Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

vendredi 29 septembre 2017

DONALD TRUMP : UN TERRORISTE ?


NB : Texte publié dans Sud-Quotidien du 28 septembre 2017

Traiter Donald Trump du terme infamant de terroriste relève-t-il d’un abus de langage ?

Pas vraiment.

En effet, comment qualifier autrement un homme qui préside aux destinées de la nation la plus puissante du monde et dispose de la seule vraie arme de destruction massive et qui, devant l’instance internationale la plus élevée, celle dont la vocation première est « de maintenir la paix et la sécurité internationale (…) et réaliser par des moyens pacifiques le règlement des différends susceptibles de mener à (a) rupture » (Article 1e de la Charte des Nations-Unies), annonce sans ambages  qu’il est prêt à « détruire entièrement » un pays dans lequel vivent 25 millions de femmes, d’hommes et d’enfants ? D’ailleurs, et ce n’est pas un hasard, Trump use des mêmes méthodes, du même langage fait de diatribes de mauvais gout, de menaces et de rodomontades, que celui qu’il traite de terroriste et de chef d’un « Etat voyou ». Le dialogue, désormais direct et intime, qu’entretiennent les deux hommes, truffé d’insultes et de références de mauvais aloi (« rocket man », « chien apeuré », « gâteux dérangé » etc.) fait davantage penser à un règlement de comptes entre chefs de gangs qu’à une interpellation entre des hommes d’Etat responsables devant leurs citoyens. Il y a dans cette joute oratoire, que plus personne ne prend à la légère, de quoi mettre en émoi le monde entier lorsqu’on sait que chacun des deux hommes a à sa portée le feu nucléaire.

Trump n’est évidemment pas un « terroriste » du même acabit que les enragés qui jettent des bombes et sèment la mort au milieu de foules pacifiques. Mais le terrorisme est une notion subjective dont il n’existe aucune définition consensuelle, et d’Israël à la Birmanie, chaque jour qui passe nous montre que l’utilisation de la violence est commune aux Etats et aux groupes non étatiques. Trump distille la terreur dans chacun de ses tweets, et le terrorisme, qui est avant tout une tactique, étant dans son acception la plus banale « une action violente qui inspire l’anxiété », force est de reconnaitre que le Trumpisme en est une forme accomplie parce qu’il soumet l’humanité entière aux élucubrations d’un homme dont la mesure n’est pas la première qualité. Quand Trump, dont le pouvoir de nuisance est énorme, improvise ou tweete, on craint toujours le pire, le monde retient son souffle et ses concitoyens ne sont pas en reste. On comprend donc la mine éplorée de ses propres collaborateurs effarés par la violence de son discours sur la tribune des Nations-Unies. On comprend les manifestations de colère de milliers de citoyens américains, l’indignation, la honte, des intellectuels, des artistes, des sportifs de haut niveau qui refusent ses invitations et clament qu’il ne parle pas en leur nom. On peut en revanche s’étonner qu’il y ait des diplomates conscients de leur mission pour accepter de représenter dans le monde un président qui s’acharne à diviser son pays, pour défendre et justifier devant l’opinion ses idées rétrogrades et primaires.

Le plus malheureux d’entre ces missi dominici est très certainement celui qui défend les intérêts de Trump à Dakar et se trouve être noir et d’origine africaine…

Comment en effet un citoyen certes américain, mais né en terre africaine, plus précisément dans le pays de Patrice Lumumba, peut en toute conscience être le porte-parole d’un chef d’Etat dont l’ignorance est si flagrante qu’il est incapable de donner avec exactitude les noms de certains Etats africains ? Un président qui prétend qu’il n’y a pas « de raccourci vers la maturité », que les Africains restent « des esclaves vivant comme des esclaves dans leurs propres pays en prétendant qu’ils sont indépendants alors qu’ils devraient être recolonisés ! ». Comment un homme qui vient de ce Congo si férocement meurtri par les outrances de la colonisation, peut ne pas se sentir gêné, pour le moins, par un président (dont le père a été membre du Ku Klux Klan) qui, après les intolérables échauffourées de Charlottesville, met dans le même panier les pacifistes américains, qui militent pour le respect de toutes les composantes nationales, et les suprémacistes et racistes blancs qui reprennent du poil de la bête cinquante ans après l’assassinat de Martin Luther King ? Comment peut-il cautionner la remise en cause de l’Obamacare dont l’objectif était de réduire les inégalités et de protéger les plus démunis quand on sait qu’aux Etats-Unis la majorité des pauvres sont des Noirs ?

L’ambassadeur des Etats-Unis au Sénégal devrait s’instruire sur le sens du dicton wolof « Lu upp tuuru » ou, mieux encore, relire le discours du philosophe espagnol Miguel de Unamuno qui, exaspéré par les vociférations des soldats franquistes qui criaient « Mort à l’intelligence, vive la mort !», avait, au péril de sa vie, décidé de parler pour mettre fin à un compagnonnage tacite. C’était il y a quatre vingts ans, et les mots qu’il avait prononcés sont toujours d’actualité. « L’Amérique d’abord ! » de Trump, qui en réalité signifie « l’Amérique et rien d’autre ! », ne sera pas une grande Amérique parce que, dit Unamuno « l’isolement est le pire des conseillers ». L’Amérique de Trump, qui n’aurait d’autre arme que « sa force bestiale » et qui brandit les muscles contre le monde entier, peut remporter quelques victoires mais elle ne pourra pas convaincre : il lui manquera toujours « la raison et le droit dans son combat ».


Les victoires qui n’ont été acquises que par la seule force sont des succès sans lendemain…

jeudi 21 septembre 2017

ENTENDEZ-VOUS CES CRIS AUNG SAN SUU KYI ?

NB : Texte publié dans Sud-Quotidien du 15 septembre 2017

La presse occidentale, les dirigeants et les institutions les plus éminentes d’Europe et d’Amérique du Nord avaient fait de vous une icône, le symbole de la résistance contre l’oppression, la barbarie et l’injustice. Fichtre : vous aviez tout ce qu’il fallait pour les séduire, entretenir leur imagination et enrichir leurs médias. Femme, frêle, parée de fleurs assorties à votre tunique exotique, visage de madone malgré le poids des ans, fille d’un général élevé au rang d’héros national qui contrairement à la réputation faite aux militaires s’était battu pour l’avènement de la démocratie (en réalité, il avait seulement négocié l’indépendance de son pays, à laquelle d’ailleurs il n’a pas assisté et n’a donc pas vraiment eu le temps de gouverner), formée dans les universités occidentales les plus huppées et notamment à Oxford, mariée à un anglais et mère de deux fils qui, eux ,avaient obstinément refusé de renier leur citoyenneté britannique… Il y avait là de quoi construire une légende et vous êtes devenue un mythe vivant…

Votre parcours, votre vie ont été transformés en saga, ont fait l’objet de milliers d’articles de presse, de dizaines de documentaires, de téléfilms et de films qui ont fini par faire de vous « une héroïne de notre temps » : La Lady. Vous avez reçu les récompenses les plus prestigieuses et parmi elles, le Prix Nobel de la Paix ! Grâce aux pressions exercées par les plus grandes puissances, au soutien moral, diplomatique et financier, voire au chantage, des dirigeants de la « communauté internationale » vous avez fini par accéder progressivement au pouvoir sans avoir eu besoin de recourir aux armes.

Malheureusement, et c’est une règle universelle, confrontées aux réalités du monde, aux exigences et aux égoïsmes des hommes et des femmes qui le peuplent, les idoles flétrissent et se désagrègent et, quelquefois, révèlent leurs vrais visages. Vous n’avez pas échappé à la règle.

Avant même d’exercer légalement le pouvoir, vous avez cédé aux calculs politiciens et violé un des commandements de la démocratie qui est l’égalité de tous les citoyens et le refus de toute discrimination. Votre parti a banni des investitures tous les candidats musulmans aux élections législatives, y compris les députés sortants, et c’est avec votre complicité que, pour la première fois depuis soixante-dix ans, le parlement de votre pays ne compte plus dans ses rangs un élu de la minorité musulmane. Vous avez joint votre voix à celles de ceux qui refusent de considérer celle-ci comme une composante de la nation, allant jusqu’à exclure du langage officiel l’usage du terme même de Rohingyas qui sert à la désigner, et à imposer à certains de vos interlocuteurs étrangers celui de « Bengalis » pour signifier que ses membres restent étrangers après des siècles de présence sur votre territoire. Enfin et à plusieurs reprises, vous avez utilisé des phrases malheureuses, fait preuve de « dérapages anti-islamiques » inadmissibles dans la bouche d’une personne qui exerce des responsabilités comme les vôtres. Vous avez fait profil bas après l’assassinat d’une éminente personnalité musulmane qui était l’une des rares à oser plaider publiquement contre l’intolérance religieuse et qui était pourtant un de vos avocats les plus engagés…

Mais aujourd’hui on n’en est plus aux mots. Les images diffusées à travers les médias et sur la toile sont d’une sauvagerie extrême au point que l’Occident qui vous a longtemps épargnée, ne peut plus cacher la méfiance que votre comportement inspire et condamne votre silence. Les scènes de torture exercée notamment à l’endroit des enfants et des femmes, les viols, les exécutions sommaires de grande amplitude, la répression féroce pratiquée par l’armée, les hordes qui fuient devant elle, les propos haineux que prononcent devant des foules exaltées (du genre : « vous préférez bien marier votre fille avec un porc plutôt qu’avec un musulman ? »), les moines d’une religion dont on disait qu’elle était la plus pacifique du monde, bref tous ces actes dont certains sont assimilables à des crimes contre l’Humanité et à des nettoyages ethniques, ne seraient selon vous qu’un « iceberg de désinformation ». Elles se sont donc trompées ces institutions internationales comme Amnesty International ou Human Right Watch qui longtemps vous ont portée aux nues et qui, aujourd’hui, vous accusent de manquer à vos devoirs. Ils se sont trompés les onze Prix Nobel qui en décembre dernier ont adressé une lettre ouverte aux Nations-Unies pour exiger l’arrêt du « nettoyage ethnique » pratiqué sous votre gouvernement. Il s’est trompé Desmond Tutu, homme mesuré et exigeant défenseur de la vérité, lorsqu’il vous somme de parler et dit que c’est payer trop cher votre survie politique que de garder le silence devant ces atrocités. Il se trompe le Pape lorsqu’il vous invite à faire preuve d’humanité. Il se trompe le Dalai Lama dont l’autorité morale s’exerce sur vos concitoyens, lorsqu’il s’émeut des atrocités commises par ses coreligionnaires, vous invite « à tendre la main à toutes les composantes de la société » et rappelle que « dans des situations similaires Bouddha avait aidé les musulmans » (sic). Ils se trompent, ou sont manipulés, les 500.000 signataires du manifeste qui exige votre destitution du Nobel. Pure fiction que ce documentaire glaçant que le cinéaste suisse Barbet Schroder, lui-même bouddhiste, a consacré au « Vénérable W », Ashin Wirathu, moine bouddhiste qui depuis dix ans, donc sous votre gouvernement aussi, attise l’islamophobie et dont on a dit qu’il était « le Hitler de Birmanie et que les Rohningyas étaient ses Juifs ». Enfin ils n’existent que dans notre imagination les milliers de musulmans dont les corps sont livrés aux vautours ou flottent sur les rivières et les centaines de milliers d’entre eux qui se sont réfugiés au Bangladesh voisin !

Votre réputation est perdue Mme Aung San Suu Kyi, essayez au moins de sauver votre honneur, et votre honneur Madame, ce n’est pas de vous défiler et de refuser de vous présenter à l’ONU !