Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

mercredi 11 septembre 2013

ZORRO-HOLLANDE

 

Il y a dix ans la diplomatie française  connaissait un de ses plus beaux titres de gloire. Pour la première fois sans doute dans l’histoire des Nations-Unies, le représentant d’un membre permanent du Conseil de Sécurité, Dominique de Villepin en l’occurrence, était ovationné par l’ensemble des nations du monde, à l’exception des Etats-Unis, du Royaume Uni, et d’Israël  évidemment. Et encore : on ne peut pas dire qu’au fond de leur cœur les délégués des deux premiers pays n’aient pas plutôt sacrifié leur conviction intime au profit de leur sentiment patriotique puisque le Secrétaire d’Etat américain, Colin Powell, regrettera publiquement son discours et parlera de tromperie.

Fallujah, avant Damas

Pour balayer toute équivoque Villepin avait rappelé à ses collègues que le débat ne portait pas sur la culpabilité du président irakien, mais sur la manière de le combattre. « Aucun d’entre nous, avait-il rappelé, n’éprouve la moindre complaisance à l’égard de Saddam Hussein et du régime irakien ». On est aujourd’hui dans la même position vis-à-vis de Bachar El Assad et de son régime. On n’avait que trop toléré les excès de sa dictature, qui avait bénéficié, faut-il le rappeler, de la complaisance de certains, parmi lesquels Nicolas Sarkozy qui avait fait de lui l’invité d’honneur de la fête nationale française. A fortiori on ne peut tolérer qu’il écrase (?) les populations civiles sous les bombes chimiques, même si d’illustres chefs d’état de pays dits « civilisés » avaient commis le même crime sans être inquiétés. Sans remonter à la guerre du Vietnam, rappelons tout de même qu’en 2004, l’armée américaine  avait lancé une opération intensive de bombardement sur la ville irakienne de Fallujah, lâchant sur des femmes et des enfants, principalement, des bombes enrichies au phosphore blanc et à l’uranium. Aujourd’hui Fallujah est une zone  interdite (y compris aux membres de l’l’AIEA !) et selon le professeur Chris Bubsy, Secrétaire scientifique du Comité européen sur les risques liés aux radiations, sa population serait ravagée par le cancer, la mortalité infantile et les malformations génétiques. Les Etats-Unis sont, et de loin, le pays qui a eu le plus souvent recours aux armes chimiques et si l’humanisme n’est pas à géométrie variable, les défenseurs des droits de l’homme du Nord devraient aussi s’inquiéter du sort des populations de Fallujah et réclamer justice… 

Aujourd’hui aussi le débat porte sur les voies par lesquelles on peut mettre un terme aux pratiques criminelles d’un régime et rétablir la démocratie. En 2003, à la tribune des Nations-Unies, Villepin rappelait que la guerre était toujours « la sanction d’un échec » et que personne ne pouvait affirmer qu’elle « pourrait déboucher sur un monde plus sûr, plus juste, plus stable ». Il proposait donc d’aller au désarmement de l’Irak d’abord par la voie des inspections et, en cas d’échec, « l’examen par le Conseil de Sécurité de toutes les options, y compris celle du recours à la force ». Comme on le voit, il proposait à la fois une stratégie et une caution, qui toutes ont été rejetées par le président Bush. Les américains sont donc passés outre, ils ont gagné la guerre, mais ils n’ont pas rétabli la paix en Irak.

La France à la remorque de l’Amérique             

Dix ans après le discours de Villepin, la France se retrouve dans le même isolement que celui des Etats-Unis en 2003 et, pour emboucher les trompettes de la guerre, elle use de la méthode qu’elle avait condamnée. Paradoxalement, c’est un président socialiste qui prône le recours exclusif à la force, et à force de vouloir démontrer qu’il n’est pas ce que l’on croit, François Hollande semble  traumatisé par les fantômes de ses deux principaux adversaires aux primaires socialistes et à l’élection présidentielle de  2012. Martine Aubry l’avait traité de symbole de la  « gauche molle » et le voila qui bande les muscles. Sarkozy avait eu sa «  guerre de Libye », Hollande veut sa « guerre de Syrie ». Il ne se satisfait plus de ses bains de foule à Tombouctou et du « plus beau jour de sa vie » vécu à Bamako, car, malgré cinquante ans d’absence de troupes françaises sur son sol, le Mali reste pour lui un élément du pré carré de la France, et il n’y a aucune gloire à reprendre ce qui vous appartenait déjà. Il sera donc BHL, Sarkozy, Bush et la CIA. Tout comme son prédécesseur il fera de la reconnaissance prématurée de l’opposition  comme autorité légitime le point d’orgue de sa politique, alors même que les antis Assad n’étaient d’accord sur rien. Il ne tient aucun compte de son opinion publique, majoritairement opposée à la guerre, ni des avis d’une frange importante de l’opposition syrienne, ni évidemment, de ceux du Pape. Contrairement au Premier Ministre britannique, il refuse que son Parlement se prononce, ce qu’il avait pourtant préconisé lors de la crise irakienne. Comme Bush en 2003, Il ignore superbement la commission d’enquête internationale, et ne s’est résolu à attendre la publication de son rapport que sous la pression de l’Allemagne. De toute façon, l’enquête, il l’a déjà faite, par ses propres services, comme l’avaient fait naguère  les services de renseignements américains, en annonçant la découverte d’armes de destruction massive dont on ne verra jamais les traces ! Enfin, et c’est une première pour la diplomatie française, il se dit prêt à se passer de l’assentiment de l’ONU, ignorant une fois encore cet avertissement lancé par Villepin en 2003 : s’il y a la guerre, « ce sont les Nations-Unies qui resteront demain, quoiqu’il arrive, au cœur de la paix à construire ». Il est vrai que la mission que s’assigne Hollande consiste seulement « à punir Assad », elle est d’ordre moral et non politique, comme si le rétablissement de l’ordre et de la justice était secondaire.

Patatras ! Tout s’écroule ! Parce que la témérité de François Hollande reposait sur ce postulat : la France ne serait pas seule et, comme toujours, le gros œuvre reposerait sur la force de frappe américaine. A la différence du Mali, la Syrie a une armée  et c’est même désormais la seule armée arabe susceptible d’opposer une certaine résistance à Israël. Ce n’est pas la lointaine Australie, seul pays à lui offrir son aide, qui assurera à la France la couverture aérienne indispensable à son opération punitive. Voila pourquoi les hésitations et reculs d’Obama mettent le président français dans une situation inédite : il est suspendu aux décisions du Congrès américain et, sachant l’attachement que les Sénateurs portent à leurs électeurs, la politique extérieure française se fera donc conformément aux intérêts des Etats-Unis d’Amérique.


Hollande veut aller en guerre, mais il n’en maîtrise pas le calendrier et il attend la permission d’Obama pour la conduire ! De Gaulle, qui avait fait de l’indépendance de l’initiative de la France l’axe principal de sa politique extérieure, doit se retourner dans sa tombe !