Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

dimanche 12 juillet 2015

MURS D'ÉGOÏSMES !

NB : Texte paru dans "Sud Quotidien" du 9 juillet 2015

Il y a  près de vingt siècles, les Romains inventaient le Limes : une barrière faite de fossés, de palissades ou de murs, destinée à les protéger contre les incursions de ceux qu’ils appelaient les « Barbares », c’est-à-dire tous ceux qui n’étaient pas de culture grecque ou romaine. Le limes n’a pas résisté aux hordes d’Attila, et d’autres, mais il reste toujours des Barbares, à cette différence près que ceux d’aujourd’hui ce sont les migrants, les déplacés venus du Sud réputé prolifique et instable. Pour prévenir donc une nouvelle invasion barbare, les nations riches d’Occident élèvent des barrières bien plus sophistiquées que le limes romain, des murs de béton, de fer et d’électronique.

Il est revenu, le temps des murs…

L’Espagne a construit autour de Ceuta et Melilla des murs sur lesquels se brisent les rêves des jeunes sub-sahariens. Faut-il le rappeler : ces  enclaves sont des « colonies » en terre africaine, elles ont été acquises par la force et maintenues dans le giron espagnol au mépris des lois qui, depuis plus de cinquante ans, imposent aux anciens colonisateurs de restituer les terres qu’ils s’étaient appropriées par le sabre et le fusil. Comme elle n’est pas à un paradoxe près, l’Espagne s’agrippe à ses enclaves mais revendique la restitution de Gibraltar par les Anglais !

Israël a fait pire, car cet Etat est devenu expert en matière d’humiliation et de torture. Il a donc construit un mur de plus de 700 km qui a la particularité d’empiéter pour 85% dans le territoire cisjordanien et de couvrir à lui seul près de 10% de la superficie d’un Etat reconnu par la grande majorité des nations du monde ! Ce mur, censé protéger, notamment, des colonies juives, elles-mêmes illégales, est considéré comme un «  mur de la honte », un « mur de l’apartheid » et, en 2003, l’Assemblée Générale de l’ONU a condamné sa construction pour des raisons à la fois politiques et humanitaires…

Depuis 2002, les Etats-Unis, pays d’immigrants par excellence, ont commencé la construction d’un mur sur leur frontière méridionale pour tenir  à l’écart les « Latinos » attirés par la splendeur du Texas ou de la Californie. Le pays qui revendiquait le privilège d’être la patrie de tous ceux qui avaient soif de liberté est désormais inaccessible derrière une barrière de cylindres d’acier et de béton haute de 5 mètres, bardée de projecteurs et de caméras…

L’exemple venant de haut, des pays européens, qui ne sont ni des îlots de prospérité ni des terres d’immigration particulièrement attrayantes, se sont mis eux aussi à élever des murs à leurs frontières contre les flots de migrants désormais assimilés à des criminels. C’était déjà le cas de la Grèce, c’est celui de la Bulgarie qui toutes deux, tentent de fermer le point de contact de deux des plus vieilles civilisations du monde. Mais le pire est à venir puisque la Hongrie se propose de construire un mur à sa frontière avec… la Serbie, c’est-à-dire non plus aux frontières orientales du vieux continent, mais en son sein même, coupant l’Europe comme elle ne l’a jamais été depuis l’occupation ottomane !

Voila que la petite Tunisie s’y mêle, dit-on…

Ces murs contre la liberté ne sont pas seulement des ouvrages dont la vocation est d’être enjambés un jour ou l’autre, ce sont aussi des édifices ruineux, au point que l’on peut se demander si cela ne coûterait pas moins cher à ces pays d’organiser un accueil simplement humain de ceux qui frappent à leurs portes plutôt que d’ériger des barricades pour les contenir. Les murs de Ceuta et Melilla ont coûté à l’Espagne 47 millions d’euros et leur  entretien revient à 10 millions d’euros par an. La barrière israélienne   représente un investissement d’un milliard d’euros. Quant aux barrages construits à la frontière américano-mexicaine, ils ont coûté 20 milliards de dollars au trésor des Etats-Unis !

Comme les temps changent !

Il y a quelque trente cinq ans, des Européens se mobilisaient pour une opération baptisée « Un bateau pour le Vietnam ». Il ne s’agissait pas alors seulement de secourir les immigrants qui frappaient à leurs portes, il fallait sauver des naufragés perdus loin de leurs côtes, dans l’Océan Pacifique. C’était plus qu’un accueil, c’était une invitation qui répondait à un idéal d’humanisme.

Il y a vingt cinq ans, les Européens fêtaient dans l’enthousiasme la chute du mur de Berlin, exprimant ainsi leur volonté de mettre fin à toute confiscation de la liberté des hommes à toujours rechercher le bonheur et des raisons de vivre…

L’immigration assimilée à une fuite d’eau !

Aujourd’hui  cette  générosité fait place à une real-politique indifférente à la misère du monde et qui gagne toutes les capitales européennes. Les Européens qui s’étaient enrichis par la conquête du monde se recroquevillent désormais dans leur pré carré : 130.000 migrants font trembler 500 millions d’hommes et de femmes !

Aujourd’hui, Nicolas Sarkozy se rit et fait rire son monde de ces désespérés qui assiègent l’Europe en les comparant à une fuite d’eau. C’est immonde, parce qu’il s’agit d’êtres de chair et de sang, de femmes, d’hommes et d’enfants qui pour la plupart n’ont pas choisi de partir, mais ont fui devant une débâcle dont Sarkozy, et d’autres, sont responsables. Parce que beaucoup parmi eux ont d’abord besoin de soins, traumatisés qu’ils sont, physiquement et moralement, par un départ  précipité, l’abandon de leurs familles, de leurs maisons, de leurs biens si maigres soient-ils, par des conditions de voyage inhumaines. Les abandonner à leur sort est un crime de non assistance à personnes en danger !

La Grèce efface les migrants !

Mais si les propos de Sarkozy sont cruels, ils expriment une réalité : le sort des migrants n’intéresse plus grand monde en Occident. De toutes façons, « il n’y a rien à faire ! », a affirmé récemment un membre de l’Académie Française, sauf à laisser les migrants se noyer dans le cimetière méditerranéen et à contenir les rescapés dans des camps. Il a suffi que la crise grecque atteigne son paroxysme pour que les migrants disparaissent des écrans : on ne sait plus depuis une semaine ce que sont devenus ceux d’entre eux qui squattaient sur les rochers de Vintimille ou dans les squares parisiens. L’Occident a bien trop à faire, il lui faut renforcer d’autres murs, invisibles ceux là mais bien réels, faits de mépris et d’égoïsme, ceux qui sépareront toujours les pauvres des nantis et dont le dernier a pour mission de confiner dans un lazaret ce qui avait été le berceau de la civilisation occidentale : la Grèce !