Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

jeudi 21 novembre 2013

LAMPEDUSA, LEONARDA : LA VIOLENCE DES PUISSANTS

Texte publié dans "Sud-Quotidien" du 24/10/2013

 « La guerre ne se fait pas qu’au couteau ! »

De même que, selon un proverbe diola, la guerre ne se fait pas qu’au couteau, de même la violence, et notamment celle des puissants et des forts, ne s’exprime pas qu’au moyen de grenades ou de kalachnikovs. Elle peut être sournoise, sophistiquée, presqu’imperceptible au commun des mortels, et en tout cas ignorée ou justifiée par les médias, sauf si elle atteint certaines proportions ou touche à des cibles sensibles. Les médias prêtent plus d’attention aux larcins des Roms, aux règlements de comptes entre délinquants et, bien sûr, aux attentats des extrémistes « islamistes » qu’à la violence exercée par les patrons qui mettent au chômage des travailleurs, alors que leurs entreprises prospèrent, aux « bavures »militaires contre des populations civiles, aux rapts et à la torture d’opposants pratiqués par les Américains. En l’espace de quelques semaines, l’actualité médiatique nous a offert deux visages de la violence des nantis, fort différents, mais qui révèlent au grand jour les contradictions de ceux qui imposent leur volonté au reste du monde.

Il y a eu d’abord les naufrages de Lampedusa et du Canal de Sicile qui ont fait plus de 400 morts et qui, d’une certaine manière, constituent une forme de terrorisme. C’est une violence chronique, omniprésente, qui se banalise et soulève rarement l’indignation. Les drames de la Méditerranée ne sont pas que la conséquence de l’incurie des gouvernements du Sud. Ils sont aussi le fruit de la pression que les puissants, ceux de sa rive nord et leurs alliés, exercent sur nos pays, en leur imposant des accords iniques, sans leur donner les moyens d’assumer leur responsabilité. Ils découlent  par ailleurs des pressions que ces pays exercent à la fois sur les navires qui empruntent ce passage très fréquenté et qui, souvent, hésitent à faire du zèle pour secourir des victimes encombrantes, sur la partie éclairée de l’opinion publique et sur les organisations humanitaires dont les voix sont contenues par des menaces et des chantages. Ce n’est pas le désir de profiter des allocations familiales qui pousse les populations du Sud à fuir, c’est tout simplement celui d’échapper à la misère ou à la guerre et, pour contenir ce désir légitime, les pays européens n’ont pour réponse qu’une politique exclusivement répressive. Ils mettent en place des moyens de prévention et de secours  dérisoires, des structures d’accueil misérables et, pour couronner le tout, tolèrent voire cultivent la diabolisation des immigrants. C’est un travail de Sisyphe puisqu’une fois rendus à leurs pays respectifs, les rescapés des naufrages et des camps de détention n’ont qu’une envie : repartir.

Cette forme de violence qui s’exerce contre la liberté de circulation et contre l’exode des pauvres et des déplacés de guerre s’exprime de plus en plus par l’endiguement et se manifeste par l’édification de barrières réelles ou fictives mais toutes pleines de périls. La Méditerranée, autrefois trait d’union entre l’Europe et l’Afrique, est devenue un énorme fossé qui défend tous les accès d’un château-fort, miroir aux alouettes aux pieds duquel s’écrasent toutes les espérances. Mais, ailleurs, la barrière est loin d’être symbolique, elle est au contraire matérialisée par des murs et des défenses électriques. Il y a eu d’abord le mur construit par Israël, qui a la particularité d’empiéter sur le territoire palestinien, séparant quelquefois le paysan de son verger, de son cimetière, de son école voire des autres membres de sa famille. Il y a le mur métallique construit par l’Espagne, en terre africaine, pour barrer la route aux pauvres sahéliens qui ont survécu à la traversée du Sahara. Il y a désormais le mur construit par la Grèce, entre elle et la Turquie et, au-delà, entre elle et tous les peuples d’Orient, et qui sera bientôt prolongé par un mur bulgare. Il y a, enfin, le mur construit par les Etats-Unis, qui furent longtemps le pays de l’espoir, pour arrêter la déferlante latino venue du Mexique. Vaines barrières ! Le mur israélien n’a fait que raviver la colère des Palestiniens et briser l’espoir d’une paix juste et durable. La Grèce avait oublié qu’elle était ourlée d’iles dont chacune constitue une parcelle et une porte d’Europe. L’Espagne renie son histoire, elle qui a peuplé toute l’Amérique et qui, il n’y a guère longtemps, servait de foyer de recrutement de travailleurs à toute l’Europe. Quant aux Etats-Unis, ils devraient savoir que le ver est déjà dans le fruit et que dans deux ou trois générations, leurs propres latinos constitueront la première communauté américaine…

Après moi, le déluge !

Cette violence des nantis présente un autre visage exposé jusqu’à l’hystérie depuis une semaine sur tous les médias de France. Elle s’exerce non contre des groupes humains, des foules et des peuples, mais contre un individu, une collégienne, cueillie d’un bus scolaire pour être expulsée vers un pays qu’elle ne connait pas, mais qui est celui de ses parents. Soixante millions de Français tremblent devant les menaces d’invasion de 15.000 Roms. Parce qu’elle touche à un sanctuaire, l’expulsion de la petite Leonarda a fait plus de bruits que les rapatriements forcés d’immigrés africains, baillonnés, attachés à leurs sièges et quelquefois étouffés dans des charters. Mais si l’émotion soulevée par cette affaire est justifiée, elle ne doit pas cependant nous faire oublier qu’elle répond d’abord à une guerre de positionnement interne qui met en péril la cohésion du gouvernement français, décrédibilise son chef débriefé par une gamine de 15 ans, et qu’au final, on a fait payer à Leonarda le comportement de son père…

La violence des nantis, quel que soit son visage, est symptomatique des contradictions des sociétés occidentales qui se sont érigées en gardiennes des droits de l’homme. Elle est le fait d’hommes et de gouvernants que l’on croyait les moins enclins à la produire. Il y a un paradoxe que l’Europe ferme toutes ses portes à des peuples et à des pays qu’elle a longtemps exploités et qui ont combattu pour défendre sa liberté, qu’elle soit prête à livrer la guerre en Syrie mais refuse d’accepter ceux que cette perspective fait fuir. Il y a un paradoxe que ce soit Israêl, le peuple pour lequel le mot ghetto a été inventé, qui, aujourd’hui mette les Palestiniens dans une prison à ciel ouvert. Il y a un paradoxe que les Etats-Unis, bâtis par des immigrés, refusent de partager leur sol avec les peuples autochtones de l’Amérique. Il y a un paradoxe que la Grèce ou la Bulgarie, deux des nations les plus pauvres de l’Union Européenne, se ruinent à servir de garde frontières, tout en sachant qu’elles ne sont pas, loin de là, la destination des immigrants. Il y a un paradoxe que MM. Lopez, l’élu FN de Brignoles, Vals, le ministre socialiste qui se vante d’avoir expulsé plus d’étrangers que ses prédécesseurs, Sarkozy, l’auteur du discours de Grenoble, tous fils d’immigrés et bien intégrés, ferment la porte de la France alors que c’est son ouverture qui leur avait redonné la dignité !


C’est ce qui s’appelle « après moi le déluge ! »

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