-->
NB Texte
publié dans « Sud Quotidien » de 4 mars 2019
Quel analyste imaginatif et
audacieux pourrait nous expliquer le sens de cette bourrasque, les performances
de ce vaincu-vainqueur, de ce petit sauvageon, la quarantaine, inconnu du
public il y a quelques années, qui a fait son entrée sur le ring médiatique
comme fonctionnaire rebelle et irrévérencieux, qui n’est pas rompu aux roueries
des politiciens, qui est sans appareil politique de grande envergure, qui n’a
d’autres moyens (avoués) que ses propres ressources et celles de ses militants,
qui n’a pas la caution officielle des groupes de pression nationaux,
communicateurs traditionnels ou chefs religieux, dont le background est quasi vierge,
qui a le tort d’être jeune dans un monde qui cultive le respect des cheveux blancs,
même si selon Achille Mbembé ce monde est infesté « de vieillards… qui
souillent tout ce qu’ils touchent », et enfin, pour tout dire, de cet
iconoclaste qui se cogne contre les grands lobbies politiques et financiers,
comme Don Quichotte aux moulins, et qui ose s’en prendre à des tabous aussi
insubmersibles que le franc CFA ou la Françafrique ?
Et 1 et 2 !
Il y a deux ans déjà, il nous
avait surpris en réussissant là ou avaient échoué bien d’autres que l’on
croyait mieux armés, et parmi eux des barons d’anciens gouvernements et des apparatchiks
aguerris, et même un ancien Premier Ministre qui, à soixante ans passés, avait
été soudain saisi par le démon de la politique…
Pour cette fois, si l’on se fie
aux résultats publiés par la Commission de recensement des votes, il a fait
encore mieux.
Il a fait plus que tenir tête, il
a menacé et quelquefois devancé le maître des horloges, celui qui dispose de
l’appareil d’Etat et qui peut se prévaloir de ses moyens illimités, qui a mis
en place un système sophistiqué de suivi de la consultation, qui revendique un
bilan étalé à profusion sur les médias publics, et qui a passé tout le mois
précédent les élections à inaugurer des infrastructures dont aucune n’était
achevée ou opérationnelle.
Il a fait plus que titiller un
ancien Premier Ministre qui en était à sa troisième, et peut-être dernière
campagne, s’il tient sa promesse de se retirer de la scène politique à 63 ans,
l’âge auquel le Prophète avait quitté ce monde, et cela donne une idée des références
de ce concurrent. Il s’est payé le luxe de battre dans 30 des 53
circonscriptions électorales cet homme qui était considéré comme le vrai
challenger de ces élections, qui est présent dans l’arène nationale depuis plus
de vingt ans et qui en est l’acteur le plus imbu de sa personne, qui après nous
avoir longtemps éblouis par ses
citations tirées du Coran et ses badges universitaires, s’était rangé des
voitures pour inaugurer l’ère de la transhumance confrérique, un peu comme on
change de société d’assurances, s’est fait conciliant en ratissant large au
point qu’au final il a rallié à sa cause la majorité des recalés, dont deux
anciens Premiers Ministres et deux anciens maires de Dakar, même si malheureusement
pour lui, la plupart ont été désavoués dans leurs bases électorales et
quelquefois dans leurs bureaux de vote.
Il a défait sans pitié deux rivaux qui, pour leur baptême dans une
compétition de ce niveau, avaient sorti une arme que l’on croyait fatale et qui
s’est révélée un peu fluctuante : le confrérisme religieux. Le premier
avait ouvert sa campagne par un clash avec son guide dont il voulait s’émanciper,
ce qui lui a coûté sans doute des voix. Le second a connu un sort plus
pathétique : renié par celui qu’il considérait comme son mentor contre
vents et marées, mais ragaillardi par l’accueil réservé à ses bons mots et confiant
après les pèlerinages qui ont ouvert et clôturé sa campagne, il a séduit moins
de 1000 électeurs dans 27 sur 45 départements, totalisé à peine plus de
bulletins que le nombre de signataires de son parrainage, soit moins d’un
dixième des voix de notre jeune candidat…
Faire du neuf avec du vieux ?
Pourtant, malgré ses succès, ce
jeune héros nous laisse sur notre faim, comme si nous étions passés tout près
d’un évènement historique. On attendait peut-être un peu trop de cet OVNI
politique dont l’électorat est le plus cultivé et le plus émancipé du pays, on
pensait qu’il allait spéculer sur notre intelligence, changer nos esprits,
qu’il était convaincu que « c’est dans
l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la
démocratie ». On croyait qu’il allait, sans réserves, emboucher les
trompettes de cette jeunesse accourue à son appel et dont le cri de cœur
était : « Assez ! On efface tout et on
recommence ! », ce qui était d’une certaine manière la recommandation
des Assises Nationales, snobées curieusement par tous les candidats.
Aurait-il manqué d’audace en
nouant des alliances compromettantes avec des représentants de ce
« Système » dont il avait fait son bouc émissaire ? A-t-il
choisi d’être Guillaume Soro plutôt que Jean Luc Mélenchon ? Pourquoi
a-t-il voulu faire du neuf avec du vieux, et même du très vieux, puisqu’il
s’est donné pour référence et tenté de séduire un presque centenaire qui était
entré en politique l’année de sa naissance, qui est le symbole même de
l’hypertrophie du pouvoir exécutif décrié par tous et qui a formé, installé à
des postes de responsabilité et façonné trois de ses adversaires ?
C’est pour le moins illogique
d’accorder le bénéfice du doute à deux d’entre eux et d’en exclure le
troisième…
Aurait-il déjà acquis les réflexes
des politiciens chevronnés, adeptes de la realpolitik et des alliances de
circonstance, et ne serait-il plus qu’un homme politique comme les autres ?
Aurait-il manqué d’imagination en
inventant pas lui aussi sa propre stratégie de campagne électorale, pour donner
un avant-goût du mode de gouvernement qu’il voudrait instituer, une campagne
adaptée à son projet, à son temps, et surtout à ses moyens, comme Wade et Obama
avaient inventé les leurs ? Pourquoi d’ailleurs n’est-il pas allé puiser
quelques inspirations - mutatis mutandis - chez ce dernier et même chez Macron
(je parle de stratégie et non de contenu), deux hommes sur lesquels aucun
bookmaker n’aurait parié une livre un an avant leur élection ?
Macron par son intransigeance sur
la nécessité de réformer son pays et son refus de s’allier avec ses rivaux
potentiels a réussi à dynamiter les vieilles formations politiques et contraint
certains de leurs dirigeants à la retraite, même si aujourd’hui il revient à
l’autoritarisme, mais cela est un autre débat. Obama avait dit
« Yes ! We can ! », et dans notre contexte, cela peut
signifier : « Oui ! Nous pouvons vaincre nos vieux démons,
nos peurs et les pesanteurs sociales, déboulonner les vielles statues. Oui,
nous pouvons tout changer mais ce changement devra se faire avec un esprit et
des hommes nouveaux. Nous le pouvons, parce nous sommes le peuple, que l’important
est à notre discrétion, que tout pouvoir est « dans la même situation
qu’une institution de crédit » : si à un moment quelconque, nous
décidions tous ou majoritairement, de lui retirer notre confiance il
s’écroulerait comme un château de cartes ! ».
Demain seul contre tous ?
Je ne peux pas affirmer que ce
jeune homme qui affrontait des candidats dont le moins âgé a presque vingt ans
de plus que lui, aurait gagné les élections en tenant compte de ces
recommandations. Sa campagne aurait été sans doute solitaire, mais qu’il ne se
fasse pas d’illusions car aux prochaines élections présidentielles il sera, en
toute logique, seul contre tous. Mais je suis convaincu qu’avec un discours
plus cohérent, sans donner l’impression de se livrer à un combat crypto-personnel,
en alliant rigueur et esprit de tolérance et sans proférer, même sur le ton de
la plaisanterie des menaces d’un autre âge (rétablir la peine de mort, fusiller,
sélectivement, ses prédécesseurs, etc.), il aurait fait oublier ce que beaucoup
lui reprochent : sa jeunesse et son inexpérience. Qu’importe du reste que
le succès tarde à venir : des cinq candidats qui étaient en course, il est
le seul à pouvoir, si l’envie lui vient, se présenter à des élections
présidentielles dans trente ans !