Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

lundi 16 décembre 2019

LE KWASSA-KWASSA PECHE PEU, IL AMENE DU COMORIEN !




Texte publié dans Sud-Quotidien du 29 octobre 2019

                 
Cette phrase est d’abord une parfaite illustration de ce que les chefs d’Etat occidentaux disent dans le dos des nôtres… quand contrairement à Donald Trump, ils cultivent le politiquement correct. Mais si je la cite c’est surtout parce que celui qui l’a prononcée, et qui ne s’en est jamais excusé, le président Emmanuel Macron, a commis ce jour-là non pas une bavure langagière, mais une vraie faute et sur un sujet très grave.

Le Comorien n’est pas une espèce pélagique parmi d’autres, mais un homme ou une femme doués de raison. Les kwassa-kwassa, ces embarcations de fortune utilisées par les passeurs clandestins, n’amènent pas toujours du Comorien, elles laissent quelquefois des cadavres sur leur passage et on n’en comptait 12000 au moment où Macron faisait rire à leurs dépens. Enfin, jusqu’en 1976, jusqu’au moment où la France a imposé un référendum réservé à la seule île de Mayotte pour la pousser à choisir son rattachement à l’ancienne métropole plutôt que son maintien dans un territoire dont elle avait longtemps abrité le chef-lieu, les Mahorais n’étaient eux-mêmes que des Comoriens comme les autres, une composante du peuple comorien dont ils partagent la langue et la culture !

Mayotte c’est ce quoi nous avons échappé nous Sénégalais, lorsque Mamadou Dia a décidé le transfert de la capitale du Sénégal à Dakar, avant que la même offre, sécessionniste mais tentante, ne soit faite aux Lébous de la presqu’ile du Cap Vert…

Si aujourd’hui le président français fait un petit saut à Mayotte c’est que Marine Le Pen l’y avait battu au premier tour des élections présidentielles de 2017 et rassemblé plus de 42% de voix au second tour et que la reconquête des terres acquises à l’extrême droite est une de ses obsessions. Mayotte est par ailleurs la terre idéale pour imprimer sur les mémoires les affres de la « submersion migratoire » et du « remplacement » qu’il ne caresse certes pas mais que de mauvais et populaires prophètes promettent à la France.

« La stigmatisation des migrants et celle des musulmans c’est pas républicain, mais ça amène des voix ! », pourrait-on dire, en paraphrasant la mauvaise blague citée plus haut. Elle est devenue en effet pour toute la droite « classique » et l’extrême droite françaises le meilleur atout gagner les voix des couches populaires. Emmanuel Macron reprend à sa manière les paroles de Michel Rocard mais en réalité il est bien plus proche des positions de Marine Le Pen que de celles de l’ancien Premier Ministre socialiste. Il a même emprunté et recyclé une vieille théorie de la présidente du RN en opposant « les bourgeois qui ne croient pas à l’immigration » aux plus pauvres « qui en sont le réceptacle » et qu’il prétend vouloir protéger. Pour ne pas se couper de cet électorat, il est prêt à envisager une réforme d’un des vieux acquis des migrants les plus démunis : l’aide médicale gratuite qui leur était accordée.

Malgré son passé de puissance coloniale, malgré l’usage qu’elle a fait de la main d’œuvre bon marché importée de ses anciennes possessions, la France est aujourd’hui, au sein de l’Union Européenne, l’un des pays les plus hostiles à l’entrée et à l’assimilation de migrants sur son territoire.

En 2017 elle était, par rapport à sa population, au 12e rang en matière d’accueil des immigrés. Pour ce qui concerne les demandes d’asile et en chiffres absolus, elle a reçu 5 fois moins d’étrangers que l’Allemagne, et moins du double que ceux qui ont été accueillis par la Suède, pays six fois moins peuplé qu’elle et périphérique par rapport aux flux d’entrée des migrants. Elle est enfin au 21e rang en matière de titres de séjour délivrés à des non Européens, en octroie même 5 fois moins que le Royaume-Uni. Dernière différence, très significative : si en Allemagne le migrant est considéré comme un futur citoyen, en France il reste d’abord un étranger. On peut même dire que la citoyenneté française est plus que jamais aléatoire, du moins si l’on se réfère aux propos d’Eric Zemmour selon lequel le prénom que porte Habsatou Sy, cheffe d’entreprise qui s’était donné un mal fou pour faire oublier ses origines, était une « insulte à la France » et qu’elle aurait dû s’appeler Corinne !

Nous avons tous été tristes d’apprendre qu’en France, au XXIe siècle, un agriculteur et un pisteur-secouriste ont été condamnés ou poursuivis pour « crime de solidarité », pour avoir porté secours à des migrants en détresse.

Mais c’est encore ce qu’on désigne par cet affreux terme fabriqué au mépris de toute grammaticalité, c’est « l’islamophobie » qui est l’arme principale de conquête des voix à droite, peut-être parce qu’il offre aussi l’occasion de régler sournoisement de vieux comptes. Aujourd’hui, en France, les hommes politiques, les journalistes et autres chroniqueurs peuvent absolument tout dire sur l’Islam, publiquement et sans aucune limite, et pour beaucoup de ces oracles il n’y a aucune différence entre musulmans et « islamistes » :

« Je déteste la religion musulmane... Il m’est arrivé de prendre le bus ou un bateau où il y avait quelqu’un avec un voile et je suis descendu ! » avait clamé sans nuances (mais sans dire s’il avait sauté dans la mer !) Yves Thréard, qui n’est autre que le directeur adjoint de la rédaction du plus ancien (près de deux siècles !) et d’un des plus prestigieux quotidiens français.

« Je me fous d’être traitée d’islamophobe ! » renchérit Elisabeth Levy, directrice de la rédaction d’un autre magazine.

D’autres journalistes de moins grande envergure, abondent dans le même sens et usent de terribles références, l’un comparant le voile aux uniformes des SS nazis, un autre traitant « d’islamo-collaborateur » tout musulman qui témoigne publiquement de sa foi. Le Ministre de l’Éducation Nationale en personne a ajouté son grain de sel en prétendant qu’il y avait de petits garçons qui refusaient de donner la main aux petites filles, sous-entendant que c’étaient des graines d’islamistes qui germaient dans les écoles des cités !

Si pour beaucoup de Français le voile, la barbe…et même la Clé USB sont d’évidents signes de radicalisation, c’est surtout le premier objet, le voile qui s’est transformé en hystérie française. « Le voile voile tout », il fait un buzz garanti, il est le principal sujet de débat des chaines d’information continue et les voisins ou partenaires anglo-saxons de la France n’en reviennent pas...

Personne en France n’est prêt à entendre la voix d’Ilhan Omar, américaine d’origine somalienne, membre du Congrès, lorsqu’elle affirme : « Personne d’autre que moi-même ne me met le foulard sur la tête ! »

Personne évidemment ne peut comprendre qu’à la demande de cette élue démocrate, le Congrès soit disposé à modifier son règlement pour autoriser la présence de femmes voilées en son sein, alors que le port d’une coiffure y était interdit depuis 181 ans ! Car en France la laïcité est agressive, intransigeante, même s’il n’y a aucune mention de ce terme dans le texte de la loi de 1905 que ses défenseurs invoquent à l’unisson !

Un homme symbolise en France la stigmatisation des immigrés et des musulmans, continue à jouer les Cassandre apocalyptiques sur les chaines d’information, alors qu’il a été condamné par Cour de Cassation pour « provocation à la haine raciale ». Si Dieudonné a été réduit à la clandestinité après sa condamnation pour propos antisémites, Éric Zemmour continue de valser entre conférences et débats publics, dope les audiences d’une chaine qui profite de l’aide publique, puisqu’elle est sur la TNT, dont l’un des propriétaires est connu pour ses réseaux africains, et comble d’impunité, ses prestations sont mises en valeur par une journaliste d’origine antillaise ancienne membre du CSA !

Emmanuel Macron préfère se consacrer aux sujets qui font consensus, comme le « communautarisme » (qui est souvent en réalité une exclusion), et le débat sur le voile dans l’espace public n’est pas son affaire, dit-il. Ce n’est ni courageux ni responsable de la part du chef suprême de la nation, parce qu’au-delà de ce bout de tissu, ce qui est en cause désormais c’est une tentative d’opposer les Français musulmans aux autres Français.

Certains, comme Éric Zemmour, le disent sans équivoque : les Français de confession musulmane ou d’origine musulmane doivent « choisir entre l’Islam et la France ». M. Macron n’a pas le droit de fermer les yeux lorsque la laïcité est « instrumentalisée pour le compte d’une vision ségrégationniste, raciste, xénophobe, mortifère de la société ». Il a le devoir de mettre le holà lorsqu’un élu use de délation et de persécution et tente de faire exclure de la communauté une femme qui est dans son droit ,parce que c’est ainsi qu’est né le maccarthysme!

En attendant, ce lundi, un homme est passé à l’acte et cette fois c’est à coup de fusil !

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