Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

mercredi 16 décembre 2020

BABACAR TOURE, IMPERTINENT ET TENDRE



NB : Texte publié dans Sud-Quotidien du 5 septembre 2020


« Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous ayez le droit de le dire ! ». Cette citation, que l’on prête faussement à Voltaire, pourrait être la devise professionnelle de Babacar Touré et c’est sous ce signe que s’est effectuée notre première rencontre.

C’est peut-être même tout simplement la devise de sa vie, celle d’un homme qui avait choisi de faire confiance à ses semblables et qui avait une haute idée de l’Homme. Je laisserai à d’autres, à ceux qui ont été, des décennies durant pour certains, ses compagnons ou ses complices, le soin de parler de l’étudiant rebelle, du journaliste engagé, de l’entrepreneur novateur qui a inventé la start-up avant les autres Sénégalais, du communicateur subtil ou du médiateur universel. Je n’ai pour ma part, connu et pratiqué Babacar Touré que dans l’écume de sa vie, lorsqu’il s’est déchargé provisoirement de son métier d’homme de presse, a mis en veilleuse ses activités professionnelles, pour exercer, sinon bénévolement, du moins avec un grand désintéressement, des responsabilités qu’il n’avait acceptées que parce que celui qui les lui avait proposées l’avait assuré qu’à ce poste, il pouvait servir utilement son pays.

Ce visiteur du soir qui fréquentait les hommes de pouvoir, pouvait être impertinent, sans jamais être agressif ou insolent, et c’est sans doute parce qu’ils le savaient sincère que ceux d’entre eux qu’il a quelquefois tancés lui ont gardé leur amitié. Cet homme qui disait, en plaisantant, qu’il était plus vieux que son âge, manifestait une extrême courtoisie, et quelquefois une émouvante déférence, à l’endroit de ses aînés. De la plupart d’entre eux tout au moins, car tous les vieillards qui meurent ne laissent pas des bibliothèques…

Ce grand corps, et c’est peut-être ce qui était le plus surprenant chez lui, était en réalité un grand tendre qui faisait preuve d’une indulgente affabilité à l’endroit des humbles et de tous ceux qui étaient victimes d’une injustice. Cet homme, qui était sans doute l’un des mieux resautés de notre pays, ne ménageait pas sa peine pour rendre visite à cet éclectique aréopage, ou à défaut, à user du téléphone et de ses artifices, en prenant son temps, ou celui qu’on voulait bien lui consacrer, quoique cela lui coûte car il n’était pas un adepte des applications mobiles gratuites…

Peu d’hommes, à ma connaissance, se sont, aussi souvent que lui, donné la peine d’appeler des hommes et des femmes, y compris des inconnus, juste pour porter une appréciation sur un article paru dans la presse, ou sur un discours tenu en public, ou encore pour apporter un soutien ou un réconfort après une sanction qu’il jugeait arbitraire.

J’en parle encore en connaissance de cause, puisque c’est dans une telle occasion que j’ai fait la connaissance de Babacar Touré… Mais que ce soit en entretien distanciel ou en entretien présentiel, comme on le dit désormais en ces temps de confinement, son langage n’était jamais équivoque car il n’est pas de ceux qui empruntent des chemins de traverse. Peut-être que le temps lui a fait la faveur de se faire élastique à son seul usage, car, par déformation professionnelle ou par curiosité intellectuelle, ce grand bavard trouvait aussi le temps de ne rater aucune bonne émission, à la radio ou à la télévision, aucune publication, livres ou journaux, qui méritait qu’on lui prête attention.

Les éloges, les coups d’encensoir, n’étaient sans doute pas ce qu’il attendait le plus de ses amis et de ses collaborateurs. J’ai encore en mémoire cette cérémonie publique, la dernière qu’il présidait au nom du CNRA, au cours de laquelle il dut batailler ferme pour éviter qu’elle ne soit transformée en sacre. Si pourtant, comme d’autres avant moi, j’ai cédé à cette tentation, c’est pour la raison que voici : qu’on soit dans le réduit clos d’une voiture, dans l’enceinte d’une concession familiale, voire dans un cercle plus large, à la dimension d’une association ou d’une nation, il y a toujours du bonheur à savoir que celui qui tient les rênes ne déroge pas aux principes et ne se défaussera pas sur vous pour justifier une fausse manœuvre. Ce bonheur-là, je crois pouvoir le dire à leur nom, nous avons été huit femmes et hommes à le vivre pendant les six ans du mandat de Babacar Touré à la tête du CNRA.

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