NB : Texte publié dans "Sud Quotidien" du 16 janvier 2017
Comment
cela s’appelle un pays qui confie son sort, et indirectement celui du monde, à
un homme, multimilliardaire, dont l’équipe gouvernementale, recrutée sur le
seul critère de son aisance matérielle, dispose d’une fortune qui dépasse les revenus cumulés du
tiers de sa population (ce qui représente tout de même plus de 120 millions de
personnes !), ou l’équivalent du
PIB de 100 pays du monde, un président qui avoue sans honte qu’il s’est enrichi par des procédés certes légaux
mais moralement condamnables parce qu’ils reposent sur l’exploitation des
failles de la loi, sur l’art de frauder sans se faire prendre ?
Comment
cela s’appelle un pays dont le président, propriétaire d’un groupe aux vastes
ramifications internationales, négocie encore des contrats à quelques jours de
son investiture officielle, annonce qu’il conservera de fait ses actifs dans
ses sociétés, ce que n’avait fait aucun de ses prédécesseurs depuis près d’un
demi siècle, refuse donc obstinément de se défaire de ses responsabilités de
chef d’entreprises au sein desquelles il exerçait plus de 500 fonctions de
premier plan ?
Comment
cela s’appelle un pays dont le président, au mépris de toute éthique, confie à
des membres de sa famille, tous novices en politique, les fonctions parmi les
plus importantes dans la gestion de l’Etat, sur la seule base des liens qu’il
entretient avec eux et non en se fondant sur leurs compétences, sans même
exiger d’eux qu’à leur tour ils se préservent de tout conflit d’intérêts entre
leurs propres affaires et celles de la communauté nationale ?
Comment
cela s’appelle un pays dont le président ne reconnait pas la continuité de
l’Etat républicain et la nature sacrée de la chose jugée, qui se propose de
remettre en cause les engagements les plus solennels souscrits par le
gouvernement, les acquis les plus significatifs de son prédécesseur et qui
touchent au bien être de ses concitoyens, à la préservation de la qualité de la
vie dans le monde, au maintien de la bonne entente entre les nations ?
Comment
cela s’appelle un pays dont le président se propose d’exercer son autorité, alternativement,
entre sa résidence officielle et son domicile privé, mettant à rude épreuve les
agents destinés à assurer sa sécurité, qui dénie néanmoins toute crédibilité
aux informations fournies par ses propres services de renseignements, les plus
performants du monde, et préfère s’en remettre à ses états d’âme, qui exprime
le plus profond mépris à l’endroit des plus défavorisés de ses concitoyens, des
handicapés, des minorités ethniques et religieuses et des ressortissants des
pays étrangers ?
Comment
cela s’appelle un pays dont le président a vu son élection désavouée par la majorité de ses concitoyens,
qui s’était fait remarquer par un opportunisme politique qui l’avait conduit à
changer de parti une bonne demi douzaine de fois, qui avoue d’ailleurs qu’il
n’a aucune conviction en politique, même sur les sujets les plus graves, et que
sa seule ambition est de faire de l’argent et encore de l’argent et de
contribuer à accroître le patrimoine des nantis, y compris le sien et celui de
ses proches, quitte à enrichir les plus riches et à appauvrir les plus pauvres ?
Comment
cela s’appelle un pays où tous les pouvoirs, exécutif et législatif notamment, et
même judiciaire, sont aux mains de la même faction dont les représentants sont
pour la plupart des milliardaires, ou en tout cas parmi les mieux nantis de la nation, mais
aussi parmi les plus incultes, politiquement et socialement parlant, si l’on
considère leur indifférence ou leur méconnaissance de l’état de détresse de
certains de leurs concitoyens ou de la désespérance d’une partie des peuples du
monde ? Ce mode de gouvernement censitaire explique notamment que chaque
membre de cette oligarchie d’argent, imbu de sa richesse, s’exprime sans mesure
ni discipline, et qu’à peine nommée l’équipe appelée à diriger le pays, mais
qui n’est pas encore aux commandes, se fait remarquer par la cacophonie installée en son sein et qui donne l’impression
qu’elle est un bateau ivre !
Comment
cela s’appelle un pays dont le président, appelé à jouer le premier rôle dans
la gestion du monde, a pour préoccupation, au cours de sa première prestation
publique, non de livrer à l’opinion sa vision des grands défis qu’il aura à
affronter, mais à répondre aux questions touchant à ses mœurs, aux turpitudes
sexuelles dont on l’accuse et qui peuvent mettre en danger sa liberté d’action
si elles s’avéraient exactes ?
Le
pays décrit ici n’est pourtant pas une « république bananière », parce
que les Etats-Unis ne sont pas la terre d’élection de ce fruit, parce que,
surtout, ils ont bien d’autres ressources et sont capables d’étonner le monde, comme
ce fut le cas avec l’élection de Barack Obama comme premier président noir
d’une nation qui, quarante ans auparavant, contestait aux Noirs les plus élémentaires
des droits civiques. C’est bien pour cela, parce que la femme de César ne doit
pas être soupçonnée, que nous sommes déçus et inquiets pour l’avenir. Les Etats-Unis ne sont assurément pas cette caricature de
gouvernement rongé par la dictature et la corruption qui avait inspiré
l’expression à l’écrivain O. Henry au début du XXe siècle, mais ce qui se
profile à l’horizon avec l’arrivée au pouvoir de l’arrogante et imprévisible
« Trump team », composée très majoritairement d’hommes, de blancs et
de riches, de militaires bellicistes et d’hommes d’affaires lobbyistes et
comploteurs, rescapés des plus grands scandales financiers des dernières années,
avec un chef qui déjà foule aux pieds ses promesses de campagne, c’est en toute
beauté, le symptôme du délabrement spirituel et moral qui plane sur une nation
gouvernée par l’argent et par le spectacle…
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