Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

jeudi 18 novembre 2021

NAME AND SHAME...

NB : Texte publié dans "Sud-Quotidien" du 11 novembre 2021

Oseront-ils ? Les chefs d’Etat des pays dits pauvres, ceux d’Afrique, d’Amérique Centrale et des Caraïbes, ou ceux du Proche Orient, oseront-ils un jour tenir une sorte de G 100 pour mettre en œuvre cette pratique anglo-saxonne appelée « Naming and Shaming » et interpeller, nommément et solennellement, les nations qui trop souvent les accusent de tous les péchés d’Israël ?

Quand un président français prétend que l’Afrique n’a pas d’histoire, quand son homologue américain dit qu’elle est un « pays de m…», quand un Premier ministre européen tient des propos ouvertement racistes et fait de son pays le repaire de l’extrême droite mondiale, les Africains, notamment, n’ont pas le droit de se taire…

Il y a quinze ans déjà, dans un de ses derniers livres, Mongo Beti les interpellait par ce cri de colère : « Africains, si vous parliez ! » Cette injonction est plus que jamais d’actualité, mais il ne s’agit plus seulement de parler, il s’agit de passer aux actes et de proclamer qu’il existe des nations et des gouvernements qui méritent d’être mis au pilori, ce qui est le sens de l’expression anglaise citée plus haut, parce que leurs dirigeants, non contents de mettre en danger la survie sur terre de l’espèce humaine, bafouent la solidarité humaine, portent atteinte aux droits et à la dignité de milliers de personnes, tout en revendiquant leur appartenance à la seule civilisation qu’ils reconnaissent. Mais, comme le dit un de leurs philosophes, peut-on être civilisé si on ne sait même pas ce qu’est la civilisation ?

Sont-elles la marque de la « civilisation » ces images qui ont scandalisé le monde et qui montrent des policiers de la nation la plus riche du monde, les Etats-Unis, pourchasser à cheval et au lasso, comme au beau temps des westerns, des Haïtiens, des hommes ,des femmes et des enfants, pour les sommer de passer sur l’autre rive d’un fleuve! Ou celles, moins connues mais tout aussi inhumaines, de milliers de migrants servant de punching-ball entre les Biélorusses, qui les manipulent par de fausses promesses, et les Polonais et Lithuaniens, qui les repoussent, au fusil ou par des chiens, et les contraignent à survivre dans un no man’s land de boue et de glace. Ou encore celles de migrants en détresse dans la «jungle» de Calais, auxquels des policiers français arrachent, pour les déchirer, leur seul bien, les abris de toile qui les protègent du froid.

Toutes ces images ne peuvent pas faire oublier celles, devenues si banales, de migrants dont les embarcations chavirent tous les jours en Méditerranée, qui sont rejetés de port en port et dont les sauveteurs eux-mêmes sont trainés devant la justice… Ce qui se passe aujourd’hui à la périphérie des pays européens et des Etats-Unis d’Amérique est proprement terrifiant et révélateur sur l’état d’esprit de ceux qui se considèrent comme la conscience universelle.

La majorité de leur l’opinion est indifférente à ces tragédies, quand elle ne les justifie pas, au point que dans un pays qui se dit être «la patrie» des Droits de l’Homme, un dangereux virus, le zemmourite, a déjà contaminé la droite classique et a commencé à gangrener la gauche, comme le montrent les récents propos tenus par un ancien ministre socialiste. Et comble de malheur, il n’y a plus, ni en France ni ailleurs , de grandes voix (Bertrand Russel, Jean Paul Sartre, Stéphane Hessel etc.) pour s’ériger en barrières et offrir leurs voix, voire leurs corps, pour condamner toutes ces dérives C’est tout de même un paradoxe que des pays qui, pour, la plupart, ont bâti largement leur prospérité sur l’exploitation des richesses d’autres pays ,qui avaient fondé des colonies à des milliers de kilomètres de leurs frontières, qui avaient occupé des territoires en repoussant les populations autochtones vers les terres les plus hostiles ou simplement en les exterminant, érigent désormais des barricades de murs, de barbelés ou de fils électriques pour empêcher l’arrivée sur leur sol de populations «mises sur le chemin de l’exil» ,souvent par les interventions intempestives de leurs gouvernements .

On comprend encore moins qu’ils s’auto-séquestrent et oublient si facilement ce mot de Jean de La Fontaine :« la raison n’habite pas longtemps chez les gens séquestrés ». Car il s’agit bien de cela : de raison ! Sinon, comment expliquer que dans le pays le plus développé de la terre, les membres du Congrès relaient les messages des mouvements complotistes et que 15 % de la population, ce qui représente tout de même quelque 45 millions de personnes, soient convaincus que, dans le monde d’aujourd’hui, « les leviers du pouvoir sont contrôlés par une cabale d’adorateurs de Satan pédophiles » ? Comment comprendre que dans un pays qui vante souvent son esprit cartésien, il y ait des foules pour accueillir un homme déjà condamné pour incitation à la haine religieuse, et croire à la menace imminente d’une submersion de leur pays par des hordes de Musulmans sans bagages et les mains nues ! Et Eric Zemmour, car c’est de lui qu’il s’agit, qui n’est pas à une contradiction près et c’est cela qui rend son combat absurde, prêche pour une France«pure», jusqu’aux prénoms de ses citoyens, et sans immigrés, mais aussi pour le maintien de sa présence en Nouvelle Calédonie, à près de 20.000 km de ses cotes, là où s’opère précisément un «remplacement» qui lui n’a rien d’imaginaire !

Si pour mettre en place ce tribunal des puissants, il s’avère difficile de constituer un G 100 des bafoués, pourquoi ne pas faire appel au G 54 qui a le mérite d’exister ? Il s’agit, bien sûr, de l’Union Africaine, qui pourrait, en s’inspirant de l’expérience du Royaume Uni, « nommer, pour leur faire honte » les Etats ou gouvernements qui ont « agi de manière fautive ». Les accusés devront répondre de leurs promesses jamais tenues, d’un G 7 à un G 20, en passant par toutes les COP. Ils devront dire pourquoi ils laissent prospérer chez eux des régimes dirigés par des autocrates racistes et xénophobes, alors qu’ils se sont proclamés garants du respect de la dignité humaine. Pourquoi ils laissent une partie de leur « élite » politique multiplier, impunément, des propos portant atteinte aux droits de l’homme ou bafouer l’histoire ou la culture de communautés entières. Pourquoi ils prêchent la paix et s’enrichissent par la vente d’armes, n’hésitant pas à dresser des états les uns contre les autres pour alimenter leur sordide commerce…

Si cela ne suffit pas pour leur faire prendre conscience de leurs responsabilités, alors n’hésitons pas à sortir l’artillerie lourde. La traite négrière, l’esclavage outre Atlantique, les violences coloniales qu’on veut tellement nous faire oublier, c’est eux ! L’extermination de peuples entiers, illustrée par celle des peuples amérindiens, si brutale et si violente qu’elle aurait, selon un historien, élevé la température au sol dans la région, c’est encore eux ! Et si cela ne suffit toujours pas, alors revenons à ce qui est à la mode, à ce qui fait l’actualité, surtout après l’échec, prévisible, du Sommet de Glasgow. Car le réchauffement climatique, la fonte des glaciers, la montée des eaux marines, les émissions de CO2, Tchernobyl et Amoco Cadiz… c’est toujours eux ! Alors messieurs les donneurs de leçons, encore un effort ! Grouillez vous ! Si la terre va mal, c’est de votre faute, et si elle brûle vous serez les principaux perdants car c’est vous qui profitez le mieux d’elle !

lundi 1 novembre 2021

LES CHEFS D’ETATS AFRICAINS POURRONT-ILS ENCORE PARTICIPER DECEMMENT A UN SOMMET FRANCE-AFRIQUE ?

NB : Texte publié dans "Sud-Quotidien" du 26 octobre 2021

Les chefs d’États africains qui avaient pris goût à se prélasser dans les palaces de la Cote d’Azur à l’occasion des sommets France-Afrique peuvent au moins se consoler : la rencontre qui s’est tenue à Montpellier n’est pas un sommet ! En bon français un sommet c’est «une réunion entre personnes à la tête d’une hiérarchie» (état, institution etc.), alors que le raout du 8 octobre était un happening, un «show à l’américaine», selon la presse française, et son médiatique maitre de cérémonie un animateur de radio et de télévision.

C’était une sorte d’Etats Généraux au cours desquels des hommes et des femmes, majoritairement jeunes, mais dont aucun ne peut se prévaloir d’un mandat en bonne et due forme, sont chargés de soumettre leurs Cahiers de Doléances au Grand Manitou qui les avait convoqués. Des souvenirs qui me restent de l’histoire de France, il me semble que la dernière assemblée réunie sous cette appellation avait produit des résultats qui étaient loin d’être ceux qu’en attendait la partie invitante…

Mais ce n’est qu’une maigre consolation car, quel que soit le nom qu’on lui donne, la rencontre de Montpellier est d’abord un camouflet, voire une provocation, une escroquerie par moments, pour tous ceux qui étaient les commensaux habituels d’un rendez-vous vieux de près d’un demi-siècle. Faisant fi du fait que ces assises étaient devenues un patrimoine commun puisqu’elles se tenaient alternativement en France et en Afrique, un des participants a décidé, seul, d’en changer le format, si brutalement que même ses représentants en Afrique ont regretté qu’aucune explication ne leur ait été fournie en amont…

Ce faux sommet est choquant dans sa forme, blessant par sa méthodologie laquelle a consisté à « sous-traiter l’avenir de l’Afrique », en s’abritant derrière le paravent de sherpas étrangers, plutôt que de prendre le risque de faire appel à l’expertise locale. Ces conseillers embedded, qui rappellent les « coopérants » d’autrefois, ont malheureusement subi la double peine puisque non seulement ils se sont retrouvés en situation inconfortable vis-à-vis de l’opinion de leurs pays d’origine, mais qu’en outre leur commanditaire a fait peu cas de leurs recommandations, dans l’esprit sinon dans la lettre.

C’était de toute façon un rendez-vous anachronique, celui d’un « empire qui ne veut pas mourir » puisqu’il existe un Sommet Union Européenne-Union Africaine et que rien ne justifie un Sommet France-Afrique. La France n’est plus qu’une puissance moyenne dont le PIB est inférieur à celui de la Californie et le bilan financier du sommet de Montpellier en offre une parfaite illustration. Son annonce la plus spectaculaire, destinée à « soutenir la société civile dans ses actions en faveur de la démocratie » au profit de 54 nations rassemblant 1,2 milliard d’habitants, s’élève à… 30 millions d’euros, soit 6 % du budget du PSG pour la saison 2021- 2022 ! Trente millions, sur trois ans, alors que M. Macron est à six mois de la fin de son mandat, qu’il rassemble moins de voix que celles de ses deux adversaires d’extrême droite et que l’arrivée au pouvoir de l’un quelconque d’entre eux remettrait automatiquement en cause tous ses engagements. Mais même s’il est réélu, comment faire confiance à un Président que certains appellent Caméléon et d’autres le Traitre ? La réunion de Montpellier est enfin un rendez-vous illégitime.

D’abord parce que son initiateur n’a pas convié la « société civile »africaine, mais seulement la partie de son choix et qu’il y a beaucoup d’absences injustifiées, notamment celle d’empêcheurs de tourner en rond qui ont consacré leur vie à promouvoir l’émancipation politique et culturelle du continent et à combattre cette Françafrique dont il nie l’existence.

La douzaine de garçons et de filles qui ont eu l’opportunité de s’exprimer ont quelquefois tenté de bousculer leur hôte, mais c’était peine perdue parce que c’est ce dernier qui leur a fixé et qui distribue le temps de parole, qu’il s’exprime sans limites et qu’il a toujours le dernier mot. Ajoutez à cela qu’un terrible soupçon pèse sur cet exercice qui aurait été répété comme pour une vulgaire sitcom ! Elle est illégitime aussi parce qu’un président français n’est pas la personne la plus qualifiée pour initier ou diriger un débat sur « l’engagement citoyen » des Africains, ce qui était l’un de ses cinq thèmes. N’est-il pas du reste insultant que son hôte ait consacré à des invités venus souvent de très loin, moins de temps que celui qu’il passe à visiter les stands du Salon de l’Agriculture ? N’est-il pas pour le moins inélégant qu’il ait choisi pour accueillir la rencontre une ville dont la plus haute autorité, le préfet, s’est illustrée récemment par ses provocations, menaçant de procéder au désencombrement humain de la cité, de la « nettoyer » (au karcher ?) de ses bidonvilles, dont certains ont été mystérieusement incendiés, sans cacher qu’il userait de violence, parce que dit-il, « c’est la loi qui est brutale » !

Au total, et c’est sans doute l’un de ses paradoxes, on peut dire que le « Sommet Macron »contient tous les ingrédients de la bonne et veille Françafrique. Il est fondé sur deux postulats dont le premier est que l’Afrique est pauvre, mal gouvernée, et qu’elle n’a besoin que de subsides, même si ses gouvernants les gèrent mal, et d’armes pour protéger les régimes « amis ». Le deuxième postulat c’est que, pour le bien des Africains, ces soutiens ne doivent venir que de la France ou de ses alliés, ce qui est la preuve que M. Macron est trop jeune pour se remémorer cette réplique de Nelson Mandela à Bill Clinton qui lui reprochait certaines de ses amitiés : « M. le président, vos ennemis ne sont pas forcément les nôtres ! » Les présidents changent, mais le malentendu perdurera jusqu’à ce que Paris comprenne que les foules qui défilent à Bamako ou qui saccagent les enseignes françaises à Dakar ont des revendications qui sont loin d’être du domaine alimentaire. Elles veulent que la France mette un peu plus d’ordre et de logique dans sa politique africaine, et la rhétorique de M. Macron à Montpellier n’a pas réussi à justifier le deux poids deux mesures, qui permet d’absoudre Ouattara et Deby fils et de condamner d’autres. Elles veulent que la France respecte ses partenaires africains, car si le Mali s’est senti « abandonné en plein vol » c’est qu’il a été tenu à l’écart des décisions qui ont conduit à la remise en cause de la présence militaire française sur son propre territoire. Qu’elle honore ses engagements, dans leur plénitude et ne se contente pas des effets d’annonce et que quand elle promet de lever le secret-défense sur la mort de Thomas Sankara, qu’elle ne se limite pas à ne rendre que des pièces secondaires, en prenant soin de garder celles issues des cabinets du président Mitterrand et de son Premier ministre Jacques Chirac…

Elles veulent que l’Afrique ne serve pas simplement d’argument de campagne électorale, parce qu’ à Montpellier Emmanuel Macron a voulu tout à la fois gagner la sympathie de la diaspora africaine en France ( celle qui vote, parce que toutes les voix sont utiles pour vaincre l’extrême droite), apparaitre comme le président qui va au secours des plus pauvres( alors qu’on l’accuse d’être le « président des riches ») ,et celui qui sait parler aux jeunes, contrairement aux présidents africains qui ne brillent guère dans cet exercice ! Mais si son ambition était de « réinventer les relations franco-africaines », on peut dire que c’est raté. Il n’a pas su profiter de la présence de représentants de l’Afrique de demain pour faire un pas de plus que ses prédécesseurs, lui qui avait déclaré que « la colonisation est un crime contre l’humanité », alors qu’il n’était encore qu’un simple candidat. Il n’a pas osé suivre l’exemple des gouvernements du Royaume Uni, de l’Allemagne ou de la Belgique qui ont tous reconnu les crimes commis par leurs pays pendant la période coloniale, au Kenya, en Namibie et au Congo. Il n’a pas compris que les Africains étaient prêts à tourner cette page douloureuse, mais à condition qu’on prenne le temps de la lire, ni qu’offrir Maurice Papon en victime expiatoire ne suffit pas pour apaiser les souffrances nées des violences coloniales. Ni pour faire oublier que rien que pendant la période qui s’étend entre la fin de la deuxième guerre mondiale et la fin de la rébellion algérienne, plus d’un million d’hommes, de femmes et d’enfants sont morts dans des massacres et des conflits coloniaux dans lesquels la France est impliquée, pas seulement en Algérie mais aussi en Tunisie, au Cameroun ou à Madagascar !

On attend désormais la riposte des chefs d’états africains. Pourquoi, à leur tour, ne convoqueraient-ils pas la « société civile » et la jeunesse françaises, à Soweto par exemple, pour leur apprendre comment bâtir entre elles et les jeunesses d’Afrique des ponts qui ne soient pas faits que de belles envolées lyriques !