Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

jeudi 30 décembre 2010

LE "SYNDROME TANDJAN"

Le « syndrome Tandjan » c’est cette espèce de pulsion, ce grain de folie, qui saisissent les hommes politiques au bout d’un parcours tous comptes faits honorable, et les poussent à commettre une erreur fatale. Tout allait bien pourtant, ils avaient presque réussi à franchir tous les obstacles d’une carrière difficile, ils allaient pouvoir quitter les affaires avec l’assurance de bénéficier d’une retraite confortable, même si elle n’est pas forcément glorieuse, et voila qu’un démon les pousse soudain à vouloir plus, et souvent à demander l’impossible. Poussés généralement par un entourage qui les tient en otage, ils lâchent le poisson qu’ils tenaient fermement dans leurs mains au profit de celui qu’ils croyaient enserrer dans leurs pieds.

Mamadou Tandjan avait été président de la République à deux reprises et la deuxième fois avec les voix de 2/3 des électeurs. Il pouvait se vanter d’avoir été le premier président élu démocratiquement du Niger, d’avoir surmonté plusieurs crises dont celle qui l’avait opposé à un Premier Ministre plus enclin à jouer Poutine sous Medvedev que Debré sous De Gaulle. Ce n’était certes pas un génie politique mais il paraissait bien rassurant dans ses boubous brodés et ses airs de notable sage. Il était sur le point d’achever le dernier mandat qui lui était autorisé, avait encore assez d’entregent pour pousser au devant de la scène un successeur de son choix, assez de mérite pour servir de valeur refuge, donner son nom à un édifice prestigieux. Mais voila, ça ne lui suffisait pas, ça ne lui suffisait plus. Il lui fallait terminer son « œuvre », comme si Napoléon ou Alexandre avaient eu ce privilège, comme si un mandat présidentiel était une tapisserie qui n’avait de valeur que lorsque le dernier carreau était tissé. Pour deux ou trois années de rallonge il a mis la démocratie en danger dans son pays, fait basculer le Niger dans la sédition, risqué sa vie et pour finir perdu le pouvoir, y compris les quelques mois qui manquaient à son mandat. Il en est réduit aujourd’hui à mendier sa liberté et, peut-être, sous peu, ses moyens de subsistance.

Amadou Toumani Touré a, prémonitoirement, échappé au syndrome Tandjan. Dix ans après son bref intérim, il est revenu au pouvoir, cette fois légitimé, auréolé par une décennie de VRP des grandes causes. Ce capital de sympathie lui a permis de gouverner depuis dix ans, sans même se donner la peine de s’inféoder à un parti, ce qui est une prouesse, surtout pour un militaire qui n’a ni la fougue ni le charisme de Sankara, ni l’insolence d’Obasanjo.

Laurent Gbagbo n’a pas pu, lui, résister au syndrome Tandjan. C’était pourtant un miraculé des remous qui accompagnent toujours les changements de régime. Il avait été élu dans des conditions troubles, en deux étapes, sauvé par la persévérance de la Commission électorale indépendante qu’il dénigre aujourd’hui, et par le revirement des chefs militaires. Le vote n’avait mobilisé qu’un tiers des électeurs, était contesté par une partie de l’opposition et la proclamation des résultats avait fait des centaines de morts. Qu’importe, on lui pardonnait tout : il était « l’homme courage », l’opposant historique. Il avait réussi à contenir la guerre civile, avait usé les Premiers ministres qu’on lui avait imposés avant de s’en choisir un parmi ses plus virulents adversaires !Il avait même réussi ,après avoir terminé son mandat, à profiter des désordres et des malentendus pour s’octroyer, en fraude, tout un mandat, en faisant reporter les élections à six reprises. Le monde entier, y compris ses adversaires, était prêt à oublier ses ruses et ses reniements, peut-être même à passer en pertes et profits les assassinats, les escadrons de la mort, les casses de banques, les scandales financiers, pourvu qu’il accepte enfin de se plier à l’expression de la démocratie. Il n’avait rien ou presque, à perdre : il était resté au pouvoir plus longtemps qu’aucun président américain, Roosvelt excepté, il était à priori, mieux armé que ses rivaux puisqu’il contrôlait tous les moyens de l’Etat, et même s’il perdait, il pourrait partir auréolé du prestige d’avoir été l’homme des changements, d’avoir organisé les élections les plus transparentes, les plus encadrées de l’histoire de la Côte d’Ivoire.

Eh bien c’est raté ! Gbagbo a ruiné son image de militant du progrès et de la démocratie et tôt ou tard, il va aussi perdre la face et, surtout, car c’est ce qui compte le plus pour lui, le pouvoir. Pour l’éternité il ne sera plus que le président qui avait mis contre lui la majorité de son peuple, sa région, son continent, l’ONU et le FMI, la Francophonie et les organisations des droits de l’Homme. Qu’il évite au moins cette infamie : passer aussi pour le Milosevic africain !

Abdoulaye Wade échappera-t-il au syndrome Tandjan ? Tout porte à croire que c’est non, parce que ce virus a ceci de particulier que ce sont souvent les « gens qui vous veulent du bien » qui vous l’inculquent. Voila pourtant un homme qui lui aussi peut se vanter d’avoir été le président le mieux élu de l’histoire du Sénégal, même si le mérite en revient plutôt à son peuple et à son prédecesseur.Il a fait deux mandats, ce qui n’est pas si mal pour un homme qui est arrivé au pouvoir à l’âge où d’autres, Senghor en particulier, préfèrent s’en défaire, pour prendre volontairement, la retraite. Il peut se vanter de n’être pas passé inaperçu, dans son pays comme à l’étranger. Il a largement profité de sa situation, avec un train de vie royal, en mettant toute sa famille au cœur du pouvoir, en enrichissant ses amis, usant du trésor public comme d’un bien propre. Il aura le privilège d’avoir réalisé de grandes œuvres, même si leur opportunité, leur coût, sont contestés, et surtout, d’avoir conduit à terme deux projets symboliques, l’un conforme à sa nature, l’aéroport de Diass qui est un vieux rêve, et le Fesman qui n’est qu’une manière de régler ses complexes vis-à-vis de Senghor. Bref il n’a plus rien à prouver, il peut espérer que son parti, encore puissant, ses lieutenants dont beaucoup ont hérité de son bagout, la clientèle qu’il s’est constituée dans les milieux les plus influents, souvent à coups de mallettes d’argent, les anciens ennemis retournés et qui n’ont plus d’autre choix que de rester collés à ses basques, assureront à celui qu’il aura adoubé les meilleures chances de lui succéder, de défendre les intérêts de ses proches, de le protéger, éventuellement, contre les poursuites judiciaires. Il a donc devant lui une voie royale : celle que Mandela avait choisie et qui consiste à lâcher le pouvoir avant qu’il ne vous lâche. Depuis Cincinnatus personne n’avait trouvé mieux.

Mais c’est justement quand il y a une solution évidente, honorable que la tentation de céder au syndrome de Tandjan est la plus forte. Dans le cas de Wade il suffisait d’un petit coup de pouce car l’homme se croit indispensable, ce qui est la plus grande faiblesse d’un homme politique. Pour le mettre en appétit ses admirateurs se sont posé la question : quel était son point faible ? Son âge, bien sûr ! Alors, à l’unisson, ils ont tous scandé : cet homme de 84(86 ?) ans a la vigueur d’un adolescent, il pourrait courir le marathon de New York, il a reçu de Dieu un cerveau inaltérable et l’exercice du pouvoir n’a usé aucun de ses ressorts. C’est plus qu’un mensonge, c’est une farce tragique comparable à celle illustrée par les généraux de la Grande Armée qui au soir du désastre subi par Napoléon en Russie ne trouvèrent à inscrire sur leur registre que ces mots : « l’Empereur ne s’est jamais porté aussi bien ! » .Ils sont donc tout unanimement tombés à bras raccourcis sur celle qui avait osé dire que Wade était usé et malade. Pourtant c’est une évidence : Wade est malade ! Il a même une maladie incurable et cette maladie s’appelle justement la vieillesse. Il en est même le patient le plus illustre puisqu’il est déjà le plus vieux chef d’Etat du monde. Le mal est d’autant plus grave qu’il n’est pas un Président pour inaugurer des chrysanthèmes : il est le pouvoir à lui tout seul, il est, disent ses fidèles « la seule constante ». A moins de trouver un Méphistophélès capable de lui redonner les artères de ses vingt ans (mais à quel prix !) il n’y a pas d’autre solution pour lui que de reconnaitre la réalité : le Wade de 2012 n’aura pas la vigueur de celui de 2000 et cela ne s’arrangera pas. Finie l’ère de la Caravane bleue, déjà on ne le voit plus escalader l’échelle de coupée des avions, il visite les chantiers assis sur un fauteuil, ses décisions ressemblent étrangement à des caprices et à Ndjamena on l’a vu pour la première fois bafouiller et s’empêtrer dans les chiffres.

Voila pourquoi le débat sur la constitutionnalité d’un troisième mandat peut paraitre superfétatoire. La question n’est plus de savoir ce que Wade va faire, mais comment il va finir, pour lui le passé compte désormais plus que l’avenir. Si le Conseil Constitutionnel se prononce contre sa candidature, en exerçant sa liberté d’appropriation ce serait une triste fin que celle d’un président qui après avoir profité de la transparence, en serait devenu la victime. Si la même institution approuvait en revanche sa candidature, contre l’évidence et contre l’avis de tous les spécialistes, ce serait encore plus triste : l’opposant d’un quart de siècle, celui qui avait symbolisé le combat pour la liberté d’expression terminera sa carrière revêtu du manteau de putschiste. S’il en était ainsi Wade aurait suivi un parcours déroutant : il serait arrivé au pouvoir, la tête haute, comme un héros de l’alternance démocratique, en le quittant, démonétisé, il ne serait plus que l’illustration de l’acharnement des dictateurs à le conserver à tout prix.

A l’âge où vous êtes Monsieur Wade, il vaut mieux être généreux que têtu !

lundi 1 novembre 2010

LA FRANCOPHONIE, ABDOU DIOUF, ET L’AVENIR DU FRANÇAIS EN AFRIQUE

Ce texte a été publié dans le Nouvel Horizon du 29 octobre

La Francophonie a tenu son XIIIe sommet à Montreux, dans un décorum moins chaleureux que lorsqu’elle tient ses assises en Afrique, et dans l’indifférence de la majorité des Suisses. Son sujet le plus médiatisé était l’élection du Secrétaire Général et c’est Abdou Diouf qui a été reconduit, sans surprise et sans concurrence : en Francophonie, on ne peut pas être battu quand on a le soutien de la France et du Canada-Québec, et Henri Lopès en avait fait la cruelle expérience. Ce qui est en revanche plus inquiétant pour une institution qui se veut de plus en plus politique et qui a pour vocation de préparer l’avenir, c’est qu’elle ait réélu à sa tête, et cette fois en connaissance de cause, un vieil homme qui a si peu de mémoire, alors que celle-ci est, dit-on (avec la patience et l’autorité), l’une des qualités essentielles en politique.

Bye Bye Sénégal !

Depuis qu’il a quitté le pouvoir, le deuxième président sénégalais s’est donné pour règle de ne jamais critiquer son successeur. S’il s’agit d’un deal, il est seul à le respecter, car pour sa part, Wade ne se prive pas de le tourner en dérision et Karim Wade cherche à se construire une réputation en dénonçant la gestion socialiste. S’il s’agit d’imiter Senghor ou de se conformer à ce qui se fait en Occident, c’est oublier que les vieilles nations européennes reposent sur un socle démocratique vieux souvent de plusieurs siècles, alors que dans nos Etats, les conquêtes démocratiques sont fragiles et toujours menacées. Un ancien Président de la République demeure un citoyen à part entière, qui conserve tous ses droits, y compris le droit d’inventaire. Jimmy Carter nous en a administré la preuve, il y a deux ans, en s’engageant auprès d’Obama et en participant à sa campagne. Ce n’est pas un hasard si, en France, les anciens présidents de la République sont membres de droit, et à vie, du Conseil Constitutionnel : le costume de chef d’Etat ne doit jamais être abandonné aux mites.

Dans ses déclarations à la presse et notamment dans une interview accordée au mensuel « La Revue », l’ancien Président de la République du Sénégal fait preuve au contraire à l’endroit de son pays d’une indifférence qui nous laisse perplexes. Les menaces qui pèsent sur la langue française comptent plus à ses yeux que celles qui obscurcissent le ciel de ses concitoyens et l’ont rendu insensible aux battements de cœur des Sénégalais. Il ne s’intéresse donc pas à la vie politique sénégalaise, et en donne la preuve en proférant cette contre-vérité : notre pays, dit-il, « est toujours une référence démocratique ». Ce n’est l’avis ni des institutions de surveillance des droits de l’homme, de la démocratie et de la liberté d’expression, ni des observateurs les plus qualifiés de la vie politique sénégalaise. L’impunité dont bénéficient plusieurs personnes de l’entourage de Wade, les tripatouillages de la Constitution, « vidée de toute sa substance » selon le mot d’un orfèvre en la matière, El Hadj Mbodj, les projets de « dévolution dynastique » stigmatisés par toute l’opinion, les restrictions apportées au code des marchés publics et de façon générale au pouvoir des institutions chargées du contrôle du train de vie de l’Etat dénoncées par les bailleurs, la laïcité en péril…, tout cela n’émeut guère M. Diouf. Il ne se soucie pas de la préservation des acquis que la pression populaire avait imposés à son gouvernement, du combat que mènent ses amis, et ceux qui lui sont restés fidèles, pour défendre son bilan. C’est comme si, en quittant le pouvoir, il y a dix ans, il avait lancé « Bye Bye Sénégal ! », sans même oser dire à son successeur : « Vous aviez bâti votre campagne sur le changement : cela vous prive du droit de répéter mes erreurs ! ». Lui qui aurait pu en remontrer à Wade pour lui avoir administré une leçon d’alternance démocratique, est devenu son obligé bienveillant, trop bienveillant.

Itinéraire d’un enfant gâté

Le long état de grâce dont il a bénéficié auprès de ses concitoyens, restés nostalgiques et peut-être aussi tétanisés par les échecs de l’Alternance, se justifie-t-il encore ? Son départ avait été un modèle du genre et semé beaucoup d’espoirs, mais aujourd’hui, sa retraite parisienne, marquée par la démobilisation et le silence, prend l’allure d’une désertion. On peut ne pas parler de Wade ou de son fils, sans pour autant se taire sur tout ce qui se passe au Sénégal, et conserver le précieux droit d’indignation. Lorsque Mandela a rendu visite aux sidéens de Johannesburg et enfilé leur T-shirt, il a fait plus que désavouer Mbekki, il a démoli un tabou, il a remis l’Afrique du Sud dans le chemin qu’il lui avait tracé. Ne pas parler de Wade, ce n’est pas non plus priver le pays de sa compassion : A. Diouf n’était pas aux côtés des parents des victimes de la plus grande catastrophe maritime de l’Histoire, en temps de paix, on ne l’a pas vu non plus marquer, par sa présence, sa sympathie aux victimes des catastrophes naturelles, pas même des naufragés des inondations de la ville de son enfance, Saint-Louis. Et que dire des « orphelins » qu’il a laissés derrière lui ? Il entame le dernier mandat public de sa vie et ce serait bien triste qu’il ne laisse que le souvenir d’un gestionnaire, sous surveillance, d’un patchwork culturel, alors qu’il a eu entre ses mains le destin de tout un peuple.

Voila, en effet, un homme qui a occupé des fonctions de niveau ministériel pendant un lustre, a été Premier Ministre pendant dix ans, puis Président de la République durant vingt ans. Il est probablement le seul sénégalais à avoir eu le privilège, de l’âge de vingt cinq ans à son départ du pouvoir à soixante cinq ans, d’avoir toujours été pris en charge par son pays. Il n’a donc jamais eu à conduire une voiture et à se préoccuper de carburant, à payer son loyer, une facture d’électricité, d’eau, de téléphone, à s’acquitter de loyer. Il n’était pas le chef du parti majoritaire en 1970 lorsqu’il fut nommé Premier Ministre, il n’a pas été élu en 1980 lorsqu’il a accédé aux fonctions de Président de la République. Dans ces deux occasions, son seul vrai atout, c’était le bon plaisir du Roi. Quand on a tant reçu de son pays, on lui fait don de sa personne, on reste à l’écoute de ses besoins, on sacrifie ce qui vous reste de vie pour être le gardien intransigeant de son image et de ses intérêts, on ne fait pas le serment de se taire même lorsqu’il est aux abois.

Diouf ne sert donc plus que la Francophonie. Sera-t-il, au terme de son dernier mandat, plus vigilant sur son sort qu’il ne l’a été à l’égard du Sénégal ? Réussira-t-il au moins à la changer, à faire cesser ce « ronronnement » que raillait Calixthe Béyala, à passer de la défense d’une langue à un engagement politique non discriminatoire ? L’OIF, quoiqu’on en dise, n’est pas le lieu privilégié pour débattre de la réforme du FMI ou de la place de l’Afrique au sein du Conseil de Sécurité, sauf à offrir une tribune à des politiciens en mal de popularité. Faut-il le rappeler : en termes d’influence, ses 70 membres pèsent moins lourd que les 4 pays du BRIC (Brésil-Russie-Inde-Chine). Le sommet de Montreux, premier sommet tenu depuis le drame haïtien de janvier 2010 n’avait pas pour sujet : « Comment sauver Haïti ? », il avait pour thème : « Défis et visions d’avenir pour la Francophonie », ce qui est bien moins prosaïque et peut prêter à de belles joutes oratoires. Pourtant au delà de ces grandes idées, l’OIF doit faire face à des défis spécifiques, les seuls qui peuvent justifier son existence et qui, malheureusement, sont rarement étalés au grand jour, parce qu’elle a toujours préféré le politiquement correct à l’impertinence. Pour cela évidemment A. Diouf est parfait. C’est pourtant en bousculant certains stéréotypes, dont elle a du mal à se défaire après 40 ans d’existence, qu’elle peut offrir une plus-value, par rapport aux autres organisations. L’un de ses enjeux c’est de prouver qu’on peut instaurer l’égalité entre des nations d’inégales fortunes, d’être, enfin, une institution paritaire au sein de laquelle aucun pays n’impose sa loi aux autres. Elle s’émeut périodiquement des violations des droits de l’homme en Afrique, mais on ne l’a guère entendue condamner les dérives droitières en Europe ou la stigmatisation des étrangers en France où désormais délinquance rime avec immigration. Elle laisse croire que si les Africains peuvent s’instruire à connaitre les arcanes de la vie des Européens, l’Afrique n’offre d’intérêt pour l’Occident que par ses extrêmes, comme nous le rappelle chaque jour TV5 Monde. « La chaine francophone internationale, opérateur de la Francophonie », diffusée partout dans le monde, propose chaque jour à ses téléspectateurs, les journaux télévisés complets de la France (France2), de la Suisse romande, de la Belgique (Communauté française) et du Canada. Le réseau étant gratuit, chaque africain francophone peut ainsi suivre, au jour le jour, les querelles tribales entre Wallons et Flamands, les votations suisses pour savoir si oui ou non les minarets seront autorisés et autres faits croustillants de la vie des Grands Blancs. En revanche, aucune chaine de télévision africaine n’a droit à ce privilège, aucun montage des best-off des télévisions du Sud n’est digne d’intérêt. En somme, on nous offre de regarder vivre les Occidentaux, mais eux n’ont aucune occasion de nous juger sur nos propres pièces. On répète ainsi ce déni qui faisait que l’histoire de l’Afrique était inconnue des Français, par exemple, et qui a conduit au discours de Sarkozy à Dakar.

Le français, langue africaine

Un autre défi autrement plus important, c’est celui du « syndrome du franc ». La France avait créé le franc et puis l’a abandonné après six siècles et demi de bons et loyaux services, et aujourd’hui le franc est une monnaie africaine, fragile et anachronique ! Elle reste le propriétaire jaloux de l’état civil de la langue française, mais, dans une génération, à peine 10 % des locuteurs de cette langue seront des citoyens français ! Le français recule partout dans le monde, sauf en Afrique, et dans moins d’un demi-siècle, il sera essentiellement une langue africaine, parlée par un demi-milliard d’Africains. La France se retrouvera alors dans la situation du Portugal ou de l’Angleterre : elle ne sera plus la première nation à parler sa propre langue. Elle ne renoncera pas à celle-ci, mais il n’est pas exclu que se développe en dehors d’elle, voire contre elle, un français d’outre mer qui se passera de son Académie, tout comme l’américain et le brésilien se sont émancipés de leurs langues mères.

Mais ces prévisions, optimistes pour le prestige du français, supposent deux conditions.

La première est que la scolarisation se développe et se consolide dans les pays où le français est langue d’enseignement et qui ne représentent plus que le tiers de l’OIF. On pourrait dire, en plaisantant, que la France devrait prendre en charge les budgets des ministères de l’éducation de ces pays si elle veut assurer la survie et la progression des sa langue. A défaut, elle a, au moins, le devoir d’apporter un soutien massif, et intéressé, à leurs systèmes éducatifs, et la Francophonie pourrait être l’opérateur idéal de cette coopération. Elle n’y perdrait rien, car en matière de profit, l’investissement en éducation est l’un des plus rentables. Ce n’est pourtant pas sur ce chemin que semble s’engager la Francophonie, elle préfère lâcher les poissons qu’elle tenait par ses mains au profit de ceux qu’elle ne retient que par ses pieds. Elle compte désormais plus de membres que le Commonwealth, une obsession, et qu’importe si chez certains d’entre eux, le français n’est qu’une relique ou un luxe réservé à une petite élite. Les universités d’Afrique francophone sont en pleine décrépitude, mais la Thaïlande ou Chypre sont dans la Francophonie. A l’opposé, le Commonwealth compte 54 pays dont 51 sont issus de l’empire britannique : s’il avait été aussi « tolérant » que la Francophonie, il compterait aujourd’hui autant de membres que les Nations-Unies. La famille francophone n’est pas seulement moins homogène, est-elle-même efficace : pour la défense de la langue française, l’Ukraine combien de divisions ?

La deuxième condition est que le français reste attractif, utile et rentable, pour les pays qui constituent encore le noyau dur de la Francophonie. L’exemple du Rwanda qui, en quinze ans, a basculé dans l’anglophilie puis dans l’anglophonie est édifiant et démontre que la place du français en Afrique, où il a été imposé et non choisi, n’est pas irréversible. Il suffit de faire le tour de Dakar pour se rendre compte que le monde des affaires a déjà choisi : les salons de coiffure s’appellent « Family cut » et sur les enseignes des magasins, on trouve plus souvent « Down Town » ou « Manhattan Store » que « Café du Centre » ou « Rue de Rivoli ». Plus significatif encore est le désintérêt que manifestent étudiants et chercheurs, lassés ou exaspérés par les conditions fixées pour l’attribution de visas ou la brièveté des séjours accordés. Les hommes et les femmes qui demain seront aux commandes de l’économie et de la politique de nos pays seront majoritairement portés vers le grand large ou vers des pays dont les langues nous étaient étrangères.

Le monde compterait donc 220 millions de francophones en 2010, a-t-on clamé avec fierté à Montreux. Lorsqu’on tente, au Sénégal, de se servir de la langue de Molière dans les marchés et même dans certaines administrations, lorsqu’on écoute ou qu’on lit certains représentants de « l’élite » francophone sénégalaise, on a mal pour Senghor et, surtout, on se demande si la francophonie de l’OIF n’est pas toute virtuelle. La vérité, c’est que la raison nous pousse déjà vers des pays avec lesquels nous n’avions pas de contentieux historiques, et que, demain, c’est le cœur qui jouera contre la Francophonie.

Enfin pourquoi être plus royaliste que les rois : aucun média des pays francophones du Nord n’a accordé une place significative au XIIIe Sommet de l’OIF, et Sarkozy n’a passé que quelques heures à Montreux !

« OPUS NON GRATUM »

Le texte ci après est un manifeste, dont je suis co-signataire avec Abdoul Aziz Diop, Mandiaye Gaye, Mody Niang. Il a été publié dans plusieurs journaux dakarois (notamment La Gazette, Le Populaire, Kotch).


Des Sénégalais vivant au Sénégal, se complaisent à écrire et à publier des livres qui font l’éloge du Président de la République, qui expriment des points de vue favorables à l’action de son gouvernement et, dans certains cas, tracent une peinture élogieuse de sa famille et de son entourage.

C’est leur droit.

Leurs livres sont édités, quelquefois avec des moyens puisés dans le budget national, exposés et vendus dans les librairies de la place, et bénéficient pour leur promotion de campagnes de soutien, avec la présence des plus hautes autorités de l’Etat et des médias publics.

Nous en prenons acte et c’est un peu dans la culture du pays.

D’autres Sénégalais, vivant au Sénégal, prennent le risque d’écrire et de publier des livres plus ou moins critiques à l’égard du Chef de l’Etat et de ses collaborateurs, dans leurs fonctions de responsables publics, expriment des réserves sur la politique menée par le Président Wade et son gouvernement, s’attachent à mettre en évidence les dérives qui, selon eux, menacent le pays.

C’est leur droit.

Mais, contrairement aux premiers, ils voient leurs livres interdits d’entrée au Sénégal, lorsqu’ils sont publiés à l’étranger, confisqués par les services des douanes ou de renseignements dès leur arrivée aux frontières. Les libraires qui font la commande de leurs ouvrages sont harcelés, convoqués à la police, soumis au chantage, au point que tous ont renoncé à s’approvisionner auprès des éditeurs, privant ainsi les lecteurs de juger sur pièces. Dans les faits, ce sont tous les écrits politiques de ces « black-listés », quel qu’en soit le sujet, qui sont interdits de librairie, parce que soumis à des « vérifications » longues et injustifiées.

C’est faire deux poids deux mesures.

C’est une censure qui ne dit pas son nom, qui ne s’appuie sur aucune base juridique, qui est une atteinte à la liberté d’expression et une violation de la Constitution. C’est un désaveu flagrant des engagements du Président de la République et des déclarations du gouvernement. C’est un déni de justice et un signe de régression de notre politique culturelle. C’est un paradoxe au moment où notre pays se prépare à accueillir le Festival mondial des Arts Nègres, manifestation censée célébrer la créativité et la liberté d’expression recouvrées par les peuples noirs.

Cette situation perdure depuis des années sans émouvoir outre mesure les partis de l’opposition ou les organismes attachés à la défense des droits de l’homme et des droits des citoyens. Il est vrai que nous présentons le handicap d’être des Sénégalais et que notre pays nourrit ce vieux complexe qui nous rend plus sensibles aux déboires des étrangers venus du Nord qu’à ceux de nos concitoyens. La meilleure illustration en est fournie par des institutions locales renommées qui ont émis de vives – et justifiées – protestations contre l’interdiction de la vente d’un livre sur la Casamance publié par un chercheur français, alors qu’une vingtaine de livres d’auteurs sénégalais sont dans la même situation et n’ont jamais bénéficié d’un battage médiatique de cette ampleur.

C’est pour toutes ces raisons que nous, signataires de ce manifeste et, qui tous, à des degrés divers, avons été victimes de cet ostracisme d’Etat, en appelons à l’opinion nationale et internationale et à tous ceux qui sont respectueux des droits des citoyens pour que cesse cette iniquité. Le Président de la République avait dit ignorer que Tiken Jah Facoly avait été déclaré persona non grata au Sénégal : nous le prenons au mot. Sait-il qu’il y a des ouvrages, qui ne sont ni injurieux ni diffamatoires, écrits par des Sénégalais ou des connaisseurs du Sénégal, dont chacun est un « opus non gratum », un livre interdit d’entrée, de vente ou de lecture, ce qui est en soi un scandale en ce début du XXIe siècle ? Nous le rappelons donc solennellement aux engagements qu’il a pris devant la nation de faire respecter le droit d’expression de tous les créateurs de ce pays, tel qu’il est reconnu par la Constitution qu’il a juré de défendre.

Fadel Dia, Abdoul Aziz Diop, Mandiaye Gaye, Mody Niang

Les ouvrages suivants ont été victimes de cette politique culturelle discriminatoire :

1. Abdoul Latif Coulibaly : « Sénégal, Affaire Me Sèye : un meurtre sur commande », L’Harmattan, 2006.

2. Fadel Dia : « Wade–Mecum ou le Wadisme en 15 mots-clés », L’Harmattan, 2010.

3. Abdoul Aziz Diop : « Une succession en démocratie. Le Sénégal face à l’inattendu », L’Harmattan, 2009.

4. Mame Marie Faye : « L’immolation par le feu de la petite fille du président Wade : crimes, trahisons et fin du régime libéral ».

5. Mandiaye Gaye : « Le Sénégal sous Abdoulaye Wade. Banqueroute, corruption et liberticide », L’Harmattan, 2010.

6. Toumany Mendy : « Politique et puissance de l’argent au Sénégal. Les désarrois d’un peuple innocent », L’Harmattan, 2006.

7. Toumany Mendy : «Sénégal : politiques publiques et engagement politique. La classe politique au banc des accusés », L’Harmattan, 2008.

8. Toumany Mendy : « L’illusion démocratique en Afrique : l’exemple du Sénégal », L’Harmattan 2010.

9. Mody Niang : « Me Wade et l’Alternance, le rêve brisé du Sopi », L’Harmattan, 2005.

10. Mody Niang : «Qui est cet homme qui dirige le Sénégal ? », L’Harmattan, 2006.

11. Babacar Sall : « Le Stagiaire. Roman d’un Président de la République », L’Harmattan, 2007.

12. Papa Moussa Samba : « Le président Wade ou le génie solitaire », Editions Cjib, 2007.

13. Mamadou Seck : « Les scandales politiques sous la présidence d’Abdoulaye Wade », L’Harmattan, 2005.

14. Almamy Mamadou Wane : « Le Sénégal entre deux naufrages ? Le Joola et l’Alternance », L’Harmattan, 2004.

LULA ET WADE : L’OUVRIER ET LE COLLECTIONNEUR DE PARCHEMINS…

Luis Inacio Lula Da Silva termine un second mandat à la tête du Brésil : il a 65 ans, sa côte de popularité culmine à 80%, et pourtant, il quitte le pouvoir, respectant ainsi scrupuleusement, dans sa lettre et dans son esprit, la constitution de son pays. Il n’avait pas promis de creuser un tunnel sous l’Amazone, ni de relier Belém à Porto-Allègre par un TGV de 3000 km, et c’était pourtant dans les moyens de son pays classé 8e puissance mondiale. Ceux qui avaient voté pour lui, il y a dix ans, sont toujours à ses côtés, et d’autres, qui étaient hésitants, ont grossi la foule de ses admirateurs : il avait été réélu pour son second mandat avec 60% des voix et aujourd’hui quatre Brésiliens sur cinq lui expriment leur satisfaction. Pour se faire élire, la candidate de son parti, qui n’est ni sa femme ni sa fille, est obligée de s’abriter sous son ombre et d’assumer son bilan. Ses adversaires eux-mêmes reconnaissent ses conquêtes : ils ne promettent pas de tout changer, mais de faire mieux que lui.

Lula avait promis de lutter contre la faim et de réduire la pauvreté au Brésil et il l’a fait : ça paraît banal, mais c’est énorme. Il a donc sorti vingt millions de ses concitoyens de la misère et les a hissés au sein de la classe moyenne, il leur a redonné leur dignité d’hommes. L’assainissement de leurs lieux d’habitation, l’eau, l’électricité, des logements décents, le droit à la parole … ont fait d’eux des citoyens. C’est la mise en application d’une vérité exprimée il y a huit siècles par les sages du Mandé :

La faim est mauvaise,

Car l’affamé perd le respect de soi.

La misère est mauvaise,

Car le misérable perd son rang !

Lula avait donc compris cette pensée politique qui, pour la première fois sans doute, avait « mis en rapport la misère et l’abaissement », et c’est pour cela que sa popularité est restée intacte.

Il n’est pourtant pas « titulaire de dix licences », il n’est pas le premier sud-américain « diplômé d’économie et de mathématiques », il était ouvrier-tourneur, après avoir exercé les humbles métiers de cireur et de vendeur à la sauvette. Il n’a supprimé ni la violence ni la corruption, mais il est resté « le président des pauvres » et a su préserver son ancrage auprès de la population qui l’avait élu. Lui, l’ancien trotskiste, a préféré le concret aux expérimentations et spéculations socialisantes, aux utopies et aux éléphants blancs.

Il a défendu l’Iran dans ses droits sans rompre avec les Etats-Unis, et Barack Obama ne tarit pas d’éloges sur lui. Il a rendu visite à Israël, s’est incliné devant le Mémorial Yad Vashem, mais a refusé de se rendre sur la tombe de Théodore Herzl, le fondateur du Sionisme.

Il a conforté les liens avec ses voisins, sans mépriser les « petits Etats », dont certains sont 25 fois plus petits que le sien, et encouragé la réconciliation entre ses concitoyens, au point de passer, lui, pour un très convaincant nobélisable.

Wade et Lula s’étaient présentés aux élections présidentielles à plusieurs reprises sans succès, quatre fois pour le premier, trois fois pour le second. En accédant au pouvoir, Lula avait fait ce serment : « Le changement, voilà notre mot d’ordre. L’espoir a vaincu la peur, notre société a décidé qu’il était temps d’emprunter une nouvelle voie ». Avant lui, Wade avait usé de la même formule, « Sopi », et prononcé pratiquement le même discours lors de sa prise de fonction : « L’ère de l’exercice solitaire du pouvoir est terminé. Commence la République des citoyens ».

Mais là, sans doute, s’arrête la comparaison.

Wade a 84 ans avoués et compte se représenter en 2012, à 86 ans. Il avait pourtant dit en 2007 : « Je ne me représenterai pas à un troisième mandat parce que la constitution ne me le permet pas ». Mais si Lula marche sur les pas des sages mandés, lui foule aux pieds ce précepte africain qui dit que « la parole c’est comme de l’eau : quand elle se verse, elle ne peut plus être ramassée ». « Seuls les imbéciles ne changent pas d’avis ! », clame-t-il pour se justifier, mais ici, il ne s’agit pas d’avis, il s’agit du respect de la parole donnée, et il n’y a pas très longtemps, la violer pouvait conduire chez nous à une ordalie. Il sera donc candidat en 2012 (nous dit-il, mais le fera-t-il ?) : s’il est élu, et si Dieu lui prête vie, il terminera son dernier mandat à …93 ans. Jamais, dans l’histoire moderne, un homme n’a exercé le pouvoir présidentiel à cet âge. Bourguiba a été destitué à 83 ans et n’avait plus que quelques heures de lucidité par jour. Houphouët a gouverné la Côte d’Ivoire jusqu’à 88 ans et il lui arrivait de somnoler en plein conseil ministériel. Mais, surtout, ce dérèglement du pouvoir a alimenté rivalités et complots et plongé son pays dans l’anarchie et la guerre, au point que Gbagbo a exercé un mandat entier en pleine fraude, sans aucune base constitutionnelle.

L’acharnement du président Wade à demeurer au pouvoir, quel qu’en soit le prix, et à propulser son fils à la tête de l’Etat, sans qu’il ait subi la propédeutique qu’impose un tel challenge, font courir de graves périls à notre pays. Le pari du « Sopi », il le sait, est définitivement perdu, comme l’attestent les chiffres suivants, établis par les organisations les plus compétentes :

· selon le classement établi par Reporters Sans Frontières en matière de liberté de presse, le Sénégal est passé du 47e rang en 2002 au 89e rang en 2009. A titre de comparaison le Mali occupait le 31e rang pour cette dernière année ;

· selon Transparency International, notre pays est entré dans la zone rouge de la corruption et figurait en 2008 au 99e rang mondial en matière de perception de la corruption. Des voleurs siègent au Conseil des ministres : c’est un ancien ministre de Wade qui l’affirme !

· enfin, notre pays occupe le 166e rang (sur 180 pays classés) pour ce qui concerne l’Indice de Développement Humain, juste devant l’Erythrée !

La détresse des populations, les émeutes des quartiers, les pénuries des denrées les plus essentielles comme l’électricité, l’eau ou le gaz sont les manifestations de ce mal vivre persistant. On aura remarqué que le Président de la République, si friand de hourras, et le ministre chargé de l’aménagement du territoire, se sont bien gardés d’aller visiter les banlieues inondées et se contentent d’écouter leurs doléances dans le confort de leurs bureaux douillets.

Alors que faire ?

Le « sacrifice de sa personne » que le vieil homme donne l’impression de faire à la nation en se préparant à l’exercice douloureux d’une campagne électorale qu’il souhaiterait réduire à sa plus simple expression, est en fait le signe de son désenchantement. Il ne fait plus confiance aux siens pour arracher la victoire. Il a sacrifié les plus combatifs d’entre eux pour faire de la place à son « fils biologique » et celui-ci traîne d’insurmontables casseroles, entre accusations de détournements et mauvaise maîtrise de la langue véhiculaire de toute campagne de communication. Charger Karim comme un baudet ne règle rien, car multiplier les défis, c’est aussi multiplier les risques d’échecs. En accédant au ministère des transports aériens, il nous avait promis une éclaircie dans le ciel sénégalais : un an après Sénégal Airlines est à peine ébauchée, les ex. employés d’Air Sénégal International courent derrière leurs droits, et la sécurité de l’aéroport L.S. Senghor est sous la menace de constructions anarchiques. C’est sans doute pour éviter de pareils déboires que Karim s’est vite débarrassé de l’encombrant département de l’Aménagement du Territoire.

Au moment où le départ de Lula est salué comme celui du « Mandela sud-américain », la dernière bataille de Wade apparait comme le début d’un abus de faiblesse, le complot d’une garde rapprochée pour faire durer ses privilèges. Ce qu’un conseiller de Wade (celui-là même qui, il n’y a pas longtemps, avait proclamé : « si nous sommes battus aux élections, nous irons tous en prison ») résume par ces mots : « nous ne sommes pas prêts à lâcher le pouvoir ! ». Sans doute ignore-t-il qu’en démocratie, « tout pouvoir est dans la même situation qu’un établissement de crédit » : il s’écroule dès lors que la majorité de ses clients – ici les électeurs – lui retirent leur confiance.

Si l’âge de Wade nous interpelle, c’est que le Président de la République est aujourd’hui dominé par les siens, alors que « la vieillesse n’est noble que lorsqu’elle ne se vend à personne ».

SALE ARGENT !

Comment cela s’appelle-t-il quand le roi bafouille, que les héritiers s’étripent entre eux, que les courtisans se crêpent les chignons, que les clans se multiplient, que des lièvres peureux prennent soudain des airs de lions, que vos amis, au lieu de vous inciter à ménager votre monture, vous poussent dans le précipice, par leur zèle suspect, tandis que vos ennemis sonnent l’hallali ?

Cela s’appelle une fin de règne. Que Wade soit ou non réélu en 2012 n’y change rien, le temps travaille contre lui et nous savons que désormais les intrigues des maires du Palais l’emporteront sur une volonté flageolante. La question n’est pas de savoir qui dort au Palais, la question fondamentale est de savoir qui prend les décisions et surtout comment elles se prennent.

Les Tunisiens et les Ivoiriens, qui ont vécu la déchéance de Bourguiba (destitué à 84 ans) et de Houphouët-Boigny (mort au pouvoir à 88 ans), le savent bien : les hivers des vieux chefs sont des moments shakespeariens où tous les coups sont permis. Leur entourage et tous ceux qui n’existent que par eux avaient appris à naviguer entre les somnolences et les coups de gueule, les oublis répétés et les rappels à l’ordre, mais tous avaient réalisé aussi que ces chefs en sursis n’avaient plus qu’une ressource : l’argent, au moins tant que leurs mains avaient la force de signer un chèque.

Que peut en effet offrir d’autre, un autocrate en fin de règne ?

Le pouvoir ? Nous l’avons vu, il ne faut plus y compter quand celui du chef lui-même se délite, que la révolte gronde dans sa cour et même dans son gynécée. De petites principautés sortent de l’imagination des hommes et qui s’appellent « Génération du Concret » ou « Sentinelles », voire « mouvement pour le soutien à Wade »…, mais via d’autres lieutenants que l’on croit moins chancelants : Aminata Tall , Karim Wade, etc. On ne peut plus se fier au guide, il faut une bouée de sauvetage, une planche de salut ! Il est bientôt fini le temps où le Président était la seule « constante ».

L’espoir ? On a quand même compris que l’avenir se fera sans lui, et peut-être contre lui, alors pourquoi parier sur lui, au risque d’insulter l’avenir ? C’est en se fondant sur cette réalité que l’on voit depuis peu des places se libérer autour de Wade, que des fidèles choisissent des postes qui ont des fondements légaux plutôt que ceux qui relèvent des caprices du Prince, que des alliés prennent des libertés ou osent revendiquer un droit d’inventaire, que des thuriféraires jusqu’alors bruyants se font plus discrets et que désormais le Président doive payer cash tous les services qui lui sont rendus.

Tout le monde sait que l’on ne peut pas donner ce que l’on n’a plus, alors tout le monde se rue sur ce qui reste et qui est concret et palpable : l’argent ! Voila pourquoi depuis quelques mois, des sébiles se tendent de partout vers Wade qui n’a jamais été aussi généreux de l’argent des contribuables. En moins d’un trimestre tout le monde est passé à la caisse, des plus méritants aux profiteurs professionnels. Désormais les dons ne se font plus sous forme de discrètes enveloppes, ils sont publics, claironnés même pour attirer les gogos. Il y a eu les « anciens lutteurs », qui ne sont pas des modèles en matière de gestion. Il y a eu les ulémas, que l’on croyait plus détachés des choses de ce monde. Il y a eu les mosquées, y compris celle en construction à Marseille et qui n’est pourtant pas en mal d’argent, mais, à ces moments-là, seules les prières peuvent sauver. Il y a eu les basketteurs et les basketteuses, rares motifs de satisfaction en ces temps de disette de gloire. Le plus cocasse, c’est que les journalistes et photographes, témoins de l’événement et censés exprimer le désarroi de la rue, ont été les victimes collatérales et consentantes de cette générosité selective. On en est là au Sénégal aujourd’hui : rien ne se refuse et surtout pas l’argent. Il faut enfin compter, à côté de ces élus occasionnels, les habitués, le cortège des « accompagnateurs » et des militants alimentaires, la coalition des partis, appelée « Alliance Sopi pour Toujours », que le Président, donc l’Etat a pourvu d’un budget (monstrueux par les temps qui courent, puisqu’il pourrait s’élever à un milliard en douze mois !), au même titre qu’une collectivité territoriale. La misère prospère dans les banlieues et les campagnes, les dispensaires et hôpitaux se meurent, des travailleurs et des étudiants courent derrière leurs salaires et leurs bourses, mais qu’importe ? La libéralité passe avant la reconnaissance des droits et le Président n’a de la compassion que pour ceux qui ont assez d’entregent pour accéder à son bureau, et assez de bagout pour vanter ses mérites.

Toutes les personnes qui profitent de cette désorganisation de l’Etat sont susceptibles d’être accusées « d’abus de faiblesse », car cette distribution d’argent public, aussi intempestive qu’indécente, participe d’une certaine manière au pillage d’un héritage qui n’appartient plus à Wade. Les libéralités du Président de la République, à moins de deux ans de la fin de son mandat, s’apparentent en effet à un détournement de succession. De même que Mme Liliane Bettencourt se voit contester le droit de distribuer un héritage familial à un favori, de même les Sénégalais pourraient contester à l’actuel chef de l’Etat celui de dilapider, au profit de causes subalternes, un trésor public qui est le fruit de l’effort national et qu’il n’aura plus le temps de fructifier.

Mais l’argent public n’est plus seul à polluer l’atmosphère des Sénégalais. Pour la première fois dans notre pays, celui de particuliers nous éclabousse et déborde à la une des journaux. Voila que des ministres, réels ou putatifs, sont accusés de s’être fait gruger, au sein même de leurs familles, pour des montants qui sont loin d’être des broutilles. Le ministre d’Etat, ministre des Affaires Etrangères, premier sur la liste protocolaire du gouvernement, se serait fait arnaquer par ses propres fils qui se seraient permis de s’offrir une voiture de luxe et une bamboula dans un palace. L’intéressé a nié avoir été volé par ses enfants, mais pas le fait que ceux-ci se soient payé une virée à ses frais et de toute façon, comme le dit le proverbe, « la femme de César ne doit pas être soupçonnée ».

Comme si cela ne suffisait pas, un autre « ministre » se fait alpaguer d’autres millions, à son domicile aussi, par une « femme très proche ( !) » nous dit la presse, si proche que la seule sanction prononcée contre elle aurait été de la rendre à sa famille. Comment ce personnage haut en couleur, qui servait de factotum à Wade il y a dix ans et « tapait » les journalistes chaque fois qu’il apportait un communiqué de son parti, a-t-il pu accumuler autant d’argent en si peu de temps ? Dans son cas au moins, on peut se réjouir qu’il ait été en quelque sorte sanctionné par une justice immanente puisqu’il se refusait de payer une dette à un homme qui le poursuit au prix de sa vie !

Ces deux cas illustrent une réalité : lorsque les barons se méfient des banques, préfèrent les bas de laine aux institutions traditionnels de crédit, stockent l’argent chez eux comme en période de disette, c’est qu’il y a quelque chose de pourri au royaume, c’est le signe même de la déliquescence du régime. D’ailleurs, l’un d’eux avait lâché ce cri : « Si Wade tombe, nous irons tous en prison ! »…

C’est encore une histoire d’argent qui a conduit la gendarmerie à convoquer et à placer en garde à vue un autre ancien ministre de Wade, son complice des mauvais coups, accusé selon la presse de « blanchiment d’argent », en même temps que ses fils, pour des montants qui se chiffreraient à des centaines de millions, voire des milliards. Le suspect se défend mollement et surtout menace de « faire sauter » le régime et son chef par ses révélations. Ses partisans, car il est aussi chef de parti, et ses protecteurs renchérissent : au Sénégal on ne demande plus justice, on réclame l’impunité !

Depuis l’avènement de Wade, on peut dire vulgairement que l’argent nous pompe l’air et que des citoyens s’enrichissent scandaleusement aux dépens de la collectivité. La surliquidité du Président de la République et les extravagances de ses ministres rendent dérisoires les poursuites engagées contre Modibo Diop et ses acolytes. L’argent distribué à la volée n’est illicite que quand celui qui en dispose cesse d’être dans les bonnes grâces du pouvoir, et au conseil des ministres siègent des personnes accusées de détournements et de prévarications. A moins de convoquer toute la classe politique au tribunal de l’enrichissement illicite, l’ancien directeur de l’ASER ne restera que comme un bouc émissaire.

« LA FRANCE, TU L’AIMES OU TU LA QUITTES…ET, SI TU L’AIMES, PRENDS GARDE A TOI ! »

NB Ce texte a été publié en juillet 2010 dans un journal dakarois

Après le discours de Dakar, celui de Grenoble…

Quelle leçon y-a-t-il encore à tirer, quel modèle y-a-t-il à emprunter à la France de Nicolas Sarkozy pour que treize Chefs d’Etats africains acceptent de jouer les faire-valoir, se plient à cette humble fonction de figurants muets et anonymes à la fête française du 14 juillet 2010, au motif que c’était aussi une occasion de commémorer le cinquantenaire des indépendances de leurs pays respectifs et la « fraternité» de leurs armées ? Quelle drôle idée d’abord de délivrer le diplôme à Paris quand l’examen a été fait en Afrique et quelle inconvenance que de fêter son anniversaire chez « l’ami », plus fort, plus puissant que vous, qui vous impose ses rites et ses symboles, plutôt que chez soi, au milieu des siens et à sa mesure… Le sage peulh nous dit pourtant que le taureau doit parader et se battre dans son village, car c’est là qu’on prendra parti pour lui, qu’il sera reconnu et qu’on l’acclamera.

Si les Chefs d’Etat d’Afrique francophone s’inclinent à Paris ce 14 juillet 2010, comme l’avaient fait leurs prédécesseurs cinquante ans plus tôt, ce qui est tout un symbole, Nicolas Sarkozy pour sa part, poursuit le chemin de dénigrement entamé à Dakar. Plus Fouché qu’Obama, il demeure un policier, un inquisiteur qui depuis presque dix ans, depuis sa nomination au poste de ministre de l’intérieur, a fait de la sécurité de la France son principal slogan électoral et de la lutte contre les immigrés la seule arme pour l’assurer. Elu Président de la République, il avait vite abattu ses cartes en créant un ministère qui conjugue identité nationale et immigration, et invité les immigrés à faire un choix : « La France, tu l’aimes ou tu la quittes ! ». A Grenoble, en juillet dernier, il s’est fait encore plus pressant et plus menaçant : il établit désormais un lien étroit entre immigration et délinquance. Mais ne vous trompez pas de cible : l’ « immigré » pour Sarkozy, né de père hongrois longtemps apatride, marié à une italienne naturalisée française, c’est essentiellement, sinon exclusivement, celui qui vient d’au-delà de la Méditerranée, le « géant noir » des banlieues, le « caïd » beur des cités, l’Arabe ou l’Africain, même s’ils sont nés en France. A défaut de les passer au « karcher », ce qui ne se fait plus, il va user donc de lois très opportunistes pour les punir. Cela fait près de dix ans qu’il renforce l’arsenal répressif contre eux, sans réussir à juguler l’insécurité, mais le filon reste éminemment rentable, comme le prouvent les derniers sondages opérés en France. La politique du bouc émissaire est une tactique électorale très connue mais, comme le dit la députée écologiste européenne Eva Joly, qui est loin d’être une extrémiste, le tir de barrage permanent de Sarkozy contre les immigrés, contre les « gens du voyage », qui sont pourtant d’ «authentiques » Français, et contre les Roms s’apparente bien à « un racisme d’Etat ».

« Issu de l’immigration » : un péché !

Il y a tout de même un paradoxe français. Voila un pays qui, contrairement aux pays anglo-saxons, Etats-Unis ou Canada entre autres, impose une « assimilation » totale à ceux qui prétendent à sa nationalité. La France ne tolère pas les « communautés », les exceptions culturelles en son sein, les survivances régionalistes. Pour être Français, il faut se dépouiller de tout ce qui vous lie à votre pays d’origine, et l’on sait quelles ambigüités cela avait provoqué sous le régime colonial. Mais, au-delà de l’immigration proprement dite, cette exigence a marqué tout le vécu français puisque les régions françaises se sont vu imposer les lois d’une république monoculturelle qui ont amputé leur héritage historique. Cette politique d’assimilation se nourrit depuis peu de surenchères : des voix s’élèvent aujourd’hui pour réclamer le bannissement de prénoms qui, comme Mouloud ou Fatou, détonnent parmi les noms de baptême français et Mme Yade se garde bien de préciser qu’elle s’appelle Ramatoulaye. L’Islam, deuxième religion de France, revendique bien 5 à 6 millions de fidèles, mais pour certains il n’est tolérable que s’il est « français », si ses pratiquants ne sont musulmans que superficiellement, sans ostentation ni prétention, s’ils se contentent de mosquées sans minarets, se plient aux us vestimentaires et alimentaires du Français de référence. S’ils mangent du porc et boivent du vin, on est même prêt alors à les considérer comme de bons Auvergnats…à condition qu’ils ne soient pas trop nombreux tout de même !

Mais pour Sarkozy, l’assimilation ne suffit pas pour effacer le passé. Etre « issu de l’immigration » c’est une tare indélébile, un péché originel dont on ne peut jamais se démettre. A Grenoble, il l’a rappelé à tous ces Français de « fraîche » date qui croyaient qu’ils étaient devenus des Français comme les autres. Danny Boon se croyait pur ch’ti, Sarkozy lui rappelle que sous son écorce de fils du Nord et son nom de trappeur, il y a le dur noyau de fils de maghrébin. Les héros des championnats européens d’athlétisme de Barcelone, les Myriam Soumaré ou Leslie Dhjone, qui avaient préféré la France à la Mauritanie ou à la Côte d’Ivoire de leurs parents, Rama Yade qui ne se dit jamais d’origine sénégalaise mais Française « née à l’étranger », en sont pour leurs frais : il ne leur suffit pas d’aimer la France, qu’ils sachent qu’en cas de faute grave, ils seront doublement sanctionnés, d’abord en tant que criminels, puis en tant qu’issus de l’immigration ! Si pour le même crime, leurs camarade et collègue Ch. Lemaître et Roselyne Bachelot, qui ont le privilège d’être des Français « souchiens », ne risquent que la prison, conformément à la loi, eux seront, en outre, déchus de la nationalité française. Quitte à se retrouver apatrides ! Quant à leurs parents, ils seront jugés responsables des délits de leurs enfants mineurs et sanctionnés à leur tour, de privations d’allocations familiales, voire de prison ! Si cela ne suffit pas, les maires des communes qui les accueillent seront traînés devant la justice ! Et si cela ne suffit pas encore, l’expulsion voire la déchéance seront prononcées pour des motifs plus futiles : vols répétés ou « mendicité agressive » ! Un humoriste français a posé cette question pertinente : quels crimes restent autorisés aux Français « issus de l’immigration », s’ils veulent continuer à conserver la nationalité française ?

La double peine c’est seulement pour ceux qui sont issus de l’immigration !

La France « s’africanise » !

La France d’aujourd’hui n’est plus un modèle de démocratie, ni en matière de respect des droits de l’Homme, comme vient de le lui rappeler l’ONU, ni en matière d’équilibre des pouvoirs. Certains n’ont pas hésité à appeler « rafles » les déguerpissements conduits contre les « gens du voyage ». D’autres trouvent des relents de « pureté » nationale dans la distinction faite entre les Français en matière de droits. Avec Sarkozy, la France est désormais ravalée au rang des pays africains dont elle moquait le pouvoir autocratique, ses dirigeants et sa classe politique versent dans les excès de langage et les improvisations. Il y a désormais un chef et quand il parle, le rôle de chaque membre de sa cour consiste à aller plus loin encore que lui. Il n’y a aujourd’hui aucune différence, dans le fond comme dans la forme, entre les imprécations de Doudou Wade et celles de Frédéric Lefebvre, entre les dérives d’Eric Besson et les élucubrations de Farba Senghor, entre la ministre Nadine Morano qui traite tous les journalistes-investigateurs de France de « hitléro-trotskistes » et les « taasu » injurieux de la députée de base du PDS. Les propositions du député Eric Ciotti sont de la même inspiration que celles qui avaient conduit à la loi Ezan. En France comme au Sénégal, il n’y a qu’ « une seule constante », le Chef de l’Etat, ses sorties sont paroles d’évangile, ses ministres sont de petits soldats qui se chargent d’en expliciter le contenu. « Français ou voyou : il faut choisir ! » clame l’un, tandis qu’un autre invente une nouvelle catégorie juridique, celle du« présumé coupable » ! Le Président de la République française peut donc ignorer un article fondamental de la constitution française qui établit que tous les citoyens français sont égaux devant la loi et que la justice ne peut être rendue en fonction de l’origine du citoyen en cause. Il peut fouler aux pieds cette règle selon laquelle la déchéance de la citoyenneté suppose que le citoyen visé dispose d’une nationalité de rechange et qu’il ne devient pas apatride. Ses propositions ne franchiront probablement pas le cap du Conseil Constitutionnel, mais qu’importe, elles sont d’abord un appât, une manière de gagner des voix sur Le Pen, une sortie pour détourner l’attention et faire oublier les échecs et les « affaires » gênantes : les Roms ont sauvé Eric Worth. Quitte à mettre en péril la cohésion nationale et les fondements de l’égalité républicaine.

Rapatrier notre dignité !

Chefs d’Etat francophones si, quelquefois, vous râliez ! Vous ne pouvez pas rester toujours indifférents au sort des sans-papiers, qui ne sont pas forcément des sans travail, dont beaucoup exercent des métiers, quelquefois au sein d’institutions publiques, s’acquittent de leurs impôts et contribuent à la résorption du déficit de la sécurité sociale française. Ils sont citoyens de vos Etats et, par leurs envois d’argent assurent, quelquefois tout seuls, la paix sociale dans vos pays. Vous ne devez pas oublier que ces jeunes Français « issus de l’immigration » sont les enfants ou les descendants de vos propres concitoyens. Pourtant aucune voix ne s’élève jamais de vos palais pour stigmatiser les dérives qui pèsent sur les Africains de France et sur les Français-africains, pour regretter le procès d’intention qui leur est fait, pour déplorer la généralisation facile et hâtive que l’on fait chaque fois que l’un d’entre eux commet un délit. Le président Sarkozy peut se permettre de tenir un « langage de vérité » à ses partenaires africains, les présidents africains sont eux condamnés à la langue de bois et à la non ingérence dans les affaires intérieures françaises. Il peut annoncer qu’il ira chercher au Tchad ses concitoyens condamnés pour escroquerie humanitaire, « quoiqu’ils aient fait », précise-t-il, mais ne vous autorise pas à vous apitoyer sur le sort de cette femme africaine traînée dans la rue, un bébé dans les bras. Il l’avait déjà dit haut et fort : « Il n’appartient pas à M. Wade de définir la politique d’immigration de la France ! ». En revanche, lorsque son représentant à Dakar s’interpose dans nos affaires intérieures, c’est notre opposition elle-même qui salue ce geste de « haute portée politique ». L’ambassadeur de France aurait donc le droit de se prononcer publiquement et dans l’exercice de ses fonctions, sur le rôle que Wade voudrait, selon lui, faire jouer à son fils, mais il serait outrecuidant que celui qui défend les intérêts du Sénégal à Paris exprime un point de vue sur les manœuvres de Sarkozy tentant d’imposer son fils à la direction de la Défense. La réciprocité est pourtant une règle intangible des relations entre nations et si la France n’éprouve aucun scrupule à soutirer, en moyenne, un milliard et demi de francs, par an, aux Sénégalais qui sollicitent un visa dans son consulat, pour « frais de dossier », il n’y a aucune raison pour que le Sénégal se dispense d’exiger les mêmes droits des Français qui veulent fouler son territoire.

C’est dire donc qu’au-delà des récriminations que nous avons le devoir de formuler lorsque nos intérêts sont en cause, il y a une impérative nécessité pour nos pays de rapatrier notre dignité, comme nous avons rapatrié nos instruments politiques. Les cinquante prochaines années devraient être celles de la reprise de l’initiative dans la conduite de notre destin. Que l’on cesse désormais de, toujours et sur tout, nous référer à l’Occident qui détiendrait seule l’étalon des valeurs universelles. Arrêtons les manifestations devant le Parlement français pour exprimer notre ressentiment contre nos propres gouvernants, les délégations dans les missions diplomatiques étrangères pour les prendre à témoin et implorer leur arbitrage. Il est aussi ridicule d’écrire à Claude Guéant pour se plaindre du mode de nomination d’un ambassadeur de France au Sénégal, que de le louer pour avoir reçu Karim Wade. Cessons de croire que les seuls bons journaux africains sont ceux qui figurent dans la revue de presse de RFI, de considérer que l’opinion de l’Occident compte plus que celle de notre population ou de nos élites.

La force de la Chine c’est qu’elle croit d’abord à elle-même...

jeudi 8 juillet 2010

PATRICE EVRA ET LES PYROMANES...

NB Ce texte a été publié dans le "Nouvel Horizon" du 25 juin 2010
Dans une confession diffusée quelques jours avant le Mondial 2010, Patrice Evra nous expliquait que c’était son cœur qui avait choisi la France. Sa famille réside bien au Sénégal, le pays de son père avait déployé de grands efforts et multiplié des offres pour l’attirer dans la tanière des Lions, mais, lui, avait laissé parler son cœur. Il aime la France, il y a vécu depuis l’âge de douze mois, il parle sa langue, il partage sa culture…
Pourtant, quelques semaines après ce cri du cœur, des voix, celles que l’on entend chaque fois qu’il s’agit d’opposer les Français aux Français, n’hésitent pas à lui contester son appartenance à la France. Il a suffi d’un flot d’injures proférées par un joueur contre son entraineur, dans l’intimité des vestiaires, pour que ces pyromanes de l’unité française saisissent l’occasion de pointer du doigt ces « cailleras », ces Français à part, inintelligents, grossiers et, hélas millionnaires, qui ne symbolisent la France que lorsqu’ils sont victorieux. Pour Alain Finkielkraut, pour Eric Zemmour, pour tous ceux qui sont portés à l’amalgame et à la généralisation, la mayonnaise « Blanc-Black-Beurr » ne prendra jamais et le multiculturalisme est un leurre. Le mal des Bleus, c’est le mal de la France : le communautarisme et l’Islam. L’équipe de France de football, résume Finkielkraut, n’est pas une « équipe nationale » : il avait déjà dit qu’elle était trop noire, qu’elle est en réalité « black-black-black » et que cela faisait « ricaner toute l’Europe », il ajoute que ces noirs-là ont, quoiqu’ils fassent, une culture, un « comportement » non solubles dans la nation française. Que ce soit dans la rue ou dans les vestiaires, les émeutiers sont, pour lui, toujours définis par leur couleur.
On en vient donc presque à oublier les généraux pour ne s’intéresser qu’aux fantassins. On ménage un président de fédération laxiste et ondoyant, un sélectionneur dont le mode de fonctionnement, les humeurs, les improvisations déroutent tout le monde, qui a commis cette faute, impardonnable en Afrique, de mépriser ses hôtes qui s’étaient dépensés, avaient appris le français pour l’accueillir, qui a enfermé ses joueurs dans un huis-clos luxueux mais propice aux conflits. On peut pardonner à Domenach de dire qu’il est indifférent à la blessure de Drogba, qui est un produit de l’école de football française, de faire une déclaration d’amour à sa compagne le soir où la France sombre dans la défaite, cela ne fait pas de lui un goujat. On peut aussi pardonner aux rats, ceux qui, les premiers, quittent le bateau en perdition : les sponsors qui livrent les joueurs à la vindicte populaire, au risque de les déstabiliser davantage alors qu’un match capital se prépare, alors qu’on ne dispose même pas encore de toutes les versions, avant même le grand déballage d’où pourrait sortir la vérité. Les origines de la débâcle française sont, de toute façon ailleurs, pensent les pyromanes. Zemmour n’était ni à Knysna ni à Bloemfontein mais il a son idée : l’équipe de France est minée par ses Noirs qui ont « mis de côté les Blancs », par ses Africains et ses Antillais qui ne se supportent pas et surtout, par ses musulmans convertis qui terrorisent tout le monde. C’est dire que Nicolas Anelka, noir, antillais et converti à l’Islam, est une cible toute trouvée, le voyou absolu. Qu’importe la contradiction, puisqu’en même temps on prétend que la junte de « caïds » serait composée, notamment, d’Evra, un africain, Gallas, un antillais, qui sont noirs mais non musulmans, et de Ribéry qui est musulman mais qui est blanc : c’est la sainte alliance des démons !
Même si les insultes faites à Zidane avaient moins choqué les Français, les propos prêtés à Anelka (et qu’il conteste) sont évidemment de très mauvais goût. Pour autant la vulgarité est-elle si absente de la société française au point de valoir au joueur une quasi excommunication ? Elle est dans les médias et il suffit d’écouter les chaines de radio françaises (« On ne va pas se gêner » sur Europe 1 ou « Les Grosses Têtes » sur RTL, pour m’en tenir aux programmes les plus « cleans ») pour mesurer la crudité des propos que l’on peut entendre aux heures de grande écoute. Sur France Inter, chaine publique, et au cours d’une émission grand public, un chroniqueur a tenu à l’endroit de Sarkozy, président de la République, les mêmes propos, au mot près, que ceux qu’Anelka aurait adressés à Domenach, pour faire de l’humour nous dit- on, et n’a récolté qu’une vague réprimande. Un groupe de rap, très connu, a pour nom NTM, que je me garderai bien de traduire. Enfin lorsque le Président de la République, ancien élève de l’IEP de Paris, ancien maire, ancien député, ancien ministre, qui a trente ans de vie politique, s’autorise à dire à un de ses concitoyens, devant les médias publics, « Casse-toi pauvre con ! », comment s’étonner qu’un jeunot de trente ans, qui ne revendique aucun diplôme, aucune expérience publique, se permette, en aparté, des libertés de langage ? Du reste Anelka est-il plus grossier, fait-il preuve de moins d’éducation que Domenach qui refuse de serrer la main tendue par son homologue brésilien à l’issue du match France-Afrique du Sud ?
Ce que certains reprochent donc aux Bleus ce n’est pas tant d’avoir mal joué, ce qui est une évidence, ni même d’avoir manqué à leurs responsabilités, c’est d’avoir été de mauvais Français, ce qui est une spéculation. Voila comment une mauvaise gestion, une mauvaise pédagogie, une conscientisation bâclée virent en débat ethnique et racial. Finkielkraut ne sonne pas plus Gaulois que Diaby ou Sagna, les Gallas ont été Français plusieurs siècles avant les Sarkozy : il n’empêche quand on est « issu de l’immigration » du Sud ou, plus généralement, quand on est black ou beurr, il faut toujours fournir la preuve qu’on est Français, étaler au grand jour sa fibre française. On est forcément issu de ces racailles des banlieues, et de la pire d’entre elles, la 93. Ces gens là ont « un vocabulaire » fait de borborygmes et d’injures et voila pourquoi, comme le dit Zemmour, le pauvre Gurcuff, « trop poli », est « mis à l’amende » dans cette fausse équipe de France où il n’est pas à sa place. Les larmes, les excuses, les regrets de ses joueurs n’y changeront rien : puisqu’on ne peut pas changer le onze de France, on va changer de passion et de sport, abandonner le foot aux allogènes, la France va se mettre au rugby car là-bas au moins ils restent une curiosité !
Tous les « binationaux » qui, un jour, seront appelés à choisir l’équipe de leur cœur devront se rappeler l’expérience de Patrice Evra.

Une mallette de billets pour l’Ambassadeur de France !

NB Ce texte a été publié dans le quotidien"Kotch" du 25 juin 2010
L’Ambassadeur de France au Sénégal, qui est au terme de sa mission, aura-t-il droit à une mallette de dollars et d’euros de la part du Président de la République, comme ce fut le cas à l’occasion des adieux du représentant du FMI à Dakar ? En tout cas, si l’on respecte la jurisprudence et si l’on s’en tient à l’argumentaire développé par le Chef de l’Etat pour justifier le cadeau royal remis au fonctionnaire international, M. Ruffin aura tout fait pour mériter sa mallette.
D’abord il a déplu en haut lieu. Le président Wade nous avait expliqué que le présent remis à Alex Segura n’était pas une tentative de corruption puisqu’il ne récompensait pas des services rendus. Bien au contraire, disait-il, l’ancien représentant du FMI n’avait pas été un « ami », il avait été un « empêcheur de jouer avec le budget en rond » (pour pasticher le journaliste Barka Ba), un censeur impénitent de sa politique économique et financière. L’ambassadeur de France a fait mieux. Non content de manifester sa méfiance envers les dérives autoritaristes de l’Alternance, de se poser en « empêcheur de se faire succéder en rond » (B.Ba), d’avoir l’audace d’exprimer ses accointances avec les objectifs des Assises Nationales, il avait commis le crime suprême, celui de s’opposer aux manœuvres de l’Héritier.
Au passage, il s’est attaqué à un autre tabou: il a démystifié, démythifié le Président Wade et l’on découvre que la France se comporte à l’égard de « l’empereur » comme elle se comportait à l’égard des présidents de l’époque, que l’on disait révolue, de la Françafrique.Segura avait procédé par allusions, Ruffin est clair et explicite : il accuse Wade de ne pas faire le poids face à l’intransigeance de Sarkozy et de faire porter aux ambassadeurs les déboires qu’il accumule. Il est très rare qu’un diplomate en exercice, fût-il iconoclaste, se lâche à ce point et il est encore plus rare qu’un Chef d’Etat, dont le leadership est tant vanté par son entourage, reste sans réaction face à ces supputations. Pour moins que cela Houphouët ou Bongo auraient exigé des excuses.
L’Ambassadeur de France nous révèle donc que Karim Wade avait usé d’intrigues à la fois pour obtenir l’abrogation de son mandat, et pour promouvoir au poste d’Ambassadeur de France un diplomate plus accommodant. Pour atteindre ces deux objectifs le Dauphin n’avait pas hésité à court-circuiter la diplomatie traditionnelle et à solliciter des « réseaux » et des « relations personnalisées » que Sarkozy s’était promis d’extirper des rapports franco-africains. Sans grand succès.
Enfin une autre raison milite pour récompenser son Excellence. Le cadeau offert à Segura était non seulement gratuit mais il ne répondait à aucune spéculation. Le bénéficiaire était appelé à servir dans un secteur et dans une région où il ne pouvait rendre aucun service au Sénégal. Le présent qu’il avait reçu n’avait donc pas non plus pour objet de recruter un avocat pour des causes futures, ce n’était pas un contrat pour le temps à venir. Cela tombe bien : même si Ruffin ne précise pas son futur point de chute, on a compris qu’il n’est pas appelé à offrir ses compétences à la cellule africaine de l’Elysée, ou à faire de l’ombre à Robert Bourgi. Le gouvernement du Sénégal n’a donc rien à attendre de lui et c’est cela qui fera la beauté du geste.
Voila pourquoi nous disons tout net au Chef de l’Etat :
« Encore un beau geste Monsieur le Président de la République ! C’est la Téranga sénégalaise qui est en jeu. Quoi qu’il nous en coûte, offrez donc une mallette à M. Ruffin, et en dollars cette fois puisque l’euro est en décrépitude. Au diable l’avarice ! En attendant le tour de Mme Marcia Bernicat, offrez un présent digne d’un Samba Lingueer à l’Ambassadeur de France. Pour services non rendus ! »

mardi 6 juillet 2010

Sarkozy et l’Afrique : 1000 jours plus tard !

Ce texte a été publié dans "Le Quotidien" du 2 juin 2010
En mai 2006 Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur de la France, effectuait, au pas de charge, une tournée en Afrique francophone. C’était une tournée électorale, même s’il ne s’adressait pas aux Français d’Afrique, dont les voix ne pèsent pas lourd dans la balance électorale et qui d’ailleurs lui préféreront Ségolène Royal. Les visites dans le « pré-carré »africain de la France constituent toujours un rite initiatique auquel sont soumis tous les Présidents français soucieux de mettre en évidence leur fibre africaine et Sarkozy avait pris les devants. D’ailleurs, même si l’on n’est pas chef d’état, dans quelle autre région du monde une personnalité française de haut rang peut-elle espérer mobiliser autant de foules qu’en Afrique francophone, susciter autant de curiosité et de sympathie ?
S’il n’est pas encore Président de la République, Sarkozy en prend le ton et la pose au Mali et au Bénin : un président français, en Afrique, ça donne des leçons, ça morigène ses hôtes, ça évoque « l’âme africaine », car l’Afrique est le seul continent qui ait une âme. Au lieu d’instruire ses hôtes sur la situation et les besoins de la France, il va donc se présenter en expert du continent et de la bonne gouvernance, lui qui n’a encore dirigé aucun pays, qui n’a aucune expérience personnelle de l’Afrique, qui n’a même jamais manifesté jusqu’alors une attirance particulière pour cette région du monde. De toutes façons ce qu’il va livrer a été écrit par quelqu’un d’autre, tout aussi néophyte, et c’est sans doute pour cela qu’il lui arrivera souvent de se dédire d’une escale à l’autre, de dire à Bamako que la France et le Mali étaient « les héritiers de grandes civilisations », et, quelques mois plus tard, d’ affirmer tout aussi péremptoirement, à Dakar, que l’Afrique « n’était pas assez entrée dans l’Histoire » !

Culpabilisez ! Il en restera toujours quelque chose !
La première phase de son exercice oratoire consistera à assommer ses hôtes africains, à leur flanquer au visage l’état de leur ruine et de leur délabrement, à leur apprendre ce qu’ils sont et qui ils sont. Et ce n’est pas beau :1 médecin pour 100000 habitants, soit 300 fois moins qu’en France,10 fois moins de ressources électriques par habitant ,60 % de la population occupée dans une agriculture arriérée et 30 % des terres arables disparues en une génération, alors que la population a doublé dans le même temps, un taux de mortalité infantile 10 fois plus élevé qu’en Europe etc. Après cet inventaire accablant d’une misère immuable il leur assène un dernier coup de massue : les Africains n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes, ils sont les seuls responsables de leur malheur. La colonisation, dira-t-il, n’est à l’origine « ni des guerres (civiles), ni des génocides, ni des dictatures, ni du fanatisme, ni de la corruption, ni du gaspillage, de la prévarication et de la pollution ! » C’est monstrueusement excessif, pour le moins, mais c’est cela qu’il appelle tenir le langage de la vérité, et comme il est le seul à s’exprimer, on ne saura jamais quelle vérité ses hôtes pourraient lui opposer. Il se gardera en tout cas de tenir le même discours en Chine, d’y stigmatiser les massacres de la Révolution culturelle, l’écrasement du peuple tibétain, l’opulence des oligarques face au dénuement des campagnes : la vérité ne peut pas être dite partout !
« Un kit de développement » en cadeau !
La deuxième phase du discours de Sarkozy consistera, après le diagnostic, à offrir le remède, à se présenter en expert en développement, à donner à ses hôtes les directives nécessaires pour sortir de leur désastreuse situation. Lui qui affirmait que « la France n’acceptera jamais de leçons des puissances commerciales( !)et des professeurs de vertu », ne se gênera pas pour distribuer aux Africains des leçons d’économie et même d’éthique. Il ne se contentera pas de donner quelques idées générales, il leur proposera un véritable « kit de développement », prêt à l’usage. Tous les domaines sont abordés : entreprises, infrastructures, finances, éducation, mines, mais les propositions ne sont que des lieux communs qu’on ne balance plus qu’aux Africains, et il n’y a plus que les Français à répéter de telles antiennes.
Mais à Bamako, à Cotonou, à Dakar, Sarkozy n’avait pas fait que donner des leçons, il avait aussi pris des engagements. Mille jours après son accession au pouvoir, et au moment où se tient le Sommet France-Afrique (encore une survivance du passé !), il n’est que naturel de lui demander des comptes.
Il avait pris l’engagement de promouvoir une véritable refondation des rapports franco-africains, de les transformer en une « relation assainie, débarrassée des réseaux et non personnalisée » .L’un de ses ministres, Jean-Marie Bockel, l’avait pris au mot, peut-être parce qu’il venait d’ailleurs, et s’est vite brûlé les ailes sur le brasier Bongo. Excédé par ses rodomontades le président gabonais avait exigé et obtenu sa tête, puis, accueillant son remplaçant à Libreville, avait préféré s’entretenir d’abord avec le messager « personnel » du Président français avant de recevoir le ministre de la France. Aujourd’hui encore, comme aux beaux temps de la Françafrique, les ambassadeurs de France sur le continent souffrent d’être souvent court-circuités par des émissaires de l’Elysée, plus « compréhensifs »ou plus arrogants, c’est selon, plus crédibles en tous cas, que les représentants officiels.
Chassez le paternalisme, il revient au galop !
Sarkozy avait promis la fin du paternalisme. Mais le paternalisme ne peut être révoqué par decret, c’est un comportement dont on ne peut se défaire sans une sorte de révolution mentale et celle-ci n’a pas encore eu lieu. La preuve en est fournie par le ministre de la Coopération, qui affirme que la Côte d’Ivoire (et l’Afrique en général ?)n’a pas besoin d’une liste électorale irréprochable et qu’il lui suffit de se conformer au calendrier approuvé par la « communauté internationale », ou par Robert Bourgi, conseiller inamovible à « la cellule africaine » ( !), qui laisse entendre que Ali Bongo est le candidat de la France aux élections présidentielles gabonaises. C’est aussi faire preuve de paternalisme que d’imposer à Bamako la libération des terroristes de l’AQMI en échange d’un otage français, quand on se dit outré par la proposition d’élargir l’assassin de Chapour Bakhtiar en échange de Clotilde Reiss détenue alors à Téhéran.
Sarkozy avait promis qu’il allait instaurer des liens non condescendants mais particuliers, « affectueux »mêmes, avec nous, reconnaissant une « parenté » entre la France et les états issus de son ancien empire. Sans contrepartie, car la France ne « fait pas d’affaires en Afrique », précisait-il sans réaliser que c’était peut-être les Africains qui préféraient faire des affaires ailleurs. Pourtant, il a visité l’Angola avant le Burkina, et pour cause : la première est devenue le premier producteur de pétrole au sud du Sahara. Pourtant c’est à Prétoria, et non à Dakar ou à Abidjan, qu’il fera l’annonce du retrait des bases françaises d’Afrique. Cela ne concernait en rien ses hôtes mais la caution sud-africaine pèse bien plus lourd à ses yeux que celle des petits pays francophones.
Vérité au sud du Sahara…erreur au nord !
Au-delà des promesses il y a le double langage : ce que Sarkozy dit en Afrique, dont il se promettait d’être l’avocat( !), n’est pas ce qu’il dit en France. Il avait dit à Bamako : « les Maliens (de France) sont honnêtes et travailleurs…Ils sont les bienvenus».Il avait renchéri à Cotonou : « je constate que l’Afrique aime la France ».C’est encore le genre de banalités qui ont fait le lit de l’ère coloniale et qui font croire que tous les Africains sont coulés dans le même moule. Mais, face à ses compatriotes, Sarkozy exprime ses doutes et, surtout, le fond de sa pensée. A Agen il lancera cette menace aux immigrés : « ceux qui n’aiment pas la France ne sont pas obligés de rester sur le territoire national ».Face aux troublions de la banlieue parisienne, il ne verra plus que des « voyous »qu’il faut « nettoyer au karcher ». A Cotonou il avait promis de « respecter le nécessaire devoir de mémoire », à Agen il prendra à partie « ceux qui préfèrent chercher dans les replis de l’Histoire une dette imaginaire, qui préfèrent attiser la surenchère des mémoires pour exiger une réparation ».Pour lui la France n’a de dette qu’à l’égard de ses rapatriés, de « ceux qui ont été chassés de leurs pays et qui ont tout perdu. »
Avant d’être élu Président, il vantait « l’alliance des peuples », établissait un lien entre «immigration et tolérance », proclamait que « la France devait s’ouvrir au monde ».Une fois élu, il jugera qu’il faut plutôt apparier immigration et identité nationale, ouvrant la voie à des dérives verbales tenues par ses propres ministres et indignes du génie français. Il avait théorisé la doctrine de « l’immigration concertée », qui n’est qu’une sélection organisée des cadres et techniciens au profit du Nord. Dans la réalité, il est le seul auteur du concept, se contentant, de solliciter, avec plus ou moins de bonheur, la ratification des parties africaines. La France est plus que jamais crispée sur son identité et le brigadier parachutiste Guissé, qui l’avait servie sur deux fronts de guerre mais avait le malheur d’être issu de l’immigration, s’est vu contester sa nationalité parce qu’il y a plus de dix ans son père n’avait pas respecté les lois sur le regroupement familial !
Nicolas Sarkozy avait assuré aux Africains que l’un de ses principaux combats serait la défense des droits de l’Homme, dont la France était « la patrie », contre « toutes les forces obscures », qu’elles soient du nord ou du sud. En trois ans le bilan est édifiant. Malgré les états d’âme d’une de ses ministres, l’un des premiers chefs d’état africains qu’il ait reçu à Paris, Kadhafi, était arrivé au pouvoir il y a 40 ans par un coup de force et gouverne un pays sans parlement, sans presse libre ni partis politiques. Il a rendu visite à la Tunisie dont le président, élu par des scores « à la soviétique », exerce son pouvoir par la corruption et l’intolérance, et où un journaliste a été condamné à six mois de prison en l’absence de sa présumée victime, de son avocat et des témoins. Il a envoyé un émissaire spécial pour remercier le président soudanais, et, du Kazakhstan aux pays du Golfe Persique en passant par le Rwanda, il a fréquenté beaucoup de chefs d’états qui n’étaient pas des parangons de la démocratie.
Il avait promis que l’Afrique ne serait pas la seule à être mise on observation par ses soins et que « les valeurs des droits de l’Homme seraient aussi défendues en…Asie ».Pourtant il a envoyé son Premier Ministre en Chine à la veille de la condamnation d’un universitaire dont le seul crime avait été d’être le porte-parole de ceux qui réclament plus de démocratie et de respect. Lui-même s’y est rendu, à l’occasion de l’inauguration de l’exposition universelle, et on ne l’a guère entendu évoquer le sort des Tibétains ou celui des dissidents mis à l’ombre au moment de sa tournée, ou celui des internautes soumis à la censure. Il est sans doute plus facile de témoigner sa sympathie au chef indien Raoni que de recevoir le Dalaï- Lama.
Il ne s’était pas contenté de dire que la France « bannit toute prise de pouvoir par la force », il avait ajouté qu’elle n’attendra pas les coups d’Etat pour « dire à ses partenaires africains que telle décision ou telle politique ne sont pas moins que des manipulations électorales ou des dérives autocratiques », annonçant en quelque sorte l’avènement d’une diplomatie préventive. Depuis qu’il est au pouvoir, plusieurs coups d’Etat militaires ou constitutionnels ont eu lieu en Afrique et non seulement Paris ne les a pas contrecarrés, mais a eu, généralement, une attitude plutôt complaisante vis-à-vis de leurs auteurs.
Sarkozy avait dit : « la France se fera respecter »et, naïvement, les Africains avaient compris qu’elle banderait les muscles contre les « grands bandits » du monde. Ils ont vite réalisé que c’était surtout eux qui allaient (re)découvrir de quel bois elle se chauffe. Lorsque des « humanitaires »français, accusés de trafic d’enfants, seront arrêtés au Tchad et mis en prison, Sarkozy lancera cette provocation : « J’irai les chercher, quoiqu’ils aient fait ! »Mais lorsque la Française Florence Cassez, interpellée au Mexique dans des circonstances rocambolesques, sera, après un simulacre de procès, condamnée à 60 ans de prison, il se contentera de suggérer avec diplomatie, son transfert dans une prison française. Depuis Napoléon III on connaît en France le coût d’une expédition au Mexique !
Pour l’Afrique francophone Sarkozy reste donc l’homme du « discours de Dakar », et non celui de la rupture qu’il nous avait annoncée, et ce n’est pas en passant six heures en R.D.Congo et autant au Niger ou en convoquant le continent à Nice qu’il percera « l’âme africaine » .Mitterrand avait promis aux Africains que la France allait leur « parler le langage qu’ils ont aimé d’elle », lui leur a tenu celui qu’ils croyaient révolu. Pour la première fois depuis les indépendances africaines un Président français n’impressionne plus ses homologues africains, et de Wade à Gbagbo, en passant par le débonnaire ATT, beaucoup lui résistent ou le critiquent ouvertement. Il est vrai qu’il n’a ni l’aura de De Gaulle, ni la séduction de Mitterrand, ni la chaleur de Chirac.
Avec ses compatriotes il a connu en trois ans, nous dit-on, le « désamour ». Avec les Africains il n’y a pas eu d’amour
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