Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

mercredi 5 mars 2008

A LA MANIERE DE N. SARKOZY... ALLOCUTION DE M. BOUGNOUL, PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE DE ZIZANIE, PRONONCEE A L’UNIVERSITE PARIS-MIRAGE



Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi de remercier d’abord le gouvernement et le peuple français de leur accueil sans flouflous ni liesse populaire si different de celui que nous réservons à nos hôtes en Afrique. Permettez-moi de remercier l’Université de Paris-Mirage qui me donne l'occasion pour la première fois, de m’imaginer m’adressant à l’élite de la jeunesse européenne en tant que Président de la République de Zizanie.
Je suis venu vous parler avec une franchise et une sincérité auxquelles vous n’êtes pas habitués de la part des Chefs d’État de ce que l’on appelle le « pré-carré » de la France et qui sont pourtant celles que l’on doit à ceux qui se disent être vos amis et que l’on aime et respecte.
J’aime l’Europe, je respecte et j’aime les Européens.
Entre la France et la Zizanie l’histoire a tissé des liens longtemps empreints d’hostilité réciproque et qui ont laissé des plaies que l’on a du mal à guérir. C’est pour cela que je souhaite adresser, de Paris, le salut, enfin fraternel, de la Zizanie à l’Europe toute entière.
Je viens, ce soir, m’adresser à tous les Européens qui sont si différents les uns des autres, qui n’ont pas la même langue, qui n’ont pas la même croyance, qui n’ont pas le même climat, la même cuisine et qui pourtant se reconnaissent les uns les autres comme des Européens. Là réside le premier mystère de l’Europe,celui d'avoir les mêmes caractéristiques que ceux qu'elle reproche à l'Afrique.
Je veux m’adresser à tous les habitants de votre continent dominateur et sûr de lui et en particulier aux jeunes, à vous qui vous êtes tant battus les uns contre les autres,un siècle durant quelquefois, entraînant trés souvent le monde entier dans vos querelles, qui parfois vous combattez et vous haïssez encore, mais pourtant vous reconnaissez comme frères, frères dans votre arrogance, dans la défense de vos privilèges, frères dans votre hostilité contre l’étranger, voire contre vos propres minorités comme les gens du voyage, frères à travers cette foi mystérieuse en votre supériorité qui vous rattache à la terre européenne et que même le déclin de l’Europe ne peut effacer.
Je ne suis pas venu, jeunes européens, pour pleurer avec vous sur les désarrois de l’Europe et la fin de son empire car l’Europe n’a pas besoin de mes pleurs. Je ne suis pas venu pour exiger votre repentance, car la vérité n’a rien à voir avec les larmes de la repentance. Je ne suis pas venu pour tracer les voies de votre avenir, car votre sort est d’abord entre vos mains et nous-mêmes avons assez souffert du zèle de ceux qui voulaient faire notre bonheur à notre place. Je ne suis pas venu pour vous faire porter, tout seuls, le poids de votre passé, mais pour vous dire que celui que nous avons en commun a besoin et de nous et de vous – Car, contrairement à l’avenir et au présent, le passé ne sait pas se défendre tout seul.
Je suis venu vous proposer, jeunes d’Europe, non de ressasser ensemble ce passé, mais de ne tourner les pages qu’après les avoir lues. Il y a eu, vous le reconnaissez desormais, la traite négrière, il y a eu l’esclavage. Mais il ne suffit pas de dire : c’étaient des fautes, c’étaient des crimes, et d'en conclure que nul ne peut demander aux générations d’aujourd’hui d’expier les erreurs perpétrées par les générations passées, et de croire que vous en avez fini. A qui fera t-on croire qu’il n’existe nulle part de responsabilité morale pour des actes perpétrés par un état tout au long de son histoire ?
C’est faire deux poids deux mesures quand la conscience morale que vous invoquez pour retarder l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne reste muette face au génocide perpétré au Rwanda sous les caméras d’aujourd’hui.
De toute façon les représentants de pays qui, comme le vôtre, ont porté les coups ne sont pas les mieux placés pour décider qu’il ne faut pas ressasser le passé et, qui plus est, unilatéralement.
La traite négrière et l’esclavage ne sont pas, pour nous, qu’une nostalgie douloureuse. Ils ne sont pas des incidents de parcours suscités par quelques aventuriers démoniaques mais isolés. Ils sont nés sur des échafaudages d’idées et de théories construits, raisonnés et qui sont au cœur de votre histoire. Ils ont été conçus, entretenus, propagés par des hommes, des institutions qui sont encore présents dans votre héritage culturel. C’est un jésuite, Luis Molina qui a fourni les premiers arguments justifiant l’esclavage des Noirs. Ce sont des Dominicains qui ont été les premiers et les plus ardents défenseurs de la diffusion du discours colonial et raciste. De grands esprits européens qui font partie de votre panthéon culturel, Montesquieu, Voltaire, Renan… ont versé dans les excès de l’intolérance entretenue encore par certains de vos partis politiques.
Jeunes d’Europe vous devez savoir, que la traite négrière et l’esclavage ont représenté, en nombre d’hommes exploités, en volume de produits marchands, en chiffres monétaires,
le phénomène économique le plus important quantitativement de toute votre histoire pendant trois siècles. Une partie importante de votre prospérité d’aujourd’hui a été donc fondée sur ce mode d’exploitation.
Jeunes d’Europe, comme vous le voyez, condamner l’esclavage et la traite impose de remettre en cause une partie de votre histoire, de revisiter votre système éducatif…
Jeunes d’Europe, ne vous laissez donc pas abuser par les lobbies mémoriels qui tentent de profiter des trous de mémoire de vos sociétés. L’Europe démocratique d’aujourd’hui ne doit pas vous faire oublier l’Europe impérialiste qui a contribué à façonner le monde actuel et est à l’origine d’une partie de ses maux. Elle ne peut pas se contenter d’affirmer aux Africains que la colonisation avait pris leurs terres, banni leurs dieux, leurs langues, leurs coutumes, imposé ses modes de pensée, son histoire et, après cet aveu, conclure tout simplement : nous avons eu tort, mais si nous avons pris, cela vaut bien ce que nous avons donné. L’occupation coloniale ne fut pas seulement un acte illégitime, elle fut une terreur en soi, marquée par des exactions et des représailles qui ont fait reculer l’Afrique de plusieurs décennies. Les routes, les ports… qu’elle a construits avaient pour principale utilité de drainer vers les côtes les richesses de notre sol et de notre sous-sol au profit de vos populations. La colonisation a eu pour conséquence de spécialiser les pays colonisés dans des produits complémentaires à ceux des métropoles et qui étaient vendus à des prix inéquitables, ce qui a contribué tout à la fois à freiner la révolution industrielle dans les pays sous domination et à contre carrer leur autosuffisance. Elle a, au contraire, négligé les ressources humaines, sur lesquelles l’Afrique aurait dû s’appuyer en priorité, en faisant peu cas de l’éducation et de la formation de ses enfants. Savez-vous par exemple, que plus d'un siècle s'est écoulé entre la création de la première école française au Sénégal et la délivrance du baccalauréat à un sénégalais et que les premiers bacheliers sénégalais étaient traités en hors-la-loi et sanctionnés? La colonisation est à l’origine de l’extrême morcellement de l’Afrique, de la faible dimension de ses marchés nationaux, de l’enclavement de plusieurs de ses états, (un africain sur trois vit dans un pays sans débouché sur la mer, contre 1 sur 30 en Amérique latine, et un sur 50 en Asie), phénomènes qui, ajoutés aux conditions naturelles souvent difficiles (aridité, maladies spécifiques aux tropiques…), ont contribué à plomber le développement du continent.
Parmi les aspects positifs de la colonisation que célèbrent à l’envi ceux qui chez vous veulent instrumentaliser l’histoire, votre président a cité le fait d’avoir mêlé le destin de l’Europe et de l’Afrique, un destin scellé, selon lui, par le sang des Africains qui sont venus mourir dans les guerres européennes.Mais il ne précise pas que ces soldats étaient rarement des volontaires et que peu d'entre eux connaissaient les enjeux de ces guerres.
La France, a t-elle d'ailleurs,payé ce sang à sa juste valeur, le sang des 6 000 Tirailleurs sénégalais morts dans le seul Chemin des Dames, le sang de milliers de soldats africains qui ont péri dans les deux guerres mondiales ? Leurs tombes sont souvent restées à l’abandon dans vos campagnes, comme s’ils étaient sans descendance puisque personne ne vient s’incliner devant elles. Si les morts n’ont plus que les vivants pour ressources, si nos pensées sont pour eux les seuls chemins du jour, alors ils sont bien morts les soldats africains tombés en Lorraine, Champagne…
Mais je ne suis pas venu, Jeunes d’Europe, vous donner des leçons. Je ne suis pas venu vous faire de la morale. Je suis venu vous dire que la part de l’Afrique qui est en vous est le fruit de cette histoire partagée et que cette part en vous n’est pas indigne. Car elle est le fruit d’un engagement sans contrepartie, elle est l’appel de la reconnaissance de la solidarité entre les hommes. Elle est l’appel à la raison et à la conscience universelle.
Le problème de l’Europe, et permettez à un ami de l’Europe de le dire, il est là. Le problème de l’Europe c’est que l’homme européen veut s’approprier tout seul l’histoire et les progrès du monde. Le dilemme de l’Europe c’est de vouloir s’ériger en modèle absolu, dépositaire exclusif de la science, du droit et de la démocratie, de la liberté et de la justice, de considérer qu’elle est le seul vrai théâtre de l’histoire universelle et qu'elle seule,avec l'Amérique du Now,constitue l'opinion internationale.
Jeunes d’Europe, vos ancêtres ont longtemps cru qu’eux seuls étaient le peuple de la machine auxquels devaient être soumis les paysans et les ouvriers qui constituaient le reste du monde. Ils vous ont caché que la science des choses était cumulative alors que la connaissance scientifique est universelle. Ils ne vous ont pas appris à distinguer le savoir technique et scientifique, susceptible de progrès linéaire, de la culture qui n’est susceptible d’aucune évaluation ou de hiérarchisation.
D’où votre étonnement, aujourd’hui, devant l’émergence de nouveaux pôles de création, nés hors d’Europe,en Chine et en Inde notamment, et qui menacent vos privilèges.
D’où aussi votre surprise devant les splendeurs des arts africains que l’on s’obstine chez vous à appeler arts premiers, depuis que vous avez du renoncer à les appeler arts primitifs.
Le défi de l’Europe c’est d’accepter de reconnaître que la culture africaine a des valeurs sur lesquelles pourrait se fonder un modèle africain de développement durable. Le défi de l’Europe c’est de se laisser convaincre que le retard économique de l’Afrique ne peut être mis sur le compte de son identité, mais est dû au refus de la communauté internationale, et des pays africains eux-mêmes, de prendre en compte les logiques culturelles comme dimensions essentielles du développement.
Jeunes d’Europe n’écoutez pas les voix flagorneuses de ceux qui, chez vous, tentent toujours d’opposer ce qu’il y a de meilleur chez vous à ce qu’il y a de pire chez nous. Cela s’appelle préjugé.
Le problème de l’Europe c’est de toujours se référer à un héritage obsolète, de ressasser des références vieilles de deux siècles toutes imprégnées d’arrogance occidentale. De toujours se référer à une Afrique naturellement violente dont la caractéristique fondamentale serait le repliement sur soi. D’invoquer encore Hegel et, à travers lui, une pensée qui a servi, parmi d’autres, à fournir les outils conceptuels et les principes théoriques qui ont permis de justifier la colonisation.
Le drame de l’Europe c’est de récupérer les vieux fonds ethnologiques fondés sur une connaissance parcellaire de l’Afrique et sur une vision eurocentrée de l’histoire et de la culture africaine.
N’est-il pas désespérant qu’en ce début du XXIème siècle, le président d'une vieille nation comme la vôtre puisse encore puiser dans cette bibliothèque coloniale et raciste et cautionner des théories pseudo-scientifiques opposant l’homme occidental, doué de raison, et les peuples et races africains enfermés dans le cycle de la répétition et du temps mythique cyclique. Qu’il fasse encore appel à cette notion idiote d’âme africaine et ne donne de l’Afrique qu’une définition purement négative.
Le problème de l’Europe c’est de toujours répéter les mêmes erreurs, d’annoncer des ruptures qui ne viennent jamais, cachant aussi sa responsabilité dans la détérioration du sort de l’Afrique contemporaine.
N’est-ce pas elle qui, par son bras armé, le FMI, dont elle préside les destinées depuis un demi siècle, avec la complicité de son puissant allié américain, ont imposé à l’Afrique cette thérapie meurtrière connue sous le nom d’ajustement structurel et dont l’échec est aujourd’hui reconnu par tous.
L’Europe n’est-elle pas le premier marchand d’armes du monde, celui des bombes et des mines, dont le commerce représente vingt fois l'aide au developpement, et n’a t-elle pas laissé faire des génocides en Yougoslavie ou au Rwanda, cinquante ans après les crimes nazis?..
Elle qui aime tant parler de droits de l’homme, de démocratie et de transparence, ne continue–t-elle pas à soutenir, en Afrique même, des régimes corrompus, sous prétexte que leurs dirigeants sont ses amis ?
Elle qui prêche haut pour la franchise que l’on doit aux amis, que n'a t-elle fait bénéficier de cette disposition à son plus proche ami, les États Unis, sous l'ère G. W. Bush,en refusant de s’aligner sur les thèses les plus dures des néo-conservateurs américains au pouvoir, en condamnant l’idée d’une nécessaire confrontation entre l’Islam et l’Occident, l’abomination que représentait la torture dans les prisons américaines de Guantanamo et d’Abou Graib ou l’effet de pourrissement provoqué par le non règlement du conflit israélo-arabe voulu par Washington.
La réalité de l’Europe c’est qu’elle vit le présent dans la nostalgie de sa grandeur passée et qu’elle a du mal à se débarrasser de ses oripeaux impérialistes.
Ainsi après une décolonisation, souvent formelle, la France a installé en Afrique la françafrique, c’est-à-dire un système de corruption réciproque entre elle et ses affidés africains. Car, on ne le dit pas assez, la corruption des dirigeants africains profite aussi aux sociétés et aux dirigeants européens,comme l'a révélé recemment chez nous le procés de l'Angola gate.
La réalité de l’Europe c’est de vouloir maintenir avec l’Afrique des rapports où l’une des parties, l’Afrique, n’est pas assez libre ni égale à l’autre, de tenir un langage par lequel elle s’exempte de tout refus d’exposer ses raisons et s’auto-immunise, tout en faisant porter le poids de la violence au plus faible, comme si elle pouvait s’exprimer sans fin sous prétexte qu’elle est décomplexée par rapport à son histoire coloniale.
A tous ceux qui la croyaient soumise parce qu’appauvrie, l’Afrique a dit non, à Lisbonne, non à la camisole de force des Accords de Partenariat économique (APE), non à la libéralisation sauvage des échanges commerciaux et à tous les avatars du pacte colonial.
La réalité de l’Europe c’est celle d’un grand continent héritière d’une très vieille civilisation. Mais elle oublie justement que l’âge d’une civilisation doit se mesurer par le nombre des contradictions qu’elle accumule, par le nombre des coutumes et des croyances incompatibles qui s’y rencontrent et s’y tempèrent.
Jeunes d’Europe ne cédez pas à la tentation de la pureté, parce qu’elle est une maladie, une maladie de l’intelligence.Elle est un enfermement ,elle est une intolérance.
Jeunes d’Europe ne vous coupez pas de ce qui vous enrichit. La pureté est un enfermement, la pureté est une intolérance.
Ne fermez pas vos frontières à tous ceux auxquels il manque quelque chose et qui ne veulent que vivre, car vivre c’est, à chaque instant, manquer de quelque chose.
Jeunes d’Europe, refusez de faire de l’immigration une cible de substitution, un bouc émissaire idéal pour faire oublier les difficultés économiques et sociales et de n’en donner qu’une vision utilitariste et eurocentriste.
N’écoutez pas, Jeunes d’Europe, ceux qui font un étrange amalgame entre l’immigration et la délinquance. Refusez les ministères de la peur et de l’hostilité, l’utilisation électorale permanente de l’immigration et la politique du chiffre qui lui sert de viatique. Combien d'immigrés a t-il fallu controler pour en expulser 25000 en un an.
L’immigration est un facteur de croissance économique incontournable pour l’Europe dont la population vieillit; plutôt qu’une immigration choisie par l’une des parties, donc imposée, préférez une régulation soumise aux intérêts des uns et des autres.
La peur de l’Europe, c’est de préserver une identité nationale homogène, repliée sur elle-même, dans le déni de son hétérogénéité constitutive. Le risque que court l’Europe c’est de remettre en cause les principes mêmes de démocratie, puisque celle-ci se définit comme une souveraineté non soumise à une condition d’appartenance ethnique, culturelle ou linguistique.
En quoi la France, grande et vieille nation, avait-elle besoin de pointer, comme un problème gravissime, les rapports entre les flux d’étrangers (qui ont construit ce pays depuis des siècles) et son identité ? Les migrations ont accompagné toute l’histoire de l’humanité, elles sont une chance contre la guerre des cultures où certains voient en elle l’avenir de celle-ci.
La faiblesse de l’Europe c’est de croire qu’elle ne peut résister aux dangers de la mondialisation qu’en renforçant les égoïsmes de ses riches citoyens aux dépens des plus pauvres et des nations les plus démunies. De croire qu’elle peut refuser à l’Afrique le recours à la protection et à la subvention de sa production agricole alors que si la terre a une valeur chez elle, c’est que le revenu des paysans y est subventionné.
Le drame de l’Europe c’est qu’elle a besoin de penser que l’Afrique ne va pas bien, même si le taux de croissance du continent noir est 2 à 3 fois supérieur à celui d’un pays comme la France.
C’est de toujours jeter sur l’Afrique un regard misérabiliste et compassionnel et faire croire qu’elle a besoin des Européens. Après un demi siècle de décolonisation formelle, les jeunes générations africaines ont appris que de l’Europe, tout comme des autres puissances mondiales, il ne fallait pas attendre grand chose. Les Africains se sauveront eux mêmes ou ils périront.
Jeunesse européenne, ce que l’Afrique veut ce n’est pas être aidée, c’est être considérée.
Ce que veut l’Afrique ce n’est pas que l’Europe prenne son avenir en main, ce n’est pas que l’Europe pense à sa place, ce n’est pas que l’Europe décide à sa place.
Les Européens voudraient que le pétrole africain leur soit réservé et ne soit pas donné aux Chinois. Ils reprochent aux Chinois de ne pas conditionner leurs investissements à la bonne gouvernance, comme si eux-mêmes n’avaient soutenu que des pays honorables.
L’Europe promet une Eurafrique chimérique, calquée sur celle qu’exaltait De Gaulle il y a …cinquante ans, sans faire un geste pour encourager les efforts intenses de construction du cadre économique unitaire africain. Elle appelle d’ailleurs l’Afrique, non pas à s’unir à elle, mais à se mettre derriere elle et à ce que toutes deux se dressent, ensemble, contre les pays émergents d’Asie.
L’Europe s’investit pour la constitution d’une union méditerranéenne entre elle et l’Afrique du Nord, dans le but de promouvoir une alliance économique et surtout sécuritaire dont la conséquence est, une fois encore, de conforter un découpage géographique opposant les pays africains riverains de la Méditerranée du reste de l’Afrique. Sans compter d’autres arrières pensées, moins avouables, comme l’introduction d’Israël dans le débat africain ou la guerre contre l’Iran.
N’écoutez pas, Jeunes d’Europe, ceux qui veulent vous faire prendre votre part dans l’aventure humaine en expropriant les jeunes d’Afrique de ce qui leur appartient.
N’écoutez pas ceux qui sont restés aux vieux classiques, qui citent Senghor et oublient Cheikh Anta Diop, qui manient une phraséologie à géométrie variable.
Écoutez plutôt, Jeunes d’Europe, la grande voix de Thomas Sankara qui, toute sa vie, porta haut et fort les revendications des plus démunis.
Il disait, lui, le premier des hommes intègres, celui qui voulait inventer l’avenir, qu’il fallait que l’Afrique et l’Europe, et tous les hommes de bonne volonté, mettent ensemble leurs efforts pour que cesse la morgue des gens qui n’ont pas raison.
Il voulait une révolution s’inspirant de toutes les expériences des hommes depuis le premier souffle de l’humanité, héritière de toutes les révolutions du monde.
Il refusait de laisser le monopole de la pensée, de la créativité, de l’imagination aux ennemis de l’Afrique.
Il voulait promouvoir un ordre économique mondial fondé sur la ruine de l’ancien ordre et qui ne serait pas le résultat d’un acte de générosité d’une puissance quelconque.
Il voulait que l’Afrique ait un droit de regard et de décision sur les mécanismes qui régissent le commerce, l’économie ou la monnaie à l’échelle planétaire.
Jeunes d’Europe, voulez-vous l’avènement de cette Afrique forte, unie, sûre d’elle, partenaire et non plus servante d’une alliance euro-africaine ?
Jeunes d’Europe, voulez-vous contribuer à cette Renaissance de l’Afrique, qui peut, aussi, être celle de l’Europe, et qui commencera en vous apprenant ce qu’est l’Afrique, et non ce qu’on veut qu’elle soit. Cette Renaissance, vous seuls pouvez contribuer à l’accomplir parce que vous en avez la force.
Ce que l’Afrique veut faire avec l’Europe c’est une alliance de la jeunesse européenne et de la jeunesse africaine pour que le monde de demain soit un monde meilleur, pour que cessent l’arbitraire et l’arrogance.
Si vous le voulez aussi, Jeunes Européens, alors nous serons ensemble pour regarder avec confiance l’avenir et pour nous sentir, tous, enfin, des hommes, comme tous les autres hommes de l’humanité.
Je vous remercie.


P.c.c. Fadel DIA
fadeldia@gmail.com

NB Ce texte a été publié sur le site du mouvement des indigènes de la république (http://www.indigenes-republique.org/spip.php?article1265)


Ce texte est construit sur l’allocution prononcée par Nicolas Sarkozy à Dakar le 26 Juillet 2007, revue, corrigée et enrichie de citations empruntées à Thomas Sankara, Paul Valery, Jean Paul Sartre, Bruno Jaffre, Claude Liauzu, Anne Cécile Robert, Ignacio Ramonet, Marc Crépon, Achille Mbembe, Olivier Pironet, Laurent Giovannoni, Odile Tobner, Cheikh A. Diop, Augusta Conchiglia.Les idées exprimées ici n’engagent que le Président Bougnoul.