Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

mardi 10 novembre 2015

ETHIQUE ET POLITIQUE

Texte Publié dans « Sud Quotidien » du 26 aout 2015

Nous savons, au moins depuis Machiavel, que la politique et l’éthique suivent souvent des chemins différents, voire divergents. L’homme politique est  fondamentalement a-moral puisque pour lui, la vertu première c’est la capacité de saisir la bonne occasion, de savoir tirer son épingle du jeu, par tous les moyens à sa disposition. Les hommes politiques qui ne feraient profession que de bonté ou de rectitude iraient tout simplement à la ruine. Ce qu’on a appelé « machiavélisme » sévit sous tous les cieux, et à tous les temps et il suffit en effet de voir la connivence, l’esprit de caserne qui règnent entre les hommes qui font de la politique un métier, quand on les surprend à l’abri des témoins, pour comprendre qu’ils appartiennent bien à la même secte.

« Il y a un temps pour la cruauté… »

Il  nous faut donc, pour commencer, récuser l’accusation souvent portée par les gouvernements occidentaux, selon laquelle notre continent aurait le monopole d’actes de tortures et de politiciens tortueux. En réalité, la seule vraie différence entre leurs pays et les nôtres, c’est que chez eux, il y a un temps pour la cruauté et l’injustice alors que chez nous, celles-ci sont souvent permanentes. Dans les faits, peu de dirigeants africains sont mêlés à autant d’affaires de corruption que Nicolas Sarkozy, ont couvert autant d’actes de torture sophistiquée que Georges Bush, se sont livrés à autant d’empoisonnements ou de meurtres de leurs opposants que les dirigeants israéliens. Ce qui fait notre malheur, c’est que chez nous, ces excès ont été quelquefois non pas des moments de faiblesse, mais la marque de fabrique de plusieurs régimes. Quant aux mœurs politiques, ce que nous appelons « transhumance », n’est pas une spécificité sénégalaise, elle est courante, voire banale, aux Etats-Unis, où Ronald Reagan avait été un militant actif du parti démocrate avant d’être élu président républicain. En France, Bernard Kouchner avait successivement milité au sein des jeunesses communistes, des radicaux de gauche puis du parti socialiste, avant de devenir, sans état d’âme, ministre du très populiste Sarkozy. Même De Gaulle, que l’on ne peut certes soupçonner de « transhumance », a – par réalisme politique – renié les promesses qu’il avait tenues aux Français sur le sort de l’Algérie lors de son accession au pouvoir. On peut dire que, d’une certaine manière, la formule qu’on lui prête et selon laquelle «  les Etats n’ont pas d’amis, ils  n’ont que des intérêts » relève du machiavélisme…

C’est donc parce que le réalisme est la seule vertu politique que l’on peut expliquer qu’en 2000, Djibo Ka ait préféré rejoindre Abdou Diouf, avec lequel pourtant il s’était brouillé avec fracas, plutôt que de rallier Abdoulaye Wade auquel aucun contentieux personnel ne l’opposait. Il avait compris que dans une élection présidentielle, il n’y avait qu’un seul vainqueur, et, après trente ans de militantisme politique et une solide expérience des affaires, il croyait savoir dans quel sens soufflait le vent. Non seulement il pensait miser sur le bon cheval, mais surtout il s’était convaincu qu’il lui serait plus facile de retrouver la place de choix qu’il avait exercée au sein du gouvernement socialiste, que d’en conquérir une autre de haute lutte aux côtés d’une formation qui se proclamait libérale et dont les lieutenants piaffaient d’impatience. 

Il s’était trompé, parce qu’il avait ignoré la lassitude de son peuple, il  avait perdu son pari, s’était vu dès lors contraint de jouer aux supplétifs de guerre. En 2015, sa situation est bien moins reluisante qu’elle n’était en 2000. Il a perdu l’aura qui entourait le rebelle, que l’on suppose toujours plus vertueux que le chef usé qu’il combat. Mais, surtout il a perdu en route beaucoup de militants, beaucoup de ses moyens humains et matériels et pratiquement son pouvoir de nuisance. Depuis trois ans, il ne s’était pas contenté d’être à l’écart du pouvoir, il s’est intégré dans un front dont le seul vrai ciment est la contestation de toutes les initiatives du gouvernement, allant jusqu’à s’abstenir de condamner vertement le caillassage du véhicule du premier citoyen de la République. C’est ce qui rend son ralliement spectaculaire, mais on avait oublié que pour un homme politique, il y a toujours quelque chose à faire dans la pire des situations, et c’est même lorsqu’on a dos le mur qu’on est le plus efficace politiquement.
 
« Le courage n’est pas soluble dans le calcul ! »

Mais encore faudrait-il que le jeu en vaille la chandelle car, dans cette histoire, Djibo Ka n’a fait preuve ni de courage ni de vision patriotique !

Cet acte, contrairement à ce que tentent de nous faire croire tous les « transhumants », n’est pas un signe d’audace, car il résulte d’un pari. « Le courage n’est pas soluble dans le calcul », dit un philosophe, et dans la situation où se trouve aujourd’hui Djibo Ka, son geste repose sur le double et improbable calcul qu’il peut déstabiliser ses anciens amis et donner du sang neuf aux nouveaux.

Mais le plus grave, c’est qu’il a sous-estimé les effets collatéraux de ses valse-hésitations, il n’a pas pris en compte les conséquences de son geste sur la perception que l’opinion se fait de la politique et des hommes qui l’animent. Il a, peut-être, réussi un coup politique personnel, mais il aura manqué à ses devoirs de citoyen, à ce que certains appellent son éthique de responsabilité, celle qui doit animer tous ceux, hommes politiques, vedettes du spectacle ou du sport, qui ont aussi pour ambition de servir de modèles ou de guides. Une enquête récente a montré que les jeunes africains, et même les moins jeunes, se passionnent de moins en moins pour la politique  et cette désaffection est bien sûr nourrie par la fréquence des retournements et des reniements de ses porte-flambeaux. C’est grave parce que si la jeunesse et la rue se désintéressent de la vie de la Cité, ce sont toutes les occasions de changer le monde qui sont perdues. N’oublions jamais qu’aucun homme politique n’a participé à la prise de la Bastille !

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