NB :
Texte paru dans « Sud Quotidien » du 20 janvier 2018
Ailleurs on les
appelle simplement « sièges », chez nous elles portent les noms de « maison » ou de « permanence »
et les mots ont un sens : là-bas ce sont des lieux de travail, ici ce sont
des centres de palabres et de délassement. Mais, maisons ou permanences, elles
ont toutes la même particularité : elles ne fleurissent que si le parti
qu’elles abritent tient les rênes du pouvoir, leur fortune est soudaine, leur
décadence brutale, et ni l’une ni l’autre ne sont explicables !
La première née sous
nos cieux, la plus visible en tout cas, ne s’appelait pas maison d’un parti, mais, outrageusement,
maison DU parti. C’était le beau temps du parti unique et son chef s’était,
pour l’occasion, taillé un vaste terrain dans ce qui était le seul espace resté
inviolé au cœur de Dakar et dont il ne reste rien aujourd’hui, là où
précisément Mamadou Dia avait rêvé d’édifier une cité administrative pour
désencombrer le Plateau, rapprocher les services de l’Etat, faciliter leur
contrôle et réduire leur coût. Un superbe bâtiment, bientôt flanqué d’une salle
de conférence qui fut longtemps la plus grande de Dakar, et qui ne servaient
que quelques jours par an puisque pendant très longtemps le véritable siège de
la formation c’était la Présidence de la République où se réunissaient ses
instances, au mépris du principe de séparation du parti et de l’Etat.
Puis vint
l’alternance.
L’ancienne maison DU
parti devint la maison d’UN parti, parmi d’autres, réduite à fonctionner grâce
aux contributions des militants, donc pratiquement à rien, car la notion du
sacrifice n’est pas notre qualité première. Au Sénégal le militant se fait
payer sa carte de membre et, de manière générale, on ne fait pas vivre le parti,
on vit du parti. Le siège du parti défait entra donc en décrépitude, d’autant
plus vite que son déclarant responsable fila à l’anglaise, peut-être pour ne
pas à répondre de sa gestion, changea de continent et rendit son tablier. Elle
dut donc solder ses bijoux de famille, renvoyer la majeure partie de son
personnel, au risque de transformer sa cour en champ de patates, et à bout de
ressources sans doute, se résolut à céder une partie de son patrimoine.
Certains de ceux qui fréquentaient ses couloirs eurent le bon réflexe : ils
parcoururent les quelque deux cents mètres qui la séparaient des modestes locaux
du parti qui venait d’arracher le pouvoir et, la main sur le cœur, lui offrirent
leurs services. On les appelle « transhumants », parce que quand il
n’y a rien à brouter sur leur pré ils vont brouter sur le pré des autres, et un
exemple récent nous a montré que ce va et vient peut se répéter indéfiniment…
Le soleil ne se
levait plus au même endroit et c’est désormais un petit bâtiment qui avait
l’allure d’un comptoir de commerce, aux couleurs trop voyantes pour respirer
une bonne santé, qui devint le centre de gravité de la vie politique. Ce qui
devait arriver arriva : le parti qui y avait ses quartiers était bien le
même, mais la demeure devenait trop étriquée et d’un coup de baguette magique
il émigra vers d’autres lieux. Tout comme quelques dizaines d’années plus tôt
et sans qu’on sache d’où venait cette soudaine prospérité, on vit sortir de
terre un immeuble flambant neuf qui respirait l’arrogance. L’appétit venant en
mangeant et suivant l’exemple de son prédécesseur au pouvoir, le parti
entreprit à son tour la construction d’une annexe de prestige, un autre édifice
dont, très vite, l’armature d’acier s’éleva dans le ciel.
Hélas, trois fois
hélas ! La politique est un jeu cruel, la défaite du chef de cette
formation mit un coup d’arrêt aux constructions, car faut-il le répéter, les
militants ont horreur de mettre leurs propres deniers dans une entreprise aussi
improbable qu’un parti politique, ne serait-ce que parce qu’il est rare qu’ils
y terminent leur carrière. Après l’exil du maître d’œuvres (cela devenait une
manie !), le chantier fut stoppé net, la carcasse se désagrégea lentement,
les investissements étaient perdus, comme si c’était toute l’entreprise qui
avait fait faillite.
Voilà donc que le
parti qui nous gouverne annonce à son tour la construction d’une
« maison », à la dimension de son pouvoir. C’était prévisible. C’est
même normal en ce sens que notre culture impose qu’on change de demeure quand
on change de statut. Mais le débat auquel se livrent certains de ses
responsables pour justifier l’opportunité de cette réalisation et rassurer sur
son mode de financement est un débat vain.
D’abord il y a une
certaine indécence, dans un pays comme le nôtre où les services publics les
plus essentiels sont à l’étroit, à consacrer autant d’argent à construire des
édifices dont l’obsolescence est programmée et dont le seul vrai usage est
d’abriter des happenings qu’on peut tenir dans d’autres lieux plus
fonctionnels. Les maisons de parti sont, chez nous, comme les fondations de
Premières Dames, avec la même opacité et la même fragilité. Rappelez-vous. La
première qui en a eu l’idée a laissé en partant des institutions orphelines que
l’Etat a dû sauver de la fermeture. La deuxième qui avait nourri le rêve certes
généreux mais irréaliste dans le contexte choisi, de rapprocher l’hôpital des
citoyens des périphéries délaissées, a fait abandon de poste et brisé net les
espérances de milliers d’hommes et de femmes. Il est fort probable que l’œuvre
de la troisième ne survivra pas à son départ…
Si l’opportunité de
ces édifices est discutable, aucun plaidoyer pro domo ne peut convaincre de la
régularité de leur mode de financement. Dans nos pays, aucune formation
politique ne publie ses comptes, ne rend publique la provenance de ses ressources,
rien ne permet donc de juger de la bonne ou mauvaise fortune d’un parti. Nos
formations politiques ne sont pas des associations fondées sur l’égalité de
leurs membres mais sur le culte d’une personnalité qui concentre en ses mains
tous les moyens et il serait d’ailleurs curieux de savoir sous quel nom est
enregistré le patrimoine immobilier et mobilier de nos partis. L’’histoire des
maisons de partis évoquée plus haut montre à suffisance que la chute politique
du chef entraine automatiquement la ruine de la maison, alors même que le parti
qu’elle abrite continue à revendiquer des militants. Dire « nous (?)
avons acheté le terrain » ne suffit
donc pas, si l’on ne peut pas établir la nature des moyens mis en jeu, leur provenance,
leur traçabilité… et cela demande plus que des mots.
Alors que
faire ? Le plus simple c’est de rester vague et général. Le plus courageux
ce serait de dire qu’on a fait comme les autres et… d’assumer.
Reste maintenant à
savoir si, en politique, la vérité est une arme efficace…