Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

jeudi 24 novembre 2011

LES "MINORITES" ETHNIQUES SONT-ELLES ENCORE SOLUBLES DANS LE SENEGAL ?

Ce texte a été publié le 14 novembre dans les quotidiens "Sud" et "l'As".

Comment expliquer le caractère itératif des accusations « d’ethnicisme » portées contre des hommes politiques comme Djibo Ka, hier, ou Macky Sall aujourd’hui, qui ne sont pas de la même génération, qui ont des parcours politiques opposés, qui ont des attaches familiales dans deux provinces très différentes, qui, quoiqu’en pensent certains Sénégalais, ont des cultures différentes et ne parlent pas tout à fait le même pulaar ? Comment surtout comprendre que leur mise à l’index ne soit fondée que sur le fait qu’ils ont trouvé des points de convergence politique avec des personnes parlant le pulaar, ou qu’ils se sont exprimés un jour, publiquement, dans leur langue maternelle, ou que leurs équipes comptent un ou plusieurs pulaarophones, même à des postes subalternes, ou parce que des Sénégalais avec lesquels ils peuvent communiquer sans interprète les applaudissent ? Pourquoi sont-ils obligés de se justifier, ou de trouver des raisons à cette accointance, au point d’être presque gênés de se choisir un proche collaborateur ou d’être obligés d’en sacrifier un, au seul motif qu’ils appartiennent à leur aire linguistique ? Curieusement, ces suspicions sont portées plus souvent contre les pulaarophones que contre toute autre ethnie, la seule exception notable étant celle qui fut lancée contre Robert Sagna, accusé de promouvoir un « vote ethnique diola » lors de la campagne électorale de 2007. Comme si les non-wolofs n’avaient pas de convictions : ils n’ont que des sentiments, pour ne pas dire que des émotions ! Un seul a bénéficié de l’indulgence de l’opinion, c’est-à dire surtout la presse, Landing Savané qui, nous rapporte celle-ci, se serait permis d’aller à Mbour « rencontrer la communauté mandingue », sans provoquer une crise d’urticaire chez les sentinelles de la lutte contre « l’ethnicisme ».
Quant aux ministres wolofs, ou qui se revendiquent tels, ils peuvent s’entourer d’une équipe appartenant uniquement à leur ethnie, y compris des membres de leur propre famille, sans que personne ne s’en aperçoive, et nul ne penserait à les accuser d’être « régionalistes », ce qui est chez nous la forme politiquement correcte de l’ethnicisme. D’ailleurs, les ministres wolofs, ou wolofisés, ont cette particularité : ils ne parlent que leur langue, ils la parlent à toutes les occasions et à tous les endroits, et tous s’imaginent bien entendu qu’elle est comprise de tous, et partout, à Fongolimbi, à Diawara ou à Sassel Talbé. Même la sémantique s’en mêle, puisque les langues autres que le wolof sont appelées « lakks », et que celui qui n’a pas l’air sénégalais (ou wolof ?) est traité de « gnak » ! Personne ne s’offusque évidemment, que dans notre pays le Président de la République, les présidents, pourtant nommés et non élus, du Sénat, de l’Assemblée Nationale, du Conseil économique et social, de la Médiature, du Conseil d’Etat, et j’en passe, ou le Chef d’Etat Major des Armées, soient tous wolofs ! Qu’on ne me dise surtout pas que ce n’est que naturel puisque cette communauté est majoritaire au Sénégal : s’il en était partout ainsi, ni J.F. Kennedy, catholique dans un pays majoritairement protestant, ni Obama, noir dans un pays à 90% blanc, n’auraient jamais été élus présidents des Etats-Unis. Nous mêmes avons, dans ce domaine, effectué un singulier pas en arrière : pendant les vingt premières années de notre indépendance, notre principal titre de gloire avait été d’être un pays musulman à plus de 90% et d’avoir un catholique pour chef d’Etat !
C’est en vertu de ces privilèges que feu Sérigne Mamoune Niasse, chef de parti, a pu quitter la majorité parlementaire pour rallier Idrissa Seck, sans que personne ne puisse en redire, alors que si d’aventure, Cheikh Tidiane Gadio ou Samba Diouldé Thiam, autres anciens affidé ou allié de Wade et chefs de partis au même titre, décidaient, l’un ou l’autre, de rejoindre Macky Sall, toute la presse, tous leurs contempteurs politiques et surtout le PDS, pousseraient des cris d’orfraie. Pour une raison toute simple, aussi bête qu’illogique : même si Gadio et surtout Thiam sont, par leurs attaches, ancrés dans le Fouta profond, même si Macky Sall a sa base politique au cœur du Sine, qu’il parle sérère et qu’il est même le seul homme politique sénégalais de cette envergure qui soit trilingue, tous ont un péché congénital : ils sont nés hal-pulaar ou plus exactement, ils sont « toucouleurs », de ce mot qu’ignorent et exècrent tous les Foutankés parce que c’est un néologisme d’origine étrangère et qu’il est, dans le fond comme dans la forme, impropre et réducteur.
Comme dirait Brice Hortefeux, un hal pulaar, ça va, c’est quand il y en a plusieurs que cela pose problème !
La stigmatisation de toute convergence, de tout rapprochement entre ceux qui expriment une appartenance ethnique autre que celle de la majorité, cet ethnocentrisme inavoué, participent à cette croyance, de plus en plus répandue, selon laquelle les minorités sont organisées comme des loges, des lobbies, toujours prêts à comploter. En ne défendant, pense-t-on, que des intérêts particuliers, familiaux ou régionaux, ils sapent, évidemment, la cohésion nationale. C’est ce que laisse entendre un homme connu pour sa tortuosité politique et qui est le symbole même des courtisans de luxe, espèce hélas prolifique dans le milieu maraboutique, qui clame sans se faire étriper et sans que cela soit relevé par les défenseurs de la paix sociale, que les échecs de Karim Wade s’expliqueraient par le fait qu’il est l’otage de la « maffia pulaar », comme l’avait été, selon lui, Philippe Senghor, trente ans plus tôt. Le mot important dans cette expression ce n’est évidemment pas maffia mais pulaar, mais notre politologue ne prend pas la peine de nous expliquer le sens de ce parallèle, puisque Philippe Senghor n’avait jamais exercé de fonctions gouvernementale ou politique et que Senghor avait quitté le pouvoir de lui-même et dans l’honneur. Si la maffia pulaar est à l’origine de ces comportements, c’est qu’elle n’est donc pas si mauvaise que ça !
Dans un autre domaine, mais au nom de la même inculture, on observe que, cinquante ans après notre émancipation politique, certains journaux s’autorisent des titres du genre : « Bagarres dans le département de Kaffrine entre paysans et Peuls ». Le journal ne dit pas à quelle ethnie appartiennent ces « paysans », ce qui signifie, à priori, qu’ils ne sont pas
peuls. Il ne précise pas, non plus, que les « Peuls » dont il s’agit sont tout bonnement des éleveurs et fait donc fi de cette réalité qui veut que les bagarres entre éleveurs et paysans remontent à la nuit des temps et que, des Hyksos aux Mongols, l’histoire fourmille de querelles entre ceux qui sont attachés à la terre et ceux qui courent derrière le bétail. Pourquoi, dès lors, ne pas parler, simplement de « bagarres entre éleveurs et paysans », comme on aurait écrit « bagarres entre pêcheurs et chalutiers », même si les premiers ne sont autres que des lébous ?
Ces péripéties politiciennes, ces écarts de langage, auraient moins retenu mon attention si, depuis quelques années, on ne voyait pas se développer, encouragé par le style quasi-clanique du Chef de l’Etat, un comportement visant à condamner l’expression de toute exception culturelle pour ne tolérer que la culture dominante. Le président Wade parle et agit comme si nous n’avions plus qu’une langue « nationale » et comme si le français avait cessé d’être notre langue officielle et, comme dans tous les régimes autocratiques, ses serviteurs font du zèle, au point que dans notre système scolaire, on enseigne le français au moyen du wolof. Les deux langues y perdent en qualité et en précision et notre école publique va en lambeaux… Mais, désormais, il ne s’agit plus d’ignorance, il s’agit bien d’intolérance et celle-ci est un poison insidieux générateur de guerres civiles.
Mon propos n’est pas de sonner la charge contre une composante de notre nation, mais de dénoncer ceux qui instrumentalisent nos différences et je sais que ceux-là l’interpréteront comme la manifestation même de « l’ethnicisme » rampant qu’ils dénoncent. Au Sénégal, nous avons tendance à nous proclamer différents, voire supérieurs à nos voisins, à cacher nos dissensions ethniques et religieuses, notamment, sous un monceau de « maslaa », qui n’est souvent qu’un tas d’hypocrisies. A la veille des élections présidentielles, qui sont toujours un moment d’exaspération des dérives verbales, il me semble au contraire nécessaire de dépolluer le langage politique et de faire porter le débat sur l’essentiel et non sur ce qui peut nous diviser. Il y a en effet un espace entre les minorités ostentatoires ou irrédentistes et les minorités honteuses et la pluralité peut être une source d’enrichissement. Ceux qui se vantent d’être des exégètes de l’Islam devraient se rappeler ces paroles de Dieu dans son Livre Saint : « Je vous ai créés différents pour que vous vous connaissiez ». Encore une fois, le fait que le wolof soit la langue la plus parlée au Sénégal, la plus dynamique, ne peut justifier cet ostracisme ni ce monopolisme qui sont un déni de notre diversité et qui, quelquefois, s’apparentent à un mépris culturel, quand on voit comment certains s’esclaffent devant l’accent d’un Amath Dansokho ou excluent des débats ceux qui maitrisent mal la langue de Kocc Barma. C’est oublier, décidément, que la crise casamançaise dont nous payons, tous, le prix depuis plus de trente ans, est née de l’arrogance d’hôtes, qui se croyaient tout permis, ignoraient les us et coutumes de la région qui les accueille, s’érigeaient en gothas, se comportaient comme des commandants de cercle de l’époque coloniale dans un pays qui s’était illustré comme un foyer de résistance populaire. C’est, enfin, ignorer le cheminement qui a conduit de la colonie à l’Etat du Sénégal et mal appréhender les raisons profondes qui ont fait que notre pays a jusqu’ici échappé aux querelles tribales et aux guerres ethniques qui ont ensanglanté beaucoup de pays africains. Notre chance c’est qu’il y a eu une ville, Saint-Louis, qui a servi de laboratoire à la formation, non pas (encore) d’une nation, mais d’un esprit sénégalais fait d’indulgence et de tolérance. A Saint-Louis, dès le dix huitième siècle, le relevé de la population, le premier recensement de notre histoire, nous signalait la présence dans l’île, de patronymes aussi illustratifs du Sénégal moderne que Diop (on écrivait alors Guiop), Fall, mais aussi Diouf, Gomis, Kane-Diallo etc. A Saint-Louis, entre la première campagne électorale de notre histoire (1848) et celle qui a élu, pour la première fois, un noir député du Sénégal(1914), les personnalités les plus influentes, au plan politique et administratif, avaient leurs racines dans toutes les provinces qui constitueront le territoire du Sénégal et même au-delà de ses limites. Elles avaient des attaches wolof, bien sûr, mais également mandé, pulaar, sérère, bambara… Elles s’appelaient Papa Mar Diop, Capitaine Mamadou Racine Sy, Galandou Diouf, Amadou Ndiaye Duguay Clédor (qui avait pris un pseudonyme), Birahim Camara… Il y avait parmi elles des métis, locaux (Louis Guillabert) ou issus des Iles (Rémy Nantousha), des illettrés (Thiécouta Diop) ou des diplômés de l’école française (Lamine Guèye), des chrétiens (Pierre Chimère) et des musulmans (Amadou Ndiaye Ann)… C’est ce formidable mélange de cultures et d’héritages qui a fait les Saint-Louisiens, et plus tard les Sénégalais, et c’est grâce à la cohésion de ses fils que la première capitale du Sénégal a imposé à ses occupants et maintenu vivants la langue wolof et l’Islam : il n’y a jamais eu de pidgin ou de langue créole et malgré Faidherbe, les écoles coraniques n’ont jamais fermé leurs portes.
Cet héritage-là est aujourd’hui menacé. Le danger vient de ceux qui font semblant d’ignorer qu’une nation est un ensemble d’hommes et de femmes qui ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. Ils prétendent, eux, que même si c’est le cas, certains sont plus égaux que d’autres. L’un d’eux estime que c’est le tour de son clan d’occuper les plus hautes fonctions de l’Etat, comme si la présidence de la République était une fonction tournante. Un autre, prétend que le pouvoir suprême doit désormais appartenir à un homme de sa confrérie, et certainement de son ethnie : c’est le syndrome tutsi. Un troisième affirme qu’au fond, les élections démocratiques n’ont plus de raison d’être et qu’il faut désormais s’en remettre à un guide religieux, le sien, pour désigner le titulaire du poste de chef d’Etat : c’est l’avènement de l’ayatollisation ! Ces trois éminents théoriciens ont ceci en commun : ils revendiquent tous le titre de chefs religieux et pour eux, les tribus de la périphérie n’ont plus droit au pouvoir et n’ont plus qu’un recours : se renier. Leur théorie est vulgarisée par les griots officiels, ceux qui ont le monopole des micros pendant les commémorations de notre indépendance et pour lesquels la résistance coloniale au Sénégal a commencé avec Lat-Dior et se résume à lui, le renouveau islamique se réduit à deux icônes, et il n’y a point de salut hors des deux confréries qu’elles ont fondées. Pour tous, évidemment, on ne peut pas s’appeler Sow et être ministre des Pêches, se nommer Savané ou Diaz et oser prétendre aux fonctions de Président de la République ou même de maire de Dakar…
Au fond, c’est notre école qui n’a pas fait son travail, celui de nous enseigner à mieux nous intéresser les uns aux autres et, tout particulièrement, à faire connaitre aux Sénégalais de l’ouest, ceux de ce qu’on appelait le « triangle arachidier », qu’on croyait être le seul « pays utile », ceux qui longtemps avaient le monopole des grandes écoles, des hôpitaux et des bonnes routes, d’appréhender le reste du pays. Il y a encore parmi eux des hommes et des femmes, cultivés, mais qui ne savent pas que Podor a fait partie du « Sénégal » avant Dakar, Thiès ou Kaolack, qui pensent qu’il n’y a qu’un roi diola et qu’il réside à Oussouye, que diola et mandingue, c’est la Casamance, c’est donc du pareil au même, que soninké (eux disent Sarakolé) et bambara, c’est un peu la même chose, que les Laobés sont une ethnie, et que les peuls et les toucouleurs sont deux communautés différentes... Bien entendu, ils ignorent qu’il y a des populations autochtones de langue pulaar dans presque toutes les régions du Sénégal, qu’on peut être foutanké de souche et s’appeler Tine, qu’en fait, le Fouta c’est un territoire de 400 km de long et que sur ce long parcours, il y a des provinces qui, quelquefois, se sont fait la guerre, avec des parlers, des histoires qui sont loin d’être uniformes… On ne peut pas accuser le colonisateur d’être responsable de ces méprises.
L’histoire du « Sénégal », quoiqu’en disent certains, n’a que cinquante ans, celle des peuples qui le composent est vieille, elle, de plusieurs siècles, et le reconnaitre c’est accepter que chacun soit fier de ses racines et les cultive, sans dénigrer ni mépriser celles des autres. Si vous
voulez être universel, parlez de votre village, conseillait Tolstoï à un jeune écrivain, aujourd’hui on peut dire aux jeunes sénégalais : si vous êtes attachés à votre nation, ne sacrifiez pas vos racines.
Les femmes auront définitivement gagné l’égalité le jour où une femme incompétente sera nommée à un poste majeur, avait dit, en substance, Françoise Giroud. Nous ne serons vraiment une nation que le jour où un dirigeant, un homme politique, issus des minorités, pourront se choisir des alliés, des collaborateurs sans courir le risque que ceux-ci soient jugés, non par leur compétence, mais par leur origine ethnique.

mardi 8 novembre 2011

KADHAFI : ENTRE PAILLASSON ET EDREDON !


Il a traficoté avec des sociétés pétrolièreset, avec la participation active de son principal collaborateur, il leur a faitattribuer des marchés sans appels d’offres. Il a créé un centre de détention qui ressemble fort à un camp de concentration dans lequel il a rassemblé des centaines de prisonniers, dont des adolescents, certains capturés dans la rue, qui sont restés incarcérés en dehors de tout cadre juridique. Il a avoué avoir personnellement donné son aval à son armée pour qu’elle recourt à la torture, et notamment à la cruelle simulation de noyade, et sous-traité ces pratiques un peu partout dans le monde. Cette expertise a été particulièrement exacerbée dans une prison où des détenus de guerre, obligés souvent de poser nus, ont été attachés à des câbles électriques par ses soldats, menacés par des chiens de garde et même désacralisés après leur mort. Contre l’avis de la communauté internationale, représentée par l’ONU, il a déclenché une guerre, sur « des prétextes bureaucratiques » qui se sont révélés être de purs mensonges. Ce conflit a tué prés de 5 000 de ses concitoyens et blessé 36 000 d’entre eux, fait plus de 100 000 victimes et 250 000 blessés au sein de la population civile du pays attaqué, provoqué l’exode de 2 millions de personnes et couté 800 milliards de dollars. Enfin, cet homme a protégé des amis suspectés de crimes ou de complicité de crime, facilité leur fuite, au mépris des intérêts de son propre pays…
Non, il ne s’agit pas de Mouammar Kadhafi. Il s’agit bien de Georges W. Bush, président des Etats-Unis d’Amérique de 2001 à 2008. Il a reconnu la plupart de ces forfaits dans son livre mémoire « Instants Décisifs » et admis avoir commis de « grosses erreurs », et pourtant, même après la fin de son mandat, il reste toujours libre de ses mouvements et s’enrichit encore en publiant ses mémoires et en donnant des conférences à travers le monde. La Cour Pénale Internationale n’a rien entrepris pour s’emparer de sa personne et le traduire devant la justice. Il est protégé par le fait que son pays a signé la Convention de Rome, mais ne l’a pas ratifiée, et qu’il a contracté des accords bilatéraux d’immunité (ABI) qui obligent les autres pays à rapatrier ses citoyens, civils ou militaires, susceptibles d’être traduits devant ce tribunal universel.
Voila le premier scandale de « l’Affaire Kadhafi » : les crimes de chef d’Etat sont poursuivis, non en fonction de leur gravité, mais en fonction de la qualité de l’accusé et de la puissance de son pays d’origine.
Mais il y a un deuxième scandale tout aussi insupportable. Kadhafi n’était certes pas un ange, mais cela ne date pas du printemps arabe. Mégalomane, autocrate, excessif en tout, il l’a toujours été et pourtant la « communauté internationale » s’en était accommodé pendant des décennies, et l’avait même souvent courtisé. Rama Yade l’avait accusé de ravaler la France au rang d’un « paillasson », par sa seule présence sur le territoire français, mais ce qu’elle ne dit pas c’est que l’ancien Guide libyen avait été longtemps pour les dirigeants français, un moelleux édredon, un providentiel duvet, à la fois fournisseur de pétrole et consommateur d’armements, qui permettait à leur économie de survivre face aux rigueurs de la concurrence internationale. La France avait été l’un des premiers pays à lui fournir des armes, quelques mois après sa prise du pouvoir, en lui vendant des Mirage Dassault qui serviront contre les troupes tchadiennes soutenues par …les forces françaises. Après les années de décence consécutives à l’attentat contre le DC 10 d’UTA, les ventes d’armements français avaient repris de plus belle et à partir de 2004, les plus hautes autorités françaises se transformeront en VRP en se succédant à Tripoli : Chirac, Sarkozy, Michèle Alliot-Marie et d’autres sommités du monde occidental. Certains pays, comme les Etats-Unis ou la Grande Bretagne, pousseront la complicité jusqu’à établir une collaboration active entre leurs services de renseignements et ceux de la Libye. Quant à la France, elle profitera de la libération des infirmières bulgares pour signer avec Kadhafi des contrats de fournitures d’armements et de matériels technologiques dont beaucoup vont servir à réprimer la population civile, puisque le seul ennemi du Guide libyen était l’ennemi intérieur. Ces marchés étaient d’autant plus intéressants qu’ils étaient à la fois juteux (jusqu’à 60% de marge bénéficiaire !) et retors, en raison de l’inexpérience du client. Ainsi, Paris tentera de refiler à Tripoli des avions « light », plutôt que de « vrais » Rafale jugés trop sophistiqués pour les pilotes libyens. Au moment où Kadhafi plantait sa tente à l’Elysée, la France jurait par ses grands dieux qu’il s’était assagi, pratiquement blanchi, les Mirage qu’elle lui avait vendus s’étaient délabrés faute de maintenance et elle s’apprêtait à signer avec lui un contrat de 2 milliards d’euros…
Qu’on cesse donc d’invoquer des raisons humanitaires pour justifier la descente de l’OTAN sur la Libye, alors que le contexte de crise mondiale exige la restriction des dépenses de guerre dans les pays du Nord. Pourquoi ne pas avoir entrepris cette croisade il y dix ou quinze ans, au paroxysme de la folie de Kadhafi ? Pourquoi ne pas le faire aujourd’hui contre la Syrie, le Yémen, Bahreïn, voire contre la Birmanie. Il est assez paradoxal que l’Occident aille au secours de révolutionnaires armés et ignore le cri de détresse de ceux qui manifestent à bras nus. L’émir de Bahreïn a réprimé férocement des populations civiles désarmées, avec le concours des forces saoudiennes. Le président Assad ne s’est pas contenté lui de menacer de mort ses concitoyens, il est passé à l’acte et sacrifié la vie de centaines de Syriens. Face à ces drames, le Conseil de Sécurité en est resté aux
incantations et a cédé à la menace des parrains de ces Etats, l’Arabie Saoudite et la Russie.
Mais il y a encore un autre scandale : c’est le ssilence, la passiveté voire la lâcheté des collègues africains de Kadhafi. Beaucoup avaient bénéficié de ses largesses, il avait payé leurs arriérés de cotisations pour leur permettre de retrouver le droit de vote à l’Union Africaine, il leur avait construit des routes et des édifices. La plupart l’avaient accueilli en se pliant à ses frasques. Il avait préféré l’Afrique à la Ligue Arabe et tous avaient reconnu son engagement pour l’unité du continent, même si la conception qu’il en avait était particulière. Ils ne l’aimaient pas, ils le méprisaient quelquefois, mais ils le ménageaient et ont attendu qu’il soit ébranlé pour lui tenir le langage de la vérité, « les yeux dans les yeux ». On ne leur demandait pourtant pas de le secourir ou de perpétuer son règne : on leur demandait seulement de ne pas livrer son pays, pieds et poings liés, au zèle et à l’appétit de puissances extérieures. On ne leur demandait pas de le sauver, mais de protéger la Libye, de trouver enfin le moyen d’imposer une « doctrine Monroe » africaine, de dire aux étrangers : « Otez vos mains de nos affaires ! » selon le mot de Tiken Jah Facoly. Ils ont, au contraire, laissé voter la résolution 1973 et, à une exception près, ils ont accepté qu’elle soit trahie, violée, instrumentalisée. L’ONU avait voté la protection des civils, l’OTAN n’avait en tête que de tuer Kadhafi, quitte à détruire toutes les infrastructures qu’il avait créées, et peut-être même tant mieux puisqu’il faudra les reconstruire ! La réalité, c’est que les forces qui ont vaincu Kadhafi ont usé des mêmes artifices, servi les mêmes mensonges, abouti presqu’aux mêmes résultats en Libye aujourd’hui qu’en Irak autrefois.
Le mensonge ? Quelques jours après le déclenchement des émeutes, la presse occidentale comptabilisait 6 000 morts, dont la moitié à Tripoli, ce qui serait un exploit puisque l’armée israélienne, mieux outillée et sans état d’âme, n’avait fait « que » 1500 tués dans le petit chaudron de Gaza. Tripoli a été libéré sans qu’on nous montre les traces de ce massacre…
La fin de la violence ? On voulait éviter des morts mais, à la mi-septembre, le président du CNT, évaluait à 25 000 le nombre de tués, uniquement dans son camp puisqu’il parlait de « martyrs ». Les massacres commis à Syrte et dans d’autres villes libérées, à l’encontre de pro (ou supposés tels) Kadhafistes par les centaines de katibas qui échappent au contrôle du CNT, laissent indifférents les « humanistes »occidentaux.
La justice ? Kadhafi n’est pas mort au combat : il a été torturé, exécuté sommairement peut-être, et même sa dépouille a fait l’objet d’une cérémonie macabre et irrespectueuse de la personne humaine. On n’a pas beaucoup entendu la voix de la « patrie des droits de l’homme » et l’Afrique, première concernée, n’a pas été la première à exprimer son indignation et sa désapprobation.
La révolution ? Kadhafi n’a pas été remplacé par des démocrates de la première heure, mais par ses anciens serviteurs, puisque le président du CNT a été pendant des années son ministre de la justice et est impliqué dans la condamnation des infirmières bulgares…
En fin de compte, « l’opération Libye » risque bien de se révéler improductive. Par la violence de son intervention, par ses manquements au mandat qui lui avait été assigné, l’OTAN a transformé une libération populaire en opération de pacification coloniale. Par ses maladresses, le CNT a érigé un tyran en martyr et rien ne permet de dire qu’il restera uni ou qu’il respectera ses engagements. Mais pour l’OTAN et, surtout, pour l’Angleterre et la France, elle aura été un défi, un investissement et un laboratoire. Lorsqu’une dispute éclate dans l’une des cases de votre concession, il est inadmissible qu’un étranger, qui jusque là vous tenait à distance, force votre porte, administre une correction à l’une des parties et vous présente la note. En s’attribuant ce rôle de justicier, les deux pays cités ont donné la preuve que l’Afrique n’était ni forte ni unie, et qu’ils pouvaient s’y permettre ce qu’ils n’accepteraient pas chez eux. Ils espèrent en revanche un retour d’expérience, qui démontrera la qualité de leur matériel de guerre et la preuve que leurs armées peuvent exister sans une forte implication du parrain américain. Enfin, le débarquement précipité de 80 chefs d’entreprises françaises, alléchés par les chantiers de la reconstruction, dans une Libye où l’on meurt et souffre encore, n’a pas seulement choqué les membres du CNT, c’est surtout le meilleur révélateur des arrière-pensées de l’Occident. Quant à l’OTAN, la guerre de Libye, est pour elle une première : après ses balbutiements en Irak et ses déboires en Afghanistan, elle tient enfin sa première victoire militaire contre un pays du Sud.
Pour une fois, je citerai Abdoulaye Wade : c’est au moment du partage que les voleurs se déchirent, et en Libye, la querelle sera double. La première sera interne, il s’agira de savoir qui imposera son pouvoir entre les Kadhafistes repentis, qui ont beaucoup à se faire pardonner, les opposants de toujours qui ont une dent contre l’Occident, les laïcs et les partisans d’une reconnaissance de l’héritage islamique. La deuxième querelle sera tout aussi épique et consistera à définir la clé de répartition des profits de la guerre : se fera-t-elle en référence au passé ou au prorata de l’aide fournie aux rebelles ? C’est au fond la plus décisive, et c’est le vainqueur de cette bataille qui imposera sa loi aux nouvelles autorités libyennes : ou elles seront Karzai et elles survivront, ou elles resteront Kadhafi et elles périront.

jeudi 29 septembre 2011

AFFAIRE DSK-NAFISSATOU DIALLO : UNE HISTOIRE DE CULTURES...

NB : Le texte qui suit a été publié dans "Le Nouvel Horizon" du 16 septembre 2011

Dominique Strauss Kahn n’est ni blanchi, ni innocent : il n’a pas été jugé ! La justice n’est pas passée parce que le procureur Vance, qui accumule les revers, se soucie plus de sa carrière et de ses intérêts que du sort d’une immigrée africaine dont la voix ne peut guère peser sur sa réélection. Il l’a dit : il ne veut pas de procès parce qu’il n’était pas sûr de pouvoir convaincre le jury que ce procès s’imposait. Il a préféré éviter de se ridiculiser plutôt que de rechercher la vérité. Il a eu peur de faire juger un homme, qu’il croit coupable, de crainte qu’on le proclame innocent. En somme, il a mis sa réputation au dessus de son honneur. Mais il a, au moins, reconnu une chose : DSK avait bien eu des rapports sexuels avec la femme de chambre. Il n’avait d’ailleurs pas le choix puisqu’il y avait des preuves matérielles qui les établissent clairement et qui sont attestées par des experts qualifiés et assermentés. D’ailleurs, tout au long de « l’affaire », ni DSK ni ses avocats n’ont nié le fait, se contentant seulement de préciser que ces rapports avaient été « consentants », suggérant même, pour atténuer sa responsabilité, que l’ancien haut fonctionnaire n’était peut-être pas tout à fait maître de sa raison au moment de l’incident.

Le procureur apporte une précision qui n’est pas sans intérêt : les rapports sexuels, qu’il reconnait, ont été « précipités » : des préalables à la finition, ils n’auraient duré en tout et pour tout que 7 minutes ! On s’arrêtera donc sur cette précision pour saluer la performance de l’ancien ministre français, ancien directeur du FMI et quasiment promu président de la République française…s’il n’y avait eu cet accroc. A 12h04, Dominique Strauss-Kahn sort nu de sa salle de bain pour entrer dans la suite où se trouve la femme de ménage, à 12h 11, après avoir assouvi un besoin urgent, il téléphone à sa fille pour convenir d’un rendez-vous. Dans l’intervalle, ce haut cadre bien éduqué de 62 ans, a pu lier connaissance avec une immigrée africaine venue d’un tout autre monde, deux fois plus jeune que lui et dont le français et l’anglais sont hésitants, passer d’une banale conversation courtoise à un dialogue polisson alors que son interlocutrice, sanglée dans un uniforme peu attrayant, n’est tout de même pas une bombe sexuelle particulièrement provocante, l’enflammer par le verbe au point de l’amener à succomber à son seul charme et à jeter par-dessus les moulins sa réputation, son éducation, le danger qu’elle court, et notamment le risque de perdre sa place, puis il a pu passer à l’acte, avec la violence d’un affamé, faire ses bagages et s’en aller sans se retourner, ni – jusqu’a preuve du contraire – sans régler la facture de cet attentat aux mœurs les plus communes. Tout ce marathon en 7 minutes, y compris la douche, puisqu’il en sortait et n’a pas jugé décent de la refaire avant d’aller à la rencontre de sa fille! C’est qu’il était pressé le Dominique, après que la bête ait parlé, après avoir obéi à sa libido, il avait à faire des choses autrement plus importantes : déjeuner justement avec sa fille, dont l’âge est plus proche de celui de Nafissatou que du sien, rejoindre quelques heures plus tard sa brave, belle et richissime épouse. Cette aventure là n’est, à ses yeux, qu’un petit incident sans importance, même si les dégâts laissés sont considérables. En effet les traces de sa pollution remplissent le champ de bataille. On a découvert des sécrétions biologiques humaines qui lui ont été attribuées dans cinq zones à l’entrée de la suite 2806, sur l’uniforme de la femme de chambre (dont trois traces sur le col !), sur la bande élastique de ses deux collants et sur sa culotte. Sans compter des traces de sang qui sont, bizarrement, celles de DSK lui-même.

Ce n’est pas un homme ce monsieur, c’est un bouc ! Tout ce qui est féminin le met en émoi, réveille des pulsions que son camarade de parti, Michel Rocard, qui le connait bien quand même, dit « incontrôlables ». Les Africaines, c’est un peu sa spécialité, il en a fréquenté tous les genres. Il se raconte encore dans la police, à Dakar, l’aventure qu’il aurait eue avec une prostituée sénégalaise qui, petite futée, lui aurait piqué son portefeuille. L’affaire avait été étouffée : il était ministre de la République française et, en Afrique, la France doit être irréprochable. Il avait donc jugé plus sage de faire comme les Africains : il s’était offert un « deuxième bureau », une petite négresse qui avait accepté de vivre à l’ombre et qui lui reste encore fidèle ! Elle a eu bien de la chance, Irène, cette furie venue des chaudes Caraïbes, elle est arrivée à New York après son départ, sinon qui sait ce qu’il en aurait fait !

Qu’importe tout cela ! La seule question que s’est posée le procureur est celle-ci : DSK a-t-il commis un viol dans la suite 2806 ? Vance Jr ne dit pas qu’il n’y a pas eu viol, il se contente d’interpréter au bénéfice de l’accusé tous les signes qui auraient pu attester cet acte, y compris les « rougeurs » (les blessures ?) sur le corps de la plaignante et sa « déchirure musculaire », constatées par les experts. « Puisqu’on ne peut pas prouver qu’ils proviennent d’une agression, j’en conclus, dit-il, que ce n’est pas une agression… Et puisque je ne peux pas croire la plaignante, je ne demanderai pas au jury de le faire, ni même de prendre connaissances des accusations et des preuves ». Cyrus Vance Jr ne connait pas ce proverbe pulaar : « quand il n’y a pas de témoin, on suivra l’intelligence », ou, si on veut, la logique, et celle-ci oblige à reconnaître qu’une relation aussi précipitée, entre des êtres doués de raison, peut être difficilement considérée comme une relation « consentante ».

Si DSK ne l’a pas violée, alors a-t-il « séduit » la femme de chambre, comme il a l’habitude, nous dit-on, de séduire les bourgeoises et les intellectuelles ? Certainement pas ! Parce que séduire une femme suppose qu’on lui a laissé le choix, la possibilité de dire non, qu’on a usé d’arguments convaincants, et, dans le cas de Nafissatou Diallo, que DSK a pris le temps de se faire connaître, de la persuader et surtout de la rassurer. Mais lorsqu’on est le fonctionnaire le mieux payé de la capitale de la nation la plus riche du monde, qu’on peut se payer une suite à 3000 dollars la nuit et qu’on dit à une servante quasi apatride qui ne gagne pas cette somme au bout d’un mois de dur labeur : «Couche toi- ! », elle n’a pas d’autre choix que d’obtempérer. Il suffisait à DSK d’appeler la direction de l’hôtel et de formuler la plainte la plus minime contre la femme de chambre pour que celle-ci perde sa place. La situation de Nafissatou Diallo est exactement la même que celle de cette collaboratrice hongroise de DSK au FMI qui l’avait accusé d’avoir « abusé de sa position » pour profiter de ses charmes. « J’étais, a-t-elle avoué, perdante si j’acceptais, perdante si je refusais ! ». C’est dire que dans l’hypothèse qui lui est la plus favorable, DSK aura, pour le moins, exercé un viol moral sur la femme de chambre, à moins qu’il ne l’ait traitée comme une prostituée et payé ses services. Dans les deux cas, son comportement ressemble plus à celui d’un tortionnaire ou d’un esclavagiste qu’à celui d’un Don Juan au charme irrésistible. Du reste, s’il a la réputation d’être un homme à femmes, la plupart de ses conquêtes, à commencer par son ex collaboratrice hongroise, le décrivent comme un « dragueur brutal, lourd et macho ».

Le malheur de la plaignante c’est, nous dit-on, qu’elle a menti, de façon récurrente, répétée. Le procureur a du, pour en fournir la preuve, s’appuyer sur des éléments périphériques qui n’ont rien à voir avec l’incident : elle aurait, notamment, menti aux services d’immigration. Mais mon pauvre monsieur Vance, tous les Africains qui veulent émigrer, ou seulement se rendre en Europe et en Amérique mentent. La plupart des « réfugiés » mauritaniens accueillis dans votre pays n’ont jamais foulé le sol de la Mauritanie. Des jeunes filles menacées d’expulsion en France se font écrire des lettres, en pure connivence, par leurs grand’mères restées en Afrique qui les menacent d’excision ou de mariage précoce. Nous trichons sur notre âge, comme trichent les jeunes gens pressés d’aller à la guerre, de peur que celle-ci ne s’achève sans qu’ils aient eu l’occasion de tirer leur premier coup de feu. Les relevés de banque, les réservations de billets d’avion que nous présentons dans vos consulats sont souvent faux, établis dans le seul souci d’obtenir un visa. Nous vous mentons parce que vous ne croyez pas à ce qui nous semble plus important que le papier : notre parole. Vos consulats auraient été mieux inspirés si, au lieu de nous faire remplir des formulaires, ils nous proposaient de leur donner notre parole d’honneur. Nous vous mentons pour protester contre cette injustice qui veut que notre porte vous soit toujours ouverte sans conditions ni restrictions et que la votre ne s’entrebâille que sous des conditions souvent humiliantes. Nous vous mentons, la conscience tranquille, parce qu’il s’agit d’un jeu dont vous fixez et changez les règles à votre guise et que vous ne nous laissez pas d’autre choix pour exprimer notre droit à circuler et notre aspiration à fuir la misère. Vous ne pouvez pas comprendre cela parce que vous ne savez pas la différence entre la langue de la bouche, celle qui s’exprime sur nos papiers, et celle du ventre, qui est moins loquace. Nous sommes plus choqués par d’autres mensonges, autrement plus meurtriers et restés pourtant impunis, comme celui de Bush Jr sur les armes de destruction massive, qui a fait des milliers de morts (dont des Américains) et démantelé l’Irak.

Si les antécédents de la femme de chambre ont été passés au crible, ceux de DSK, homme public dont les faits et gestes foisonnent dans la presse, ont été ignorés par le procureur. Pourtant, nous l’avons dit, des témoignages abondent qui disent que DSK est, un « dragueur de manière très lourde », un amant violent, trop pressant, « qui frôle le harcèlement », insatiable, qui n’épargne ni ses employées ni les amies de ses enfants. A cause de lui et de ses frasques, avouées, au FMI, le harcèlement est devenu un motif de licenciement au sein de l’institution. Au moment où il défraie la chronique, aux Etats-Unis, une autre femme, en France, l’accuse de viol… A moins qu’on ne considère que la femme est toujours responsable dans les affaires de sexe. Enfin, mensonges pour mensonges, qu’en est-il des mensonges, périphériques certes, mais qui, dans son cas ne sortent pas du sujet qui nous occupe, qu’il a entretenus avant l’incident de la suite 2806 ? Avait-il confessé à sa chère et très dévouée épouse son « deuxième bureau » africain, son aventure avec la meilleure amie de sa fille, et son comportement de hussard avec la mère de celle-ci ? Avait-il confié à ses collègues du FMI qu’au sein même de l’institution, il usait de son autorité pour entretenir des liens inavouables avec une collaboratrice mariée, qui en perdra sa place ? Le procureur Vance a fait une impasse sur le passé de DSK parce qu’en Occident tromper sa femme, se livrer à des ébats, dans son bureau, avec une collègue ou avec l’amie de sa femme est une affaire « privée » qui ne prête pas à sanctions, alors qu’appeler « frère » un homme avec lequel on n’a ni le même père ni la même mère, comme nous avons l’habitude de le faire, est un crime abominable. Ce que l’avocat de DSK traduit par ces mots : « Si on fait quelque chose de déplacé, on n’est pas pour autant poursuivi en justice ! »

Au fond « l’affaire DSK- Nafissatou Diallo » est d’abord un débat culturel et la meilleure preuve est notre gêne à en parler et à user des mots crus qui l’encombrent. L’Africaine, la femme de chambre, qui se dit victime, est condamnée à se cacher de sa famille, parce qu’on a « versé son visage », quel qu’ait été par ailleurs son rôle dans cette histoire. Dans sa culture, faire la une des journaux, c’est en soi une indécence ! Peut-être ne rentrera-t-elle jamais dans son pays : elle dit avoir été violée, et pourtant, c’est elle qui a honte. Dominique Strauss-Kahn, le brillant Occidental, qui a reconnu ses galipettes, fait annoncer son retour en France par les médias, est accueilli par la presse, il est escorté de motards à son arrivée, les chaines de télévision se disputent ses interviews : c’est un héros, et beaucoup lui prêtent encore un destin national. Sa mairie, Sarcelles, se préparait même à le fêter, sans préciser laquelle de ses prouesses suscitait tant d’admiration. S’il nie avoir commis un crime, il reconnait ses « erreurs de jugement », son inconduite irrespectueuse vis à vis de sa femme et de l’institution qu’il dirigeait, leur a présenté ses excuses, deux fois en trois ans pour la même faute. Pourtant il est tout sourire et surtout fier comme Artaban.

On l’oublie souvent : un homme se définit aussi par ses hontes.

Si DSK avait été africain, si le directeur du FMI s’appelait Mamadou Ndiaye ou Kouakou Koffi et s’était vu accuser de viol et d’agression sexuelle dans un palace de Paris ou de Zurich par une femme de chambre portugaise, ce sont tous les Africains, voire tous les Noirs, qui seraient placés sur le banc d’infamie. Tout comme le crime d’un membre présumé d’AL QAÎDA est mis sur le dos de tous les musulmans. La « faute » de DSK, toute vénielle selon ses amis, n’est qu’une imprudence personnelle, elle n’est imputable ni à son parti, le PS, ni à son pays, la France, ni, évidemment, à l’Occident blanc ! Cela aussi est une leçon : seul le citoyen du Nord a le suprême privilège d’être lui-même, nous autres du Sud, ne sommes que des échantillons d’une série.

Pourtant, si quelqu’un méritait d’être fêté c’est bien Nafissatou Diallo. Par la France, parce que grâce à elle, la patrie de Charles De Gaulle a peut-être échappé au risque de voir ses secrets divulgués sous l’oreiller et de tomber dans une « berlusconisation » désastreuse pour sa réputation. Par Anne Sinclair, parce que la guinéenne lui a permis, pendant quatre mois, d’être la seule à partager le lit de son mari.


mardi 13 septembre 2011

DE L'USAGE ELECTORALISTE DES CONDOLEANCES...

NB : Le texte qui suit a été publié dans "Le Nouvel Horizon" du 2 septembre 2011

Jamais encore au Sénégal un président de la République n’avait eu cette idée de génie : se servir de la cérémonie rituelle, et quasi mythique dans notre pays, que constitue la présentation de condoléances comme d’un artifice électoral pour faire remonter une popularité déclinante ! C’est du génie parce que la mort est un filon inépuisable, un évènement qui ne connait pas la crise, et que pour peu que le chargé des nécrologies au Palais reste à l’affut de ce qu’en pulaar on appelle « l’inévitable paix », le Chef de l’Etat a de quoi s’occuper jusqu’aux prochaines élections. En l’espace de quelques semaines, il s’est donc plié à cet exercice productif, plus souvent qu’il ne l’a jamais fait jusqu’ici, plus fréquemment que Diouf en dix ans. Ces déplacements intempestifs et médiatisés ne sont pas l’expression d’une compassion à fleur de peau, ils constituent le lancement prématuré d’une campagne électorale. Le Président de la République ne se déplace pas pour rendre hommage à des personnalités publiques, à d’illustres serviteurs de l’Etat, il n’exerce pas sa mission de premier citoyen du pays, chargé donc de mettre en exergue les services rendus à la nation. La démarche est à la fois privée et sélective. Mais d’une certaine manière, les morts eux-mêmes ne sont pas la première préoccupation, ce sont les vivants qui sont la cible de ce marketing, ceux qui reçoivent les condoléances et dont on attend en retour qu’ils manifestent avec ostentation leur engagement à renvoyer l’ascenseur à leur illustre hôte, à la première occasion, et pourquoi pas justement aux présidentielles de 2012 ? Ils ne sont donc pas choisis au hasard : ils sont « communicateurs », porteurs de voix, alliés trahis ou abandonnés et qu’on compte reconquérir, des hommes et des femmes d’influence dont les voix, le ndigel pour certains, peuvent peser sur la balance électorale. Le rituel de cette tournée des deuils, est immuable et éminemment politicien.

Il y a d’abord le cortège de motards, de limousines et de courtisans : ces visites-là, toutes privées qu’elles soient, ne se font pas dans la discrétion, la nuit ou en catimini, il faut au contraire montrer que c’est la République qui se déplace dans toute sa munificence. On attend évidemment des hôtes qu’ils ameutent le ban et l’arrière ban de leurs relations pour que la manifestation ne passe pas inaperçue.

Il y aussi ce qu’on appelle pudiquement au Sénégal les « enveloppes » qui sont loin d’être destinées à recevoir des timbres et qu’on enfonce précieusement dans la poche pour en vérifier le contenu à l’abri des regards. Sans garantie que le montant reçu soit le montant annoncé : depuis l’affaire Segura, on sait que les remplisseurs d’enveloppes du Palais n’ont pas la rigueur d’une caissière de la City Bank. C’est en somme au petit bonheur (la chance)…

Il y a enfin les discours, écrits ou pour le moins inspirés par le donateur, qui transforment vite le deuil en « xawaare ». Mais au diable la tristesse : c’est à l’aune des éloges que l’on fait à l’illustre hôte que sera calculée la récompense, et les médias d’Etat, caisse de résonnance du pouvoir, porteront leurs mots dans tous les foyers. L’expérience a montré qu’un éloge bien envoyé peut valoir à son auteur un poste ministériel ! On peut donc dire, en reprenant les termes d’une publicité bien connue, que les logorrhées qui accompagnent ces cérémonies ne coûtent pas cher, sinon l’honneur, qui n’est plus dans notre pays qu’une denrée bien démonétisée, et qu’elles peuvent rapporter gros.

Hélas, il n’y a pas que le M23 qui complote contre le pouvoir : en déversant ses vannes sur Dakar, le Ciel lui-même a saboté ce qui devait être la mère de ces « condoléances-movies » et rassembler, nous avait-on promis, un million de personnes, ou mieux encore, un million de voix.

Mais les condoléances ne sont, peut-être, qu’une étape. Si d’aventure ces escapades mortifères s’avéraient insuffisantes pour combler le gap de voix qui s’élargit tous les jours avec la défection des souteneurs et des alliés, peut-être que les stratèges du Palais en viendront un jour à élargir l’assiette des visites présidentielles : le Chef de l’Etat pourrait ainsi se rendre aux baptêmes et aux mariages, avec cet avantage que nul ne serait tenu d’afficher une mine éplorée et qu’on peut convoquer le sabar sans mauvaise conscience. D’ores et déjà, il multiplie les cibles en conviant à son bureau des personnalités issues de tous les milieux et de tous les bords. Dans les six mois qui nous séparent des élections, il ne serait pas étonnant que le Palais soit si encombré de visiteurs alléchés que cela nécessite la mise en place d’une brigade spéciale de gendarmerie. Le président ne vient-il pas de couvrir de présents un lutteur, non pas un champion blanchi sous le harnais et qui se prépare à une retraite désargentée, mais un jeune espoir qui a la vie devant lui et dont il a brisé les ailes en compromettant sa réputation. L’intéressé a du reste compris sa bourde en revenant sur ses premières déclarations. Sur la même lancée, le Président a accueilli à sa table royale deux cents imams, dont aucun n’est dans le besoin, et dont chacun serait ressorti du Palais les poches lestées de 250 000 F minimum selon la presse. A titre de comparaison, le coût global de cette agape représenterait trois mois de fonctionnement de l’hôpital de Ziguinchor dont le budget n’a pas augmenté depuis dix ans. Le film de ce festin, au soir d’une journée censée être un moment de privation et de sacrifice, diffusé en même temps que les images montrant le désarroi, la grande détresse, des milliers de sinistrés des banlieues et des régions, est d’une cruelle indécence.

Il y a au moins un record que notre pays n’est pas prêt de perdre : c’est celui du montant qu’un Président élu démocratiquement peut consacrer à des libéralités dont aucune ne répond à une urgence…

Et pourtant, on a bien tort de faire porter la responsabilité de ces dérives au seul Chef de l’Etat. Le vrai problème, c’est qu’aujourd’hui, au Sénégal, on ne se bat plus pour la justice, on se bat pour des privilèges, et que Wade est convaincu que tous les Sénégalais sont à vendre. C’est le propre des fins de règne : il faut prendre sa part avant le déluge, s’octroyer une assurance tous risques contre des changements que l’on sait inéluctables. Le Chef de l’Etat n’a plus les moyens de dire non et tous ceux qui, bousculant toute hiérarchie, se précipitent dans son bureau ou dans sa salle des banquets, jouent sur cette corde. La gangrène a gagné tous les corps de métiers et tous les pans de la société, y compris les plus improbables. Lorsqu’une congrégation qui a l’ambition de constituer un 4e pouvoir et qui, dans sa majorité, ne ménage guère le chef de l’exécutif, soutire néanmoins à celui-ci des dérogations qu’il ne peut accorder à d’autres corps de métiers, elle participe à installer l’injustice et à décrédibiliser l’effort et la rigueur. Pire, peut-être, elle devient redevable de celui dont elle est censée contrôler l’action et n’a plus que le choix entre l’ingratitude et une indulgence coupable.

C’est pour cela que l’enjeu des élections présidentielles de février 2012 ne doit pas se réduire à remplacer un homme par un autre, quelles que soient les qualités de ce dernier. Elles doivent ouvrir la voie à un réarmement moral des gouvernants comme des citoyens de ce pays. C’est pour cela que nous rêvons d’une Société pour la Propreté du Sénégal, non pour ramasser des ordures, mais qui aurait l’ambition de nous débarrasser de toutes les pollutions qui rendent irrespirable l’atmosphère politique et sociale du Sénégal…et de la mauvaise conscience innocente qui menace de nous étouffer.