Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

mercredi 29 novembre 2017

SOMMES-NOUS AUSSI SINAI ?

NB : Texte publié dans "Sud-Quotidien" du 29 novembre 2017


Il y a presque deux ans, des chefs d’Etats africains (dont le nôtre) défilaient à Paris, sur les Grands Boulevards, au rythme d’un refrain entonné par des milliers de personnes : « Nous sommes tous Charly ! ». Ils entendaient ainsi marquer leur émotion et leur solidarité auprès des Français accablés par le monstrueux attentat commis dans les locaux du journal. Ils étaient donc Charly, contre la violence gratuite et meurtrière de terroristes, contre l’intolérance et le fanatisme, ils étaient Charly, sans réserve ni objection, donc pour l’amalgame qui consiste à confondre musulmans et poseurs de bombes et pour qu’on tourne en dérision une foi qui rassemble plus d’un milliard d’hommes et de femmes.

Il y a quelques jours les mêmes assassins ont fait trente fois plus de victimes, dont des enfants, au moyen de mitraillettes braquées sur des hommes en prière et sur des foules en panique. Il ne s’est pas trouvé un seul chef d’Etat africain pour aller défiler au Caire aux cris de « Nous sommes tous du Sinaï ! », et très peu même ont pris l’initiative d’aller signer un livre de condoléances à l’ambassade d’Egypte. Ils ne s’étaient d’ailleurs pas déplacés non plus quand les mêmes, car ce sont les mêmes, terroristes ont détruit des vies à Bamako, à Ouagadougou, à Grand-Bassam, et évidemment, ils n’étaient pas à Mogadiscio ! Depuis le massacre de Charly, une dizaine de pays africains, de l’ouest, du nord et de l’est, ont vécu les mêmes drames, aucune de ces tragédies n’a mobilisé l’opinion européenne et le comble c’est que nos médias eux-mêmes ne les traitent que dans la rubrique des chiens écrasés…  

Ainsi pourtant va le monde et c’est la meilleure preuve que nous ne sommes pas encore décolonisés. Une force irrésistible nous pousse à tendre l’oreille pour écouter ce qui se dit à Paris, à Washington, à Bruxelles, quand nous restons sourds aux cris et aux gémissements qui sortent de nos cases. Si Moody’s nous note bien, qu’importe que la disette sévisse dans nos campagnes ! Nous nous réjouissons donc quand l’Occident nous encense, alors qu’en réalité il se félicite de constater que nous avons obéi à ses ordres, nous jetons aux orties les critiques formulées dans nos campagnes. L’histoire des « plans d’ajustement structurel » a été pourtant un cruel révélateur des erreurs dans lesquelles nous a entrainés notre servitude.

Ce n’est donc pas demain que nos chefs d’Etats pourront parler d’égal à égal avec leurs homologues du Nord et le contraste est particulièrement frappant en Afrique dite francophone. Observez par exemple cette propension des présidents français qui, plutôt que de s’adresser à leurs homologues conformément au protocole, exigent de tenir meeting dans nos universités et de s’adresser crânement à nos étudiants, ce que n’osent pas faire nos propres dirigeants. On croyait pourtant que la prestation de Nicolas Sarkozy à l’université Cheikh Anta Diop nous servirait de leçon et que plus jamais nous ne laisserons un chef d’Etat étranger nous asséner des cours d’histoire ou d’économie dans des lieux dont une des vocations est nous redonner notre fierté et définir nos propres priorités. Pourtant l’homme qui, du haut de ses trente neuf ans et de ses six mois d’expérience présidentielle, s’est exprimé devant les étudiants de l’université Joseph Ki Zerbo n’offre pas plus de garanties que son prédécesseur à Dakar. On peut même dire qu’il avait déjà annoncé la couleur en prophétisant que le problème de l’Afrique était « d’ordre civilisationnel » et que nous perturbions le développement du monde en faisant trop d’enfants. C’était là le cri du cœur et c’est sans doute celui-là qu’il faut croire, plutôt qu’à celui que ses conseillers ont reformulé et nuancé.

Mais malgré ses risques, on peut dire de ce genre d’exercice que, comme le dit un slogan « ça coute peu et ça rapporte gros », surtout pour le chef d’un Etat en reconquête de marchés perdus puisque la part de la France dans le commerce de l’Afrique, le continent dont le taux de croissance et de création de startups est le plus élevé du monde, est tombée à 4%, quand celle de la Chine est montée à 22%. Quel président africain, dans ses rêves les plus fous, peut imaginer une France suspendue à sa visite, une Sorbonne entourée d’un cordon policier et mise en vacances forcées, en même temps que tous les établissements scolaires de la rive gauche (pour le moins), toute la classe politique française imprudemment confinée dans un même lieu pour l’applaudir, un auditoire choisi parmi la crème de la jeunesse, et même un drapeau de l’Union Africaine côtoyant celui de son pays… Cela vaut bien quelques promesses et envolées lyriques et dans le cas qui nous concerne ici, il est bien plus facile de rendre hommage à Sankara quand Compaoré n’est plus au pouvoir, plus aisé d’accabler les négriers qui sévissent en Libye que de condamner le cynisme des marines européennes qui empêchent les humanitaires de recueillir les naufragés en Méditerranée pour les refouler vers les plages de ce même pays. Pour le reste, le président Macron était sans doute trop jeune ou insouciant quand, il y a dix ans déjà, Nicolas Sarkozy condamnait la colonisation et annonçait la fin de la Françafrique ! C’est du reste l’occasion d’appeler les grands de ce monde (Europe, Etats-Unis, G20, etc.) à tenir les généreuses promesses qui terminent toutes leurs réunions. « Il n’y a plus de politique africaine de la France », annonce Macron, mais les vieilles nations ont du mal à se réformer et on peut se demander ce que recouvre alors le Conseil présidentiel pour l’Afrique créé par ses soins il y a quelques mois ?

Pour notre malheur, et paraphrasant Césaire, nous attendons trop de la France et pas assez de nous-mêmes.

Car chassez le naturel et il revient vite au galop et voila que le professeur Macron, euphorique et badin, tournant son hôte en dérision, consacre trois heures d’horloge aux étudiants burkinabé, plus qu’il n’en a jamais accordé à aucun groupement français, se met sans l’avouer à dispenser des leçons et à donner des ordres. « Je veux qu’en Afrique la femme soit libre » nous martèle-t-il, bandes de sauvages que nous sommes, et les « je veux » se multiplient, avec des affirmations quelquefois caricaturales, comme quand il affirme (c’est une obsession !) que « partout en Afrique il y a 7, 8, 9 enfants par femme ». Il ne supporte pas en revanche qu’on épingle les forces françaises dans le Sahel, l’impérialisme qui se cache derrière le franc CFA ou « l’externalisation » de la politique migratoire européenne. Il parle de débat mais pour ce qui est la Francophonie il a déjà décidé de sa réforme, sans prendre l’avis de ses cinquante membres…


Les contestataires les plus intraitables des propos de Macron ayant été tenus à l’écart des lieux où se tenait ce cours magistral, on peut imaginer que les parrains des deux universités, Joseph Ki-Zerbo et Cheikh Anta Diop, ont dû se retourner dans leurs tombes en faisant l’amer constat que, près de soixante ans après nos indépendances, il ne s’est trouvé aucune voix, à Ouagadougou aujourd’hui comme hier à Dakar, pour réaffirmer que « le temps de nous-mêmes » était arrivé et  que l’Afrique a besoin d’amis mais ni de sherpa ni de maître à penser !

Aucun commentaire: