Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

samedi 15 août 2009

INNACCESSIBLE FRANCE OU L'ART DE REFUSER UN VISA PAR SERVICE INTERPOSE...

« DROIT A LA FRANCE ? »
Pourquoi sommes-nous si stressés dès le moment où il nous faut entreprendre une démarche en vue d’un déplacement en France ? Pourquoi sommes–nous plus stressés que quand il s’agit de se rendre en Turquie, aux Etats-Unis, voire en Chine ? Peut-être par ce que nous en demandons trop à la France et peut-être aussi parce que elle nous en promet trop.
Je suis francophone, francophile, « francolâtre » même comme le sont trop souvent les Sénégalais de ma génération, plus royalistes que le roi dans la défense de la qualité du français parlé et écrit. J’ai longtemps enseigné l’histoire, non seulement en français mais de France. J’ai dirigé une institution intergouvernementale dont la vocation est la promotion et la consolidation de l’enseignement dans la langue de Molière dans les pays qui ont le français en partage. Je suis écrivain de langue française, publié par des maisons d’édition françaises qui ont pignon sur rue et dont l’une, fréquentée autrefois par Senghor, Césaire ou Michel Leiris, a vu récemment sa directrice décorée de la Légion d’ Honneur par le président Sarkozy lui-même pour services rendus à la culture française. A l’occasion de la sortie de mon dernier livre, paru dans cette même maison, j’ai reçu l’invitation d’une institution reconnue et subventionnée par les collectivités et l’Etat français et qui est depuis plus de dix ans le symbole même de cette « coopération des peuples et des terroirs et non des banques » qu’affectionne, nous dit-on, l’Ambassadeur de France à Dakar. Africajarc est en effet un festival porté par tout un village (230 bénévoles sur une population de 600 âmes !), une manifestation fondée sur le « respect des différences et l’estime réciproque ». Je ne suis solliciteur ni d’emploi ni de subsides et me suis même engagé, à titre de contribution et pour le plaisir de l’échange, à prendre en charge les frais liés à mon déplacement…
La France a proclamé qu’elle allait faciliter la circulation des artistes, des intellectuels, des écrivains, des chercheurs… et sur la base de ces arguments, tenant compte des motivations qui sous-tendent mon projet, et malgré les déboires rencontrés dans le passé, j’ai pensé qu’une demande de visa ne devrait plus être pour moi qu’une formalité et que, d’une certaine manière, non seulement j’avais droit à la France, mais qu’il existait des Français qui avaient des droits sur moi et notamment celui de me convoquer au partage et au dialogue.
Je savais que pour avoir le visa il fallait, d’abord, accéder au Consulat, présenter en quelque sorte le corps du délit, mais je n’imaginais pas que cela était en soi une épreuve de taille, si difficile que je n’ai jamais pu la franchir après deux semaines de siège.
LE CONSULAT ET SES « COXEURS »
La méthode est connue et repose sur la délocalisation des tâches subalternes. Vous achetez donc - à la banque - un code téléphonique (c’est votre premier investissement sans garantie de succès), déclinez votre identité, exposez les motifs de votre demande et les contraintes de votre déplacement. Une voix neutre et standardisée vous fixe un rendez-vous : c’est un mois et demi… APRES la tenue de la rencontre à laquelle vous étiez convié ! Vous marquez votre étonnement ? « Oui, je vous ai bien compris mais je n’ai que ça pour le moment. Appelez de temps en temps, achetez une 2e, voire une 3e carte. Je prends note, mais nous ne sommes pas le Consulat ! ». C’est bien vrai, ils n’en sont que les « coxeurs » : vous n’avez jamais le même interlocuteur et une fois sur deux, on vous assure que tous les opérateurs étant occupés, il vous faudra rappeler. Et puis quelle idée de voyager à cette période : « c’est l’été monsieur, le consulat et toute la France sont en vacances et vous êtes trop nombreux à vouloir partir ! ». Français qui nous invitez, faites-le en hiver, quand il gèle et qu’il neige et non
en été quand votre pays est en fête !
Cela m’a coûté prés de … 200 000 F de ne PAS AVOIR EU le visa ! « Mais monsieur, on ne vous a pas refusé de visa, le consulat n’a même pas pris connaissance de votre dossier ! ». C’est bien le piège des mots, puisque le résultat est le même.
« IMMIGRATION CHOISIE » : PAR QUI ?
Avec la France nous sommes souvent trahis par nos sentiments et victimes de notre crédulité qui nous fait croire que nous traitons avec elle d’égal à égal. Nous nous laissons abuser par les mots et oublions toujours que si tous les pays sont égaux, il y en a qui sont plus égaux que d’autres et que « dans tous les rapports où l’une des parties n’est pas assez libre ni égale le viol, souvent, commence par le langage » (A. Mbembé). Le français est une langue concise et c’est déjà dans les mots que se dessinent les nuances. Un « immigré » c’est, selon Littré, quelqu’un qui est « venu dans un pays pour s’y établir », mais si un Sénégalais qui vit et travaille en France est un immigré, un Français qui vit et travaille chez nous est désigné par le terme autrement plus valorisant d’ « expatrié ». Un Français qui vient pour un court séjour au Sénégal est un « touriste », accueilli à bras ouverts, même quand il est sans le sou, un Sénégalais dans la même situation est versé dans la catégorie d’immigré potentiel et soumis à des tracasseries administratives. On veut nous faire croire qu’il est venu le temps de l’« immigration choisie » et que celle-ci est une « chance »pour les Africains, une entente « négociée entre les pays d’origine et les pays de destination » (Sarkozy, Bamako, mai 2007). Négociée ? Certainement pas ! Choisie ? Oui, mais par une seule des parties ! C’est en réalité un concept inventé, mis en forme et servi tout prêt à ses « partenaires » africains par la France. C’est une notion à sens unique puisque l’immigration n’est « choisie » que dans le sens Afrique-Europe. Pour qui se rend de France au Sénégal, notamment, l’immigration n’est ni sélective ni discriminatoire ni même onéreuse, puisque contrairement au Sénégalais, le Français qui veut venir chez nous n’a pas besoin de visa ni même de justifier ses moyens d’existence dans notre pays. Pourtant la réciprocité est l’un des principes fondamentaux des rapports entre nations et M. Sarkozy lui-même nous a assez martelé que les « relations entre états modernes doivent dépendre de la confrontation de (leurs) intérêts respectifs » (Bamako, juillet 2007). La France ne peut évidemment être seule mise en cause ici puisque d’autres pays africains de la sous-région appliquent ce principe de réciprocité.
Mais il est de la responsabilité des autorités françaises de cesser « d’annoncer des ruptures qui ne viennent jamais », de prétendre qu’il y a entre elle et nous « une parenté particulière » (Sarkozy, Bamako, mai 2006) et de nous traiter en étrangers indésirables (Sarkozy, Agen 2007). Le « face à face » entre la France et ses anciennes colonies d’Afrique auquel certains veulent mettre fin, est né de cette confusion entre sentiments et intérêts respectifs. On ne peut pas « refuser le poids des habitudes », on n’enterre pas la françafrique en commençant sa tournée inaugurale africaine par le Gabon de Bongo : c’est cela précisément « la personnalisation des relations » franco-africaines.
RENCONTRES MANQUEES, ESPOIRS DEÇUS !
Si la France veut, comme elle le prétend, faciliter la circulation des hommes de culture, des artistes, des chercheurs…, il faut qu’elle cesse d’ajouter des barrières aux anciennes barrières. Qu’au moins elle n’oblige pas ces « immigrés » choisis par elle à négocier chaque séjour au jour près, et accepte de leur délivrer des visas à longue durée, comme le font déjà les Américains, ou qu’elle leur facilite le contact avec une autorité qualifiée, en cas d’extrême urgence. Que le Consulat cesse d’être inaccessible, sourd à tous les appels, y compris ceux d’officiels sénégalais que l’on croyait « influents », sourd aux cris de détresse électroniques venus de France et qui expriment la gêne et le désarroi.
L’Ambassadeur de France rêve de « pouvoir expliquer librement l’action de son pays au Sénégal ». Il est sûr, dit-il, « d’être entendu sans parler » : il a de la chance car beaucoup d’Africains parlent à la France sans espoir d’être entendus ni même écoutés ! Moi même, je m’y suis essayé, en « laissant parler mon cœur », comme lui-même l’a fait devant ses invités, le 14 juillet dernier. Son Excellence a préféré « tenir entre ses mains » mon livre, plutôt que de le lire, le soupçonnant de n’exprimer que « la part amère de la rencontre entre nos deux pays et nos deux cultures ». Il préfère, pour ce qui le concerne, « la part féconde et enrichissante de cette rencontre, notamment dans le domaine des lettres ». C’est justement de cette part qu’on m’a privé en me faisant rater le rendez-vous d’Africajarc, ne me laissant que l’amertume.

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« A mes chers parents gaulois », Editions des Arènes, Paris 2007


mardi 26 mai 2009

WADE ET LE HACHIS PARMENTIER

Comment expliquer qu’après neuf ans d’exercice du pouvoir, le président Wade commette toujours des bourdes aussi monumentales que celle qui consiste à démettre un ministre de la trempe de Ousmane Ngom et à le rappeler sans explication soixante douze heures plus tard, ou à arracher un homme à sa vie douillette de chef d’entreprise pour le porter au devant de la scène publique, et, sans ménagement pour ses proches, le renvoyer dans l’ombre ? Comment surtout comprendre que le président de la République ne sache toujours pas comment composer l’architecture d’un cabinet ministériel, comment répartir les tâches de ses ministres dans des départements qui soient équilibrés homogènes, harmonieux, transparents, solidaires et efficaces, qui ne soient pas susceptibles de générer des conflits d’intérêts ou de compétences ? Les gouvernements de Wade se succèdent et se ressemblent, ils sont comme un hachis Parmentier[1] : conçus pour une clientèle peu exigeante et destinés à parer au plus pressé, ils paraissent improvisés, ils savent accommoder les restes et s’adaptent à une situation de rareté d’idées. Malheureusement, à la différence du célèbre apothicaire, Wade fait des compositions indigestes : trop de graisses par ci, trop d’épices par là, trop de saveurs incompatibles. Il n’a toujours pas retenu qu’un département ministériel, c’est une famille de programmes, une structure dynamique, un assemblage de responsabilités complémentaires, un outil de développement qui réunit des préoccupations centrées sur un même objectif. Dans ses ministères, les départements, les directions tirent souvent à hue et à dia, il n’y a souvent aucun lien structurel entre eux parce qu’ils sont construits autour d’une personnalité et non autour d’un projet. Ainsi en est-il tout particulièrement du ministère confié à Karim Wade[2]. Non content de débuter sa carrière politique par le sommet et sans avoir jamais exercé de responsabilité administrative dans notre pays (l’Anoci était un programme à statut très particulier et à durée limitée et non une administration permanente), le jeune homme va faire son apprentissage en exerçant son autorité sur des secteurs potentiellement « juteux », pillés sur d’autres départements et qui à priori n’ont aucun lien de parenté. Il a donc pris un peu à Ch.T. Gadio, car personne ne nous fera croire qu’un monde sépare les Affaires étrangères et la Coopération internationale, sinon que les premières doivent se conformer aux conventions diplomatiques plutôt rigides, et que la seconde est conçue pour n’avoir pour cibles que des institutions de moindre envergure, plus souples et moins regardantes. Au nom de la même boulimie, il a aussi piqué quelques compétences traditionnelles aux ministères des Finances ou de l’Intérieur, certaines de ses prérogatives impliquant nécessairement les moyens matériels et humains de ces départements. Mais, surtout, il a défenestré Habib Sy pour s’emparer de la part la plus prestigieuse de son ancien ministère : à lui de déterminer la politique des infrastructures et les priorités en matière de communication, ses collègues confinés aux Transports auront à gérer les humeurs des conducteurs de « ndiaga ndiaye » et les difficultés du Petit train bleu puisque notre réseau de chemin de fer se réduit à cette ligne. Enfin, on lui a servi le meilleur : le transport aérien, qui se confond en fait avec l’aéroport de Dakar. Diantre, on ne va tout de même pas confier aux ministres d’en-bas le nébuleux et mirifique dossier Blaise Diagne ! Pour tout dire, dans cet énorme conglomérat que constitue ce département, les chefs de services et les directeurs peuvent s’ignorer et même ne jamais se rencontrer puisqu’au fond ils ne servent pas la même cause mais seulement le même homme. Senghor et Diouf avaient confié des responsabilités ministérielles à leurs neveu et frère, respectivement, mais ceux-ci avaient d’abord dû se faire des griffes sur des postes modestes. A Karim on demande d’arriver au but sans avoir fait le chemin. Il n’est pas ministre, il est en réalité le chef d’un mini gouvernement à l’intérieur du Gouvernement, avec des responsabilités d’autant plus fortes que lui, peut, après le conseil des ministres poursuivre le débat, avec son père, autour de la table familiale. Il lui suffira de lever quelques blocages (ex : Air Sénégal International), grâce à sa proximité avec le Chef de l’Etat, pour donner l’impression d’être plus efficace que ses prédécesseurs.

L’incongruité de ce super ministère n’est pas la seule curiosité du nouveau Gouvernement. Le département attribué à la fantomatique ex directrice de l’Agence de la Case des tout petits
[3] est, à une moindre échelle, tout aussi énigmatique puisqu’il mêle la petite enfance à la microfinance, le genre à la sécurité alimentaire. On observera que dans le gouvernement sortant, l’enseignement secondaire ne partageait pas le même ministre que l’enseignement moyen, pour la première fois dans l’histoire du Sénégal indépendant, que dans celui-ci l’éducation préscolaire, celle qui peut orienter toute la vie, n’est pas sous l’autorité du ministre de l’Education, la pêche et la pisciculture restent toujours séparées. La « Micro finance » est accolée tantôt à la « Coopération décentralisée », tantôt à l’ « Entreprenariat féminin » et « l’Artisanat » se balade du « Commerce » aux « Emigrés, avant de revenir au « Tourisme » : de toute évidence Wade n’imagine pas que dans nos pays, un déménagement administratif est pire qu’un incendie et qu’un changement d’intitulé coûte de l’argent !
Les gouvernements Wade reposent aussi sur une confusion entre le rêve, généreux mais naïf, et la réalité du terrain, ils confondent l’apéritif et le plat de résistance et c’est précisément pour cela qu’ils sont toujours pléthoriques. La « Transformation alimentaire des produits agricoles » pourrait être, au mieux, un projet, elle ne peut pas faire la matière d’un département ministériel. C’est peut-être pour ne pas se résoudre à créer une direction du Décorticage (ou de la Cuisson) que le gouvernement a été contraint de gommer la sinécure créée ex nihilo pour la maire de Bambey (pour la récompenser de son zèle dans la Goana ?). Les mêmes remarques s’appliquent à la « Syndicalisation des agriculteurs » qui est l’un des objets d’un département ministériel, avec cette curiosité que c’est sans doute la première fois au monde qu’un gouvernement décide de créer des syndicats ! Pour les mêmes raisons la « Pédagogie » aurait pu, peut-être, constituer le thème d’un séminaire gouvernemental, mais pas le souci exclusif d’un ministre à temps plein, comme ce fut le cas il y a quelques années. Ce n’est pas étonnant que ces ministères là n’aient qu’une durée de vie très limitée.
Enfin, et ce n’est pas le moins significatif, le morcellement et l’imprécision des intitulés ministériels nuisent en fin de compte à la survie des ambitions développées par les gouvernements de Wade dont les innovations ont du mal à prospérer. Il fut un temps où la micro finance (on parlait alors de microcrédit) et l’entreprenariat féminin étaient au cœur d’un département. Ils ne sont pas encore une réalité que déjà ils ne sont plus que des appendices noyés dans le flot des responsabilités dévolues à la seule ministre d’Etat du gouvernement. Ils ne seront pas sa préoccupation principale car ils seront écrasés par le poids de l’assistance sociale qui est la véritable raison d’être de ce ministère considéré comme celui de la charité et de la générosité, intéressée, du chef de l’Etat. Les effets collatéraux d’un mauvais casting ne feront qu’accroitre le désarroi et les frustrations de ceux qui s’étaient investis dans ces programmes. Les ministères de la « Pédagogie », de la « Compétitivité et de la Bonne Gouvernance », du « Cadre de vie », etc. ont disparu des tablettes gouvernementales et avec eux, sans doute, les acquis, les compétences, l’expertise, que leurs titulaires et leurs équipes auraient accumulés durant leurs brefs mandats.
Voila pourquoi le wadisme tourne en rond et voila pourquoi, neuf ans après son arrivée au pouvoir, le président Wade répète toujours les mêmes erreurs et que la formation de ses gouvernements est, comme les chantiers de Thiès : une œuvre jamais achevée…

[1] Le hachis Parmentier est une recette créée, au XVIIIe siècle, par un apothicaire du même nom pour combattre la disette et dans laquelle, les ingrédients, très nombreux (viandes, légumes, fromages…), sont tous coupés et broyés.
[2] Karim Wade est ministre d’Etat, ministre de la Coopération internationale, de l’Aménagement du territoire, des Transports aériens et des Infrastructures !
[3] Elle est ministre d’Etat, ministre de la Famille, de la Solidarité nationale, de la Sécurité alimentaire, de l’Entreprenariat féminin, de la Micro finance et de la Petite enfance. ..

lundi 2 février 2009

MAMADOU DIA, L'ICONOCLASTE

En ces temps de sécheresse éthique et de doutes, la mort du président Mamadou Dia est certes un triste et émouvant évènement, mais c’est aussi une opportunité pour rassurer les cœurs meurtris des Sénégalais. Oui, il y a bien eu un fils de ce pays qui avait une foi inébranlable, un patriote qui prenait fait et cause pour son pays à toutes les occasions, et pour ses amis et sa famille seulement quand ils avaient raison.
Cet homme-là a résisté à la griserie du pouvoir, a gardé intacts son engagement et sa probité, a refusé de répondre à l’appel des sirènes démagogues, avant et après l’Alternance. Sa très longue vie est parsemée de gestes qui sont autant d’actes de défi : aux compromissions sociales, aux pouvoirs occultes, aux puissances tutélaires visibles ou sournoises. Son parcours politique, sa vie tout simplement, son automne et son hiver d’homme libre, resteront parmi les plus belles pages de notre histoire.
Rebelle et entier il l’était déjà avant d’entrer en politique.
A l’époque où la règle était de se plier aux conventions, de se soumettre au diktat des convenances, il avait décidé, tout jeune homme, de choisir librement sa compagne, quitte à se faire jeter sur le banc des réprouvés. Plus de soixante dix-ans de vie commune prouvent qu’il avait eu raison sur ses détracteurs.
A l’époque où l’on refusait les droits les plus élémentaires à des « sujets » comme lui, il fit de son métier d’enseignant le symbole de la lutte contre l’injustice et le mépris, n’hésitant pas à bousculer, de la parole et de la main, les représentants de l’administration coloniale qui tentaient de maintenir ces iniquités …
Ce n’est pas lui qui est allé à la politique, c’est la politique qui est allée le chercher et ce sont ses concitoyens qui lui ont imposé le devoir de les défendre et de les représenter. Dès lors, sa vie se confondra avec son engagement politique, marqué par un courage que lui reconnaitront même ses ennemis et dont sa famille payera le prix. Son ambition, ce sera toujours de servir et non de se servir, et ce n’est pas lui qui comparera le poste le plus élevé de l’Etat à un « plat de riz ». Ce fut au contraire pour lui un sacerdoce, certes exaltant, mais éprouvant et ingrat. La politique, il ne l’apprendra pas dans les livres, mais sur les routes et dans les veillées, au contact des paysans et des syndicats et sa carte de visite comporte plus de combats gagnés que de parchemins.
Cet homme-la, s’il savait récompenser, savait aussi sévir, ses proches en savent quelque chose. Il n’était pas du genre à projeter ses enfants sur le devant de la scène, à leur accorder des prêts à échéance indéterminée, à imposer à son entourage de se soumettre à leurs fantaisies ou à leur promettre le trône pour leur 45e anniversaire. Il est vrai qu’en ces temps-là, les promotions se méritaient, un chômeur avait peu de chances d’avoir le poste de ministre comme premier emploi, un garçon commissionnaire de devenir un dindon pontifiant.
Il tint tête aux puissances d’argent, aux chefs traditionnels et religieux, aux communicateurs et aux gourous : chacun à sa place et les vaches seront bien gardées !
Il agaça De Gaulle par son indépendance d’esprit et sa liberté d’expression. Mais, lorsque le Général décida de rendre à l’Algérie son indépendance, il eut l’honnêteté de lui en donner la primeur en reconnaissance de ses conseils judicieux.
Cet homme-là avait, verrouillées au corps, deux grandes forces : sa foi et son culte de l’amitié qui ne le quitteront pas jusqu’à la fin de sa vie. Il servit de bouclier à L.S. Senghor contre les exigences des « Soudanais », avec lesquels pourtant il était plus proche au plan des idées et dans les rapports avec l’ancienne métropole. Il accepta le cœur meurtri de conduire ceux qui, comme lui, avaient pris le parti de rester fidèles aux institutions et attendit calmement dans sa maison, désarmé mais confiant, que ses adversaires, qui avaient usé de moyens dont il n’avait pas accepté de se servir, viennent s’emparer de sa personne. Il fit face à ses juges, assumant sa pleine responsabilité, et, paradoxe de l’histoire, il a survécu à tous les protagonistes du procès qui l’avait condamné à mort (à une exception près ?). Dans sa geôle, coupé de tout, sauf de sa foi, douze ans durant, il restera fidèle à ses principes et refusera le marché consistant à lui accorder la liberté contre un renoncement à la vie politique. Mais, au nom toujours de cet attachement à l’amitié, il n’hésitera pas à sa sortie de prison à tendre la main à son geôlier et à lui offrir son pardon. Il ne connaissait ni l’amertume ni la vengeance et jamais, jusqu’à la fin de sa vie, il n’accabla Senghor ni ne renia les années de braise qu’ils avaient passées côte à côte, à tenter de bâtir une nation et à éveiller la conscience populaire. Quelquefois au grand dam de ses propres amis... Au soir de sa vie, il sut résister au naufrage que De Gaulle avait prédit aux vieillards : par la parole, par l’écrit, par le souffle qui le tenait en vie, il restera toujours le « Maodo », le « Grand », inébranlable, entier, plein de sève nourricière, de rêves et de projets…
Comment expliquer cette immense foule dans laquelle étaient présents beaucoup de jeunes, qui, dimanche, l’a accompagné dans sa dernière demeure, alors que depuis plus de 45 ans il n’exerçait plus aucune fonction publique ?
Avec lui, nous aurions été sans doute contraints à l’effort et au sacrifice, mais nous aurions été guéris de nos maux que sont l’indiscipline, le laisser aller, la tortuosité…
Mamadou Dia n’a été Président du Conseil, donc véritable chef de l’Exécutif du Sénégal indépendant, que pendant moins de deux ans. Mais il laissera dans nos cœurs et dans notre histoire plus de traces que tous ceux qui à ce jour ont exercé les plus hautes responsabilités dans ce pays. Certains veulent durer, lui restera…

mardi 13 janvier 2009

J'AI SURVECU A ZAM ZAM...

Si le premier devoir d’un gouvernement est de préserver la vie et d’assurer la sécurité des biens des populations sur lesquelles il exerce son autorité, alors les premiers responsables de ce pays ont failli à l’une de leurs missions essentielles en octroyant à la fantomatique société ZamZam le monopole – juteux - de l’acheminement des pèlerins sénégalais aux Lieux Saints de l’Islam.
D’abord ZamZam existe-t-elle même ? En tout cas, elle est invisible à l’aéroport des pèlerins de Jiddah. Il n’y a aucun comptoir à son nom, aucune enseigne publicitaire pour vanter ses performances. Aucun de ses représentants n’est venu s’enquérir de nos malheurs après des heures d’attente et d’errance dans l’aéroport ni offrir ses services ou une compensation.
Si ZamZam existe, alors ce n’est sûrement pas une compagnie aérienne : on n’a vu à Jiddah aucune flotte portant sa marque, aucun uniforme de pilote ou de steward à son enseigne et le traitement des passagers est sous-traité à d’autres sociétés. Le DC10, l’unique avion qu’elle a surexploité tout au long du pèlerinage, ne porte aucune griffe, il est anonyme pour ne pas dire banalisé, brouillé, maquillé, pour cacher ses rides comme une vieille maquerelle. Il semble avoir été précipitamment sorti d’un hangar de remise, d’un purgatoire d’avions, et avoir été aménagé à la va-vite pour une ultime mission. A l’intérieur de l’aéronef, il n’y a non plus nulle mention de ZamZam et la pochette située à l’arrière des sièges ne porte qu’un seul document, la fiche technique réglementaire …établie au nom d’une autre société, Nasrair. On n’est pas très sûr qu’il y ait bien un gilet de sauvetage sous les sièges, mais on est vite convaincu qu’il ne faut guère compter sur ces petites commodités qui font le charme des avions de ligne, oreillers et autres couvertures… Mais le pire est à venir. A bord du DC10 de ZamZam, on vous sert comme petit déjeuner, à 6h du matin …du riz à la viande, le même, à peu de choses près, qu’on vous avait servi à diner, quelques heures plus tôt. Mépris culturel pour le Sénégalais friand de « Tangana » ? Non : simple défaillance technique ! En effet à bord du DC10, il n’y a pas d’eau chaude. « La machine est en panne », nous avait-on expliqué le 15 novembre lors du premier vol : elle était toujours en panne 40 jours plus tard, lors de notre vol retour. Ce n’est donc pas une panne, c’est l’installation même qui fait défaut, comme si l’avion avait été reconverti à un autre usage que le transport de passagers. Le résultat c’est qu’à bord du DC10 de ZamZam, aucun passager n’a jamais eu droit à une tasse de café ou de thé.
Autre paradoxe : dans cet avion affrété pour le transport exclusif de pèlerins sénégalais musulmans, aucun membre de l’équipage, du commandant de bord aux hôtesses, ne peut s’exprimer en français ou à fortiori, dans nos langues nationales, aucun du reste n’est musulman. L’équipage est, nous dit-on, « international », en réalité presque exclusivement sud-africain, et toutes les informations données à bord, sur les dispositions sécuritaires comme sur le plan de vol, sont distribuées en anglais, exclusivement, et donc incomprises de la quasi-totalité des passagers. Personne ne saurait quelles dispositions il faut prendre en cas d’accident !
Sur les lignes ZamZam, les heures de départ et d’arrivée, le plan de vol, restent un mystère. Convoqués pour un vol à 12h locales à Jiddah, nous avons été réveillés à la Mecque à 3h du matin et convoyés sur l’aéroport sans avoir déjeuné. Après bien des péripéties, nous sommes quand même parvenus à la salle d’embarquement avant midi … pour constater qu’il n’y avait ni avion ni même interlocuteur pour nous informer ou nous prendre en charge. Après plusieurs heures d’attente, nous avons été sommés de libérer la salle d’embarquement et acheminés vers un avion. C’était bien l’inusable DC10, mais il n’était pas prêt à décoller et n’était en fait qu’une salle d’attente de substitution dans laquelle nous allions rester enfermés pendant 4 heures dans des conditions insupportables : la climatisation est arrêtée et le verre d’eau distribué avec parcimonie. Le prolongement de l’attente, l’absence des opérateurs en titre, le silence du personnel navigant, le va et vient autour de l’avion… font bientôt naître l’inquiétude puis la panique au sein des passagers qui subodorent des difficultés « d’ordre technique et mécanique ». Certains, paniqués, quittent l’aéronef, d’autres alertent leurs familles, voire la presse pour les préparer à une catastrophe.
Après le brouhaha, les conciliabules, les crises d’hystérie, les litanies fatalistes, les sermons à la sénégalaise et 4 heures de souffrance, nous décollons enfin de Jiddah. Au total, entre le moment ou nous avons été embarqués dans le DC10 et l’arrivée à Dakar, après une longue escale à Tripoli, il s’écoulera 17 heures !
Mais au moins, nous sommes arrivés sains et saufs. Car la préoccupation des passagers des vols ZamZam n’était plus, depuis longtemps, la ponctualité ou le confort, mais tout simplement la survie, l’espoir de sortir vivants d’un périple devenu cauchemardesque.
Et ils demandent des comptes.
Comment un pays qui, comme le Sénégal, a vécu le drame du Joola, qui a payé aussi chèrement le prix de son imprévoyance et de son irresponsabilité, peut-il encore jouer avec la vie de ses enfants? En confiant leur sort à un aéronef dont la traçabilité est douteuse, dont le modèle n’est plus fabriqué depuis 20 ans et ne figure plus dans le parc des compagnies aériennes les plus performantes ? Comment un gouvernement soucieux des intérêts de ses citoyens, peut-il retirer à sa compagnie nationale un marché dans lequel elle s’était investi et avait accumulé une expérience certaine, et qui pouvait constituer pour elle une occasion de se refaire une santé, pour le refiler à une société étrangère qui est, au mieux, une officine de voyage, peut-être une entreprise informelle et improvisée, une sorte de Dakar-Dem-Dikk de l’air, aussi floue qu’elle est vulnérable?
Comment un Ministre investi de la sécurité des transports, un Chef d’État qui détient tous les pouvoirs, peuvent-ils avec autant d’arrogance et de mauvaise foi, nier l’évidence et laisser se poursuivre une opération qui, dès ses premiers jours, a frôlé la catastrophe ?
Dans cette aventure qu’a constitué le pèlerinage 2008 notre gouvernement a perdu toute crédibilité quant à son engagement à défendre les intérêts supérieurs des sénégalais.
Mais il aura perdu ce qui est, peut-être, à ses yeux, le plus important : l’occasion de faire de petits profits, de spéculer au dépens des citoyens. Cette fois-ci, il a joué et perdu puisqu’il lui a fallu non seulement louer deux avions pour compenser les défaillances de ZamZam, mais aussi appeler au secours AIR-SENEGAL-INTERNATIONAL que l’on avait écarté sans ménagement.
C’est ce qu’on appelle « Niakk diis, niakk lestek ».