Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

mardi 25 mai 2021

SENGHOR EST MORT !

NB : Texte publié dans Sud-Quotidien du 25 mai 2021


« Nous sommes le seul pays africain francophone qui ont des UVS… Nous sommes le seul pays africain… qui vont recevoir un lot de 6000 ordinateurs...». Je voudrai d’abord rassurer tous ceux qui me font le plaisir de me lire quelquefois dans les colonnes de ce journal : ces propos ne sont pas de moi. Hélas ! Hélas, parce qu’on aurait pu me les pardonner en invoquant mon âge, car la presse n’est pas souvent tendre pour les personnes dites du troisième âge, puisqu’on y lit souvent ce genre de fait divers : « un vieillard de 60 ans a été renversé par une charrette ». 

Hélas, parce qu’on aurait pu penser qu’il s’agit forcément de propos tenus dans l’intimité, puisque je ne suis pas de ceux auxquels on tend un micro, qu’il s’agit d’une opinion personnelle, lancée à la légère, au fil d’une conversation…

Hélas, parce que ces propos ont été tenus par un ministre de la République et que le seul fait que celui-ci leur ait survécu est la preuve, pour ceux qui en doutaient encore, que Senghor n’est plus aux affaires.

Parce que ces propos ont été tenus sur une télévision à vocation nationale, face à l’interviewer vedette de la chaine, et à une heure de grande écoute et qu’ils n’ont pas échappé à la presse.

Parce qu’il ne s’agit pas d’un simple lapsus, puisque le bafouement d’une règle aussi élémentaire que l’accord du verbe avec son sujet, qui attire ici notre attention, a été répété à plusieurs reprises.

Parce qu’il ne s’agit pas de n’importe quel ministre, mais de celui qui est chargé de l’enseignement supérieur, censé être la référence suprême du bon usage de la langue française.

Parce que c’est précisément en français, langue officielle du Sénégal, que s’exprimait le ministre, la langue par laquelle se fait l’acquisition du savoir dans nos écoles, nos collèges, nos lycées et nos universités. Une langue dont les règles fondamentales sont fixées depuis des siècles, gravées sur du marbre et que nos maitres et nos professeurs s’acharnent à enfoncer dans la tête de nos enfants, même quand elles heurtent leur raisonnement, car le français qu’on écrit n’est pas forcément celui qu’on entend !

Quelle sera désormais la crédibilité de nos éducateurs, si celui qui aurait dû donner l’exemple foule aux pieds ces règles ? Au fond, tous ceux qui enseignent la grammaire française auraient dû manifester dans la rue, voire observer un jour de grève, car c’est la fiabilité même du savoir qu’ils dispensent qui est remise en cause. Je ne sais pas si notre pays est « le seul pays africain qui ont des UVS », mais je peux dire que c’est le seul pays francophone qui ont si peu de respect pour Grevisse et les Robert ! Car l’arbre du ministre cache la forêt des Sénégalais, étudiants, enseignants, hommes et femmes de la politique ou de la société civile qui, sur les ondes des radios (y compris sur RFI, la « radio mondiale »), ainsi que sur les écrans de télévision, font croire que le pays qui a été à l’origine de la Francophonie est devenu celui où la langue française est la plus mal parlée.

Senghor est bien mort, et une autre preuve est que le théâtre Daniel Sorano, qu’il avait fondé, est fermé : ses portes sont ouvertes mais sa scène est désespérément vide. Depuis combien de temps n’y a-t-on pas joué une pièce de théâtre, une vraie, avec un texte de qualité, quelle que soit sa langue, qui enrichit le cœur et l’esprit ? Le théâtre n’est pas le seul à avoir déserté Sorano où ne retentissent plus les sonorités de l’Ensemble instrumental, où ne résonnent plus les pas des danseurs de Sira Badral. Mais il n’y a pas que le théâtre .Le premier long métrage cinématographique « négro-africain » réalisé en Afrique est l’œuvre d’un cinéaste sénégalais, et notre pays ne compte pratiquement qu’une salle de cinéma.

Le premier artiste noir admis à l’Académie française des beaux-arts est sénégalais, et aucune de ses œuvres ne figure dans nos rues et dans nos places. Il est vrai que ce paradoxe ne se limite pas à la culture puisque le Sénégal qui, depuis des années, figure au premier rang africain dans le classement des équipes nationales de football, ne possède aucun terrain de football homologué pour une rencontre internationale !

Senghor est mort, lui qui cultivait la ponctualité, et si l’exactitude est la politesse des rois, alors tous nos politiques sont d’une incorrigible incivilité. Toutes les réunions qu’ils président, toutes les rencontres auxquelles ils sont conviés, se tiennent avec des retards qui ne se résument pas au quart d’heure de courtoisie mais peuvent s’étirer sur des heures.

L’imponctualité est devenue le travers le mieux partagé au Sénégal et elle est à l’origine d’un cercle vicieux : l’important ce n’est plus de venir à l’heure, mais juste de venir avant les officiels, forcément en retard, dont l’arrivée conditionne le début des travaux ! Ce manque de ponctualité n’est pas seulement une marque d’impolitesse, c’est aussi un énorme gaspillage de temps et d’énergie qui contribue à administrer chaque jour la preuve qu’au fond, si nous ne sortons pas du sous-développement, c’est que nous ne travaillons pas assez.

Dis-moi avec quel retard se tiennent les réunions chez toi, et je te dirais dans quelle catégorie de pays tu vis ! Senghor est mort, lui qui se tenait à égale distance des religieux, alors qu’aujourd’hui entrer en politique c’est commencer par se chercher un guide religieux et que nos présidents ont besoin d’un copilote pour nous gouverner. C’est un attelage périlleux, d’abord pour le religieux car la politique est toujours une forme de compromis, voire de compromission, mais aussi pour les gouvernants, parce que l’affaissement du politique marque le début du désordre.

Cette confusion des rôles est un frein à nos libertés, et si au temps de Senghor on pouvait aller en prison pour avoir critiqué le pouvoir, aujourd’hui on peut se faire lyncher pour avoir exprimé une opinion religieuse qui ne reflète pas, dans ses moindres détails, la doxa ambiante. J’aurai pu multiplier les exemples et, contrairement à ce que pensent certains, les reproches formulés plus haut ne sont pas « un détail de notre histoire ».

Évidemment tout l’héritage de Senghor n’est pas à perpétuer et il y a aussi des usages qu’il avait instaurés ou maintenus dans notre pays et que nous avons eu bien raison de jeter aux oubliettes. Je citerai, à titre d’exemple, ces vestes à queue de pie qu’il s’imposait et imposait à son protocole, par tous les temps, ainsi que son mépris des tenues africaines. Il n’était pas non plus un modèle de démocrate, son patriotisme était pour le moins trouble, et les vingt ans pendant lesquels il a gouverné notre pays ont été de dures années pour ceux qui se battaient pour le desserrement de la pression de l’ancienne métropole sur notre économie et sur nos esprits. Mais il faut lui reconnaitre ce mérite qu’il avait tenté de nous guérir de ce qu’il appelait nos « thiakhaneries » où se mêlent à la fois le culte de l’arrangement (le massala), une grande légèreté (« garaawul ! »), et l’illusion que notre pays est béni de Dieu.

Senghor avait fait plus que prêcher l’exemple, il avait créé ex nihilo une administration pour nous apprendre « l’organisation et la méthode ». Malheureusement les résultats n’avaient pas été à la hauteur de ses espérances et aujourd’hui, plus de quarante ans après son départ du pouvoir, on peut dire que, dans ce domaine comme dans d’autres, nous avons peu appris et beaucoup oublié…

ÉMISSIONS RFI EN MANDENKAN ET EN FULFULDE OU QUAND LA "RADIO MONDIALE" FAIT LA LEÇON AUX RADIOS AFRICAINES


NB : Texte publié dans Sud-Quotidien du 20 janvier 2021

L’implantation à Dakar des antennes de Rfi en mandenkan et en fulfulde et le démarrage effectif d'un programme renforcé dans ces deux conglomérats linguistiques représente un événement majeur dans notre paysage médiatique. On ne peut donc que regretter que la presse ouest-africaine en général et sénégalaise en particulier, ne lui ait pas consacré la place qu'il méritait.

Le choix de la capitale sénégalaise pour accueillir cette structure n’allait pourtant pas de soi. Dans la sous-région, notre pays n’est pas en effet celui qui abrite les communautés mandenkan et fulfulde les plus nombreuses ni même les plus mobilisées pour la défense de leurs cultures respectives et nos médias, radios et télévisions, ne leur consacrent qu’une faible part de leurs programmes, quand ils ne les ignorent pas tout simplement.

A défaut de Bamako, black listée par la France, Abidjan, pour le mandenkan, ou Conakry, pour le fulfulde, auraient été des choix plus objectifs car même si ces dernières capitales ne se trouvent pas dans leurs aires géographiques traditionnelles, les populations de langue dioula et peule y exercent une forte influence en raison de leur poids culturel ou économique. On peut donc dire que le choix de Dakar est, d’une certaine manière, une forme d’illustration de « l’exception sénégalaise», le signe que, grâce à la relative sérénité de sa vie politique, à l’esprit de tolérance de ses populations et à leur cohésion sociale, notre pays mérite sa réputation de terre d’accueil et de stabilité. C’est donc une fois encore, l’occasion d’inviter nos politiques, et tout particulièrement nos dirigeants, à préserver cet acquis et à en faire le fondement même de notre culture politique... Mais l’important est bien ailleurs que dans cette faveur accordée à notre pays et qui, peut-être, a d’autres motivations moins avouables.

L’important, c’est d’abord le seul fait que ces émissions, diffusées depuis une terre africaine, soient placées sous la responsabilité de femmes et d’hommes locuteurs des deux langues, formés au métier de journaliste, initiés aux méthodes modernes et ouverts au monde extérieur. Cela nous change des « animateurs » formés sur le tas et dont quelques-uns ont été choisis par leur entregent plus que par leur compétence, ou des « communicateurs traditionnels » souvent enclins au travestissement ou à la laudation, et qui constituent le gros des troupes de ceux qui servent les langues locales sur nos antennes.

Avec Rfi, les auditeurs en fulfulde ou mandenkan ont désormais accès aux mêmes informations que ceux qui l’écoutent en français et peuvent participer à des émissions interactives calquées, par exemple, sur le modèle d’émissions aussi populaires que « Appel sur l’actualité » ou « Alors on dit quoi? ». C’est un changement de qualité significatif car, au Sénégal comme dans les autres pays de la région, les émissions en langue locale, même lorsqu’elle est appelée pompeusement « langue nationale » alors qu’elle s’est à peine émancipée de son vieil statut colonial de langue vernaculaire, tournent généralement autour des faits divers, quand elles ne se contentent pas de faire du folklore ou de la pseudo histoire.

Enfin, et ce n’est pas anodin, l’offre éditoriale de Rfi en mandenkan et en fulfulde est à la fois indépendante des pouvoirs locaux, politiques mais aussi religieux, plus fiable et plus pluridisciplinaire puisque tous les sujets sont abordés : la jeunesse, la santé, le genre, l’économie, l’environnement et bien sûr l’actualité, sans compter la revue de presse... Mais le plus important, c’est sans doute que ces émissions brisent le carcan colonial dans lequel étaient enfermées nos cultures et nos parlers et qui a fait que nos indépendances ont ajouté à la balkanisation de nos pays celle de nos langues. Les chaînes de radio sénégalaises qui émettent en wolof ne se préoccupent guère du wolof diffusé en Gambie, quand elles ne le tournent pas en ridicule, le mandingue propagé par nos radios ne profite pas non plus des subtilités engrangées par le malinké de Guinée ou par le dioula de Côte d’Ivoire.

La situation est encore plus rocambolesque pour les populations de langues peules qui constituent, peut-être à une exception près, des groupes minoritaires,, éparpillés sur un vaste archipel. Les émissions de Rfi en mandenkan et en fulfulde nous rappellent à tous qu’une langue n’est pas une nationalité, qu’elle est avant tout une culture...

Evidemment, pour parvenir à cet exploit, il a fallu que Rfi se dote de nouveaux moyens, mais elle s’est surtout donné du temps en augmentant les crédits horaires consacrés aux deux langues, tout en facilitant le relais de ses émissions par les radios communautaires et en offrant même à ses auditeurs la possibilité de la suivre sur les réseaux sociaux et sur les ondes courtes...

La balkanisation de nos langues, amplifiée par le fait qu’elles ne sont pas généralement enseignées à l’école et qu’elles n’ont pas de supports écrits, a eu pour conséquence de faire d’elles, non des traits d’union entre les populations qui les véhiculent, mais des idiomes nationaux, reconnaissables par leurs accents ou leur vocabulaire... Je ne peux pas me prononcer sur les sentiments des auditeurs de Rfi en mandenkan, mais je ne crois pas me tromper en affirmant que ceux qui l’écoutent en fulfulde sont partagés entre la curiosité et l’émotion face à la confrontation, toute pacifique, de parlers d’une même famille qui, à leur grand désespoir, s’écartent les uns des autres au fil des jours. Ils sont sensibles aux efforts que font les journalistes venus du Sénégal, du Mali, du Burkina Faso ou de Guinée pour d’abord se comprendre entre eux avant de se faire comprendre par leurs auditeurs et de construire par petites touches une lingua franca compréhensible par tous. J’espère que leurs auditeurs sont prêts, à leur tour, à fournir le même effort, à se plier au même exercice et à s’apercevoir qu’ils parlent tous la même langue.

D’ores et déjà, on peut dire que pour la première fois et sur une même radio les différences s’estompent entre pulaar, fulfulde, fulani et que chaque parler enrichit l’autre. Pour la première fois enfin, une chaîne de radio de grande diffusion émet chaque jour, sept jours sur sept, et deux heures durant dans une langue parlée par des dizaines de millions de personnes réparties dans près de quinze pays. C’est une double révolution.

lundi 17 mai 2021

NAQBA, AN 73 !

NB : Texte publié dans "Sud Quotidien" du 17 mai 2021

En 1948 une catastrophe, une « naqba », s’abattait sur les populations arabes vivant en terre palestinienne depuis…depuis toujours, quand plus de 700.000 d’entre elles furent sommées, par des menaces en tous genres, par la peur ou par les armes, par des promesses jamais tenues, de quitter leurs maisons, leurs terres, leurs champs, leurs entreprises, pour un exode qui ne devait durer que le temps d’une petite guerre, au point que beaucoup d’entre elles n’ont rien emporté et que certaines ont juste pris la peine de fermer leurs portes.

Depuis lors, 73 années sont passées et la guerre n’est toujours pas finie, la naqba est devenue le quotidien de ces fugitifs qui, avec leurs descendants, représentent aujourd’hui une population de cinq millions de femmes, d’- hommes et d’enfants, disséminés dans plusieurs pays, vivant en situation précaire et quelquefois dans des abris provisoires.

L’Etat d’Israël a été bâti sur des ruines et sur l’injustice et si, il y a 73 ans, ses fondateurs poussaient les Palestiniens à l’exode, aujourd’hui ses dirigeants pourchassent ceux-ci jusque dans leurs réduits, jusque dans leurs refuges, avec un mépris des lois internationales, avec un acharnement qu’on a du mal à comprendre. Comme on a du mal à comprendre qu’une nation dont la légitimité est fondée sur l’injustice subie par son peuple durant des siècles, use des mêmes armes contre un autre peuple, qui n’est même pas celui qui lui avait fait subir les pires affres de son histoire !

Cruel revers du destin : les opprimés se sont mués en oppresseurs, au grand désespoir de nombreux israéliens, fidèles à la vocation historique de leur pays, qui militent pour une cohabitation pacifique et pour le respect des droits des minorités et dont les voix sont malheureusement étouffées. Israël,  «  état-nation-du-peuple-juif » est aujourd’hui le seul pays au monde où le droit à l’égalité entre tous les citoyens est explicitement banni de la constitution, ce qui encourage à la fois la discrimination et le racisme, le seul qui pratique, au XXIe siècle, la « colonisation » en terre étrangère, le seul qui applique une discrimination sanitaire, en situation épidémique , au sein des populations qui relèvent de son autorité, et c’est par ailleurs le seul gouvernement à recourir à l’assassinat ciblé pour éliminer des savants, en plein jour, dans la rue ! Je ne reviendrais pas sur le long chapelet d’exactions exercées sur les Palestiniens depuis plus d’un demi-siècle. Je ne reviendrais pas sur Sabra et Chatila, bain de sang « suscité et facilité » par l’armée israélienne selon les termes mêmes de leurs alliés américains. Je ne reviendrais pas sur l’assassinat de Cheikh Yassine, paraplégique de près de 7O ans qui, après avoir échappé à une bombe lancée par un avion F16, est exécuté par un tir de missiles (qui fera 7 victimes collatérales), à la sortie d’une mosquée, après la prière de l’aube. Je ne reviendrais même pas sur les conditions que vivent aujourd’hui les 200000 habitants arabes de Hébron, « colonisés de l’intérieur », prisonniers, dans leur propre ville, d’un millier de colons israéliens … Je ne m’en tiendrais qu’à ce qui se passe depuis quelques jours et qui rend obsolète la rhétorique brandie régulièrement par les démocraties occidentales selon laquelle Israël a le droit de se défendre alors que c’est toujours ce pays qui prend l’initiative d’attaquer.

A ce Premier Ministre, poursuivi pour de multiples affaires de corruption, qui se cramponne au pouvoir comme un vulgaire président africain, qui est en panne de gouvernement et qui cherche à retarder les échéances et à détourner les regards. Alors quoi de plus opportun, quand tout va mal, que de réveiller les volcans, car il y a un volcan au cœur de la Palestine, il s’appelle Jérusalem et dans son cratère il y a la mosquée Al Aqsa. Je m’en tiendrais à cette tentative d’expulsion de leurs maisons de familles arabes installées à Jérusalem Est, que l’Onu considère pourtant comme une violation du droit international. Ce n’est pas la première fois qu’Israël défie le monde et cette opération participe par ailleurs à la « dés-arabisation » de la vieille ville qui abrite des lieux considérés comme sacrés par les Musulmans. Je m’en tiendrais aux défilés des nationalistes politiques juifs qui appellent à tuer les Arabes, aux forces de police qui envahissent le troisième lieu saint de l’Islam, pas n’importe quel mois, mais celui du ramadan, pas à n’importe quelle date, mais pendant la « nuit du destin ». Le spectacle de grenades lacrymogènes jetées sur des hommes en prière, l’irruption de soldats en armes et en bottes dans une mosquée, celle d’Al Aqsa, auraient dû soulever l’indignation à Ryad ou au Caire, et, malheureusement pour les Palestiniens, seul le Hamas a été sensible à leur détresse. Je m’en tiendrais à la diffusion de fake news annonçant l’entrée imminente de soldats israéliens dans la bande de Gaza et qui se sont révélés être un piège pour pousser les populations civiles à chercher refuge dans les tunnels et en faire des proies faciles en cas de bombardements.

Je m’en tiendrais à ce phénomène nouveau, les Arabes israéliens, jusque-là très coopératifs, qui n’en peuvent plus de tant d’injustice, et qui n’hésitent plus à affronter, les mains nues, la police et les extrémistes juifs, les seuls à avoir le droit de porter des armes. Je m’en tiendrais à ces bombardements à Gaza, qui ne visent plus des cibles « militaires » mais des habitations et des équipements sociaux, et aussi des médias susceptibles d’informer l’opinion mondiale. Le bombardement d’un immeuble de 15 étages serait sans doute passé inaperçu si l’américaine Associated Press n’y avait pas son siège. On pourrait dire, en paraphrasant Aimé Césaire, que « l’admirable est que le Palestinien ait tenu », car cette liste pourrait s’allonger. Mais à quoi bon poursuivre, puisque nous affirment le ministre français de l’Intérieur, et à sa suite, plus curieusement, la maire socialiste de Paris, toute manifestation de soutien au peuple palestinien ne peut être qu’une manifestation de haine ?

Puisque proclamer, comme l’a fait Human Rights Watch mais sur la base d’une enquête minutieuse, que le gouvernement israélien pratique bien une forme d’apartheid est considéré comme un acte antisémite ? Aujourd’hui Israël a réussi la prouesse de rendre sacrilège toute contestation de sa politique intérieure et extérieure. Les Occidentaux se bouchent les oreilles et ferment les yeux et pourtant, les nationalistes politiques israéliens sont bien plus dangereux pour l’avenir de la paix dans le monde que les jihadistes islamistes.

Contrairement à ces derniers, ils ne sont pas dans la clandestinité, ils ont pignon sur rue, sont ménagés par le Premier Ministre et sont représentés au parlement israélien. Ce qu’ils disent, eux et leurs pendants ultra-orthodoxes juifs, est terrifiant comme l’a révélé une enquête d’une chaine de télévision française. Ils sont racistes et le revendiquent, ils sont conquérants et fiers de l’être. Pour eux Israël n’englobe pas seulement la Judée et la Samarie, ses frontières vont jusqu’à l’Euphrate à l’est et jusqu’au Nil à l’ouest, parce que selon la Thora, toute cette terre leur appartient.

Pour eux il n’y a pas de place pour les Arabes sur cet espace et ils sont prêts à user de toutes les armes, y compris les plus brutales, pour arriver à leurs fins. Un proverbe peul dit qu’une querelle de lézards près des feux d’une cuisine peut engendrer une catastrophe aux proportions incontrôlables, quand la queue d’un des reptiles fait sauter un tison, qu’une braise enflamme la toiture de la case où dormait un petit bébé, que la mère de l’enfant se précipite dans les flammes etc.

Demain quand les extrémistes israéliens, qui sont tout près du pouvoir, mettront leurs menaces à exécution, les Européens et les Américains diront, comme ils l’avaient fait en 1944, qu’ils ne savaient pas…