Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

vendredi 31 mai 2013

L’ALTERNANCE N’EXISTE PAS !

NB Texte publié dans "Sud Quotidien" (édition du 17 mai 2013)

Un ancien Président de la République, qui fut, douze ans durant, « gardien de la Constitution », qui appelle les militants de son parti à prendre possession de la rue pour exiger, non le respect de la démocratie, mais la libération de son fils incarcéré pour des délits aussi peu glorieux que le trafic d’influence,  l'enrichissement illicite et la corruption…

D’anciens ministres de la République, dont celui de l’Intérieur et celui de la Justice, chargés donc autrefois, respectivement, de la police et du maintien de l’ordre et du respect des lois, qui appellent à l’insurrection et au désordre, poussent à la désobéissance civile et menacent de marcher sur la prison pour libérer ce prisonnier décidément très précieux…

Recto et verso

Le chef d’un parti, membre à part entière de la majorité, qui réussit cette posture inconfortable d’être assis sur deux chaises, reniant à toutes les occasions les actions de son allié, sans prendre le risque de rompre les amarres, de se retirer d’une coalition dont il ne se sent plus solidaire. Il est vrai qu’en d’autres temps, un autre chef de parti avait tenté de nous convaincre qu’on pouvait vivre sept ans avec des voleurs sans jamais succomber à leur vice…

Des hommes et des femmes qui semblaient s'entendre comme larrons en foire, s’adoraient même il y a quelques mois, marchaient la main dans la main pour célébrer le culte d’un seul homme, et qui non contents de s’être éparpillés en plusieurs chapelles, se jouent des tours de cochon, s’écrivent au lieu de se parler…

Ceci c’est le verso, car il y a aussi le recto !

Un Président de la République, en exercice celui-là, qui, il y a à peine plus d’un an, alors qu’il était un opposant déclaré, souffrait de se voir interdire un droit inscrit dans la Constitution, celui de manifester, et qui aujourd’hui fait interdire l’exercice de ce même droit à ses opposants, en invoquant les mêmes justifications que son prédécesseur…

Le même président qui réunit les directeurs et chefs des sociétés publiques et parapubliques affiliés à son parti, ce qui est en soi un acte peu républicain, pour leur dire que la seule manière de conserver leurs fonctions était de remporter les suffrages dans leurs circonscriptions d'origine. C'est une procédure que ne renierait pas son prédécesseur car elle consiste à autoriser tous les délits pour préserver la victoire du Parti.

Un ministre qui avait bâti sa réputation sur la stigmatisation des passe-droits et de la mal gouvernance et qui, aujourd’hui qu’il est au pouvoir, justifie les marchés de gré à gré et les pactes secrets. Il reconnaît désormais, par la même occasion, l'existence d'une raison d'Etat et la pertinence des éléphants blancs. Le même homme jadis épris du respect des libertés qui passe sous silence et même défend la résurgence de pratiques que l'on croyait abolies : des soupçons de pression sur un magistrat qui voulait une justice républicaine, l'expulsion d'un exilé politique dont le seul tort avait été de fustiger la dictature et l'injustice...

On est pourtant treize ans après le début de ce qu'on avait appelé l'Alternance et ses promesses de changement !

Dépouilles politiques

C'est que, décidément, en politique plus ça change et plus c’est pareil, tout dépend de l'endroit où l'on se trouve ! L'alternance n'existe pas, ou plus exactement, de même qu'une hirondelle ne fait pas le printemps, de même un homme politique ne fait pas l'alternance. Ni Robespierre, ni Danton, ni Mirabeau n'étaient à l'assaut de la Bastille, c'est le peuple de Paris qui a contraint la forteresse à la reddition, et, n'eût été sa vigilance, la Révolution aurait été vite balayée par les partisans de l'Ancien Régime... C'est le peuple qui fait l'alternance. C'est sans doute l'un des sens qu'il faut donner à cette sentence du Livre Saint selon laquelle « Dieu ne change en rien la bonne fortune qu'Il a accordée à un peuple sans que celui-ci ne change l'état de son cœur » (Coran VIII,53). Il en est de même de sa désespérance.

Les promesses de changement de Wade n'ont tenu qu'un printemps, parce que, très vite, et c'est  une loi de la politique, l'ambition d'accomplir quelque chose a laissé la place au rêve de devenir quelqu'un. Contrairement à ce que dit François Hollande, aucun chef d'Etat ne peut se contenter d'être un homme « normal ».

Voilà qui explique cette idée  de Wade, insensée et irréaliste, de mettre en chantier l'extension du siège de son parti à quelques mois d'un scrutin auquel il n'avait pas le droit de participer en tant que candidat et qui, de toutes façons et selon tous les pronostics, lui serait défavorable. Il avait pourtant vu le Parti Socialiste, après la défaite de Diouf en 2000, révoquer la quasi-totalité des agents qui servaient dans son siège et laisser pratiquement en friches le vaste domaine qu'il s'était octroyé à Colobane. Le résultat de la précipitation du « pape du Sopi », c'est cette carcasse métallique  inachevable, en tout cas inachevée et déjà rouillée et qui était censée abriter le Palais des Congrès d'un part dont le seul actionnaire était en fin de contrat. Elle trône sur la VDN, jouxtant le somptueux et souvent désert siège du PDS, comme un igloo désossé, tombé en déshérence, figé dans l'oubli. Wade était pourtant bien placé pour savoir que sous nos cieux, la prospérité des partis politiques est en rapport direct avec l'exercice du pouvoir : il suffit de comparer le siège exigu du PDS de Colobane, celui de l'époque des vaches maigres, à l'édifice construit sur la VDN en quelques mois, avec des moyens qui ne proviennent sûrement pas des cotisations des militants. À peine son fondateur défait, le PDS s'est scindé en une demi-douzaine de factions dont chacune prétend être la seule légitime et nul ne sait même quel nom figure sur le titre de propriété de son siège.

Le projet suspendu et déjà décrépi du Palais des congrès du PDS constitue le symbole de la vanité du pouvoir et de l'état de l'héritage politique de Wade. Le pouvoir actuel gagnerait  à se passer de ces dépouilles politiques, qui sont un obstacle dans notre marche vers le progrès, et à préférer l'effort à la mise en scène. Car le vrai danger pour le président Macky Sall ne vient pas des piques voulues assassines et des rodomontades de Idrissa Seck.  Les allées et venues du maire de Thiès vers et hors du PDS ont accrédité aux  yeux de l'opinion l'idée d'un politicien ondoyant, un allié sur lequel on ne peut longtemps compter.

Le vrai danger vient du doute qui s'installe dans la tête de ceux qui croient encore à la sincérité du candidat qu'ils avaient élu. Aucun d'entre eux ne lui demande de faire en un an ce qu'il avait promis de faire en cinq, même s'il ne lui en reste que trois car l'année électorale est une année perdue.  Aucun de ses amis ne met à son seul compte toutes les discordances notées dans son entourage, les excès de langage de certains de ses proches, et les erreurs de casting qu'il a pu faire peuvent encore être rattrapées. Contrairement à l'ancien président Wade qui s'était octroyé un CDI, Macky Sall a promis de se contenter d'un CDD de cinq ans renouvelable une seule fois. Le maximum qu'il puisse rester au pouvoir c'est donc dix ans.

C'est un peu court pour se forger une légende, mais dix ans ce n'est pas rien : c'est autant que le règne d'Alexandre le Grand ; c'est le laps de temps qu'a duré le Premier Empire et dans ce laps de temps Napoléon a conçu le Code Civil et l'Institut de France, le baccalauréat et les Universités, la Cour des Comptes, la Bourse de Paris, la Banque de France,  etc. Ce qu'on demande au président Sall, c'est de prendre plus résolument qu'il n'a fait jusqu'ici le chemin qui conduit aux vrais changements et il peut remercier Dieu : les Assises Nationales lui ont largement mâché le travail.