Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

mercredi 21 août 2013

UNE SEMAINE EN AFRIQUE

L’Afrique, la jeunesse africaine, les défenseurs de la Renaissance africaine, ne peuvent pas s’enorgueillir des événements que nous avons vécus au cours de ces derniers jours. Tous démontrent à l’envi que, plus de cinquante ans après l’octroi des premières indépendances, nous n’avons pas réussi à faire  deux conquêtes qui font la force des grandes nations du Nord. Nous n’avons pas pu amener nos chefs politiques à placer l’intérêt des peuples qu’ils gouvernent au-dessus de leurs propres intérêts ni les empêcher de ne prolonger leur pouvoir que par des expédients. Nous n’avons pas réussi à faire en sorte que nos partenaires du Nord cessent de nous gouverner par personne interposée et de nous contraindre à ne lire le monde qu’au travers de leur propre spectre.

Impuissance, indécence, indignité…

Il y eut donc d’abord l’impuissance. La victoire de Mugabe aux élections du Zimbabwe est une défaite pour l’Afrique, non pas à cause de ce que l’Occident dit du personnage et qui est faux ou exagéré, mais parce que c’est un pis aller pour un pays dont plus de la moitié de la population a moins de vingt ans que d’être contraint de porter au pouvoir un vieil homme de près de 90 ans et qui l’exerce déjà depuis plus de trois décennies. Les Zimbabwéens avaient en quelque sorte le choix entre la peste et le choléra. Ils ont choisi Mugabe parce que son adversaire est de manière si évidente le candidat de l’étranger que la peur qu’il remette en cause les acquis, réels  de la réforme agricole, le rend pestiféré. Tsvangirai est une création de l’Occident, son parti a été créé de toutes pièces et est financé par des lobbies britanniques ou américains et autour de lui gravitent des Blancs de sinistre mémoire qui cherchent à se faire une nouvelle virginité. Les électeurs ont donc choisi le choléra qu’ils fréquentent depuis des décennies, plutôt que la peste qui pourrait leur faire perdre tout, y compris l’honneur.

Il y eut aussi l’indécence. Blaise Compaoré a accédé au pouvoir par le sang et par la traitrise. Au pouvoir depuis plus d’un quart de siècle, il a été érigé depuis plus d’une décennie en parrain de la sous-région. Lui qui ne laisse à son opposition qu’une parcelle du pouvoir, qui est accusé d’être mêlé à des assassinats politiques, est devenu, par la volonté de la « communauté internationale », le négociateur en chef des crises africaines, au point qu’on a même « oublié » de le citer au procès de Charles Taylor dont il fut proche comme cul et chemise pendant des années. Cette semaine, au lieu de commencer le processus de retrait du pouvoir et de préparer la relève, il tente de nouvelles manœuvres que ses collègues et ses protecteurs approuvent et qui toutes visent, par la création d’un Sénat, à légitimer son maintien à la tête de l’Etat.

Il y eut aussi l’indignité. L’ex. capitaine Sanogo a la baraka. Il a pris le pouvoir par les armes et dissous les institutions démocratiquement élues, lui le petit capitaine, dans un pays qui comptait des dizaines de généraux. Sa milice a joué aux cow-boys pendant des mois, arrêtant à tour de bras des civils (dont Soumaïla Cissé) et des militaires, torturant des détenus, défiant la CEDEAO et l’ONU auxquelles elle contestait le droit d’intervenir au Mali ! Et voila qu’il est promu général 4 étoiles par un Président de la République, peut-être légal mais pas légitime, que ses sbires avaient battu, dénudé et laissé pour mort. De qui Dioncounda Traoré, président de compromis, tient-il le pouvoir de porter un putschiste au sommet de l’armée, et comment se justifiera-t-il devant son opinion ? S’agit-il d’un deal comme, on en signe entre bandits de grands chemins, ou d’un diktat imposé par une tierce partie ? La transition au Mali se termine dans l’infamie et il appartient désormais au président élu de faire oublier à ses concitoyens la déroute de leur armée et la capitulation de leurs politiques.

et un bain de sang en apothéose !

Il y eut, enfin l’horreur. Comment cela s’appelle-t-il quand un homme ou un groupe d’hommes, des soldats notamment, s’emparent soudainement du pouvoir, destituent les autorités en place pour leur substituer un pouvoir civil ou  militaire qu’ils contrôlent ? Cela dépend ! En Egypte le général Al Sissi a renversé le président de la République élu au suffrage universel et qu’il servait au titre de ministre, il a dissout les institutions, mis au secret les opposants, il a nommé un président fantoche dont il tire les ficelles, mais, dit-le ministre français des Affaires Etrangères, on ne peut pas appeler cela un «  coup d’état », parce que si on le faisait on serait obligé de prendre des sanctions ! Voila donc à quoi tiennent quelquefois les décisions des chancelleries des grands de ce monde, voila comment la politique extérieure est devenue un jeu de relations dans lequel un petit nombre de pays imposent aux autres leurs sentiments, leurs desseins, leurs ambitions. Cela donne donc tous les droits au Général Al Sissi, y compris celui de tirer sur des foules de manifestants sans armes qui refusent cet acte sans nom et l’audace de reconnaître que son armée a fait  quand même 600 morts, ce qui est sans doute au dessous de la vérité. Où sont donc passés les aboyeurs qui, il y a quelques semaines, s’offusquaient des attaques que la police turque lançait contre les manifestants qui occupaient les places d’Istanbul ou d’Ankara ? Pour les morts du Caire – (plus de 2000 selon les partisans de Morsi) – aucune chancellerie, à Washington, Paris ou Londres n’a, ici encore, osé prononcer le mot « massacre ». Le massacre n’est pas une question de nombre, tout dépend de l’identité des victimes ! Il ne suffit pas, dit un éminent penseur, de convenir de l’existence d’un fait, il faut aussi convenir de son importance. Hélas, l’important n’est pas à notre discrétion, et au scandale du bain de sang s’ajoute celui de sa banalisation, même si les images, quand on veut les montrer, sont édifiantes. Le massacre de 2000 « islamistes » reste une broutille, et peut-être même le prix à payer pour ramener l’Egypte dans le giron de l’Occident. Voila pourquoi la seule sanction prononcée par le président Obama est le report de manœuvres militaires communes, tandis que la France se contente d’appeler l’armée à « la retenue ». C’est une réprobation de pure convenance qui, au Caire, a été interprétée comme une autorisation de poursuivre la répression comme au beau temps de Moubarak.  

Cette semaine était aussi celle de l’anniversaire de la tuerie de Marikana qui fit plus de 30 victimes parmi des mineurs en grève, abattus froidement par la police sud-africaine. Le record est battu : en Egypte on a de toute évidence franchi le cap du millier de morts, et ce n’est que le début !


Rude semaine pour l’Afrique.