Quand un dirigeant politique est sur une pente glissante, c’est d’abord sur les visages et dans le comportement de ses amis qu’on en voit les signes annonciateurs et non sur ceux de ses adversaires. On en a encore eu la preuve à la lumière de deux décisions prises par l’un des plus fidèles alliés de Donald Trump, le tout puissant Mohammed ben Salmane dont le pays fut l’un des premiers à le recevoir après son élection. Le prince héritier saoudien a fait chuter le prix du baril de pétrole et même si la mesure visait en premier lieu la Russie, elle pénalise le pétrole américain à base de schiste, dont le coût d’exploitation est très élevé et qui devient peu compétitif. Il a par ailleurs  procédé à l’arrestation de plusieurs membres de la famille royale susceptibles de lui faire de l’ombre si Washington cessait d’être complaisant à son égard.
MBS n’a plus peur de froisser l’Amérique ? Il prend des précautions pour le cas où le pouvoir changerait de mains aux Etats-Unis ? Tout ça c’est un bon signe pour ceux qui espèrent que l’ère de Trump touche à sa fin !