Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

mardi 22 avril 2014

BOUTEFLIKA, COMPAORÉ, … ET LA SORTIE PAR LA PETITE PORTE

Texte publié dans « Sud Quotidien » du 17 avril 2014

        
Depuis Cincinnatus, les hommes de pouvoir n’ont jamais eu qu’un seul choix : un jour où l’autre, il leur faudra bien l’abandonner à d’autres mains et soit partir la tête haute, par la grande porte, soit être poussés dehors, en empruntant la petite porte…

La première solution les préserve de la honte, fait quelquefois oublier certaines de leurs fautes et de leurs faiblesses, et leur assure généralement une place honorable dans le panthéon national. La seconde solution les conduit à la raillerie populaire, quand ils échappent à la mort ou à la torture, les mène à la déchéance ou à la prison, fait oublier jusqu’aux bonnes actions qu’ils avaient pu conduire. Kadhafi avait délivré son pays du joug d’une monarchie vieillissante qui méprisait le peuple, Hastings Banda avait été surnommé le « Lion du Nyassaland » pour avoir sorti son pays de la nuit coloniale, et pourtant, tous deux, sur des registres différents certes, faute d’avoir pu tenir leurs promesses, faute d’avoir compris que le pouvoir use quand on s’en sert trop et trop longtemps, sont sortis de l’histoire par la petite porte…

L’exception Mandela

En plus de cinquante ans d’indépendance africaine, un seul chef d’Etat de notre continent a réussi le double miracle d’accéder, mais aussi de renoncer au pouvoir par la grande porte. Nelson Mandela avait été élu président de la République d’Afrique du Sud par des voies démocratiques incontestables, de manière si évidente et naturelle que sa défaite aurait pris l’allure d’une sordide plaisanterie. Il avait exercé ses fonctions presqu’avec détachement et, à l’issue d’un seul mandat, avait transmis le pouvoir à un dauphin qui certes n’avait pas son aura, mais avait été préparé à l’exercice et à sa rigueur. Malheureusement, l’exemple de Mandela est un cas quasi unique. Le seul président africain pour lequel on oserait risquer le parallèle est Julius Nyerere, à ces différences près que celui-ci avait été porté, pour la première fois, au sommet d’un Etat naissant autant par la condescendance de la puissance coloniale que par le choix libre des citoyens, qu’il est resté bien plus longtemps au pouvoir et que c’était plus l’échec de ses réformes que la satisfaction d’avoir accompli sa mission qui le lui a fait quitter.

Mandela et Nyerere mis à part, il ne reste plus que des présidents qui, dans le meilleur des cas, ont réussi leur entrée et raté leur sortie, ou inversement. D’autres, plus nombreux, ont raté l’une et l’autre, et, de Mobutu à Dadis Camara., en passant par Idy Amine Dada, Ould Taya ou Ben Ali, ils sont condamnés à l’exil ou dorment anonymes dans des cimetières étrangers.

Au premier groupe appartiennent Abdoulaye Wade, Laurent Gbagbo, Amadou Toumani Touré… Wade avait été le premier président sénégalais élu par des voies démocratiques transparentes. A.T.T avait sauvé l’honneur de l’armée malienne en rendant le pouvoir illégitime qu’elle lui avait donné pour conquérir le vote populaire et gouverner sans parti et presque sans opposition. Gbagbo avait, non sans difficultés, arraché le pouvoir aux héritiers de Houphouët-Boigny qui pendant plus de trente ans, avait gouverné la Côte d’Ivoire comme une propriété privée.

Tous les trois sont partis sans gloire, Wade avait été battu par ceux qui l’avaient porté à la tête de l’Etat et que son entêtement avait irrités, ATT avait dû descendre les falaises de Koulouba pour sauver sa vie et Gbagbo rumine sa déconvenue dans une cellule de prison ! Au second groupe appartiennent Abdou Diouf, Mathieu Kérékou et leur sort est plus enviable. Ils n’étaient pas arrivés au pouvoir de la manière la plus légitime mais ils ont su partir au bon moment ou de la meilleure façon, et d’une certaine manière ils ont gagné le droit de vivre sereinement parmi leurs concitoyens. Car, on l’aura compris, c’est déjà une grande conquête pour un ancien chef d’Etat africain que de finir sa vie, en homme libre, parmi ceux qu’il avait gouvernés !

Abdoul Aziz Bouteflika, aujourd’hui, et demain, peut-être, Blaise Compaoré, Paul Biya, etc., n’ont pas tiré une leçon de l’histoire et se préparent à emprunter les voies périlleuses qui ont conduit certains de leurs collègues au désastre et semé le désordre dans leurs pays respectifs…

Finir comme Bourguiba ?

Le cas de Bouteflika ressort de la comédie théâtrale mais c’est aussi une tragédie humaine. A l’usure manifeste de ses deux collègues cités - (Biya : 32 ans au pouvoir, le plus ancien président africain en exercice ; Compaoré : 27 ans au pouvoir !) - il ajoute l’impossibilité physique d’assurer ses fonctions. L’ancien et sémillant ministre de Ben Bella et de Boumediene qui fut, il y a quarante ans, l’un des plus jeunes présidents de l’Assemblée Générale des Nations Unies, est l’Arlésienne d’une compétition dont il a manqué tous les rendez-vous. Il fait campagne par ministres interposés et depuis deux ans sa seule prouesse aura été de s’être levé tout seul, une fois, de son fauteuil, et d’avoir grommelé deux bouts de phrase plus proches d’un borborygme que d’un discours articulé. Quels mots, quels arguments peuvent opposer ses adversaires à un candidat virtuel, un fantôme qui n’a participé à aucun meeting public et qui demain pourrait récuser toutes les promesses faites par ceux qui portent sa parole ? En réalité l’enjeu des élections algériennes n’est pas d’exprimer la volonté du peuple, mais de garantir le droit à ceux qui tirent les ficelles de s’assurer les moyens de choisir les cartes du jeu.

Bouteflika sera donc élu, sauf miracle, mais pour quoi faire et pour combien de temps ? La seule question qui se pose aujourd’hui pour l’Algérie est de savoir si, une fois porté au pouvoir pour un quatrième mandat, à 76 ans passés, son vieux président terminera sa carrière présidentielle comme Bourguiba ou comme Houphouët-Boigny. Si, après un laps de temps variable, il devra subir un « coup d’Etat médical » qui propulserait au devant de la scène un des marionnettistes qui déjà exercent la réalité du pouvoir. Ce serait alors la voie ouverte à la dictature puis à la rébellion comme l’a montré l’expérience tunisienne. Ou si, comme Houphouët-Boigny, Bouteflika quittera le pouvoir les pieds devant, et, dans ce cas, le vide politique pourrait comme ce fut le cas en Côte d’Ivoire, servir de lit au désordre et à la guerre civile.


Ainsi, dans l’un comme dans l’autre cas, son entêtement politique et les manigances de son entourage portent les germes du désordre et il n’y a pas plus grave faute pour un chef d’Etat que de sacrifier la paix civile pour entretenir une gloire personnelle dérisoire au regard de l’Histoire.

RÉGULER N’EST PAS CENSURER !

Texte publié dans « Sud Quotidien » du 3 avril 2014
        

La régulation, celle des moyens audiovisuels en particulier, est un exercice relativement nouveau en Afrique et elle est souvent incomprise, quand elle ne prête pas à de nombreuses critiques plus ou moins justifiées. Pour certains, et notamment pour les producteurs audiovisuels, elle est, par son essence même, une ingérence dans la liberté d’expression. Pour d’autres, elle parait dépassée à l’heure du numérique. D’autres, enfin, et c’est classique lorsqu’il s’agit d’innovations institutionnelles, invoquent le gaspillage que représenterait la prise en charge de ses agents…

La presse sénégalaise, la presse écrite notamment, sert souvent de tribune à des auditeurs, et surtout à des téléspectateurs, dont les doléances et les récriminations traduisent l’exaspération face à la fois aux dérives des médias et à l’impuissance, voire, disent certains, à la complaisance, des organismes de contrôle. Ces critiques sont souvent fondées et force est de reconnaitre que notre paysage audiovisuel offre une image peu reluisante.

En quelques années, il a explosé littéralement et cette croissance s’est faite souvent aux dépens de la qualité et du respect des valeurs les plus sacrées. La réalité c’est que nous nous enfermons dans un isolement tel que notre production audiovisuelle est inexportable parce qu’elle ne flatte souvent que le pire de nos fondements culturels. En faisant peu cas de la diversité culturelle, en s’abreuvant exagérément aux séries à l’eau de rose, en privilégiant la futilité et l’obscurantisme, en préférant s’attacher  les services d’amateurs bon marché mais incompétents plutôt que ceux de professionnels aguerris, elle présente souvent l’aspect d’une usine à gaz exclusivement destinée à la consommation locale.

Enlevez les lutteurs, les footballeurs, les bonimenteurs en tous genres et les guérisseurs universels, et il ne reste pas grand-chose pour subjuguer la chalandise. Ajoutez à cela le mélange des genres qui fait que certains éditeurs sont aussi les animateurs vedettes de leurs groupes ou que d’autres contrôlent toute la chaine, en amont et en aval, et jusqu’aux sous-traitants, ou le manquement caractérisé des obligations professionnelles, l’absence quasi générale de précautions élémentaires qu’impose le genre (pictogrammes, avertissements, etc.) et vous comprendrez l’émoi que certaines émissions soulèvent dans les foyers. La télévision, parce qu’elle touche les parties les plus vulnérables de la population, a besoin de règles et de dispositifs spécifiques.

Mais pour que les critiques les plus pertinentes atteignent leur but, il faudrait qu’elles tiennent compte des réalités de notre pays. On oublie trop souvent que les organes de régulation africains ont pour fondement non les convictions démocratiques de nos gouvernants mais, plus généralement, la nécessité pour ceux-ci de répondre aux pressions de la rue, quand ce ne sont pas celles des bailleurs de fonds. Leur pouvoir est donc souvent limité et la plupart d’entre eux ont pour fonction essentielle de contrôler le contenu des produits diffusés et n’ont pas de prise sur le fonctionnement des médias, ce qui est l’autre domaine de compétence d’une bonne régulation. Il découle de ce fait que la régulation ne peut se faire qu’à posteriori, elle sert plus à éduquer qu’à sanctionner et, lorsqu’elle condamne, le mal est généralement fait, ou entamé. Le reproche qu’on peut faire aux organes de régulation ne peut donc pas  être de ne pas avoir empêché la diffusion d’une émission, mais d’avoir permis qu’elle se reproduise et de ne pas avoir mis en garde ou sanctionné ses auteurs. 

Mais ces limites ne doivent pas, loin de là, empêcher le téléspectateur, l’auditeur, d’exercer son devoir de vigilance et d’indignation, car le citoyen est l’allié indispensable du régulateur et ses avis appréciés et même sollicités. En effet si la régulation a pour mission de préserver le droit à l’expression (celui d’exprimer son opinion et celui de recevoir des informations), son fondement essentiel c’est d’abord de garantir la liberté d’opinion des auditeurs et des téléspectateurs avant même celle des médias, de préserver les droits des plus faibles et des plus démunis. C’est en se fondant sur ce titre que le CNRA s’est attaché depuis un an à se placer aux côtés du public et à placer les médias devant leurs responsabilités plutôt que d’user et d’abuser de mises en demeure.

Cette posture restitue aussi au public ses droits parce que le succès d’une chaine ou d’une émission de télévision est d’abord fonction de l’engouement que lui portent auditeurs et téléspectateurs. A ce sujet il est assez curieux de remarquer, comme l’a montré une enquête du CNRA, que les émissions qui soulèvent le plus de remarques désobligeantes sont aussi celles qui ont le taux d’audience le plus élevé. En effet, la RTS1 mise à part, les émissions les plus suivies sur les chaines de télévision sont les talk-shows, les films et autres rubriques qui soulèvent l’indignation de la majorité des téléspectateurs. Cette situation est d’autant plus paradoxale que la même enquête a révélé que le taux de pénétration de la télévision croit avec le niveau d’instruction, qu’il est plus élevé dans les villes que dans les campagnes, chez les hommes que chez les femmes. En résumé c’est la partie privilégiée de notre pays, celle qui détient le savoir et le pouvoir, qui laisse faire ce que d’autres stigmatisent !


En somme à côté de la régulation institutionnelle, qui doit être autonome et indépendante, bien outillée et reflétant la diversité sociologique, professionnelle et culturelle de notre pays, il y a celle des consommateurs, plus efficace encore pour imposer un paysage audiovisuel de qualité. Il leur suffira en effet de comprendre que l’audiovisuel est d’abord un commerce, hélas, qu’une émission à petit audimat est une émission condamnée et qu’en fin de compte c’est le téléspectateur, l’auditeur, qui assurent sa survie .C’est aussi simple que cela !