Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

mardi 5 mars 2019

LOGIQUE ET POLITIQUE


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NB Texte publié dans « Sud Quotidien » de 4 mars 2019

Quel analyste imaginatif et audacieux pourrait nous expliquer le sens de cette bourrasque, les performances de ce vaincu-vainqueur, de ce petit sauvageon, la quarantaine, inconnu du public il y a quelques années, qui a fait son entrée sur le ring médiatique comme fonctionnaire rebelle et irrévérencieux, qui n’est pas rompu aux roueries des politiciens, qui est sans appareil politique de grande envergure, qui n’a d’autres moyens (avoués) que ses propres ressources et celles de ses militants, qui n’a pas la caution officielle des groupes de pression nationaux, communicateurs traditionnels ou chefs religieux, dont le background est quasi vierge, qui a le tort d’être jeune dans un monde qui cultive le respect des cheveux blancs, même si selon Achille Mbembé ce monde est infesté « de vieillards… qui souillent tout ce qu’ils touchent », et enfin, pour tout dire, de cet iconoclaste qui se cogne contre les grands lobbies politiques et financiers, comme Don Quichotte aux moulins, et qui ose s’en prendre à des tabous aussi insubmersibles que le franc CFA ou la Françafrique ?

Et 1 et 2 !

Il y a deux ans déjà, il nous avait surpris en réussissant là ou avaient échoué bien d’autres que l’on croyait mieux armés, et parmi eux des barons d’anciens gouvernements et des apparatchiks aguerris, et même un ancien Premier Ministre qui, à soixante ans passés, avait été soudain saisi par le démon de la politique…

Pour cette fois, si l’on se fie aux résultats publiés par la Commission de recensement des votes, il a fait encore mieux.

Il a fait plus que tenir tête, il a menacé et quelquefois devancé le maître des horloges, celui qui dispose de l’appareil d’Etat et qui peut se prévaloir de ses moyens illimités, qui a mis en place un système sophistiqué de suivi de la consultation, qui revendique un bilan étalé à profusion sur les médias publics, et qui a passé tout le mois précédent les élections à inaugurer des infrastructures dont aucune n’était achevée ou opérationnelle.

Il a fait plus que titiller un ancien Premier Ministre qui en était à sa troisième, et peut-être dernière campagne, s’il tient sa promesse de se retirer de la scène politique à 63 ans, l’âge auquel le Prophète avait quitté ce monde, et cela donne une idée des références de ce concurrent. Il s’est payé le luxe de battre dans 30 des 53 circonscriptions électorales cet homme qui était considéré comme le vrai challenger de ces élections, qui est présent dans l’arène nationale depuis plus de vingt ans et qui en est l’acteur le plus imbu de sa personne, qui après nous avoir longtemps  éblouis par ses citations tirées du Coran et ses badges universitaires, s’était rangé des voitures pour inaugurer l’ère de la transhumance confrérique, un peu comme on change de société d’assurances, s’est fait conciliant en ratissant large au point qu’au final il a rallié à sa cause la majorité des recalés, dont deux anciens Premiers Ministres et deux anciens maires de Dakar, même si malheureusement pour lui, la plupart ont été désavoués dans leurs bases électorales et quelquefois dans leurs bureaux de vote.

Il a défait sans pitié deux rivaux qui, pour leur baptême dans une compétition de ce niveau, avaient sorti une arme que l’on croyait fatale et qui s’est révélée un peu fluctuante : le confrérisme religieux. Le premier avait ouvert sa campagne par un clash avec son guide dont il voulait s’émanciper, ce qui lui a coûté sans doute des voix. Le second a connu un sort plus pathétique : renié par celui qu’il considérait comme son mentor contre vents et marées, mais ragaillardi par l’accueil réservé à ses bons mots et confiant après les pèlerinages qui ont ouvert et clôturé sa campagne, il a séduit moins de 1000 électeurs dans 27 sur 45 départements, totalisé à peine plus de bulletins que le nombre de signataires de son parrainage, soit moins d’un dixième des voix de notre jeune candidat…

Faire du neuf avec du vieux ?

Pourtant, malgré ses succès, ce jeune héros nous laisse sur notre faim, comme si nous étions passés tout près d’un évènement historique. On attendait peut-être un peu trop de cet OVNI politique dont l’électorat est le plus cultivé et le plus émancipé du pays, on pensait qu’il allait spéculer sur notre intelligence, changer nos esprits, qu’il était convaincu que « c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la démocratie ». On croyait qu’il allait, sans réserves, emboucher les trompettes de cette jeunesse accourue à son appel et dont le cri de cœur était : « Assez ! On efface tout et on recommence ! », ce qui était d’une certaine manière la recommandation des Assises Nationales, snobées curieusement par tous les candidats.

Aurait-il manqué d’audace en nouant des alliances compromettantes avec des représentants de ce « Système » dont il avait fait son bouc émissaire ? A-t-il choisi d’être Guillaume Soro plutôt que Jean Luc Mélenchon ? Pourquoi a-t-il voulu faire du neuf avec du vieux, et même du très vieux, puisqu’il s’est donné pour référence et tenté de séduire un presque centenaire qui était entré en politique l’année de sa naissance, qui est le symbole même de l’hypertrophie du pouvoir exécutif décrié par tous et qui a formé, installé à des postes de responsabilité et façonné trois de ses adversaires ?

C’est pour le moins illogique d’accorder le bénéfice du doute à deux d’entre eux et d’en exclure le troisième…

Aurait-il déjà acquis les réflexes des politiciens chevronnés, adeptes de la realpolitik et des alliances de circonstance, et ne serait-il plus qu’un homme politique comme les autres ?

Aurait-il manqué d’imagination en inventant pas lui aussi sa propre stratégie de campagne électorale, pour donner un avant-goût du mode de gouvernement qu’il voudrait instituer, une campagne adaptée à son projet, à son temps, et surtout à ses moyens, comme Wade et Obama avaient inventé les leurs ? Pourquoi d’ailleurs n’est-il pas allé puiser quelques inspirations - mutatis mutandis - chez ce dernier et même chez Macron (je parle de stratégie et non de contenu), deux hommes sur lesquels aucun bookmaker n’aurait parié une livre un an avant leur élection ?

Macron par son intransigeance sur la nécessité de réformer son pays et son refus de s’allier avec ses rivaux potentiels a réussi à dynamiter les vieilles formations politiques et contraint certains de leurs dirigeants à la retraite, même si aujourd’hui il revient à l’autoritarisme, mais cela est un autre débat. Obama avait dit « Yes ! We can ! », et dans notre contexte, cela peut signifier : « Oui ! Nous pouvons vaincre nos vieux démons, nos peurs et les pesanteurs sociales, déboulonner les vielles statues. Oui, nous pouvons tout changer mais ce changement devra se faire avec un esprit et des hommes nouveaux. Nous le pouvons, parce nous sommes le peuple, que l’important est à notre discrétion, que tout pouvoir est « dans la même situation qu’une institution de crédit » : si à un moment quelconque, nous décidions tous ou majoritairement, de lui retirer notre confiance il s’écroulerait comme un château de cartes ! ».

Demain seul contre tous ?

Je ne peux pas affirmer que ce jeune homme qui affrontait des candidats dont le moins âgé a presque vingt ans de plus que lui, aurait gagné les élections en tenant compte de ces recommandations. Sa campagne aurait été sans doute solitaire, mais qu’il ne se fasse pas d’illusions car aux prochaines élections présidentielles il sera, en toute logique, seul contre tous. Mais je suis convaincu qu’avec un discours plus cohérent, sans donner l’impression de se livrer à un combat crypto-personnel, en alliant rigueur et esprit de tolérance et sans proférer, même sur le ton de la plaisanterie des menaces d’un autre âge (rétablir la peine de mort, fusiller, sélectivement, ses prédécesseurs, etc.), il aurait fait oublier ce que beaucoup lui reprochent : sa jeunesse et son inexpérience. Qu’importe du reste que le succès tarde à venir : des cinq candidats qui étaient en course, il est le seul à pouvoir, si l’envie lui vient, se présenter à des élections présidentielles dans trente ans !   

RETOUR A MAMADOU DIA


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Texte publié dans « Sud-Quotidien » du 25 janvier 2019

Il y a dix ans s’éteignait Mamadou Dia et sans doute avec lui le rêve d’une Afrique rebelle au diktat des grandes puissances et vigilante face aux promesses des marchands d’illusions. Très peu de Sénégalais d’aujourd’hui connaissent son parcours, aucune grande avenue, aucun édifice public ne portent son nom, comme si on voulait l’effacer de notre histoire récente alors qu’il en a écrit des pages dont nous pouvons être fiers. A la veille du grand rendez-vous politique qui nous attend dans un mois, sa vie et sa conception du service de l’Etat constituent des références et sa voix nous manque parce qu’elle aurait pu éclairer nos choix. Ses leçons, son expérience nous auraient été utiles au moment où on assiste à une inquiétante déliquescence de la qualité du personnel politique, et notamment des chefs d’Etat, et par-dessus tout, à l’absence de tout leadership africain. On peut dire que tout va mal dans le monde : sur la scène internationale, la première puissance du monde est dirigée par un président fantasque et imprévisible, en Afrique Mandela n’a pas eu d’héritier, et lorsque nous sortons de chez nous pour essayer d’entendre de grandes voix comme naguère celle de Sartre, ce sont les élucubrations d’Eric Zemmour qui nous tympanisent les oreilles. Il est vrai, comme le disait Bertrand Russell, une autre grande voix, que « les imbéciles sont sûrs d’eux et fiers comme des coqs de basse-cour, alors que les gens intelligents sont emplis de doute… ».

Mamadou Dia nous manque parce qu’il était un des rares exemples d’un homme qui n’est pas allé de lui-même à la politique, pour conquérir le pouvoir ou acquérir de la richesse, et que ce sont ses concitoyens, le petit monde qui l’avait vu à l’œuvre, qui l’ont en quelque sorte « missionné » et lui ont ouvert les portes de la politique. Cela a une importance parce que de nos jours faire de la politique ce n’est plus sacrifier sa famille et son temps pour servir son pays, c’est un moyen de s’assurer une situation confortable.

Dia nous manque parce que la rigueur dont il a fait preuve dans l’exercice du pouvoir et qui lui a valu tant d’ennemis, était la même qu’il exerçait à l’endroit de sa propre famille. Dans une lettre adressée au Président de la Haute Cour de Justice qui allait le condamner à la prison à perpétuité, un de ses compagnons rappelait qu’à plusieurs reprises ses camarades et ses collaborateurs avaient dû intervenir pour lui imposer « le respect de droits auxquels ceux qui le touchent de près pouvaient prétendre légitimement ». Avec lui la « dévolution patrimoniale » n’avait pas cours, avec lui l’enrichissement illicite n’était pas de mise puisqu’au moment de sa condamnation à la prison il n’avait pas une seule maison lui appartenant !

Il nous manque parce qu’il était un des rares hommes politiques de son époque qui ne se laissait pas marcher sur les pieds par les riches et les puissants, ceux de son pays et surtout ceux des grands dirigeants du monde. Gérard Jacquet, Ministre (socialiste) de la France d’Outre-Mer, qui était son patron hiérarchique puisqu’on était à l’époque de la Loi Cadre, en a fait l’amère expérience quand il a voulu se mêler d’une querelle sénégalo-sénégalaise et apporter son soutien aux partisans du maintien de la capitale du Sénégal à Saint-Louis. De Gaulle qu’il avait agacé par ses prises de position audacieuses sur l’Algérie, lui rendra justice et fera de lui l’un de ses premiers confidents lorsqu’il se résoudra à accorder l’indépendance à son ancienne colonie.

Dia nous manque parce qu’il résistait à tous les lobbies. Lui, si profondément croyant qu’on pouvait l’assimiler à un soufi, n’a jamais accepté l’irruption des religieux dans la conduite des affaires politiques et a toujours été un militant d’une « humanité unie », le défenseur de la laïcité et de la coexistence pacifique entre les religions. Quant aux groupes économiques étrangers qui contrôlaient alors le marché de l’arachide, il a été établi qu’ils ont joué un rôle déterminant dans la crise qui l’avait opposé à Senghor et qu’ils contribuèrent au complot ourdi contre lui, avec la complicité de marabouts et de politiciens traditionnels.

Dia nous manque parce qu’il fut probablement le premier chef de gouvernement africain à faire de l’éducation une priorité, à la considérer non comme un luxe mais comme une ressource essentielle de développement. Mais à ses yeux il ne s’agissait pas seulement d’instruire la jeunesse, il fallait procéder à l’éducation généralisée de tout le peuple, avec le concours de toutes les forces vives de la nation. Il fut le premier à associer la « société civile », qui ne portait pas encore ce nom, aux politiques de développement et fut ainsi en quelque sorte l’inventeur des forums sociaux qui devaient faire florès quelques décennies plus tard. Il avait fait sienne cette exigence qu’il fallait promouvoir « le développement de tout l’Homme et de tous les Hommes », convaincu que nos jeunes nations devaient prioritairement investir sur l’humain. Roland Colin qui fut son collaborateur et son ami a dit de lui très justement qu’il avait été « passeur et prophète en développement » et nous avons plus que jamais besoin de dirigeants qui voient loin.

Il nous manque parce qu’il avait le panafricanisme en bandoulière, qu’il estimait que les indépendances n’avaient pas mis fin à la colonisation de l’Afrique qui selon lui restait « dépendante du système mondial dont les centres échappent à son pouvoir ». Son dernier combat fut celui qu’il livra à la tête de « l’Internationale des forces Africaines » qu’il avait créée pour lutter contre les méfaits de l’ultra libéralisme et pour une mondialisation à visage humain.

On lui a reproché d’être autoritaire et intransigeant, mais on n’oublie de dire qu’il n’a jamais été candidat au poste qui était le sien, qu’il ne s’était jamais battu pour garder le pouvoir et que son ambition avait toujours été d’être le second d’un homme auquel il est resté fidèle, même dans les moments les plus pathétiques. Avec lui nous aurions sans doute été secoués, nous aurions été amenés à consentir à des sacrifices, mais il nous invitait à l’effort et c’était peut-être le chemin par lequel il fallait passer pour nous débarrasser des pesanteurs sociales et de tous ces vieux démons qui entravent encore notre développement !

ET SI VOUS NOUS PARLIEZ DE L’ECOLE ?


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NB Texte publié dans « Sud Quotidien » de 12 janvier 2019

L’école constitue rarement le plat de résistance des campagnes électorales et ne fait souvent qu’une pâle figuration dans les professions de foi des candidats. Dans les discours des politiciens, elle est souvent ravalée au rang de ces petites danseuses de l’Opéra dont s’entichaient au XIXe siècle, en France, quelques opulents bourgeois qui les comblaient de parures, d’ailleurs plus clinquantes que de qualité, avant de s’en lasser vite pour retourner à leurs vieilles habitudes.

L’école vaut mieux que les éléphants blancs et les belles envolées et il ne sert à rien de couvrir le pays de lycées et d’universités si, au préalable, l’éducation n’est pas replacée à la seule place qu’elle mérite : celle d’une irremplaçable ressource économique. Nous devons sortir de notre coquille, avoir l’ambition de tenir compte de ce qui se fait ailleurs et qui fonctionne. Mais avant de redonner à l’éducation sa vraie place dans nos politiques de développement, nous devons réparer les erreurs commises au cours de la courte histoire de notre système éducatif hérité de la colonisation. Nous avons commis l’erreur de croire que nous pouvions bâtir une école nationale efficace et populaire qui ne reposerait que sur une langue étrangère, quelles que soient par ailleurs ses qualités et son audience internationale. Nous avons cru que le seul but de l’école était de délivrer de diplômes, alors que sa vocation principale est de former l’esprit. Le résultat, c’est que nous avons bien des milliers de diplômés en espagnol, en géographie, en droit, en bureautique… qui encombrent nos foyers et nos pôles emplois et auxquels notre économie ne peut offrir aucun débouché. C’est le moment de nous remémorer la question qui hantait Amadou Hampathé Ba : « Quel diplôme il avait, celui qui a inventé le diplôme ? ».

Nous avons eu tort de préparer notre jeunesse au monde d’aujourd’hui, en appliquant, avec des années de retard, les réformes initiées par ceux que nous prenons pour modèles. Double erreur parce qu’il nous fallait forger nos propres outils et parce qu’il fallait former notre jeunesse à affronter le monde de demain et que demain, nous dit un grand penseur et pédagogue, « est une puissance cachée ». Les fautes en éducation sont de celles qui se payent le plus cher et c’est pour cette raison que ceux qui aujourd’hui prétendent à la charge la plus élevée dans la conduite des affaires de la nation devraient avoir pour priorité de sauver le soldat école. Parce que dans notre monde globalisé l’école, chez nous comme ailleurs, a perdu son monopole. Elle n’est plus la seule à instruire les jeunes, elle est concurrencée, démonétisée, déstabilisée, souvent dépassée, par la rue, les spectacles, les modes, les médias et les réseaux sociaux qui occupent notre horizon et ont désormais plus d’influence sur la jeunesse que les éducateurs institutionnels. Parce que chez nous tout particulièrement, les établissements scolaires tous niveaux confondus, du moins ceux qui relèvent de l’autorité publique, sont mal préparés à relever le défi que leur opposent ces sources d’information et d’éducation, symboles d’un monde en perpétuel changement. Ils sont généralement dans un environnement malsain, cernés de souks ou ouverts aux divagations d’animaux, privés d’installations aussi primaires que de simples toilettes, dépourvus d’équipements scientifiques performants. Ils sont dans la plupart des cas servis par des personnels qui y travaillent sans vocation et souvent par défaut, formés quelquefois à la va vite, frustrés par leurs maigres salaires et le manque de considération qui entoure leur métier. Ils fonctionnent avec des outils pédagogiques et des méthodes qui sont rarement en phase avec les progrès accomplis depuis des décennies, suivant des méthodes et des programmes qui invitent à la répétition et non à la création. On comprend pourquoi les parents sont réticents à engager leurs enfants dans des voies qu’ils considèrent sans issues, alors qu’ils ont sous les yeux des modèles dont la réussite, matérielle, s’est faite hors de l’enseignement institutionnel.

On comprend aussi que nos jeunes aient besoin d’arguments pour fréquenter ces écoles délabrées, sans attraits, et quand ils y sont, pour y rester le temps nécessaire pour recevoir une formation qui les prépare à gagner leur vie et à participer au développement de leur pays. On croit souvent que l’école publique est un luxe, que les sommes qui lui sont consacrées sont excessives et on cite le montant de son budget comme un sacrifice suprême. Pourtant, dans le pays qui a le meilleur système éducatif du monde, la Finlande, il n’y a pas d’enseignement privé, l’école est totalement gratuite, de même que sont gratuits le transport des élèves, leur restauration en cantines scolaires ou l’assistance aux handicapés. Et l’Etat n’est pas ruiné pour autant parce que le budget de l’éducation est bien géré… On croit que le classement des nations les plus développées ne se fait que sur la base du PIB, alors que le plus significatif est celui qui est basé sur les performances des systèmes éducatifs. Aujourd’hui il est plus important d’être bien représenté dans le classement de Shanghai que de figurer dans le G 20 !

Le vrai scandale aujourd’hui, celui qui doit mobiliser toutes nos énergies, c’est celui de la grande dissemblance des éducations qui caractérise notre monde. Un gouffre nous sépare des nations développées que nous ne pouvons pas combler en empruntant le long chemin qu’elles ont suivi pour être à la pointe du progrès. Nous devons sauter des étapes aller plus vite, accéder directement aux techniques les plus performantes et c’est possible parce qu’elles sont un patrimoine universel. Mais cette dissemblance sévit aussi dans notre propre pays, entre les villes et les campagnes, la capitale et les périphéries, et partout les minorités, les handicapés, les pauvres sont laissés à l’abandon. Sait-on par exemple que les lycées des régions les plus éloignées de Dakar se caractérisent tous, outre les insuffisances soulignées plus haut, par le fait qu’aucun d’entre eux ne peut dispenser un enseignement scientifique de qualité, faute notamment de professeurs aptes à l’assurer ? Une bonne école, c’est une école qui a de bons enseignants… Le droit à l’éducation est plus important que le droit de vote, parce que c’est de l’éducation que dépend notre avenir.