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Texte publié dans Sud-Quotidien du 28 février 2017
Bouna Traoré, Zied Benna, Adama
Traoré avaient respectivement 14,17 et 24 ans et appartenaient à ce qu’on
appelle communément en France, au moins dans les médias, des « Français issus de l’immigration », expression
quelque peu discriminatoire puisqu’elle ne s’applique qu’aux Français nés, ou
dont les parents, voire les grands parents, sont nés en Afrique sub-saharienne
ou au Maghreb. Jamais en effet il ne viendrait l’idée à un organe de presse
français de désigner sous ce terme Manuel Carlos Valls Galfetti, ancien Premier
Ministre né à Barcelone et naturalisé français à vingt ans, ou Ana Maria Hidalgo,
née à San Fernando, en Espagne toujours, et qui a conservé sa nationalité
espagnole, ou encore Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale française,
né à Tunis, sous la colonisation, d’un père italien et d’une mère maltaise… Il
leur a suffi, à ces trois personnalités et à bien d’autres, d’opérer une légère
et indolore chirurgie sur leurs patronymes et le tour était joué. Pour le
malheur de Bouna et Adama, Traoré est moins soluble en terre française et peut
difficilement passer pour un nom gaulois ! La réalité, c’est qu’en France, l’origine
africaine ou maghrébine est une tâche plus indélébile que l’encre dont on se
sert en Afrique pour les élections, et ni les ruades ni le zèle patriotique de
Rama Yade, qui se dit « française
née à l’étranger » (merci pour nous !) ou de Rachida Dati, qui
clame partout qu’elle est « française
de France », n’y changeront grand chose !
Bouna, Zied et Adama
resteront donc à jamais des « Français issus de l’immigration »… Si
au moins ce rappel intempestif pouvait servir à quelque chose, si au moins il
pouvait en contrepartie assurer aux trois jeunes gens un élan de solidarité de
la part de leurs terres d’origine, amener celles-ci à prendre le relais de leur
défense quand leur patrie de papier est défaillante ! Malheureusement, ce
ne fut pas le cas pour eux, et lorsque Bouna, Zeid et Adama ont perdu
tragiquement la vie, les premières n’ont été d’aucun secours. Elles ont au
contraire fait le mort, elles ont fait profil bas, elles ont, dans le meilleur
des cas, observé une discrète compassion, si
discrète qu’elle est passée inaperçue et que n’eût été l’enterrement
d’Adama au Mali, personne n’aurait connu le nom d’un des pays d’origine de leurs
familles. Aucun de ces pays n’a entrepris une action significative pour exiger
que lumière soit faite sur leur mort ou pour que justice leur soit rendue.
Aucun n’a honoré publiquement leurs dépouilles ni célébré leur mémoire en
invoquant le fait qu’aucun d’entre eux n’était ni un délinquant ni un criminel.
Le désespoir et les frustrations de leurs familles respectives, laissées à
l’abandon, restent incommensurables parce que la justice n’est pas passée, et
quand elle est passée elle n’a pas bien fait son travail. Les circonstances de
leur mort restent pour le moins troubles et inexpliquées et tout porte à croire
qu’ils ont été victimes de bavures des
forces de l’ordre.
Le contraste est frappant
entre le comportement des gouvernements africains, si passifs face aux malheurs
d’une diaspora qu’ils sucent avec délectation, et celui des pays du Nord qui
mobilisent toute leur diplomatie et usent de moyens de pression, voire de chantage,
lorsque leurs ressortissants, y compris les binationaux, sont, en terre
étrangère, victimes d’incidents de ce genre ou d’actes de terrorisme, voire
suspectés de crimes ou de délinquance. « J’irai les chercher,
quoi qu’ils aient fait ! », avait dit Nicolas Sarkozy lorsque
des Français suspectés de trafic d’enfants avaient été interpellés au Tchad,
soulignant au passage son mépris à l’endroit des populations et des
gouvernements africains. La France a eu le même comportement, au risque de
provoquer une crise diplomatique, lorsqu’une de ses ressortissantes a été condamnée
au Mexique pour enlèvement, séquestration, délinquance organisée et possession
d’armes à feu et de munitions ! Elle a ouvert des enquêtes préliminaires
pour apporter une assistance judiciaire à ses citoyens expatriés ou à leurs
familles, dans des cas d’enlèvements, d’assassinats,
de bavures supposées des forces de l’ordre ou d’attentats terroristes en Côte
d’Ivoire, au Burkina Faso, au Mali ou en Algérie… Les Etats-Unis vont encore
plus loin pour assurer la protection et la défense de leurs citoyens expatriés,
au point de s’opposer souvent à ce qu’ils soient jugés par les tribunaux de
leurs pays d’accueil, même dans des cas de crime avéré, et de faciliter ou
organiser leur fuite pour échapper à la justice… Mais c’est Israël qui a porté
la défense de ses enfants de naissance ou ceux qu’il revendique comme tels,
puisque cela inclut tous ceux qui ont une attache quelconque, y compris confessionnelle,
avec ce pays, à un niveau qui n’est atteint nulle part et qui devrait inspirer
les gouvernements africains. Il suffit de rappeler ses prises de position à
l’occasion d’attentats ou simplement d’actes antisémites commis en France
contre des citoyens français de confession juive, dont certains n’avaient même
jamais vécu en Israël : protestations véhémentes, stigmatisation de la
politique du gouvernement français, tir groupé contre les musulmans, appel à
quitter le territoire français. C’est comme si les gouvernements africains
interpellaient celui des Etats-Unis et lui demandaient des comptes à l’occasion
des violences subies par les Africains-Américains. Mais la politique israélienne
est payante puisque le gouvernement français fait non seulement acte de
repentance, mais se fait toujours représenter à l’enterrement en Israël des
victimes des incidents, alors qu’à l’enterrement de Adama Traoré au Mali, il
était aux abonnés absents !
A la mort de Bouna Traoré
et de Zied Benna, l’ancien ministre Christian Estrosi n’avait eu que des mots
méprisants pour les jeunes gens, les traitant de « délinquants
en excès de vitesse », alors
qu’ils étaient à pied et que le policier qui les poursuivait, et qui les avait
vu se réfugier dans un poste EDF, s’était contenté d’observer qu’il ne « donnait pas cher leur peau ».
Après dix ans de procès (« dépaysé »
à Rennes !), la justice avait presque conclu que « rien ne
s’était passé » et écarté tout versement de dommages et intérêts aux
familles des victimes …
Après sa nomination comme
Premier Ministre, l’un des premiers gestes de Bernard Cazeneuve a été de rendre
une visite de courtoisie aux gendarmes impliqués dans la mort de Adama Traoré, ceux-là
même qui l’avaient maîtrisé au moyen d’un « placage ventral », pratique
interdite dans de nombreux pays, et qui, de l’avis des sapeurs pompiers, avaient eu le tort de ne pas l’avoir placé en « position latérale de sécurité ».
Ni cette indifférence, ni
cette brutalité, ni ces lenteurs, ni ce déni de justice n’ont ému les pays
africains d’où étaient partis les parents de Bouna et de Adama, au point de les
amener à exercer une pression ferme et visible sur le pays qui les accueille et
qui refuse de leur concéder la plénitude de leurs droits. Nos gouvernants sont
toujours en quête des voix et des subsides de leurs diasporas, sans trop
s’inquiéter de savoir si elles portent un ou plusieurs passeports, mais quand
nos concitoyens ou leurs proches se noient en Méditerranée, quand ils sont pris
dans des rafles ou occis par des maffias, quand ils sont victimes de bavures ou
étouffés dans les postes de police, ils
préfèrent invoquer le respect de la non ingérence dans les affaires d’un pays
étranger !
Voila pourquoi, face à la
défection des pays d’origine de leurs parents, la rue a pris en France la
défense de Bouna, Zied, Adama et aujourd’hui celle de Théo !
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