NB : Texte publié dans "Sud-Quotidien" du 29 novembre 2017
Il y a presque deux
ans, des chefs d’Etats africains (dont le nôtre) défilaient à Paris, sur les
Grands Boulevards, au rythme d’un refrain entonné par des milliers de
personnes : « Nous sommes tous Charly ! ». Ils
entendaient ainsi marquer leur émotion et leur solidarité auprès des Français
accablés par le monstrueux attentat commis dans les locaux du journal. Ils
étaient donc Charly, contre la violence gratuite et meurtrière de terroristes,
contre l’intolérance et le fanatisme, ils étaient Charly, sans réserve ni
objection, donc pour l’amalgame qui consiste à confondre musulmans et poseurs
de bombes et pour qu’on tourne en dérision une foi qui rassemble plus d’un milliard
d’hommes et de femmes.
Il y a quelques jours
les mêmes assassins ont fait trente fois plus de victimes, dont des enfants, au
moyen de mitraillettes braquées sur des hommes en prière et sur des foules en
panique. Il ne s’est pas trouvé un seul chef d’Etat africain pour aller défiler
au Caire aux cris de « Nous sommes tous du Sinaï ! », et très
peu même ont pris l’initiative d’aller signer un livre de condoléances à
l’ambassade d’Egypte. Ils ne s’étaient d’ailleurs pas déplacés non plus quand
les mêmes, car ce sont les mêmes, terroristes ont détruit des vies à Bamako, à Ouagadougou,
à Grand-Bassam, et évidemment, ils n’étaient pas à Mogadiscio ! Depuis le
massacre de Charly, une dizaine de pays africains, de l’ouest, du nord et de
l’est, ont vécu les mêmes drames, aucune de ces tragédies n’a mobilisé
l’opinion européenne et le comble c’est que nos médias eux-mêmes ne les
traitent que dans la rubrique des chiens écrasés…
Ainsi pourtant va le
monde et c’est la meilleure preuve que nous ne sommes pas encore décolonisés.
Une force irrésistible nous pousse à tendre l’oreille pour écouter ce qui se
dit à Paris, à Washington, à Bruxelles, quand nous restons sourds aux cris et
aux gémissements qui sortent de nos cases. Si Moody’s nous note bien, qu’importe que la disette sévisse dans nos
campagnes ! Nous nous réjouissons donc quand l’Occident nous encense,
alors qu’en réalité il se félicite de constater que nous avons obéi à ses
ordres, nous jetons aux orties les critiques formulées dans nos campagnes. L’histoire
des « plans d’ajustement structurel » a été pourtant un cruel
révélateur des erreurs dans lesquelles nous a entrainés notre servitude.
Ce n’est donc pas
demain que nos chefs d’Etats pourront parler d’égal à égal avec leurs
homologues du Nord et le contraste est particulièrement frappant en Afrique
dite francophone. Observez par exemple cette propension des présidents français
qui, plutôt que de s’adresser à leurs homologues conformément au protocole,
exigent de tenir meeting dans nos universités et de s’adresser crânement à nos
étudiants, ce que n’osent pas faire nos propres dirigeants. On croyait pourtant
que la prestation de Nicolas Sarkozy à l’université Cheikh Anta Diop nous
servirait de leçon et que plus jamais nous ne laisserons un chef d’Etat
étranger nous asséner des cours d’histoire ou d’économie dans des lieux dont
une des vocations est nous redonner notre fierté et définir nos propres priorités.
Pourtant l’homme qui, du haut de ses trente neuf ans et de ses six mois
d’expérience présidentielle, s’est exprimé devant les étudiants de l’université
Joseph Ki Zerbo n’offre pas plus de garanties que son prédécesseur à Dakar. On
peut même dire qu’il avait déjà annoncé la couleur en prophétisant que le
problème de l’Afrique était « d’ordre civilisationnel » et que nous
perturbions le développement du monde en faisant trop d’enfants. C’était là le
cri du cœur et c’est sans doute celui-là qu’il faut croire, plutôt qu’à celui
que ses conseillers ont reformulé et nuancé.
Mais malgré ses
risques, on peut dire de ce genre d’exercice que, comme le dit un slogan
« ça coute peu et ça rapporte gros », surtout pour le chef d’un Etat
en reconquête de marchés perdus puisque la part de la France dans le commerce de
l’Afrique, le continent dont le taux de croissance et de création de startups
est le plus élevé du monde, est tombée à 4%, quand celle de la Chine est montée
à 22%. Quel président africain, dans ses rêves les plus fous, peut imaginer une
France suspendue à sa visite, une Sorbonne entourée d’un cordon policier et
mise en vacances forcées, en même temps que tous les établissements scolaires
de la rive gauche (pour le moins), toute la classe politique française
imprudemment confinée dans un même lieu pour l’applaudir, un auditoire choisi
parmi la crème de la jeunesse, et même un drapeau de l’Union Africaine côtoyant
celui de son pays… Cela vaut bien quelques promesses et envolées lyriques et
dans le cas qui nous concerne ici, il est bien plus facile de rendre hommage à
Sankara quand Compaoré n’est plus au pouvoir, plus aisé d’accabler les négriers
qui sévissent en Libye que de condamner le cynisme des marines européennes qui
empêchent les humanitaires de recueillir les naufragés en Méditerranée pour les
refouler vers les plages de ce même pays. Pour le reste, le président Macron
était sans doute trop jeune ou insouciant quand, il y a dix ans déjà, Nicolas
Sarkozy condamnait la colonisation et annonçait la fin de la
Françafrique ! C’est du reste l’occasion d’appeler les grands de ce monde
(Europe, Etats-Unis, G20, etc.) à tenir les généreuses promesses qui terminent
toutes leurs réunions. « Il n’y a plus de politique africaine de la
France », annonce Macron, mais les vieilles nations ont du mal à se
réformer et on peut se demander ce que recouvre alors le Conseil présidentiel
pour l’Afrique créé par ses soins il y a quelques mois ?
Pour notre malheur,
et paraphrasant Césaire, nous attendons trop de la France et pas assez de
nous-mêmes.
Car chassez le
naturel et il revient vite au galop et voila que le professeur Macron,
euphorique et badin, tournant son hôte en dérision, consacre trois heures
d’horloge aux étudiants burkinabé, plus qu’il n’en a jamais accordé à aucun
groupement français, se met sans l’avouer à dispenser des leçons et à donner
des ordres. « Je veux qu’en Afrique la femme soit libre » nous
martèle-t-il, bandes de sauvages que nous sommes, et les « je veux »
se multiplient, avec des affirmations quelquefois caricaturales, comme quand il
affirme (c’est une obsession !) que « partout en Afrique il y a 7, 8,
9 enfants par femme ». Il ne supporte pas en revanche qu’on épingle les
forces françaises dans le Sahel, l’impérialisme qui se cache derrière le franc
CFA ou « l’externalisation » de la politique migratoire européenne.
Il parle de débat mais pour ce qui est la Francophonie il a déjà décidé de sa
réforme, sans prendre l’avis de ses cinquante membres…
Les contestataires
les plus intraitables des propos de Macron ayant été tenus à l’écart des lieux
où se tenait ce cours magistral, on peut imaginer que les parrains des deux
universités, Joseph Ki-Zerbo et Cheikh Anta Diop, ont dû se retourner dans
leurs tombes en faisant l’amer constat que, près de soixante ans après nos
indépendances, il ne s’est trouvé aucune voix, à Ouagadougou aujourd’hui comme
hier à Dakar, pour réaffirmer que « le temps de nous-mêmes » était
arrivé et que l’Afrique a besoin d’amis
mais ni de sherpa ni de maître à penser !
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