Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

vendredi 27 juillet 2018

PORTRAIT DE GROUPE DE L’EUROPE EN POSITION AGENOUILLEE



NB : Texte publié dans "Sud-Quotidien" du 11 juin 2018


Il a fallu que Donald Trump soit au pouvoir pour que les dirigeants européens découvrent enfin l’inconfort que provoque la loi qu’eux-mêmes nous font subir depuis des décennies et que Jean de La Fontaine a énoncé comme suit : « la raison du plus fort est toujours la meilleure ! ».

Donald Trump n’a avancé aucun argument fondé sur des connaissances scientifiques ou sur les découvertes les plus récentes relatives à la préservation de notre environnement pour se retirer de l’Accord de Paris. C’était pourtant le premier accord universel sur le climat, il a pour dépositaire le Secrétaire Général des Nations-Unies, a été signé dans la ferveur et l’émotion le 12 décembre 2015 et a été approuvé par 196 des 197 pays que compte le monde.

Le président américain est allé à l’encontre des conclusions de l’Agence Internationale de l’énergie atomique, seul organisme international indépendant  qualifié pour certifier si l’Iran se conforme à l’accord de non-prolifération nucléaire signé à Vienne le 14 juillet 2015, après de longues années de négociations entre ce pays et une coalition d’États composée des membres du Conseil de Sécurité et de l’Allemagne.

Enfin, mais cette liste n’est pas exhaustive, Donald Trump viole les règles de l’Organisation mondiale  du commerce, dont son pays est membre fondateur, en décidant unilatéralement d’appliquer des taxes massives à des produits et vers des pays choisis à sa convenance.

A mon bon plaisir !

Le président américain  n’a qu’une seule règle, son bon vouloir, qu’une seule ambition, tenir les promesses qu’il a faites à ses électeurs ! Tout autre pays que le sien qui se serait permis de prendre ces décisions illégales et dangereuses pour la paix serait traduit au ban du tribunal de la « communauté internationale » et sanctionné sans état d’âme. Pourtant, malgré son poids économique et démographique et sa prétention à être le gendarme du monde, l’Europe n’a pris aucune mesure visant à boycotter les  entreprises américaines qui, en violant l’Accord de Paris, mettent en péril la survie de notre planète, menacent la promotion d’un développement durable et précipitent dans la faim une partie du monde. Elle accepte sans broncher que, non contents de punir injustement l’Iran, les États-Unis  décident  de sanctionner toutes les entreprises qui utilisent le dollar dans leurs transactions avec ce pays. Lorsqu’ils taxent l’acier et l’aluminium européens, l’Europe riposte en  taxant leur… bourbon ! La débandade d’une société comme Peugeot est pathétique et significative puisque, face à la menace américaine, l’entreprise française abandonne son premier marché international, le seul où elle écoulait plus d’un demi-million de voitures, alors que l’Iran respecte tous ses engagements. Dire qu’on s’étouffe en France lorsqu’une société qui emploie quelques centaines de personnes décide de délocaliser son usine dans un pays de l’est ou du sud !

En réalité Trump fait peu cas des émois que ses décisions suscitent chez les dirigeants  européens, et leur manifeste la même désinvolture que celle qu’ils ont l’habitude de témoigner à l’endroit de leurs homologues africains. Il méprise leur diplomatie compassée et leur impose un langage abrupt qui les blesse ou les déconcerte, comme Sarkozy l’avait fait à Dakar ou à Bamako. Il accorde plus d’importance à sa rencontre avec le président de la Corée du Nord qui, pense-t-il peut lui apporter la gloire, qu’à la réunion de douaniers qui se tient au Canada. A ce sommet qui réunit les pays les plus riches, il s’est  comporté donc comme se comportaient les présidents français aux sommets de la Francophonie : il est le dernier à se présenter, le premier à partir et quand il vient, c’est avec un retard considérable. Nous gardons encore en mémoire le calvaire vécu au sommet de l’OIF à Kinshasa par l’hôte de la rencontre, Joseph Kabila et par Abdou Diouf, Secrétaire Général, qui ont dû attendre debout, deux heures durant, que François Hollande daigne se présenter au Palais du Peuple pour ouvrir la séance.

Jupiter en France, mouche du coche à Washington !

Alors ne nous trompons pas, Macron peut faire la bouche en cœur, mais il n’impressionne  nullement le président américain, il est peut-être Jupiter en France, mais aux yeux de Trump il n’est que la mouche du coche. Cela se traduit d’abord dans la forme de leurs rapports. Trump avait bien convié en visite d’État le président français qui s’est précipité à Washington comme nos présidents à Paris, il avait laissé à son chef du protocole le soin de l’accueillir à l’aéroport, puis l’avait exposé au Bureau Ovale, comme les présidents africains sont exposés sur le perron de l’Élysée, avec force accolades. Il a même fait mieux en matière d’amabilité ostentatoire que ses homologues français en essuyant les pellicules sur la veste d’Emmanuel Macron, mais les spécialistes nous apprennent que c’est un comportement naturel chez les primates. Lorsque chez les gorilles, le mâle dominant cueille des poux sur l’épaule d’un membre de sa tribu, c’est moins par affection que pour marquer sa condescendance ou exprimer son sarcasme.

Sur le fond aussi, et peut-être surtout, la hiérarchie est de mise. Le visiteur français croyait être venu pour un débat sur la nécessité du multilatéralisme et avait ménagé son hôte en tenant un discours plus incisif en français qu’en anglais. Le Premier Ministre canadien tentera la même stratégie, avec le même insuccès. Recevant Macron, le président Trump, avait, avant même que ne débutent les entretiens, martelé ses exigences, indiqué qu’il n’y aurait pas de discussions et annoncé la conclusion. C’est le sort que vivent souvent les présidents africains qui croient être venus pour négocier un dossier et se voient remettre celui ficelé et finalisé par les conseillers de leur hôte. Confronté à ses homologues, à La Malbaie, Trump a voulu démontrer que ce sommet était celui du G 1+6, il est resté ferme sur ses positions. Il est surtout resté fidèle à ce qui est sa marque de fabrique, la goujaterie, puisqu’il n’a pas hésité à retirer sa signature (c’est devenu une manie !) du communiqué qu’il avait signé avec eux quelques heures auparavant…

L’Europe est victime des deux tares qui accablent les pays africains et sur lesquelles elle glose souvent : la dépendance et la division. L’Union Européenne compte plus de 500 millions d’habitants, soit à peu près 200  de plus que les États-Unis, et elle a un PIB sensiblement équivalent, mais face aux menaces  américaines, chacun de ses membres cherche à tirer son épingle du jeu et à sauver ses meubles. Mais sa dépendance n’est pas qu’économique ou financière puisqu’elle fait reposer sa sécurité sur les États-Unis, qui financent les trois quarts du budget de l’OTAN. On peut dire que si la protection du Mali est entre les mains de la France, qui peut donc imposer sa loi aux dirigeants maliens, celle de l’Europe repose sur le bon vouloir des Américains, avec les mêmes conséquences.

On peut ne pas se réjouir du malheur des autres mais, c’est tout de même réconfortant de savoir que celui dont vous subissez la loi a lui aussi un chef. Enfin, même s’il n’y a pas de quoi en être fier, nous pouvons au moins faire le constat que la position agenouillée n’est pas le monopole des Africains.

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