Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

jeudi 29 septembre 2011

AFFAIRE DSK-NAFISSATOU DIALLO : UNE HISTOIRE DE CULTURES...

NB : Le texte qui suit a été publié dans "Le Nouvel Horizon" du 16 septembre 2011

Dominique Strauss Kahn n’est ni blanchi, ni innocent : il n’a pas été jugé ! La justice n’est pas passée parce que le procureur Vance, qui accumule les revers, se soucie plus de sa carrière et de ses intérêts que du sort d’une immigrée africaine dont la voix ne peut guère peser sur sa réélection. Il l’a dit : il ne veut pas de procès parce qu’il n’était pas sûr de pouvoir convaincre le jury que ce procès s’imposait. Il a préféré éviter de se ridiculiser plutôt que de rechercher la vérité. Il a eu peur de faire juger un homme, qu’il croit coupable, de crainte qu’on le proclame innocent. En somme, il a mis sa réputation au dessus de son honneur. Mais il a, au moins, reconnu une chose : DSK avait bien eu des rapports sexuels avec la femme de chambre. Il n’avait d’ailleurs pas le choix puisqu’il y avait des preuves matérielles qui les établissent clairement et qui sont attestées par des experts qualifiés et assermentés. D’ailleurs, tout au long de « l’affaire », ni DSK ni ses avocats n’ont nié le fait, se contentant seulement de préciser que ces rapports avaient été « consentants », suggérant même, pour atténuer sa responsabilité, que l’ancien haut fonctionnaire n’était peut-être pas tout à fait maître de sa raison au moment de l’incident.

Le procureur apporte une précision qui n’est pas sans intérêt : les rapports sexuels, qu’il reconnait, ont été « précipités » : des préalables à la finition, ils n’auraient duré en tout et pour tout que 7 minutes ! On s’arrêtera donc sur cette précision pour saluer la performance de l’ancien ministre français, ancien directeur du FMI et quasiment promu président de la République française…s’il n’y avait eu cet accroc. A 12h04, Dominique Strauss-Kahn sort nu de sa salle de bain pour entrer dans la suite où se trouve la femme de ménage, à 12h 11, après avoir assouvi un besoin urgent, il téléphone à sa fille pour convenir d’un rendez-vous. Dans l’intervalle, ce haut cadre bien éduqué de 62 ans, a pu lier connaissance avec une immigrée africaine venue d’un tout autre monde, deux fois plus jeune que lui et dont le français et l’anglais sont hésitants, passer d’une banale conversation courtoise à un dialogue polisson alors que son interlocutrice, sanglée dans un uniforme peu attrayant, n’est tout de même pas une bombe sexuelle particulièrement provocante, l’enflammer par le verbe au point de l’amener à succomber à son seul charme et à jeter par-dessus les moulins sa réputation, son éducation, le danger qu’elle court, et notamment le risque de perdre sa place, puis il a pu passer à l’acte, avec la violence d’un affamé, faire ses bagages et s’en aller sans se retourner, ni – jusqu’a preuve du contraire – sans régler la facture de cet attentat aux mœurs les plus communes. Tout ce marathon en 7 minutes, y compris la douche, puisqu’il en sortait et n’a pas jugé décent de la refaire avant d’aller à la rencontre de sa fille! C’est qu’il était pressé le Dominique, après que la bête ait parlé, après avoir obéi à sa libido, il avait à faire des choses autrement plus importantes : déjeuner justement avec sa fille, dont l’âge est plus proche de celui de Nafissatou que du sien, rejoindre quelques heures plus tard sa brave, belle et richissime épouse. Cette aventure là n’est, à ses yeux, qu’un petit incident sans importance, même si les dégâts laissés sont considérables. En effet les traces de sa pollution remplissent le champ de bataille. On a découvert des sécrétions biologiques humaines qui lui ont été attribuées dans cinq zones à l’entrée de la suite 2806, sur l’uniforme de la femme de chambre (dont trois traces sur le col !), sur la bande élastique de ses deux collants et sur sa culotte. Sans compter des traces de sang qui sont, bizarrement, celles de DSK lui-même.

Ce n’est pas un homme ce monsieur, c’est un bouc ! Tout ce qui est féminin le met en émoi, réveille des pulsions que son camarade de parti, Michel Rocard, qui le connait bien quand même, dit « incontrôlables ». Les Africaines, c’est un peu sa spécialité, il en a fréquenté tous les genres. Il se raconte encore dans la police, à Dakar, l’aventure qu’il aurait eue avec une prostituée sénégalaise qui, petite futée, lui aurait piqué son portefeuille. L’affaire avait été étouffée : il était ministre de la République française et, en Afrique, la France doit être irréprochable. Il avait donc jugé plus sage de faire comme les Africains : il s’était offert un « deuxième bureau », une petite négresse qui avait accepté de vivre à l’ombre et qui lui reste encore fidèle ! Elle a eu bien de la chance, Irène, cette furie venue des chaudes Caraïbes, elle est arrivée à New York après son départ, sinon qui sait ce qu’il en aurait fait !

Qu’importe tout cela ! La seule question que s’est posée le procureur est celle-ci : DSK a-t-il commis un viol dans la suite 2806 ? Vance Jr ne dit pas qu’il n’y a pas eu viol, il se contente d’interpréter au bénéfice de l’accusé tous les signes qui auraient pu attester cet acte, y compris les « rougeurs » (les blessures ?) sur le corps de la plaignante et sa « déchirure musculaire », constatées par les experts. « Puisqu’on ne peut pas prouver qu’ils proviennent d’une agression, j’en conclus, dit-il, que ce n’est pas une agression… Et puisque je ne peux pas croire la plaignante, je ne demanderai pas au jury de le faire, ni même de prendre connaissances des accusations et des preuves ». Cyrus Vance Jr ne connait pas ce proverbe pulaar : « quand il n’y a pas de témoin, on suivra l’intelligence », ou, si on veut, la logique, et celle-ci oblige à reconnaître qu’une relation aussi précipitée, entre des êtres doués de raison, peut être difficilement considérée comme une relation « consentante ».

Si DSK ne l’a pas violée, alors a-t-il « séduit » la femme de chambre, comme il a l’habitude, nous dit-on, de séduire les bourgeoises et les intellectuelles ? Certainement pas ! Parce que séduire une femme suppose qu’on lui a laissé le choix, la possibilité de dire non, qu’on a usé d’arguments convaincants, et, dans le cas de Nafissatou Diallo, que DSK a pris le temps de se faire connaître, de la persuader et surtout de la rassurer. Mais lorsqu’on est le fonctionnaire le mieux payé de la capitale de la nation la plus riche du monde, qu’on peut se payer une suite à 3000 dollars la nuit et qu’on dit à une servante quasi apatride qui ne gagne pas cette somme au bout d’un mois de dur labeur : «Couche toi- ! », elle n’a pas d’autre choix que d’obtempérer. Il suffisait à DSK d’appeler la direction de l’hôtel et de formuler la plainte la plus minime contre la femme de chambre pour que celle-ci perde sa place. La situation de Nafissatou Diallo est exactement la même que celle de cette collaboratrice hongroise de DSK au FMI qui l’avait accusé d’avoir « abusé de sa position » pour profiter de ses charmes. « J’étais, a-t-elle avoué, perdante si j’acceptais, perdante si je refusais ! ». C’est dire que dans l’hypothèse qui lui est la plus favorable, DSK aura, pour le moins, exercé un viol moral sur la femme de chambre, à moins qu’il ne l’ait traitée comme une prostituée et payé ses services. Dans les deux cas, son comportement ressemble plus à celui d’un tortionnaire ou d’un esclavagiste qu’à celui d’un Don Juan au charme irrésistible. Du reste, s’il a la réputation d’être un homme à femmes, la plupart de ses conquêtes, à commencer par son ex collaboratrice hongroise, le décrivent comme un « dragueur brutal, lourd et macho ».

Le malheur de la plaignante c’est, nous dit-on, qu’elle a menti, de façon récurrente, répétée. Le procureur a du, pour en fournir la preuve, s’appuyer sur des éléments périphériques qui n’ont rien à voir avec l’incident : elle aurait, notamment, menti aux services d’immigration. Mais mon pauvre monsieur Vance, tous les Africains qui veulent émigrer, ou seulement se rendre en Europe et en Amérique mentent. La plupart des « réfugiés » mauritaniens accueillis dans votre pays n’ont jamais foulé le sol de la Mauritanie. Des jeunes filles menacées d’expulsion en France se font écrire des lettres, en pure connivence, par leurs grand’mères restées en Afrique qui les menacent d’excision ou de mariage précoce. Nous trichons sur notre âge, comme trichent les jeunes gens pressés d’aller à la guerre, de peur que celle-ci ne s’achève sans qu’ils aient eu l’occasion de tirer leur premier coup de feu. Les relevés de banque, les réservations de billets d’avion que nous présentons dans vos consulats sont souvent faux, établis dans le seul souci d’obtenir un visa. Nous vous mentons parce que vous ne croyez pas à ce qui nous semble plus important que le papier : notre parole. Vos consulats auraient été mieux inspirés si, au lieu de nous faire remplir des formulaires, ils nous proposaient de leur donner notre parole d’honneur. Nous vous mentons pour protester contre cette injustice qui veut que notre porte vous soit toujours ouverte sans conditions ni restrictions et que la votre ne s’entrebâille que sous des conditions souvent humiliantes. Nous vous mentons, la conscience tranquille, parce qu’il s’agit d’un jeu dont vous fixez et changez les règles à votre guise et que vous ne nous laissez pas d’autre choix pour exprimer notre droit à circuler et notre aspiration à fuir la misère. Vous ne pouvez pas comprendre cela parce que vous ne savez pas la différence entre la langue de la bouche, celle qui s’exprime sur nos papiers, et celle du ventre, qui est moins loquace. Nous sommes plus choqués par d’autres mensonges, autrement plus meurtriers et restés pourtant impunis, comme celui de Bush Jr sur les armes de destruction massive, qui a fait des milliers de morts (dont des Américains) et démantelé l’Irak.

Si les antécédents de la femme de chambre ont été passés au crible, ceux de DSK, homme public dont les faits et gestes foisonnent dans la presse, ont été ignorés par le procureur. Pourtant, nous l’avons dit, des témoignages abondent qui disent que DSK est, un « dragueur de manière très lourde », un amant violent, trop pressant, « qui frôle le harcèlement », insatiable, qui n’épargne ni ses employées ni les amies de ses enfants. A cause de lui et de ses frasques, avouées, au FMI, le harcèlement est devenu un motif de licenciement au sein de l’institution. Au moment où il défraie la chronique, aux Etats-Unis, une autre femme, en France, l’accuse de viol… A moins qu’on ne considère que la femme est toujours responsable dans les affaires de sexe. Enfin, mensonges pour mensonges, qu’en est-il des mensonges, périphériques certes, mais qui, dans son cas ne sortent pas du sujet qui nous occupe, qu’il a entretenus avant l’incident de la suite 2806 ? Avait-il confessé à sa chère et très dévouée épouse son « deuxième bureau » africain, son aventure avec la meilleure amie de sa fille, et son comportement de hussard avec la mère de celle-ci ? Avait-il confié à ses collègues du FMI qu’au sein même de l’institution, il usait de son autorité pour entretenir des liens inavouables avec une collaboratrice mariée, qui en perdra sa place ? Le procureur Vance a fait une impasse sur le passé de DSK parce qu’en Occident tromper sa femme, se livrer à des ébats, dans son bureau, avec une collègue ou avec l’amie de sa femme est une affaire « privée » qui ne prête pas à sanctions, alors qu’appeler « frère » un homme avec lequel on n’a ni le même père ni la même mère, comme nous avons l’habitude de le faire, est un crime abominable. Ce que l’avocat de DSK traduit par ces mots : « Si on fait quelque chose de déplacé, on n’est pas pour autant poursuivi en justice ! »

Au fond « l’affaire DSK- Nafissatou Diallo » est d’abord un débat culturel et la meilleure preuve est notre gêne à en parler et à user des mots crus qui l’encombrent. L’Africaine, la femme de chambre, qui se dit victime, est condamnée à se cacher de sa famille, parce qu’on a « versé son visage », quel qu’ait été par ailleurs son rôle dans cette histoire. Dans sa culture, faire la une des journaux, c’est en soi une indécence ! Peut-être ne rentrera-t-elle jamais dans son pays : elle dit avoir été violée, et pourtant, c’est elle qui a honte. Dominique Strauss-Kahn, le brillant Occidental, qui a reconnu ses galipettes, fait annoncer son retour en France par les médias, est accueilli par la presse, il est escorté de motards à son arrivée, les chaines de télévision se disputent ses interviews : c’est un héros, et beaucoup lui prêtent encore un destin national. Sa mairie, Sarcelles, se préparait même à le fêter, sans préciser laquelle de ses prouesses suscitait tant d’admiration. S’il nie avoir commis un crime, il reconnait ses « erreurs de jugement », son inconduite irrespectueuse vis à vis de sa femme et de l’institution qu’il dirigeait, leur a présenté ses excuses, deux fois en trois ans pour la même faute. Pourtant il est tout sourire et surtout fier comme Artaban.

On l’oublie souvent : un homme se définit aussi par ses hontes.

Si DSK avait été africain, si le directeur du FMI s’appelait Mamadou Ndiaye ou Kouakou Koffi et s’était vu accuser de viol et d’agression sexuelle dans un palace de Paris ou de Zurich par une femme de chambre portugaise, ce sont tous les Africains, voire tous les Noirs, qui seraient placés sur le banc d’infamie. Tout comme le crime d’un membre présumé d’AL QAÎDA est mis sur le dos de tous les musulmans. La « faute » de DSK, toute vénielle selon ses amis, n’est qu’une imprudence personnelle, elle n’est imputable ni à son parti, le PS, ni à son pays, la France, ni, évidemment, à l’Occident blanc ! Cela aussi est une leçon : seul le citoyen du Nord a le suprême privilège d’être lui-même, nous autres du Sud, ne sommes que des échantillons d’une série.

Pourtant, si quelqu’un méritait d’être fêté c’est bien Nafissatou Diallo. Par la France, parce que grâce à elle, la patrie de Charles De Gaulle a peut-être échappé au risque de voir ses secrets divulgués sous l’oreiller et de tomber dans une « berlusconisation » désastreuse pour sa réputation. Par Anne Sinclair, parce que la guinéenne lui a permis, pendant quatre mois, d’être la seule à partager le lit de son mari.


mardi 13 septembre 2011

DE L'USAGE ELECTORALISTE DES CONDOLEANCES...

NB : Le texte qui suit a été publié dans "Le Nouvel Horizon" du 2 septembre 2011

Jamais encore au Sénégal un président de la République n’avait eu cette idée de génie : se servir de la cérémonie rituelle, et quasi mythique dans notre pays, que constitue la présentation de condoléances comme d’un artifice électoral pour faire remonter une popularité déclinante ! C’est du génie parce que la mort est un filon inépuisable, un évènement qui ne connait pas la crise, et que pour peu que le chargé des nécrologies au Palais reste à l’affut de ce qu’en pulaar on appelle « l’inévitable paix », le Chef de l’Etat a de quoi s’occuper jusqu’aux prochaines élections. En l’espace de quelques semaines, il s’est donc plié à cet exercice productif, plus souvent qu’il ne l’a jamais fait jusqu’ici, plus fréquemment que Diouf en dix ans. Ces déplacements intempestifs et médiatisés ne sont pas l’expression d’une compassion à fleur de peau, ils constituent le lancement prématuré d’une campagne électorale. Le Président de la République ne se déplace pas pour rendre hommage à des personnalités publiques, à d’illustres serviteurs de l’Etat, il n’exerce pas sa mission de premier citoyen du pays, chargé donc de mettre en exergue les services rendus à la nation. La démarche est à la fois privée et sélective. Mais d’une certaine manière, les morts eux-mêmes ne sont pas la première préoccupation, ce sont les vivants qui sont la cible de ce marketing, ceux qui reçoivent les condoléances et dont on attend en retour qu’ils manifestent avec ostentation leur engagement à renvoyer l’ascenseur à leur illustre hôte, à la première occasion, et pourquoi pas justement aux présidentielles de 2012 ? Ils ne sont donc pas choisis au hasard : ils sont « communicateurs », porteurs de voix, alliés trahis ou abandonnés et qu’on compte reconquérir, des hommes et des femmes d’influence dont les voix, le ndigel pour certains, peuvent peser sur la balance électorale. Le rituel de cette tournée des deuils, est immuable et éminemment politicien.

Il y a d’abord le cortège de motards, de limousines et de courtisans : ces visites-là, toutes privées qu’elles soient, ne se font pas dans la discrétion, la nuit ou en catimini, il faut au contraire montrer que c’est la République qui se déplace dans toute sa munificence. On attend évidemment des hôtes qu’ils ameutent le ban et l’arrière ban de leurs relations pour que la manifestation ne passe pas inaperçue.

Il y aussi ce qu’on appelle pudiquement au Sénégal les « enveloppes » qui sont loin d’être destinées à recevoir des timbres et qu’on enfonce précieusement dans la poche pour en vérifier le contenu à l’abri des regards. Sans garantie que le montant reçu soit le montant annoncé : depuis l’affaire Segura, on sait que les remplisseurs d’enveloppes du Palais n’ont pas la rigueur d’une caissière de la City Bank. C’est en somme au petit bonheur (la chance)…

Il y a enfin les discours, écrits ou pour le moins inspirés par le donateur, qui transforment vite le deuil en « xawaare ». Mais au diable la tristesse : c’est à l’aune des éloges que l’on fait à l’illustre hôte que sera calculée la récompense, et les médias d’Etat, caisse de résonnance du pouvoir, porteront leurs mots dans tous les foyers. L’expérience a montré qu’un éloge bien envoyé peut valoir à son auteur un poste ministériel ! On peut donc dire, en reprenant les termes d’une publicité bien connue, que les logorrhées qui accompagnent ces cérémonies ne coûtent pas cher, sinon l’honneur, qui n’est plus dans notre pays qu’une denrée bien démonétisée, et qu’elles peuvent rapporter gros.

Hélas, il n’y a pas que le M23 qui complote contre le pouvoir : en déversant ses vannes sur Dakar, le Ciel lui-même a saboté ce qui devait être la mère de ces « condoléances-movies » et rassembler, nous avait-on promis, un million de personnes, ou mieux encore, un million de voix.

Mais les condoléances ne sont, peut-être, qu’une étape. Si d’aventure ces escapades mortifères s’avéraient insuffisantes pour combler le gap de voix qui s’élargit tous les jours avec la défection des souteneurs et des alliés, peut-être que les stratèges du Palais en viendront un jour à élargir l’assiette des visites présidentielles : le Chef de l’Etat pourrait ainsi se rendre aux baptêmes et aux mariages, avec cet avantage que nul ne serait tenu d’afficher une mine éplorée et qu’on peut convoquer le sabar sans mauvaise conscience. D’ores et déjà, il multiplie les cibles en conviant à son bureau des personnalités issues de tous les milieux et de tous les bords. Dans les six mois qui nous séparent des élections, il ne serait pas étonnant que le Palais soit si encombré de visiteurs alléchés que cela nécessite la mise en place d’une brigade spéciale de gendarmerie. Le président ne vient-il pas de couvrir de présents un lutteur, non pas un champion blanchi sous le harnais et qui se prépare à une retraite désargentée, mais un jeune espoir qui a la vie devant lui et dont il a brisé les ailes en compromettant sa réputation. L’intéressé a du reste compris sa bourde en revenant sur ses premières déclarations. Sur la même lancée, le Président a accueilli à sa table royale deux cents imams, dont aucun n’est dans le besoin, et dont chacun serait ressorti du Palais les poches lestées de 250 000 F minimum selon la presse. A titre de comparaison, le coût global de cette agape représenterait trois mois de fonctionnement de l’hôpital de Ziguinchor dont le budget n’a pas augmenté depuis dix ans. Le film de ce festin, au soir d’une journée censée être un moment de privation et de sacrifice, diffusé en même temps que les images montrant le désarroi, la grande détresse, des milliers de sinistrés des banlieues et des régions, est d’une cruelle indécence.

Il y a au moins un record que notre pays n’est pas prêt de perdre : c’est celui du montant qu’un Président élu démocratiquement peut consacrer à des libéralités dont aucune ne répond à une urgence…

Et pourtant, on a bien tort de faire porter la responsabilité de ces dérives au seul Chef de l’Etat. Le vrai problème, c’est qu’aujourd’hui, au Sénégal, on ne se bat plus pour la justice, on se bat pour des privilèges, et que Wade est convaincu que tous les Sénégalais sont à vendre. C’est le propre des fins de règne : il faut prendre sa part avant le déluge, s’octroyer une assurance tous risques contre des changements que l’on sait inéluctables. Le Chef de l’Etat n’a plus les moyens de dire non et tous ceux qui, bousculant toute hiérarchie, se précipitent dans son bureau ou dans sa salle des banquets, jouent sur cette corde. La gangrène a gagné tous les corps de métiers et tous les pans de la société, y compris les plus improbables. Lorsqu’une congrégation qui a l’ambition de constituer un 4e pouvoir et qui, dans sa majorité, ne ménage guère le chef de l’exécutif, soutire néanmoins à celui-ci des dérogations qu’il ne peut accorder à d’autres corps de métiers, elle participe à installer l’injustice et à décrédibiliser l’effort et la rigueur. Pire, peut-être, elle devient redevable de celui dont elle est censée contrôler l’action et n’a plus que le choix entre l’ingratitude et une indulgence coupable.

C’est pour cela que l’enjeu des élections présidentielles de février 2012 ne doit pas se réduire à remplacer un homme par un autre, quelles que soient les qualités de ce dernier. Elles doivent ouvrir la voie à un réarmement moral des gouvernants comme des citoyens de ce pays. C’est pour cela que nous rêvons d’une Société pour la Propreté du Sénégal, non pour ramasser des ordures, mais qui aurait l’ambition de nous débarrasser de toutes les pollutions qui rendent irrespirable l’atmosphère politique et sociale du Sénégal…et de la mauvaise conscience innocente qui menace de nous étouffer.