NB : Texte publié dans « Sud
Quotidien » du 16 décembre 2019
« Arrogant comme un Français en Afrique », c’est le titre
d’un essai du journaliste Antoine Glaser, mais quand ce Français est Président
de la République, l’arrogance est sans limites et les premières victimes sont
les présidents de ce qu’on appelait le pré carré français.
Sans remonter au Général de Gaulle, qui ne s’adressait aux présidents
africains que par Jacques Foccart interposé et qui traitait Bokassa de
« soudard », on a tous en mémoire les écarts de ponctualité dont ont
fait preuve ses successeurs lors de leurs rencontres avec leurs homologues africains.
Si Thomas Sankara avait rué sur les brancards face à Mitterrand, il n’en a pas
été de même pour Joseph Kabila que nous avons tous vu faisant le pied de grue,
flanqué de l’ex Président Abdou Diouf, et attendant stoïquement que François
Hollande veuille bien descendre pour ouvrir le XIVe sommet de l’OIF qui se
tenait à Kinshasa.
Personne, bien sûr, n’a oublié le discours prononcé en juillet 2007
par Nicolas Sarkozy devant tout le gotha politique et universitaire sénégalais
et dans l’amphithéâtre d’une université qui porte le nom de Cheikh Anta Diop.
On attendait un geste de repentance, comme les Belges en ont eu sur le Congo ou
le Congrès américain sur l’esclavage et la discrimination raciale, on a eu
droit à des propos outrageants, qui n’ont jamais été suivis d’excuses, et selon
lesquels l’homme africain était non seulement responsable de ses malheurs mais
avait en outre l’imprescriptible faiblesse de n’être pas « assez entré dans
l’Histoire ». On croyait qu’après le tollé soulevé par ce discours, son
auteur allait désormais se passer de nous faire la leçon, mais c’était oublier
que Sarkozy n’était pas seulement arrogant, mais qu’il était aussi un
récidiviste impénitent. C’est ainsi qu’il y a quelques semaines, au cours d’un
colloque tenu à Rabat et où sa présence ne pouvait être justifiée que par ses
accointances avec les plus hautes autorités marocaines, il s’est une nouvelle
fois autorisé à s’ériger en maître d’école en invitant les Africains à faire
moins d’enfants. Pour cette fois au moins il s’est trouvé une voix pour le
remettre, courtoisement, à sa place et, pour notre plus grand plaisir, cette
voix était celle de la présidente du CESE (conseil économique, social et environnemental) du Sénégal.
Dommage tout de même qu’une autre voix, moins tenue par le langage
diplomatique, n’ait invité l’ancien président français à s’expliquer plutôt sur
les accusations de corruption portées contre lui dans l’affaire dite « des
billets et des bombes » qui le lie à l’ancien guide libyen, Kadhafi…
On ne doit donc pas être surpris si le jeune jupitérien de quarante
ans qui préside aujourd’hui aux destinées de la France et que ses compatriotes
eux-mêmes jugent arrogant, s’inscrit sur les pas de Nicolas Sarkozy. Avec cette
différence que contrairement à ce dernier, il a lui, lu La Fontaine et voilà ce
que cela donne :
« Jupiter dit un jour
Que tous les chefs d’État du G5,
S’en viennent comparaitre aux pieds de ma grandeur ! »
Emmanuel Macron ne se contente donc pas de distribuer des leçons, il
donne des ordres, que dis- je : il tonne, il menace, comme jadis de Gaulle
menaçait de priver d’air pur les Africains qui voteraient pour l’indépendance. S’il
parle ce n’est pas pour expliquer la partition de fait du Mali et le statut infamant de Kidal, imposé par la France, c’est pour remettre en cause,
unilatéralement, « le cadre et les
conditions de l’intervention française » au Sahel !
Pour donner plus d’écho à sa voix, il choisit un lieu, un moment, une tribune,
il choisit Londres et la commémoration des 70 ans de l’OTAN pour lancer sa
fatwa urbi et orbi. On croyait pourtant, naïvement, que c’était l’occasion
idéale pour interpeller ceux de ses collègues qui trainent les pieds pour aller
soutenir les forces françaises au Sahel, alors qu’ils sont responsables de la
crise qui a fait sauter le verrou libyen et déversé armes et combattants dans
les pays sub-sahariens. Que nenni ! Macron ne s’adresse nullement à ses
homologues de l’OTAN, mais bien aux chefs des pays victimes de cette invasion,
et il n’attend pas d’être en Afrique pour le faire. Avec eux il n’a pas besoin
de prendre des gants et les termes qu’il emploie ne sont pas ceux qu’il aurait
employés face aux dirigeants chinois car avec Xi Jinping les divergences
sont débattues en aparté et loin des oreilles indiscrètes.
Il est fâché, Macron, et il faut que les présidents africains le
sachent : la perte de 150 soldats maliens en un mois, soit 1% des
effectifs de l’armée, c’est un risque inhérent à la guerre, mais la mort,
accidentelle, de 13 soldats français, ça c’est inadmissible à ses yeux !
Son ton est donc ferme, comminatoire : « Je veux des réponses claires et assumées ! ».
Le délai de réponse qu’il fixe aux cinq présidents africains est
précisé : il est à « court terme ! ».
L’ordre est formel : il arrête d’autorité la date et le lieu de
ce Canossa auquel ils sont convoqués :
« Ce sera le 16 décembre, un point c’est tout ! Dès
que j’en aurai fini avec ces satanés syndicalistes, ce sera à votre tour de
m’entendre et vous n’avez qu’à remanier vos calendriers ! Mais ce ne
sera ni à Versailles ni à Nice, ce sera à Pau,
la ville de mon ami Bayroux. Cherchez sur la carte, ce n’est point sur votre
trajet habituel… Et ne venez pas avec vos boubous, il y fait 5° ».
Le président français a déjà circonscrit ceux qui devront lui rendre
compte : ce ne sont ni Salif Keita ni les porte-parole de la société
civile qu’il prend pour de la roupie de sansonnet, ce sont « les responsables
politiques », à commencer par
les chefs d’État eux-mêmes. Il ne se contentera pas de vœux pieux, il attend
qu’ils « formalisent leur demande »
d’aide à l’égard de la France. Il dessine le service après-vente et comme il
n’a pas confiance, il exige, qu’après avoir rempli cette formalité, ils « l’affirment clairement devant leur opinion
publique ».
Enfin il menace et annonce les mesures de rétorsion : si les
présidents ne se soumettent pas, ils peuvent dire adieu à Barkhane !
Emmanuel Macron n’a certainement pas lu Bakary Diallo et sa (supposée)
œuvre au titre prédestiné, « Force-Bonté », mais par un curieux
hasard et à plus de 90 ans d’intervalle, il voit son pays dans la même situation
que la Dame qui dans ce livre partage son pain avec les oiseaux. La France
c’est cette Dame généreuse et protectrice, les oiseaux, ce sont les Maliens et
autres Africains qui lui doivent reconnaissance de l’aide qu’elle leur fournit
et obéissance à ses ordres.
Un Ghanéen, un Nigérian s’étoufferaient d’indignation face à ce
discours. Les mots du président français, son comportement, sa manière de faire
avec ses collègues africains, sont en effet inconcevables dans les relations
entre un Premier Ministre britannique et les présidents des anciennes colonies
anglaises d’Afrique.
Mais à qui la faute ?
A nous !
Un proverbe africain dit que nous ne devons éprouver aucune honte
lorsque notre hôte nous sert un repas dans une écuelle pour chiens.
Ce qui serait honteux c’est de manger ce plat !
Il y a pourtant un signe d’espoir : même si la partie française
veut faire croire que l’initiative vient encore d’elle, c’est bien parce que trop
c’est trop et surtout parce que ses invités ont été chahutés par leurs peuples
et sommés de ne pas déférer à la convocation, que la séance d’explication a été
renvoyée à l’année prochaine.
Espérons que ce ne soit que le début d’une révolte qui se fait
attendre depuis soixante ans !
NB : Les mots en italique sont extraits des propos du
président français.