Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

jeudi 8 juillet 2010

PATRICE EVRA ET LES PYROMANES...

NB Ce texte a été publié dans le "Nouvel Horizon" du 25 juin 2010
Dans une confession diffusée quelques jours avant le Mondial 2010, Patrice Evra nous expliquait que c’était son cœur qui avait choisi la France. Sa famille réside bien au Sénégal, le pays de son père avait déployé de grands efforts et multiplié des offres pour l’attirer dans la tanière des Lions, mais, lui, avait laissé parler son cœur. Il aime la France, il y a vécu depuis l’âge de douze mois, il parle sa langue, il partage sa culture…
Pourtant, quelques semaines après ce cri du cœur, des voix, celles que l’on entend chaque fois qu’il s’agit d’opposer les Français aux Français, n’hésitent pas à lui contester son appartenance à la France. Il a suffi d’un flot d’injures proférées par un joueur contre son entraineur, dans l’intimité des vestiaires, pour que ces pyromanes de l’unité française saisissent l’occasion de pointer du doigt ces « cailleras », ces Français à part, inintelligents, grossiers et, hélas millionnaires, qui ne symbolisent la France que lorsqu’ils sont victorieux. Pour Alain Finkielkraut, pour Eric Zemmour, pour tous ceux qui sont portés à l’amalgame et à la généralisation, la mayonnaise « Blanc-Black-Beurr » ne prendra jamais et le multiculturalisme est un leurre. Le mal des Bleus, c’est le mal de la France : le communautarisme et l’Islam. L’équipe de France de football, résume Finkielkraut, n’est pas une « équipe nationale » : il avait déjà dit qu’elle était trop noire, qu’elle est en réalité « black-black-black » et que cela faisait « ricaner toute l’Europe », il ajoute que ces noirs-là ont, quoiqu’ils fassent, une culture, un « comportement » non solubles dans la nation française. Que ce soit dans la rue ou dans les vestiaires, les émeutiers sont, pour lui, toujours définis par leur couleur.
On en vient donc presque à oublier les généraux pour ne s’intéresser qu’aux fantassins. On ménage un président de fédération laxiste et ondoyant, un sélectionneur dont le mode de fonctionnement, les humeurs, les improvisations déroutent tout le monde, qui a commis cette faute, impardonnable en Afrique, de mépriser ses hôtes qui s’étaient dépensés, avaient appris le français pour l’accueillir, qui a enfermé ses joueurs dans un huis-clos luxueux mais propice aux conflits. On peut pardonner à Domenach de dire qu’il est indifférent à la blessure de Drogba, qui est un produit de l’école de football française, de faire une déclaration d’amour à sa compagne le soir où la France sombre dans la défaite, cela ne fait pas de lui un goujat. On peut aussi pardonner aux rats, ceux qui, les premiers, quittent le bateau en perdition : les sponsors qui livrent les joueurs à la vindicte populaire, au risque de les déstabiliser davantage alors qu’un match capital se prépare, alors qu’on ne dispose même pas encore de toutes les versions, avant même le grand déballage d’où pourrait sortir la vérité. Les origines de la débâcle française sont, de toute façon ailleurs, pensent les pyromanes. Zemmour n’était ni à Knysna ni à Bloemfontein mais il a son idée : l’équipe de France est minée par ses Noirs qui ont « mis de côté les Blancs », par ses Africains et ses Antillais qui ne se supportent pas et surtout, par ses musulmans convertis qui terrorisent tout le monde. C’est dire que Nicolas Anelka, noir, antillais et converti à l’Islam, est une cible toute trouvée, le voyou absolu. Qu’importe la contradiction, puisqu’en même temps on prétend que la junte de « caïds » serait composée, notamment, d’Evra, un africain, Gallas, un antillais, qui sont noirs mais non musulmans, et de Ribéry qui est musulman mais qui est blanc : c’est la sainte alliance des démons !
Même si les insultes faites à Zidane avaient moins choqué les Français, les propos prêtés à Anelka (et qu’il conteste) sont évidemment de très mauvais goût. Pour autant la vulgarité est-elle si absente de la société française au point de valoir au joueur une quasi excommunication ? Elle est dans les médias et il suffit d’écouter les chaines de radio françaises (« On ne va pas se gêner » sur Europe 1 ou « Les Grosses Têtes » sur RTL, pour m’en tenir aux programmes les plus « cleans ») pour mesurer la crudité des propos que l’on peut entendre aux heures de grande écoute. Sur France Inter, chaine publique, et au cours d’une émission grand public, un chroniqueur a tenu à l’endroit de Sarkozy, président de la République, les mêmes propos, au mot près, que ceux qu’Anelka aurait adressés à Domenach, pour faire de l’humour nous dit- on, et n’a récolté qu’une vague réprimande. Un groupe de rap, très connu, a pour nom NTM, que je me garderai bien de traduire. Enfin lorsque le Président de la République, ancien élève de l’IEP de Paris, ancien maire, ancien député, ancien ministre, qui a trente ans de vie politique, s’autorise à dire à un de ses concitoyens, devant les médias publics, « Casse-toi pauvre con ! », comment s’étonner qu’un jeunot de trente ans, qui ne revendique aucun diplôme, aucune expérience publique, se permette, en aparté, des libertés de langage ? Du reste Anelka est-il plus grossier, fait-il preuve de moins d’éducation que Domenach qui refuse de serrer la main tendue par son homologue brésilien à l’issue du match France-Afrique du Sud ?
Ce que certains reprochent donc aux Bleus ce n’est pas tant d’avoir mal joué, ce qui est une évidence, ni même d’avoir manqué à leurs responsabilités, c’est d’avoir été de mauvais Français, ce qui est une spéculation. Voila comment une mauvaise gestion, une mauvaise pédagogie, une conscientisation bâclée virent en débat ethnique et racial. Finkielkraut ne sonne pas plus Gaulois que Diaby ou Sagna, les Gallas ont été Français plusieurs siècles avant les Sarkozy : il n’empêche quand on est « issu de l’immigration » du Sud ou, plus généralement, quand on est black ou beurr, il faut toujours fournir la preuve qu’on est Français, étaler au grand jour sa fibre française. On est forcément issu de ces racailles des banlieues, et de la pire d’entre elles, la 93. Ces gens là ont « un vocabulaire » fait de borborygmes et d’injures et voila pourquoi, comme le dit Zemmour, le pauvre Gurcuff, « trop poli », est « mis à l’amende » dans cette fausse équipe de France où il n’est pas à sa place. Les larmes, les excuses, les regrets de ses joueurs n’y changeront rien : puisqu’on ne peut pas changer le onze de France, on va changer de passion et de sport, abandonner le foot aux allogènes, la France va se mettre au rugby car là-bas au moins ils restent une curiosité !
Tous les « binationaux » qui, un jour, seront appelés à choisir l’équipe de leur cœur devront se rappeler l’expérience de Patrice Evra.

Une mallette de billets pour l’Ambassadeur de France !

NB Ce texte a été publié dans le quotidien"Kotch" du 25 juin 2010
L’Ambassadeur de France au Sénégal, qui est au terme de sa mission, aura-t-il droit à une mallette de dollars et d’euros de la part du Président de la République, comme ce fut le cas à l’occasion des adieux du représentant du FMI à Dakar ? En tout cas, si l’on respecte la jurisprudence et si l’on s’en tient à l’argumentaire développé par le Chef de l’Etat pour justifier le cadeau royal remis au fonctionnaire international, M. Ruffin aura tout fait pour mériter sa mallette.
D’abord il a déplu en haut lieu. Le président Wade nous avait expliqué que le présent remis à Alex Segura n’était pas une tentative de corruption puisqu’il ne récompensait pas des services rendus. Bien au contraire, disait-il, l’ancien représentant du FMI n’avait pas été un « ami », il avait été un « empêcheur de jouer avec le budget en rond » (pour pasticher le journaliste Barka Ba), un censeur impénitent de sa politique économique et financière. L’ambassadeur de France a fait mieux. Non content de manifester sa méfiance envers les dérives autoritaristes de l’Alternance, de se poser en « empêcheur de se faire succéder en rond » (B.Ba), d’avoir l’audace d’exprimer ses accointances avec les objectifs des Assises Nationales, il avait commis le crime suprême, celui de s’opposer aux manœuvres de l’Héritier.
Au passage, il s’est attaqué à un autre tabou: il a démystifié, démythifié le Président Wade et l’on découvre que la France se comporte à l’égard de « l’empereur » comme elle se comportait à l’égard des présidents de l’époque, que l’on disait révolue, de la Françafrique.Segura avait procédé par allusions, Ruffin est clair et explicite : il accuse Wade de ne pas faire le poids face à l’intransigeance de Sarkozy et de faire porter aux ambassadeurs les déboires qu’il accumule. Il est très rare qu’un diplomate en exercice, fût-il iconoclaste, se lâche à ce point et il est encore plus rare qu’un Chef d’Etat, dont le leadership est tant vanté par son entourage, reste sans réaction face à ces supputations. Pour moins que cela Houphouët ou Bongo auraient exigé des excuses.
L’Ambassadeur de France nous révèle donc que Karim Wade avait usé d’intrigues à la fois pour obtenir l’abrogation de son mandat, et pour promouvoir au poste d’Ambassadeur de France un diplomate plus accommodant. Pour atteindre ces deux objectifs le Dauphin n’avait pas hésité à court-circuiter la diplomatie traditionnelle et à solliciter des « réseaux » et des « relations personnalisées » que Sarkozy s’était promis d’extirper des rapports franco-africains. Sans grand succès.
Enfin une autre raison milite pour récompenser son Excellence. Le cadeau offert à Segura était non seulement gratuit mais il ne répondait à aucune spéculation. Le bénéficiaire était appelé à servir dans un secteur et dans une région où il ne pouvait rendre aucun service au Sénégal. Le présent qu’il avait reçu n’avait donc pas non plus pour objet de recruter un avocat pour des causes futures, ce n’était pas un contrat pour le temps à venir. Cela tombe bien : même si Ruffin ne précise pas son futur point de chute, on a compris qu’il n’est pas appelé à offrir ses compétences à la cellule africaine de l’Elysée, ou à faire de l’ombre à Robert Bourgi. Le gouvernement du Sénégal n’a donc rien à attendre de lui et c’est cela qui fera la beauté du geste.
Voila pourquoi nous disons tout net au Chef de l’Etat :
« Encore un beau geste Monsieur le Président de la République ! C’est la Téranga sénégalaise qui est en jeu. Quoi qu’il nous en coûte, offrez donc une mallette à M. Ruffin, et en dollars cette fois puisque l’euro est en décrépitude. Au diable l’avarice ! En attendant le tour de Mme Marcia Bernicat, offrez un présent digne d’un Samba Lingueer à l’Ambassadeur de France. Pour services non rendus ! »

mardi 6 juillet 2010

Sarkozy et l’Afrique : 1000 jours plus tard !

Ce texte a été publié dans "Le Quotidien" du 2 juin 2010
En mai 2006 Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur de la France, effectuait, au pas de charge, une tournée en Afrique francophone. C’était une tournée électorale, même s’il ne s’adressait pas aux Français d’Afrique, dont les voix ne pèsent pas lourd dans la balance électorale et qui d’ailleurs lui préféreront Ségolène Royal. Les visites dans le « pré-carré »africain de la France constituent toujours un rite initiatique auquel sont soumis tous les Présidents français soucieux de mettre en évidence leur fibre africaine et Sarkozy avait pris les devants. D’ailleurs, même si l’on n’est pas chef d’état, dans quelle autre région du monde une personnalité française de haut rang peut-elle espérer mobiliser autant de foules qu’en Afrique francophone, susciter autant de curiosité et de sympathie ?
S’il n’est pas encore Président de la République, Sarkozy en prend le ton et la pose au Mali et au Bénin : un président français, en Afrique, ça donne des leçons, ça morigène ses hôtes, ça évoque « l’âme africaine », car l’Afrique est le seul continent qui ait une âme. Au lieu d’instruire ses hôtes sur la situation et les besoins de la France, il va donc se présenter en expert du continent et de la bonne gouvernance, lui qui n’a encore dirigé aucun pays, qui n’a aucune expérience personnelle de l’Afrique, qui n’a même jamais manifesté jusqu’alors une attirance particulière pour cette région du monde. De toutes façons ce qu’il va livrer a été écrit par quelqu’un d’autre, tout aussi néophyte, et c’est sans doute pour cela qu’il lui arrivera souvent de se dédire d’une escale à l’autre, de dire à Bamako que la France et le Mali étaient « les héritiers de grandes civilisations », et, quelques mois plus tard, d’ affirmer tout aussi péremptoirement, à Dakar, que l’Afrique « n’était pas assez entrée dans l’Histoire » !

Culpabilisez ! Il en restera toujours quelque chose !
La première phase de son exercice oratoire consistera à assommer ses hôtes africains, à leur flanquer au visage l’état de leur ruine et de leur délabrement, à leur apprendre ce qu’ils sont et qui ils sont. Et ce n’est pas beau :1 médecin pour 100000 habitants, soit 300 fois moins qu’en France,10 fois moins de ressources électriques par habitant ,60 % de la population occupée dans une agriculture arriérée et 30 % des terres arables disparues en une génération, alors que la population a doublé dans le même temps, un taux de mortalité infantile 10 fois plus élevé qu’en Europe etc. Après cet inventaire accablant d’une misère immuable il leur assène un dernier coup de massue : les Africains n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes, ils sont les seuls responsables de leur malheur. La colonisation, dira-t-il, n’est à l’origine « ni des guerres (civiles), ni des génocides, ni des dictatures, ni du fanatisme, ni de la corruption, ni du gaspillage, de la prévarication et de la pollution ! » C’est monstrueusement excessif, pour le moins, mais c’est cela qu’il appelle tenir le langage de la vérité, et comme il est le seul à s’exprimer, on ne saura jamais quelle vérité ses hôtes pourraient lui opposer. Il se gardera en tout cas de tenir le même discours en Chine, d’y stigmatiser les massacres de la Révolution culturelle, l’écrasement du peuple tibétain, l’opulence des oligarques face au dénuement des campagnes : la vérité ne peut pas être dite partout !
« Un kit de développement » en cadeau !
La deuxième phase du discours de Sarkozy consistera, après le diagnostic, à offrir le remède, à se présenter en expert en développement, à donner à ses hôtes les directives nécessaires pour sortir de leur désastreuse situation. Lui qui affirmait que « la France n’acceptera jamais de leçons des puissances commerciales( !)et des professeurs de vertu », ne se gênera pas pour distribuer aux Africains des leçons d’économie et même d’éthique. Il ne se contentera pas de donner quelques idées générales, il leur proposera un véritable « kit de développement », prêt à l’usage. Tous les domaines sont abordés : entreprises, infrastructures, finances, éducation, mines, mais les propositions ne sont que des lieux communs qu’on ne balance plus qu’aux Africains, et il n’y a plus que les Français à répéter de telles antiennes.
Mais à Bamako, à Cotonou, à Dakar, Sarkozy n’avait pas fait que donner des leçons, il avait aussi pris des engagements. Mille jours après son accession au pouvoir, et au moment où se tient le Sommet France-Afrique (encore une survivance du passé !), il n’est que naturel de lui demander des comptes.
Il avait pris l’engagement de promouvoir une véritable refondation des rapports franco-africains, de les transformer en une « relation assainie, débarrassée des réseaux et non personnalisée » .L’un de ses ministres, Jean-Marie Bockel, l’avait pris au mot, peut-être parce qu’il venait d’ailleurs, et s’est vite brûlé les ailes sur le brasier Bongo. Excédé par ses rodomontades le président gabonais avait exigé et obtenu sa tête, puis, accueillant son remplaçant à Libreville, avait préféré s’entretenir d’abord avec le messager « personnel » du Président français avant de recevoir le ministre de la France. Aujourd’hui encore, comme aux beaux temps de la Françafrique, les ambassadeurs de France sur le continent souffrent d’être souvent court-circuités par des émissaires de l’Elysée, plus « compréhensifs »ou plus arrogants, c’est selon, plus crédibles en tous cas, que les représentants officiels.
Chassez le paternalisme, il revient au galop !
Sarkozy avait promis la fin du paternalisme. Mais le paternalisme ne peut être révoqué par decret, c’est un comportement dont on ne peut se défaire sans une sorte de révolution mentale et celle-ci n’a pas encore eu lieu. La preuve en est fournie par le ministre de la Coopération, qui affirme que la Côte d’Ivoire (et l’Afrique en général ?)n’a pas besoin d’une liste électorale irréprochable et qu’il lui suffit de se conformer au calendrier approuvé par la « communauté internationale », ou par Robert Bourgi, conseiller inamovible à « la cellule africaine » ( !), qui laisse entendre que Ali Bongo est le candidat de la France aux élections présidentielles gabonaises. C’est aussi faire preuve de paternalisme que d’imposer à Bamako la libération des terroristes de l’AQMI en échange d’un otage français, quand on se dit outré par la proposition d’élargir l’assassin de Chapour Bakhtiar en échange de Clotilde Reiss détenue alors à Téhéran.
Sarkozy avait promis qu’il allait instaurer des liens non condescendants mais particuliers, « affectueux »mêmes, avec nous, reconnaissant une « parenté » entre la France et les états issus de son ancien empire. Sans contrepartie, car la France ne « fait pas d’affaires en Afrique », précisait-il sans réaliser que c’était peut-être les Africains qui préféraient faire des affaires ailleurs. Pourtant, il a visité l’Angola avant le Burkina, et pour cause : la première est devenue le premier producteur de pétrole au sud du Sahara. Pourtant c’est à Prétoria, et non à Dakar ou à Abidjan, qu’il fera l’annonce du retrait des bases françaises d’Afrique. Cela ne concernait en rien ses hôtes mais la caution sud-africaine pèse bien plus lourd à ses yeux que celle des petits pays francophones.
Vérité au sud du Sahara…erreur au nord !
Au-delà des promesses il y a le double langage : ce que Sarkozy dit en Afrique, dont il se promettait d’être l’avocat( !), n’est pas ce qu’il dit en France. Il avait dit à Bamako : « les Maliens (de France) sont honnêtes et travailleurs…Ils sont les bienvenus».Il avait renchéri à Cotonou : « je constate que l’Afrique aime la France ».C’est encore le genre de banalités qui ont fait le lit de l’ère coloniale et qui font croire que tous les Africains sont coulés dans le même moule. Mais, face à ses compatriotes, Sarkozy exprime ses doutes et, surtout, le fond de sa pensée. A Agen il lancera cette menace aux immigrés : « ceux qui n’aiment pas la France ne sont pas obligés de rester sur le territoire national ».Face aux troublions de la banlieue parisienne, il ne verra plus que des « voyous »qu’il faut « nettoyer au karcher ». A Cotonou il avait promis de « respecter le nécessaire devoir de mémoire », à Agen il prendra à partie « ceux qui préfèrent chercher dans les replis de l’Histoire une dette imaginaire, qui préfèrent attiser la surenchère des mémoires pour exiger une réparation ».Pour lui la France n’a de dette qu’à l’égard de ses rapatriés, de « ceux qui ont été chassés de leurs pays et qui ont tout perdu. »
Avant d’être élu Président, il vantait « l’alliance des peuples », établissait un lien entre «immigration et tolérance », proclamait que « la France devait s’ouvrir au monde ».Une fois élu, il jugera qu’il faut plutôt apparier immigration et identité nationale, ouvrant la voie à des dérives verbales tenues par ses propres ministres et indignes du génie français. Il avait théorisé la doctrine de « l’immigration concertée », qui n’est qu’une sélection organisée des cadres et techniciens au profit du Nord. Dans la réalité, il est le seul auteur du concept, se contentant, de solliciter, avec plus ou moins de bonheur, la ratification des parties africaines. La France est plus que jamais crispée sur son identité et le brigadier parachutiste Guissé, qui l’avait servie sur deux fronts de guerre mais avait le malheur d’être issu de l’immigration, s’est vu contester sa nationalité parce qu’il y a plus de dix ans son père n’avait pas respecté les lois sur le regroupement familial !
Nicolas Sarkozy avait assuré aux Africains que l’un de ses principaux combats serait la défense des droits de l’Homme, dont la France était « la patrie », contre « toutes les forces obscures », qu’elles soient du nord ou du sud. En trois ans le bilan est édifiant. Malgré les états d’âme d’une de ses ministres, l’un des premiers chefs d’état africains qu’il ait reçu à Paris, Kadhafi, était arrivé au pouvoir il y a 40 ans par un coup de force et gouverne un pays sans parlement, sans presse libre ni partis politiques. Il a rendu visite à la Tunisie dont le président, élu par des scores « à la soviétique », exerce son pouvoir par la corruption et l’intolérance, et où un journaliste a été condamné à six mois de prison en l’absence de sa présumée victime, de son avocat et des témoins. Il a envoyé un émissaire spécial pour remercier le président soudanais, et, du Kazakhstan aux pays du Golfe Persique en passant par le Rwanda, il a fréquenté beaucoup de chefs d’états qui n’étaient pas des parangons de la démocratie.
Il avait promis que l’Afrique ne serait pas la seule à être mise on observation par ses soins et que « les valeurs des droits de l’Homme seraient aussi défendues en…Asie ».Pourtant il a envoyé son Premier Ministre en Chine à la veille de la condamnation d’un universitaire dont le seul crime avait été d’être le porte-parole de ceux qui réclament plus de démocratie et de respect. Lui-même s’y est rendu, à l’occasion de l’inauguration de l’exposition universelle, et on ne l’a guère entendu évoquer le sort des Tibétains ou celui des dissidents mis à l’ombre au moment de sa tournée, ou celui des internautes soumis à la censure. Il est sans doute plus facile de témoigner sa sympathie au chef indien Raoni que de recevoir le Dalaï- Lama.
Il ne s’était pas contenté de dire que la France « bannit toute prise de pouvoir par la force », il avait ajouté qu’elle n’attendra pas les coups d’Etat pour « dire à ses partenaires africains que telle décision ou telle politique ne sont pas moins que des manipulations électorales ou des dérives autocratiques », annonçant en quelque sorte l’avènement d’une diplomatie préventive. Depuis qu’il est au pouvoir, plusieurs coups d’Etat militaires ou constitutionnels ont eu lieu en Afrique et non seulement Paris ne les a pas contrecarrés, mais a eu, généralement, une attitude plutôt complaisante vis-à-vis de leurs auteurs.
Sarkozy avait dit : « la France se fera respecter »et, naïvement, les Africains avaient compris qu’elle banderait les muscles contre les « grands bandits » du monde. Ils ont vite réalisé que c’était surtout eux qui allaient (re)découvrir de quel bois elle se chauffe. Lorsque des « humanitaires »français, accusés de trafic d’enfants, seront arrêtés au Tchad et mis en prison, Sarkozy lancera cette provocation : « J’irai les chercher, quoiqu’ils aient fait ! »Mais lorsque la Française Florence Cassez, interpellée au Mexique dans des circonstances rocambolesques, sera, après un simulacre de procès, condamnée à 60 ans de prison, il se contentera de suggérer avec diplomatie, son transfert dans une prison française. Depuis Napoléon III on connaît en France le coût d’une expédition au Mexique !
Pour l’Afrique francophone Sarkozy reste donc l’homme du « discours de Dakar », et non celui de la rupture qu’il nous avait annoncée, et ce n’est pas en passant six heures en R.D.Congo et autant au Niger ou en convoquant le continent à Nice qu’il percera « l’âme africaine » .Mitterrand avait promis aux Africains que la France allait leur « parler le langage qu’ils ont aimé d’elle », lui leur a tenu celui qu’ils croyaient révolu. Pour la première fois depuis les indépendances africaines un Président français n’impressionne plus ses homologues africains, et de Wade à Gbagbo, en passant par le débonnaire ATT, beaucoup lui résistent ou le critiquent ouvertement. Il est vrai qu’il n’a ni l’aura de De Gaulle, ni la séduction de Mitterrand, ni la chaleur de Chirac.
Avec ses compatriotes il a connu en trois ans, nous dit-on, le « désamour ». Avec les Africains il n’y a pas eu d’amour
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« Tristesse africaine » : : Qu’est-ce qu’être « franco-étranger » aujourd’hui ?

Ce texte est a été prononcé à l'occasion d'une conférence en France en mars 2010

La France compte près de 3 millions de chômeurs (avec des taux proches de 25%pour certaines tranches d’âge), plus de 5 millions de Français vivent au-dessous du seuil de la pauvreté, l’agriculture française, longtemps une des premières exportatrices du monde, perd des bras et son moral, le pays se désindustrialise à pas rapides, des Français sont de plus en plus nombreux à rejoindre les sans abris pendant que des demeures restent vides et fermées…Pourtant depuis près d’un an les échos que nous recevons de France nous font croire que les préoccupations des Français sont ailleurs, qu’elles tournent autour de thèmes qui ,vus d’ici, nous paraissent presque folkloriques : le voile, les minarets, la burka, que le seul débat qui vaille la peine de mobiliser les préfets porte sur cette question : « Qu’est-ce qu’être Français aujourd’hui ? » et que cette interrogation participe à la raison d’être d’un ministère qui conjugue l’immigration et l’identité nationale. La consultation a levé les masques mais ne semble pas avoir atteint les objectifs que s’étaient fixés ses plus ardents défenseurs. Au moins Eric Besson, Nadine Morano, Bruce Hortefeux, Dominique Bussereau Gérard Longuet et d’autres, peuvent se satisfaire d’avoir appris à leurs concitoyens ce que c’est que« ne pas être Français ».
Pour nous, Africains issus des anciennes colonies françaises, et que ce débat laisse perplexes, c’est peut-être le moment, après l’expression de la « mélancolie française », d’exhaler notre « tristesse africaine » et, comme l’a fait le Rwanda, de nous poser cette interrogation : « Qu’est-ce qu’être franco-étranger aujourd’hui ? »Je dis « franco-étranger »et non pas « francophone », parce que nous sommes plus que des usagers de la langue française, nous sommes des usagers de la culture, de l’histoire, de l’imaginaire français qui sont des constituants de notre personnalité, de notre passé récent (sur plus d’un siècle tout de même, quelquefois), qui sont présents dans notre vécu quotidien .Nous n’avons pas appris que la langue française, nous avons aussi appris ce qui fait la fierté de la France. Si les préfets de France me le permettent, je crois avoir une réponse à leur question : être Français c’est aussi se sentir fier de Molière et de Voltaire, de 1789 et de la Résistance, de Pasteur et de Marie Curie, de la Tour Eiffel et du Mont Saint-Michel…
C’est tout cela qui explique l’ étonnement, puis la frustration des Africains de France de retrouver parmi ceux qui les somment « d’aimer la France ou de la quitter »,des Français « issus de l’immigration » dont le parcours rappelle le leur ,à cette différence près que les parents de ces derniers sont venus de l’est et non du sud, des Carpates ou du Caucase et non des Aurès ou de la vallée du Sénégal, se sont installés dans le pays quelquefois de manière fortuite parce que la France était généreuse ou qu’elle se trouvait sur leur chemin, alors que les Africains sont venus en brigades réquisitionnées pour compenser les bras manquants. Ces « produits de l’immigration » dont la traçabilité n’est jamais mise en exergue, heureusement plus bruyants que nombreux, et qui s’érigent en défenseurs zélés de l’identité française ne pardonnent pas aux Africains de France d’exprimer leur attachement à leur pays d’accueil selon leur propre sensibilité.
« La « méconnaissance est génératrice de malentendus », (V. Jankélévitch) et un siècle et demi de fréquentation régulière n’y a pas mis un terme. Quand j’étais élève au lycée Van Vollenhoven de Dakar, on interdisait aux élèves africains, minoritaires, de porter leurs habits traditionnels. Résultat : quand nous croisions nos camarades européens en ville ils ne nous reconnaissaient pas dans des tenues qu’ils ne nous voyaient jamais ! Ils n’avaient de nous que le visage que nous imposait l’école et ce n’était pas notre vrai visage. Aujourd’hui comme hier, beaucoup de Français se refusent à voir les Africains sous leur vrai visage, à reconnaître qu’ils ne sont pas venus en France vierges de toute culture. Lorsque M.Sarkosy s’offusque que les parents d’un jeune Français d’origine africaine se présentent à son audience en tenues traditionnelles, il reproduit une vieille méfiance, ignorant que, pour ses visiteurs, le malaise est contagieux et que se présenter à leur avantage et non étriqués et mal à l’aise, constitue pour eux une marque de respect.
Je crains fort que l’interdiction du voile ne soit inspirée par le même stéréotype.
La France subit aujourd’hui le « syndrome Nagui »,du nom de cet animateur de télévision, toujours obligé de clamer que s’il est « d’origine arabe »,il n’est surtout pas musulman, que s’il est d’Egypte il ne parle pas arabe et que d’ailleurs il est interdit de séjour dans ce pays. A contrario, son alter ego, Michel Drucker ne renie pas ses racines et le comédien Jean Reno non content de revendiquer ses origines espagnoles, apporte cette précision : andalouses !
Des Français comme Eric Zemmour regrettent le temps du jacobinisme triomphant et de l’assimilation à outrance, quand il était interdit de parler breton à l’école et que tous les enfants s’appelaient Marie ou Pierre. Pour lui l’assimilation totale est le seul ciment d’une nation. Il ne supporte pas qu’il y ait encore en France des Français qui s’appellent Dalil Boubakeur ou Abdel Malick .Il y a quelques milliers de Français qui chaque année changent de prénoms pour mieux s’intégrer, mais pour Zemmour cela ne suffit pas : il faut substituer l’injonction au volontariat. Il voudrait que toutes les Zohra deviennent des Isabelle ,sans réaliser que, malgré son prénom très « convenable », il continue, par son patronyme, à évoquer aux oreilles de certains Français « de souche » des terres d’au-delà de la Méditerranée. Faudrait-il aussi changer les noms de famille, les Zemmour en Dupont, les Zidane en Durand, les Soumaré en Michel ? La France va-t-elle retirer leur nationalité française à Angelin Preljocaj, Enki Bilal, Niels Arestrup pour patronymes non conformes à la francité ? Va-t-elle exiger des Mahorais, dont l’île sera bientôt érigée en département à part entière, de se dépouiller de leur patronymes, de leur histoire, et pourquoi pas de leur religion comme au temps des Huguenots ? Ce serait là une violence comparable à celle que le Code Noir de Louis XIV avait imposée aux esclaves des Iles.
L’assimilation et même l’engagement patriotique ne suffisent pas, nous rappelle Gérard Longuet, pour appartenir au « corps français traditionnel ». L’identité d’un homme ne se construit pas en une génération et, même rebaptisé Bernard Michel, Ali Soumaré ne restera pas insensible au sort de l’Afrique, Rama Yade qui ne manque jamais de dire qu’elle est née « à l’étranger », en parlant de la terre de ses parents, avoue tout de même qu’elle est remuée quelque part par les chansons de Youssou Ndour. Ce n’est que justice puisqu’Arnaud Klarsfeld a conservé le droit d’être conseiller du Premier Ministre de la France après avoir accompli son service militaire au service d’Israël. L’amour de la France dépasse d’ailleurs les noms et les origines et, de Mazarin à Necker et jusqu’à l’Affiche Rouge, des hommes et des femmes nés sur d’autres terres l’ont servie aussi bien, voire mieux que beaucoup de ses fils.
La France de Zemmour est une France qui a peur et j’ai envie de lancer aux Français ce mot du Pape : « N’ayez pas peur ! », sinon de ceux qui cherchent à vous faire peur. La France n’est pas installée sur les grandes fractures du monde, elle n’est pas sur le passage préféré des grands cyclones et des tsunanis, elle échappe aux extrêmes comme on me l’enseignait à l’école coloniale .Ce n’est ni une dictature, ni un régime militaire, elle a une longue tradition démocratique, une presse libre, le meilleur système sanitaire, une voix qui compte dans le monde. Elle n’a aucune raison d’avoir peur, surtout si sa peur vient de l’étranger, non de ce que celui-ci a fait, mais de ce qu’on imagine qu’il pourrait faire. Elle n’est pas au bord de la guerre civile, elle ne doit pas confondre le communautarisme, et les communautés, réalités traversées par des questions qui sont d’ordre social et non ethnique ou idéologique. Dans ces lieux-là on ne vote même pas contre Sarkozy : on ne s’inscrit tout simplement pas sur les listes et quand on le fait, on s’abstient de voter parce qu’on a l’impression de « ne pas avoir d’existence politique ».Dans certains « quartiers » des Muraux ou des Bosquets le taux de participation aux élections locales est descendu à moins de 20% et fait même douter de la légitimité des élus.
La France ne doit pas galvauder son indignation parce que l’indignation est, tout comme le rire, le propre de l’homme ,une denrée trop précieuse pour qu’on la mette dans toutes les sauces .Il vaut mieux s’indigner des propos de Zemmour qui renient un précieux héritage et ignorent que 20% des naissances ,en France, sont le fait des « immigrés »,que de l’ouverture d’un fastfood hallal dans une ville du nord ,Roubaix, qui s’est abstenue à 72%.Cet artifice commercial ne « hallalisera » plus la France que la prolifération de restaurants ou boucheries kasher boulevard Voltaire à Paris ne l’a « kasherisée »,parce que simplement tout développement est fondé sur la complémentarité .
Pour notre part, nous « franco-étrangers », ce n’est pas le droit d’être reconnus Français que nous revendiquons, c’est celui de savoir quelle part nous revient en France si nous continuons à y placer nos fonds de pension émotionnels et quel intérêt y a-t-il à demeurer francophone. Notre attachement à la francophonie repose aujourd’hui moins sur le culte de la langue française dont nous savons bien qu’elle n’ouvre pas toutes les portes, y compris en France, que sur notre attachement aux valeurs qu’elle véhicule. Si la France renonçait à ces valeurs-là nous n’aurions plus aucune raison de rester des « franco-étrangers ».