Texte publié dans Sud-Quotidien du 29 octobre 2019
Cette phrase est d’abord
une parfaite illustration de ce que les chefs d’Etat occidentaux disent dans le
dos des nôtres… quand contrairement à Donald Trump, ils cultivent le
politiquement correct. Mais si je la cite c’est surtout parce que celui qui l’a
prononcée, et qui ne s’en est jamais excusé, le président Emmanuel Macron, a
commis ce jour-là non pas une bavure langagière, mais une vraie faute et sur un
sujet très grave.
Le Comorien n’est pas une
espèce pélagique parmi d’autres, mais un homme ou une femme doués de raison.
Les kwassa-kwassa, ces embarcations
de fortune utilisées par les passeurs clandestins, n’amènent pas toujours du
Comorien, elles laissent quelquefois des cadavres sur leur passage et on n’en
comptait 12000 au moment où Macron faisait rire à leurs dépens. Enfin, jusqu’en
1976, jusqu’au moment où la France a imposé un référendum réservé à la seule
île de Mayotte pour la pousser à choisir son rattachement à l’ancienne
métropole plutôt que son maintien dans un territoire dont elle avait longtemps
abrité le chef-lieu, les Mahorais n’étaient eux-mêmes que des Comoriens comme
les autres, une composante du peuple comorien dont ils partagent la langue et
la culture !
Mayotte c’est ce quoi nous
avons échappé nous Sénégalais, lorsque Mamadou Dia a décidé le transfert de la
capitale du Sénégal à Dakar, avant que la même offre, sécessionniste mais
tentante, ne soit faite aux Lébous de la presqu’ile du Cap Vert…
Si aujourd’hui le
président français fait un petit saut à Mayotte c’est que Marine Le Pen l’y
avait battu au premier tour des élections présidentielles de 2017 et rassemblé
plus de 42% de voix au second tour et que la reconquête des terres acquises à
l’extrême droite est une de ses obsessions. Mayotte est par ailleurs la terre
idéale pour imprimer sur les mémoires les affres de la « submersion migratoire
» et du « remplacement » qu’il ne caresse certes pas mais que de mauvais et
populaires prophètes promettent à la France.
« La stigmatisation des
migrants et celle des musulmans c’est pas républicain, mais ça amène des voix !
», pourrait-on dire, en paraphrasant la mauvaise blague citée plus haut. Elle
est devenue en effet pour toute la droite « classique » et l’extrême droite
françaises le meilleur atout gagner les voix des couches populaires. Emmanuel
Macron reprend à sa manière les paroles de Michel Rocard mais en réalité il est
bien plus proche des positions de Marine Le Pen que de celles de l’ancien
Premier Ministre socialiste. Il a même emprunté et recyclé une vieille théorie
de la présidente du RN en opposant « les bourgeois qui ne croient pas à
l’immigration » aux plus pauvres « qui en sont le réceptacle » et qu’il prétend
vouloir protéger. Pour ne pas se couper de cet électorat, il est prêt à
envisager une réforme d’un des vieux acquis des migrants les plus démunis :
l’aide médicale gratuite qui leur était accordée.
Malgré son passé de puissance
coloniale, malgré l’usage qu’elle a fait de la main d’œuvre bon marché importée
de ses anciennes possessions, la France est aujourd’hui, au sein de l’Union
Européenne, l’un des pays les plus hostiles à l’entrée et à l’assimilation de
migrants sur son territoire.
En 2017 elle était, par
rapport à sa population, au 12e rang en matière d’accueil des immigrés. Pour ce
qui concerne les demandes d’asile et en chiffres absolus, elle a reçu 5 fois
moins d’étrangers que l’Allemagne, et moins du double que ceux qui ont été
accueillis par la Suède, pays six fois moins peuplé qu’elle et périphérique par
rapport aux flux d’entrée des migrants. Elle est enfin au 21e rang en matière
de titres de séjour délivrés à des non Européens, en octroie même 5 fois moins
que le Royaume-Uni. Dernière différence, très significative : si en Allemagne
le migrant est considéré comme un futur citoyen, en France il reste d’abord un
étranger. On peut même dire que la citoyenneté française est plus que jamais
aléatoire, du moins si l’on se réfère aux propos d’Eric Zemmour selon lequel le
prénom que porte Habsatou Sy, cheffe d’entreprise qui s’était donné un mal fou
pour faire oublier ses origines, était une « insulte à la France » et qu’elle
aurait dû s’appeler Corinne !
Nous avons tous été tristes
d’apprendre qu’en France, au XXIe siècle, un agriculteur et un pisteur-secouriste
ont été condamnés ou poursuivis pour « crime de solidarité », pour avoir porté
secours à des migrants en détresse.
Mais c’est encore ce qu’on
désigne par cet affreux terme fabriqué au mépris de toute grammaticalité, c’est
« l’islamophobie » qui est l’arme principale de conquête des voix à droite,
peut-être parce qu’il offre aussi l’occasion de régler sournoisement de vieux
comptes. Aujourd’hui, en France, les hommes politiques, les journalistes et
autres chroniqueurs peuvent absolument tout dire sur l’Islam, publiquement et
sans aucune limite, et pour beaucoup de ces oracles il n’y a aucune différence
entre musulmans et « islamistes » :
« Je déteste la religion
musulmane... Il m’est arrivé de prendre le bus ou un bateau où il y avait
quelqu’un avec un voile et je suis descendu ! » avait clamé sans nuances (mais
sans dire s’il avait sauté dans la mer !) Yves Thréard, qui n’est autre que le
directeur adjoint de la rédaction du plus ancien (près de deux siècles !) et
d’un des plus prestigieux quotidiens français.
« Je me fous d’être
traitée d’islamophobe ! » renchérit Elisabeth Levy, directrice de la rédaction
d’un autre magazine.
D’autres journalistes de
moins grande envergure, abondent dans le même sens et usent de terribles
références, l’un comparant le voile aux uniformes des SS nazis, un autre
traitant « d’islamo-collaborateur » tout musulman qui témoigne publiquement de
sa foi. Le Ministre de l’Éducation Nationale en personne a ajouté son grain de
sel en prétendant qu’il y avait de petits garçons qui refusaient de donner la
main aux petites filles, sous-entendant que c’étaient des graines d’islamistes
qui germaient dans les écoles des cités !
Si pour beaucoup de
Français le voile, la barbe…et même la Clé USB sont d’évidents signes de
radicalisation, c’est surtout le premier objet, le voile qui s’est transformé
en hystérie française. « Le voile voile tout », il fait un buzz garanti, il est
le principal sujet de débat des chaines d’information continue et les voisins
ou partenaires anglo-saxons de la France n’en reviennent pas...
Personne en France n’est
prêt à entendre la voix d’Ilhan Omar, américaine d’origine somalienne, membre
du Congrès, lorsqu’elle affirme : « Personne d’autre que moi-même ne me met le
foulard sur la tête ! »
Personne évidemment ne
peut comprendre qu’à la demande de cette élue démocrate, le Congrès soit
disposé à modifier son règlement pour autoriser la présence de femmes voilées
en son sein, alors que le port d’une coiffure y était interdit depuis 181 ans !
Car en France la laïcité est agressive, intransigeante, même s’il n’y a aucune
mention de ce terme dans le texte de la loi de 1905 que ses défenseurs
invoquent à l’unisson !
Un homme symbolise en
France la stigmatisation des immigrés et des musulmans, continue à jouer les
Cassandre apocalyptiques sur les chaines d’information, alors qu’il a été
condamné par Cour de Cassation pour « provocation à la haine raciale ». Si
Dieudonné a été réduit à la clandestinité après sa condamnation pour propos
antisémites, Éric Zemmour continue de valser entre conférences et débats
publics, dope les audiences d’une chaine qui profite de l’aide publique,
puisqu’elle est sur la TNT, dont l’un des propriétaires est connu pour ses
réseaux africains, et comble d’impunité, ses prestations sont mises en valeur
par une journaliste d’origine antillaise ancienne membre du CSA !
Emmanuel Macron préfère se
consacrer aux sujets qui font consensus, comme le « communautarisme » (qui est
souvent en réalité une exclusion), et le débat sur le voile dans l’espace
public n’est pas son affaire, dit-il. Ce n’est ni courageux ni responsable de
la part du chef suprême de la nation, parce qu’au-delà de ce bout de tissu, ce
qui est en cause désormais c’est une tentative d’opposer les Français musulmans
aux autres Français.
Certains, comme Éric
Zemmour, le disent sans équivoque : les Français de confession musulmane ou
d’origine musulmane doivent « choisir entre l’Islam et la France ». M. Macron
n’a pas le droit de fermer les yeux lorsque la laïcité est « instrumentalisée
pour le compte d’une vision ségrégationniste, raciste, xénophobe, mortifère de
la société ». Il a le devoir de mettre le holà lorsqu’un élu use de délation et
de persécution et tente de faire exclure de la communauté une femme qui est
dans son droit ,parce que c’est ainsi qu’est né le maccarthysme!
En attendant, ce lundi, un
homme est passé à l’acte et cette fois c’est à coup de fusil !
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