Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

jeudi 19 avril 2012

ALI GORGUI ET LES 40 VOLEURS

NB Texte publié dans "Sud Quotidien" du 16 avril 2012

A ce jour, aucun démenti public et solennel n’est venu du Président de la République sortant, de ses anciens ministres, des anciens gestionnaires du Palais présidentiel pour infirmer ou confirmer une nouvelle qui fait la une des journaux depuis plusieurs jours. Le Palais de la République aurait été dépouillé de ses meubles, de ses bibelots et de ses œuvres d’art, sa chambre forte, celle- la même qui longtemps avait servi d’antre d’Ali Baba et qui regorgeait de devises, aurait été dévastée, et des sacs d’argent auraient été emportés par des pilleurs en cravate. L’impressionnant parc automobile de la Présidence, constitué de voitures de luxe, offertes par les amis et bienfaiteurs du Sénégal, se serait volatilisé. Ce ne sont plus désormais des rumeurs puisque le nouveau ministre de la justice a fait état du fric-frac et appelé à la restitution des biens…

En attendant d’autres découvertes plus douloureuses, ces accusations sont-elles fondées et peut-on parler de scandale au Palais ?

En réalité s’il y a scandale, il n’est pas nouveau et il n’est pas que là.
Le scandale c’était déjà, que pendant des années, le Président de la République sortant, plusieurs de ses ministres, son fils, ont été accusés de détournements de deniers publics, de prévarications, de trafics de marchés, etc., sans qu’ils aient jamais traduit leurs accusateurs devant les tribunaux et exigé réparations, sauf à de très rares occasions. Avant de racler les fonds de tiroirs, les prédateurs avaient auparavant dilapidé les joyaux de la couronne. Le pillage du Palais ne serait qu’une opération du même genre, avec cette différence qu’il s’agit cette fois d’objets visibles, reconnaissables et, pour certains, répertoriés, que les habitués de la maison connaissent et dont on peut remarquer la disparition. Certains sont même si voyants qu’ils sont pratiquement inutilisables. « Je ne répondrai pas à Latif Coulibaly », avait dit le chef de l’Etat sortant face aux graves accusations portées contre lui par l’ancien journaliste. Il pouvait alors se permettre de se jouer du peuple et faire le dos rond. Mais la stratégie de l’autruche ne peut pas servir à tous les coups, le contexte a terriblement changé et il n’est plus au dessus de la loi. Cette fois, il lui faudra bien répondre et pas seulement devant la justice, mais, d’abord, devant ses concitoyens, faute de quoi il réduirait à néant tout le bénéfice tiré de son fameux coup de fil de la soirée du 25 mars et, après avoir raté son mandat, il aurait raté sa sortie.

Le scandale, c’est aussi que jamais personne n’a pu démêler, dans le patrimoine national, ce qui appartenait à l’Etat, au Parti ou au Président sortant. Celui-ci parlait à la première personne pour justifier ses libéralités puisées dans les caisses publiques, menaçait de sanctions collectives les régions qui lui refusaient des voix. Il avait inscrit tous les biens du Parti à son nom et disait à qui voulait l’entendre qu’il n’avait nul besoin de l’avis de ses concitoyens ou de leurs représentants pour s’acheter un avion, s’attribuer ou distribuer une terre. Il s’était érigé en légataire universel de la République en se proclamant usufruitier du patrimoine national. Quand on est propriétaire du Monument de la Renaissance, on l’est, a fortiori, du fauteuil du bureau présidentiel. L’Alternance était en fait une monarchie de droit divin, et faute d’être immortel, le roi avait voulu qu’elle soit aussi héréditaire, et c’est ce qui l’a perdu. L’étonnant n’est donc pas qu’il y ait eu pillage du Palais, l’étonnant c’est que les Sénégalais s’en étonnent aujourd’hui et s’en offusquent. Comme s’ils avaient jamais pipé mot quand le Président sortant distribuait « enveloppes » et mallettes d’argent aux visiteurs, ceux du soir comme ceux du jour, quand on entrait à pied au Palais et qu’on en sortait au volant d’une voiture, quand des limousines allaient grossir le parc automobile déjà encombré de magistrats, de marabouts, de hauts fonctionnaires, de cadres du parti ou d’oisifs à la bouche sucrée. Le pillage n’a donc pas commencé dans la semaine qui a suivi la proclamation des résultats des élections, c’était une routine à laquelle on s’était habitué. Il n’y a en vérité aucune différence entre le sauve-qui-peut général, qui est le signe de toutes les défaites, et la pagaille organisée du régime défunt. Ce ne sont que deux des visages de l’automne des patriarches. Le président sortant a toujours nié être trop vieux et c’est pourtant à cause de son âge, parce qu’il était sans avenir, que ses compagnons des beaux jours, devenus orphelins, se sont rués sur des dépouilles. L’héritage du Palais a été dispersé, celui du Parti, qui est en cours, sera plus difficile à brader parce qu’il est encore plus flou.

Revenons donc à la question originelle : y a-t-il eu pillage ? Quoi qu’il en soit, la réponse du nouveau pouvoir devrait être la même. Bien sûr, il faut établir la réalité, mais, surtout, il faut DIRE la vérité, haut et fort, la dire au véritable propriétaire du patrimoine national qui est le peuple. Il faut faire rendre gorge aux éventuels coupables et échapper, par la même occasion, à cet envahissant « massala »sénégalais sous lequel nous enterrons toutes nos dérives. Si, comme nous nous en vantons souvent, nous sommes bien une démocratie exemplaire, nous ne devons pas faire moins que la France qui a traduit Chirac devant la justice. Mais le plus important est que nous ne tolérions plus jamais cette confusion des pouvoirs et des biens. Le Palais de la République doit rester « la maison où habite le Sénégal » et tout ce qui y entre ou en sort doit rester propriété d’Etat. Le maître (provisoire) des lieux peut en modifier l’agencement, mais il ne peut pas disposer du Mobilier National à son profit ou à celui de ses amis. Si l’on en croit son photographe, lui qui vivait déjà sur les ressources publiques, menait aussi un train de vie qui était au-dessus des moyens de l’Etat, puisqu’il s’offrait – (avec quels moyens ?) – des équipements que ne pouvait lui payer son employeur. Il jouait plus à l’Etat parvenu qu’à l’Etat modeste qu’il nous avait promis. Il cultivait la gloire, nous voulons désormais un président qui cultive l’effort.

vendredi 6 avril 2012

COMMENT S'EN DEBARASSER ?

NB Texte publié dans "Sud Quotidien" du 2 avril 2012


Ceux qui avaient porté Wade aux nues, salué son coup de fil à son rival comme l’expression même de son fair-play, voire de son esprit chevaleresque, ont du vite déchanter : Wade n’est pas Mandela ! Le 25 mars, personne ne l’aurait suivi, parmi ceux qui comptent (l’armée, la CENA, le Conseil Constitutionnel) s’il avait tenté de forcer le cours du destin. La défaite était trop cuisante, l’écart abyssal entre lui et son adversaire, l’affront public et étalé sur tous les médias, y compris ceux de l’Etat, pour qu’il puisse tenter d’essayer autre chose que faire profil bas. Mais dès le lendemain, alors même que le vaincu ployait sous les éloges, il retrouvait ses bonnes vieilles habitudes. Chassez le naturel…

Il y a donc eu d’abord la tournée d’adieu chez les chefs religieux. La règle, dans ces occasions, c’est de bannir la polémique, de s’élever au-dessus de la mêlée, de prêcher l’union, le pardon et la sérénité. A Touba, au contraire, Wade a insisté sur ce qui divise, il a remis une couche sur son appartenance au mouridisme, comme pour faire regretter à ses frères en confrérie de ne s’être fiés qu’à leur conscience pour traduire leur choix. Le lendemain, à Tivaouone, il s’est érigé en juge d’une seule cause, celle de son fils, dont il a proclamé l’innocence avant même l’ouverture du procès. En ne défendant que Karim, et non la fonction ministérielle, il a manqué de pudeur et surtout d’élégance (notamment à l’endroit de Baldé) et suscité le doute. Si les ministres, de par leur statut, ne gèrent jamais rien du budget de l’Etat, alors pourquoi Salif Ba a été accusé de détournement sous Wade et mis en prison, et pourquoi même Idrissa Seck a-t-il été mis sur le banc d’infamie ?

Les adieux se sont poursuivis, dans l’intimité pourrait-on dire, en conseil des ministres. Au sortir de cette catharsis, le ci-devant porte-parole a résumé devant la presse le testament du père. « Il a, nous dit-il, la larme à l’œil, ordonné de ne rien cacher aux nouveaux arrivants, de ne pas les critiquer, de les aider à remplir leur mission s’ils nous sollicitent ». On ne lui en demandait pas tant, car il existe aussi des critiques constructives. Quelle grandeur d’âme, quel admirable sens de l’Etat !

Il a suffi de quarante huit heures pour que Wade lui-même démolisse cette version. Au congrès extraordinaire, et sans débat, de son parti, convoqué à la hussarde, il nous livre la sienne. Les règlements de comptes avaient déjà commencé dans son camp et beaucoup y espéraient sinon une retraite, au moins qu’il desserre la bride. Wade remet les pendules à l’heure : il est là, actionnaire unique du parti, il en dressera les priorités, choisira les responsables. Il ne se contentera pas d’une fonction honorifique, il fera ce que ni Senghor ni Ahidjo n’avaient pu faire. Il proclame urbi et orbi qu’il va bien rester au Sénégal, lui et son fils, comme si c’était un sacrifice suprême que de continuer à vivre dans le pays qui vous vu naître et vous a porté à la magistrature suprême ! En même temps, il ressasse toujours sa rancœur contre Diouf et le PS, qu’il avait pourtant battus, contre la presse et les puissances occidentales. Mais, surtout, contrairement à ce qu’avait dit son porte-parole, il ne fera rien pour faciliter la tâche à son successeur. Même désavoué par deux Sénégalais sur trois, il estime qu’il a toujours raison contre tout le monde et que personne ne peut faire autant que lui, et n’exclut même pas de revenir au pouvoir ! Il jette ses alliés à la poubelle, il les « libère », dit-il, sans réaliser que parmi ces bénéficiaires de l’abolition de son asservissement, il y en a au moins un qui n’est plus un « allié » mais un membre à part entière du Pds au sein duquel il avait fondu sa formation !

Bref, Wade promet, pour un moment, de pourrir la vie à ses militants, au président élu et, finalement, à tous les Sénégalais, par ses interventions intempestives, ses élucubrations, son ego envahissant. Les plus marris, ce sont les cadres du PDS : la guerre de succession avait déjà commencé et les bookmakers de Sandaga avaient lancé leurs paris. Le président veut reconstituer le parti, faire du neuf ? Ce rajeunissement ne devrait-il pas commencer au sommet, et peut-on faire du neuf avec un vieillard de 86 ans ?

Wade ne sera donc ni Diouf (qui n’est pas, il est vrai, une bonne référence), ni Konaré ni Obasanjo, ni surtout Pedro Pires : une référence, un sage sollicité pour ses conseils et son indépendance par rapport aux clans. Il se trompe, car rester vigilent, pour un ancien chef d’Etat, ce n’est pas élire place au café du commerce, ourdir des complots et insulter à tout va, c’est s’élever au-dessus des petites contingences et n’élever la voix que face aux grandes menaces. Il aura été toute sa vie un partisan, aussi bien comme opposant que comme chef d’Etat ou comme retraité de la République. Il aura aussi été un routinier, ne faisant que ce qu’il a toujours fait : la politique ou plus exactement la polémique. Mandela est devenu une icône, Lula un modèle, Carter court le monde pour assoir la démocratie, Wade consacrera le reste de sa vie à arbitrer des conflits entre ses militants et à se justifier. Mais il oublie qu’il ne dispose plus des prébendes qui avaient fait son succès, ni des médias qui amplifiaient ses paroles. Il ne sera pas du cercle des « Anciens », de ceux qui offrent au monde leur longue expérience, non pour se livrer à une politique politicienne, mais pour résoudre les conflits et apaiser les cœurs. Alors, puisqu’il reste dans ce qu’Alpha Blondy a appelé la « politikidougou », il faut le traiter pour ce qu’il est. Le nouveau pouvoir va devoir passer partout où il est passé pour « découturer » sa toile d’araignée, mettre de l’ordre dans l’informel, calmer les frustrations, et pas seulement au Sénégal. Il devra aussi faire l’état des lieux des ruines que son prédécesseur a laissées, pour lui porter la réplique, tout en s’abstenant de recourir aux méthodes qui ont ruiné le crédit de l’Alternance. Les Sénégalais ne pardonneront pas du Wadisme sans Wade.