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NB Texte publié dans « Sud
Quotidien » de 12 janvier 2019
L’école
constitue rarement le plat de résistance des campagnes électorales et ne fait
souvent qu’une pâle figuration dans les professions de foi des candidats. Dans
les discours des politiciens, elle est souvent ravalée au rang de ces petites
danseuses de l’Opéra dont s’entichaient au XIXe siècle, en France, quelques
opulents bourgeois qui les comblaient de parures, d’ailleurs plus clinquantes
que de qualité, avant de s’en lasser vite pour retourner à leurs vieilles
habitudes.
L’école
vaut mieux que les éléphants blancs et les belles envolées et il ne sert à rien
de couvrir le pays de lycées et d’universités si, au préalable, l’éducation
n’est pas replacée à la seule place qu’elle mérite : celle d’une irremplaçable
ressource économique. Nous devons sortir de notre coquille, avoir l’ambition de
tenir compte de ce qui se fait ailleurs et qui fonctionne. Mais avant de
redonner à l’éducation sa vraie place dans nos politiques de développement,
nous devons réparer les erreurs commises au cours de la courte histoire de
notre système éducatif hérité de la colonisation. Nous avons commis l’erreur de
croire que nous pouvions bâtir une école nationale efficace et populaire qui ne
reposerait que sur une langue étrangère, quelles que soient par ailleurs ses
qualités et son audience internationale. Nous avons cru que le seul but de
l’école était de délivrer de diplômes, alors que sa vocation principale est de
former l’esprit. Le résultat, c’est que nous avons bien des milliers de
diplômés en espagnol, en géographie, en droit, en bureautique… qui encombrent
nos foyers et nos pôles emplois et auxquels notre économie ne peut offrir aucun
débouché. C’est le moment de nous remémorer la question qui hantait Amadou
Hampathé Ba : « Quel diplôme il avait, celui qui a inventé le diplôme ? ».
Nous
avons eu tort de préparer notre jeunesse au monde d’aujourd’hui, en appliquant,
avec des années de retard, les réformes initiées par ceux que nous prenons pour
modèles. Double erreur parce qu’il nous fallait forger nos propres outils et
parce qu’il fallait former notre jeunesse à affronter le monde de demain et que
demain, nous dit un grand penseur et pédagogue, « est une puissance cachée ».
Les fautes en éducation sont de celles qui se payent le plus cher et c’est pour
cette raison que ceux qui aujourd’hui prétendent à la charge la plus élevée
dans la conduite des affaires de la nation devraient avoir pour priorité de
sauver le soldat école. Parce que dans notre monde globalisé l’école, chez nous
comme ailleurs, a perdu son monopole. Elle n’est plus la seule à instruire les
jeunes, elle est concurrencée, démonétisée, déstabilisée, souvent dépassée, par
la rue, les spectacles, les modes, les médias et les réseaux sociaux qui
occupent notre horizon et ont désormais plus d’influence sur la jeunesse que
les éducateurs institutionnels. Parce que chez nous tout particulièrement, les
établissements scolaires tous niveaux confondus, du moins ceux qui relèvent de
l’autorité publique, sont mal préparés à relever le défi que leur opposent ces
sources d’information et d’éducation, symboles d’un monde en perpétuel
changement. Ils sont généralement dans un environnement malsain, cernés de
souks ou ouverts aux divagations d’animaux, privés d’installations aussi
primaires que de simples toilettes, dépourvus d’équipements scientifiques
performants. Ils sont dans la plupart des cas servis par des personnels qui y
travaillent sans vocation et souvent par défaut, formés quelquefois à la va
vite, frustrés par leurs maigres salaires et le manque de considération qui
entoure leur métier. Ils fonctionnent avec des outils pédagogiques et des
méthodes qui sont rarement en phase avec les progrès accomplis depuis des décennies,
suivant des méthodes et des programmes qui invitent à la répétition et non à la
création. On comprend pourquoi les parents sont réticents à engager leurs
enfants dans des voies qu’ils considèrent sans issues, alors qu’ils ont sous
les yeux des modèles dont la réussite, matérielle, s’est faite hors de
l’enseignement institutionnel.
On
comprend aussi que nos jeunes aient besoin d’arguments pour fréquenter ces
écoles délabrées, sans attraits, et quand ils y sont, pour y rester le temps
nécessaire pour recevoir une formation qui les prépare à gagner leur vie et à
participer au développement de leur pays. On croit souvent que l’école publique
est un luxe, que les sommes qui lui sont consacrées sont excessives et on cite
le montant de son budget comme un sacrifice suprême. Pourtant, dans le pays qui
a le meilleur système éducatif du monde, la Finlande, il n’y a pas
d’enseignement privé, l’école est totalement gratuite, de même que sont
gratuits le transport des élèves, leur restauration en cantines scolaires ou
l’assistance aux handicapés. Et l’Etat n’est pas ruiné pour autant parce que le
budget de l’éducation est bien géré… On croit que le classement des nations les
plus développées ne se fait que sur la base du PIB, alors que le plus
significatif est celui qui est basé sur les performances des systèmes
éducatifs. Aujourd’hui il est plus important d’être bien représenté dans le
classement de Shanghai que de figurer dans le G 20 !
Le
vrai scandale aujourd’hui, celui qui doit mobiliser toutes nos énergies, c’est
celui de la grande dissemblance des éducations qui caractérise notre monde. Un
gouffre nous sépare des nations développées que nous ne pouvons pas combler en
empruntant le long chemin qu’elles ont suivi pour être à la pointe du progrès.
Nous devons sauter des étapes aller plus vite, accéder directement aux
techniques les plus performantes et c’est possible parce qu’elles sont un
patrimoine universel. Mais cette dissemblance sévit aussi dans notre propre
pays, entre les villes et les campagnes, la capitale et les périphéries, et
partout les minorités, les handicapés, les pauvres sont laissés à l’abandon.
Sait-on par exemple que les lycées des régions les plus éloignées de Dakar se
caractérisent tous, outre les insuffisances soulignées plus haut, par le fait
qu’aucun d’entre eux ne peut dispenser un enseignement scientifique de qualité,
faute notamment de professeurs aptes à l’assurer ? Une bonne école, c’est une
école qui a de bons enseignants… Le droit à l’éducation est plus important que
le droit de vote, parce que c’est de l’éducation que dépend notre avenir.
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