Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

mardi 24 janvier 2017

LES ETATS-UNIS, UNE RÉPUBLIQUE BANANIÈRE ?

NB : Texte publié dans "Sud Quotidien" du 16 janvier 2017

Comment cela s’appelle un pays qui confie son sort, et indirectement celui du monde, à un homme, multimilliardaire, dont l’équipe gouvernementale, recrutée sur le seul critère de son aisance matérielle, dispose d’une  fortune qui dépasse les revenus cumulés du tiers de sa population (ce qui représente tout de même plus de 120 millions de personnes !), ou  l’équivalent du PIB de 100 pays du monde, un président qui avoue sans honte qu’il  s’est enrichi par des procédés certes légaux mais moralement condamnables parce qu’ils reposent sur l’exploitation des failles de la loi, sur l’art de frauder sans se faire prendre ?

Comment cela s’appelle un pays dont le président, propriétaire d’un groupe aux vastes ramifications internationales, négocie encore des contrats à quelques jours de son investiture officielle, annonce qu’il conservera de fait ses actifs dans ses sociétés, ce que n’avait fait aucun de ses prédécesseurs depuis près d’un demi siècle, refuse donc obstinément de se défaire de ses responsabilités de chef d’entreprises au sein desquelles il exerçait plus de 500 fonctions de premier plan ?

Comment cela s’appelle un pays dont le président, au mépris de toute éthique, confie à des membres de sa famille, tous novices en politique, les fonctions parmi les plus importantes dans la gestion de l’Etat, sur la seule base des liens qu’il entretient avec eux et non en se fondant sur leurs compétences, sans même exiger d’eux qu’à leur tour ils se préservent de tout conflit d’intérêts entre leurs propres affaires et celles de la communauté nationale ?

Comment cela s’appelle un pays dont le président ne reconnait pas la continuité de l’Etat républicain et la nature sacrée de la chose jugée, qui se propose de remettre en cause les engagements les plus solennels souscrits par le gouvernement, les acquis les plus significatifs de son prédécesseur et qui touchent au bien être de ses concitoyens, à la préservation de la qualité de la vie dans le monde, au maintien de la bonne entente entre les nations ?

Comment cela s’appelle un pays dont le président se propose d’exercer son autorité, alternativement, entre sa résidence officielle et son domicile privé, mettant à rude épreuve les agents destinés à assurer sa sécurité, qui dénie néanmoins toute crédibilité aux informations fournies par ses propres services de renseignements, les plus performants du monde, et préfère s’en remettre à ses états d’âme, qui exprime le plus profond mépris à l’endroit des plus défavorisés de ses concitoyens, des handicapés, des minorités ethniques et religieuses et des ressortissants des pays étrangers ?

Comment cela s’appelle un pays dont le président a vu son élection  désavouée par la majorité de ses concitoyens, qui s’était fait remarquer par un opportunisme politique qui l’avait conduit à changer de parti une bonne demi douzaine de fois, qui avoue d’ailleurs qu’il n’a aucune conviction en politique, même sur les sujets les plus graves, et que sa seule ambition est de faire de l’argent et encore de l’argent et de contribuer à accroître le patrimoine des nantis, y compris le sien et celui de ses proches, quitte à enrichir les plus riches et à appauvrir les plus pauvres ?

Comment cela s’appelle un pays où tous les pouvoirs, exécutif et législatif notamment, et même judiciaire, sont aux mains de la même faction dont les représentants sont pour la plupart des milliardaires, ou en tout cas  parmi les mieux nantis de la nation, mais aussi parmi les plus incultes, politiquement et socialement parlant, si l’on considère leur indifférence ou leur méconnaissance de l’état de détresse de certains de leurs concitoyens ou de la désespérance d’une partie des peuples du monde ? Ce mode de gouvernement censitaire explique notamment que chaque membre de cette oligarchie d’argent, imbu de sa richesse, s’exprime sans mesure ni discipline, et qu’à peine nommée l’équipe appelée à diriger le pays, mais qui n’est pas encore aux commandes, se fait remarquer par la cacophonie  installée en son sein et qui donne l’impression qu’elle est un bateau ivre !

Comment cela s’appelle un pays dont le président, appelé à jouer le premier rôle dans la gestion du monde, a pour préoccupation, au cours de sa première prestation publique, non de livrer à l’opinion sa vision des grands défis qu’il aura à affronter, mais à répondre aux questions touchant à ses mœurs, aux turpitudes sexuelles dont on l’accuse et qui peuvent mettre en danger sa liberté d’action si elles s’avéraient exactes ?

Le pays décrit ici n’est pourtant pas une « république bananière », parce que les Etats-Unis ne sont pas la terre d’élection de ce fruit, parce que, surtout, ils ont bien d’autres ressources et sont capables d’étonner le monde, comme ce fut le cas avec l’élection de Barack Obama comme premier président noir d’une nation qui, quarante ans auparavant, contestait aux Noirs les plus élémentaires des droits civiques. C’est bien pour cela, parce que la femme de César ne doit pas être soupçonnée, que nous sommes déçus et inquiets pour l’avenir. Les Etats-Unis ne sont assurément pas cette caricature de gouvernement rongé par la dictature et la corruption qui avait inspiré l’expression à l’écrivain O. Henry au début du XXe siècle, mais ce qui se profile à l’horizon avec l’arrivée au pouvoir de l’arrogante et imprévisible « Trump team », composée très majoritairement d’hommes, de blancs et de riches, de militaires bellicistes et d’hommes d’affaires lobbyistes et comploteurs, rescapés des plus grands scandales financiers des dernières années, avec un chef qui déjà foule aux pieds ses promesses de campagne, c’est en toute beauté, le symptôme du délabrement spirituel et moral qui plane sur une nation gouvernée par l’argent et par le spectacle…


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