Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

vendredi 9 novembre 2007

POST SCRIPTUM A ADAMA BA KONARE : POUR UNE LECON D'HISTOIRE OU POUR UNE RIPOSTE POLITIQUE ?

C’est une femme, Adama BA KONARE, historienne engagée, qui a pris le risque de « défier » Nicolas Sarkozy et de proclamer la nécessité, l’urgence même, de lui donner une leçon d’histoire «par devoir scientifique et militant », et de « défendre la mémoire de l’Afrique ». Certes une leçon n’est jamais perdue surtout en ces temps où la tentation est grande d’instrumentaliser l’histoire comme le montre « l’affaire Guy Mocquet, mais après le coup de colère bien compréhensible des historiens (africains et français) il est temps, me semble t-il de lever un malentendu : ce n’est pas aux historiens de donner une leçon à Sarkozy, ce devoir revient aux politiques et c’est en cela que leur silence est si pesant.
Le Président français ne s’exprimait pas en effet devant une Académie des Sciences ni devant un symposium d’érudits. S’il a décliné son « message à la jeunesse d’Afrique » dans l’amphithéâtre d’une université, c’est devant un aéropape de notables, de corps constitués, devant des invités BCBG, tous respectueux du protocole et il le savait. Il n’a aucune compétence pour parler de l’histoire ou de la culture africaines et n’a d’ailleurs jamais manifesté un intérêt quelconque pour notre continent au cours de sa déjà longue carrière politique. Le conseiller qui a rédigé le discours de Dakar, et que Sarkozy lui même traite de « fêlé », n’est pas connu dans le cercle des africanistes avertis, et le serait-il que cela n’y changerait rien. En effet, Nicolas Sarkozy demande à ses « nègres » non d’exprimer leurs pensées mais tout simplement de traduire en mots, de préférence provocants, ses propres convictions. Il a été élu pour cela, nous répète-t-il à l’envi…. Alors à quoi cela servirait –il de lui donner, à lui et à tous ceux qui ressassent des théories éculées et des affirmations gratuites, des matériaux dont ils n’ont nul besoin et qui ne présentent aucun intérêt à leurs yeux ? Des matériaux déjà disponibles puisqu’en la matière il existe des ouvrages, des références, des spécialistes, souvent prestigieux, qui peuvent attester du rôle de l’Afrique et de sa place dans l’histoire. Il n’y a pas grand chose à ajouter à ce patrimoine, sinon peut-être à le vulgariser et on sait ce que ce mot implique de sacrifices et quelquefois de déformations….
C’est en vérité un discours politique que le Président français a tenu à Dakar, une allocution qui exprime une vision politique, qui poursuit des objectifs politiques. C’est aux politiques de lui donner la réplique.
Nous les invitons donc à sortir de leur réserve, sans même tirer sur la corde sensible. Qu’ils oublient, pour une fois, la colonisation ou l’esclavage que nous évoquons trop souvent pour justifier nos malheurs présents. Qu’ils acceptent même l’opprobre de reconnaître que l’Afrique n’a inventé ni la roue ni l’écriture et que nos états ont été plus souvent des anarchies que de grands empires. Encore que … car Sarkozy a bien parlé de « l’Afrique » et comme beaucoup d’autres il en exclut l’Egypte et fait semblant d’ignorer ce que celle-ci doit à sa périphérie. C’est plus facile car qui comprendrait que l’homme qui vient d’une ville dont la plus belle place se glorifie d’un authentique obélisque égyptien vieux de plusieurs millénaires accuse le pays des Pharaons d’être « hors de l’histoire » ?
Mais oublions toutes ces arguties. En ne s’en tenant qu’aux cinquante dernières années, que nos politiques posent à l’opinion occidentale en général et à Mr Sarkozy en particulier cette embarrassante question : qu’avez-vous donc fait depuis un demi siècle pour nous sortir de ce malheureux sort, de ce retard économique et culturel que vous stigmatisez aujourd’hui.
Qu’avez-vous fait, lorsque nos pays ont accédé aux indépendances pour que ne s’installe pas entre vous et nous cette « liaison incestueuse » qui a fait que vos gouvernements « pilotaient des guerres civiles en Afrique » des conflits qui nous ont coûté autant que l’aide que nous recevons de vous ? Pour que vos pays n’attisent pas chez nous des querelles ethniques (« tribales » dites-vous ), ne « déversent pas des armes sur des régions déjà à feu et à sang », ne s’appuient pas sur des « réseaux maffieux ou ne couvrent même, carrément, des assassinats ».
Qu’avez-vous fait pour prévenir la balkanisation, pour que l’Afrique ne soit pas plus morcelée encore – donc plus affaiblie – qu’elle ne l’était sous la période coloniale ? Pourquoi avoir dynamité la fédération du Mali, tenté de sortir le Biafra du Nigéria, le Katanga du Congo et avoir exfiltré Mayotte des Comores ?
N’est-ce pas vous qui, au lendemain des indépendances, avez imposé à la tête de nos jeunes nations des hommes qui foulaient aux pieds les droits humains et manifestaient peu d’enthousiasme à transformer leurs sujets en citoyens libres ?
N’avez-vous pas longtemps flirté avec Botha et le Maréchal Mobutu, accepté les diamants de l’Empereur Bokassa, châtié Lumumba, Nkrumah et Sankara ?
N’est-ce pas vous qui affirmiez que nous n’étions pas mûrs pour la démocratie et qu’au fond, nos gouvernements avaient assez fait s’ils parvenaient seulement à assurer notre survie alimentaire ?
Qu’avez-vous donc fait pour que les richesses de notre sol et de notre sous sol profitent d’abord à nos populations, pour que vos multinationales ne les pillent pas, sans se préoccuper de notre avenir, en semant la mort et les luttes intestines sur leur passage et pour que les termes de nos échanges soient équitables ?
Avez-vous tenu toutes les promesses que vous aviez faites comme celle qui consistait à porter votre aide aux pays pauvres à 1% de vos revenus ?
A défaut de rendre à l’Afrique ce qu’elle a reçu d’elle, pourquoi l’Europe, si proche géographiquement et historiquement, n’a t-elle pas uni ses forces pour nous faire bénéficier d’une aide comparable à celle que les Etats Unis d’Amérique lui ont fournie au lendemain de la 2ème guerre mondiale ? Pour mettre en place un nouveau Plan Marshall généreux et cohérent et promouvoir ainsi la coopération interafricaine, au lieu de disperser ses aides en privilégiant souvent une générosité intéressée ?
Car, faut-il le rappeler, c’est un autre NEPAD qui il y a soixante ans, vous a sortis du marasme et de la désorganisation provoqués par la guerre, et la leçon aurait du vous servir.
Entre 1948 et 1952 c’est l’équivalent de 170 milliards de dollars d’aujourd’hui (soit 85 000 milliards de francs CFA), en argent et en nature que les Etats Unis avaient mis à la disposition de 16 pays d’Europe.
C’était à 85 % des dons, la participation était volontaire et la France était la mieux servie (après la Grande Bretagne) avec 35 milliards de dollars dont 90 % en dons. La gestion des fonds était à la charge des bénéficiaires eux-mêmes par le canal d’une coordination régionale Ce sont ces mêmes bénéficiaires qui ont déterminé leurs priorités et comme il fallait si attendre, un tiers des moyens est allé à l’agro-alimentaire. Voilà bien des règles que la coopération internationale n’a pas appliquées à l’Afrique.
Le Plan Marshall n’était pas une simple opération humanitaire. Il avait des objectifs politiques (contenir le communisme) mais surtout économiques. Les Américains avaient compris que la misère européenne déferlerait sur eux (comme ce fut le cas au XIXème siècle) si on le l’éteignait pas à sa source et qu’il fallait faire de l’Europe un partenaire crédible. C’est encore une leçon pour tous ceux qui cherchent à freiner l’immigration africaine vers l’Europe : la solution c’est tout simplement de créer des emplois dans les zones de départ et non pas de construire un mur génétique.
Le Plan Marshall a donné la preuve que des crédits et dons massifs pouvaient aider à assurer un décollage économique. Il a aussi démontré que démocratie et développement vont de pair puisque c’est dans les pays européens où les droits étaient respectés, les libertés reconnues, qu’il a eu les effets les plus immédiats.
Le NEPAD, on l’a raté il y a cinquante ans !
Vous avez raison Mr Sarkozy : nous ne nous sommes guère développés depuis cinquante ans, mais êtes-vous les mieux placés pour nous le reprocher ? Comment dès lors pouvez-vous, vous arroger le droit de remontrance, celui de vous mêler de nos affaires à notre corps défendant, et tancer Abdoulaye WADE qui s’exprimait sur l’immigration en France en lui rappelant qu’il n’appartenait pas à un chef d’Etat étranger de définir la politique française en la matière. A Dakar pourtant, vous vous êtes accordé le droit d’ingérence dans notre vie et jusque dans notre conception du monde.
Osez !osez donc politiques africains, osez répondre à ce contempteur !

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