Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

mardi 29 mai 2018

FAUT-IL BOYCOTTER LES PELERINAGES EN ARABIE SAOUDITE ?



NB : Publié dans Sud Quotidien du 15 mai 2018

En 1986, Fahd Ben Abdel Aziz s’était proclamé « Gardien des Deux Saintes Mosquées ». Cela n’ajoutait rien à ses fonctions de roi d’Arabie Saoudite et de chef du plus riche pays arabe, mais, au-delà des deux sanctuaires, ce titre lui permettait de se présenter aux yeux du monde  comme le défenseur des valeurs de l’Islam et de l’intégrité de ses  lieux saints. Ce titre n’a plus aucun sens aujourd’hui puisque ses successeurs acceptent et cautionnent le bradage du troisième lieu saint musulman et prennent fait et cause pour celui qui a perpétré ce crime et pour celui qui l’a inspiré. Ce n’est pas au souverain qui, pour beaucoup de pays dans le monde incarne pratiquement l’Islam, même si sa souveraineté sur La Mecque et Médine relève plus de l’accident historique que de la légitimité, qu’il faut apprendre que Jérusalem a été la première Qibla, que le destin du Prophète est intimement lié à ce site et que celui-ci estimait que la mosquée Al Aqsa était l’une des trois  destinations qui méritent que l’on selle son cheval et entreprenne un grand voyage. Ce n’est pas un hasard si Jérusalem porte en arabe le nom d’Al Quds, la « sanctifiée »…

L’indifférence, la complicité pour tout dire, des rois saoudiens ne sont qu’une illustration parmi d’autres de leur disqualification à porter un titre usurpé. L’Islam n’est pas fait que de murs, il est aussi fait de vies humaines, d’hommes, de femmes et d’enfants dont ils devraient aussi se préoccuper, et en quelques jours, plusieurs dizaines d’entre eux ont été tués, plusieurs milliers ont été blessés, à Gaza, quelquefois marqués pour la vie, pour avoir, les mains nues, contesté l’occupation illégale de leurs terres. L’Arabie Saoudite est devenue une puissance impérialiste qui use des mêmes méthodes, des mêmes armes que les puissances européennes qui ont balkanisé le Moyen Orient et étouffé les mouvements de libérations nationales. Ses dirigeants se distinguent plus souvent par les frasques qu’ils affichent sur les lieux de plaisir européens plutôt que par leur lutte contre l’islamophobie qui prospère dans le monde. Ils s’arment abondamment, non pour combattre Israël dont le but affiché est de conquérir par la force des terres occupées par les Arabes depuis deux mille ans, mais pour détruire le seul pays de la région, l’Iran, dont la foi en l’Islam est incontestable, mais qui a le tort de refuser le diktat de l’Occident et ses modèles culturels. L’Égypte écrasée par une dictature militaire, le Liban étouffé et pris en otage, la Syrie réduite à feu et à sang, l’Irak démantelée, le Yémen condamné à la famine, la Jordanie harcelée, qui restera-t-il pour affronter la force militaire israélienne qui désormais ne fait la guerre qu’aux civils, contrairement à toutes les armées du monde ? La vérité, c’est que les autorités saoudienne ont choisi leur camp et décidé de servir les intérêts des Américains et d’être sous la bonne grâce des Israéliens.

Puisque, grâce aux pétrodollars, l’Arabie Saoudite tient par la gorge les dirigeants des pays à majorité musulmane, que reste-t-il aux populations de ces pays pour exprimer leur colère et leur frustration ? D’abord affirmer haut et fort que leur combat n’est pas que religieux et que la décision prise par le président américain de transférer son ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem est une grave entorse au droit international et une violation manifeste des accords internationaux qui ont été à l’origine de la création de l’État d’Israël. L’Arabie Saoudite s’était pourtant à l’époque, opposée à ce que les Palestiniens considéraient comme une catastrophe, en proclamant, comme d’autres pays, qu’elle violait le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Depuis soixante-dix ans, et malgré tous les coups de force menés par Israël, le Conseil de Sécurité des Nations-Unies, dont les Etats-Unis sont le membre le plus influent, n’a jamais cessé  de réitérer l’interdiction de toute modification du statut de Jérusalem avant la conclusion d’un accord de paix. C’est ce qui explique la déconfiture du gouvernement américain, abandonné par ses plus vieux alliés lors de l’examen de sa décision de reconnaître Jérusalem comme capitale de fait de l’Etat hébreu.


La protestation des musulmans, et celle de tous les hommes attachés au respect des lois internationales, devraient donc s’accompagner de mesures concrètes visant à maquer leur défiance à l’endroit des autorités saoudiennes. Cela pourrait se traduire par la proscription totale de tout déplacement à caractère religieux en Arabie qui ne soit pas inscrit parmi les obligations recommandées par l’Islam, en particulier les umra qui prennent une ampleur de plus en plus grade. La mesure ne ruinera pas sans doute les finances saoudiennes qui reposent sur d’autres ressources, mais elle aura une portée considérable au plan symbolique. Mais après le massacre sanglant de ce 14 mai, date de l’inauguration de l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem et qui a fait plus de cinquante morts dont des enfants, en une seule journée, et sans préjuger de celui qui sera commis le 15, jour de commémoration de la NaKba, ce boycott sélectif ne devrait plus suffire. Parmi les devoirs du musulman il y a aussi le refus de l’oppression et le refus de contribuer au pouvoir de ceux qui gouvernent par l’injustice. Le pèlerinage annuel à La Mecque est certes une des cinq prescriptions de l’Islam, mais on peut considérer qu’aujourd’hui La Mecque est séquestrée et que ceux qui prétendent la garder trahissent le symbole qu’elle représente. Elle  est même en danger pour la simple et bonne raison qu’il n’est pas exclu, au train où vont les choses, qu’elle soit sous peu placée sous la garde non du roi d’Arabie Saoudite, mais sous celle, directe et incontrôlable, des services de sécurité israéliens, comme l’est déjà semble-t-il, l’aéroport de la capitale du royaume. Autant dire qu’elle sera alors placée sous la responsabilité de ceux qui chaque jour travaillent à miner la solidarité entre musulmans et à la déconfiture de la Umma. Nous pouvons donc considérer que ce n’est pas nous qui boudons La Mecque, mais que nous constatons qu’elle nous est provisoirement interdite. Dieu qui pardonne tout, nous pardonnera bien cette infidélité !

DE CHEIKH YASSINE A AHED TAMIMI : PALESTINIENS, PARDONNEZ-NOUS NOTRE LACHETE !



NB : Publié dans Sud Quotidien du 26 mars 2018

Le monde entier sait que depuis soixante-dix ans, le peuple palestinien est écartelé entre d’une part des camps de fortune disséminés au Liban, en Jordanie ou ailleurs et, d’autre part un territoire rongé par des colonies illégales implantées par un État qui n’a que mépris et arrogance à son endroit.

Tout le monde sait que cet état, Israël, est le seul au monde à avoir été créé ex nihilo par une résolution des Nations-Unies, injuste et illégale, en contradiction flagrante avec le préambule de la Charte de l’institution à laquelle elle a été imposée au moyen d’un chantage exercé par les États-Unis.

des violations multiples

Tout le monde sait que pourtant Israël n’a jamais cessé de bafouer cette résolution et que depuis sa création, c’est l’un des pays qui a le plus souvent bénéficié du veto d’un membre permanent du Conseil de Sécurité, le seul qui a toujours refusé d’appliquer les décisions de l’Assemblée Générale dont les plénipotentiaires ont été récemment traités d’imbéciles par son Premier Ministre à l’occasion du débat sur le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem jugé « nul et non avenu » par la grande majorité des votants (128 voix contre 9).     

Tout le monde sait que depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, Israël est le seul État qui ne s’est agrandi qu’en annexant des territoires conquis par les armes, ce qui est pourtant formellement condamné par la communauté internationale.

Tout le monde sait qu’Israël est le seul État qui pratique l’assassinat ciblé visant des populations civiles, dans les territoires occupés, à Gaza ou ailleurs dans le monde. Ces exécutions extra-judiciaires violent les lieux les plus saints et n’épargnent pas les personnes handicapées. Il y a exactement 14 ans, un missile israélien abattait, au sortir d’une mosquée où il venait d’effectuer la prière de l’aube, Cheikh Yassine, vieil homme aveugle, paraplégique depuis l’âge de 12 ans, et avec lui  9 spectateurs, car Israël  se soucie peu des dégâts collatéraux. A côté de ces meurtres spectaculaires, il y a ceux qui se font par des méthodes sophistiquées indétectables, comme ce fut probablement le cas de Yasser Arafat.

Le monde entier sait qu’Israël est le seul gouvernement qui pratique la punition collective qui permet de dynamiter une maison familiale sous prétexte que l’un de ses habitants est  responsable d’une agression ou d’un attentat. Les lois israéliennes permettent d’abattre impunément un mineur pour jet de pierres ou de condamner à  douze (12) ans de prison le jeune palestinien coupable d’une agression au couteau contre un soldat israélien.

la violence institutionnalisée

Israël est le seul pays au monde dans lequel les mineurs, tous détenus pour des motifs politiques, représentent un vingtième de la population carcérale, tout au moins dans les prisons réservées aux Palestiniens. C’est le seul pays où ils  sont jugés par des tribunaux  militaires, en l’absence de témoins, et l’UNICEF a reconnu qu’ils étaient victimes de mauvais traitements « institutionnalisés » par la justice militaire.  

Tout le monde sait que depuis la chute de l’apartheid, Israël est le seul État ouvertement raciste du monde, non seulement parce qu’il se proclame « État juif », mais aussi parce que la minorité arabe autochtone qui y vit est privée de l’essentiel de ses droits, interdite dans certains secteurs économiques et politiques. C’est le seul pays au monde dont le Parlement peut, par une majorité des deux tiers, exclure un tiers de ses membres, et notamment les députés arabes israéliens.

Israël est issu de l’immigration, il a dans son ADN la condamnation de la déportation, et pourtant son Premier Ministre n’hésite pas à sommer  20.000 africains réfugiés dans son pays à choisir entre la prison et la déportation, et il pousse la provocation jusqu’à affirmer que les immigrés africains sont pires que les jihadistes qui  étaient jusque-là pour lui l’horreur absolue, et que par leur prolifération, ils pourraient tout simplement mettre en péril la judaïté d’Israël.

« En Israël pousse un racisme proche du nazisme à ses débuts ! ». Cette grave accusation est proférée par un citoyen israélien qui a combattu plusieurs fois pour son pays, Zeev Sternhell. Pour illustrer son propos, cet historien spécialiste de l’extrême droite, membre de l’Académie israélienne des Sciences et des Lettres, évoque  tout à la fois la « cruauté » du gouvernement de son pays envers les non-juifs, les conditions de vie déplorables des populations vivant dans les territoires occupés, et surtout la détermination d’Israël « à briser les espoirs de liberté et d’indépendance des Palestiniens ».

Israël est devenu un monstre qui, après avoir collaboré avec les gouvernements racistes d’Afrique du Sud, s’allie aujourd’hui avec les régimes européens les plus réactionnaires, la Hongrie ou la Pologne, dont les gouvernements veulent remettre en cause la démocratie et ses fondements.

Pour Zeev Sternhell, la Palestine est devenue tout simplement « un camp de concentration » et le soldat israélien un « garde chiourme » qui combat des populations civiles. Cette dérive qui choque même la plupart des sionistes historiques, trouve sa dernière manifestation dans l’arrestation et la détention d’une adolescente de 17 ans, Ahed Tamimi, accusée d’avoir « giflé et bousculé » un soldat israélien. Douze chefs d’accusation avaient été retenus contre elle, mais en réalité, elle et les siens font l’objet d’un véritable acharnement. Son père, qui a fait la prison à neuf reprises, était resté une semaine dans le coma après avoir été battu par des soldats israéliens, les mêmes qui ont tué sa tante et défiguré son cousin par une balle de caoutchouc. La moitié des habitants de son village a  séjourné dans les prisons israéliennes, et à cette torture physique et morale s’ajoutent des sévices économiques puisque le village est progressivement dépossédé de ses terres cultivables et de la seule source d’eau qui l’alimentait. Ahed Tamimi n’a pas giflé un soldat, dit son père, elle a giflé un informe qui pour la millième fois violait sa demeure.

Le verdict la condamnant à 8 mois de prison ferme et à une forte amende a été proclamé la veille du jour anniversaire de l’assassinat de Cheikh Yassine. Elle a dû plaider coupable non parce qu’elle reconnaissait ses torts mais parce que c’était la seule voie offerte aux Palestiniens, parce qu’elle ne pouvait pas bénéficier d’un procès équitable, qu’elle ne pouvait pas se défendre conformément aux normes de droit.

Hollywood avant Jérusalem

Le monde sait tout cela et le monde, les États, les organisations continentales les institutions internationales… se taisent ou, dans le meilleur des cas, se contentent de vagues protestations. Le symbole de cette indifférence et de cette trahison est illustré par la tournée qu’effectue le prince héritier d’Arabie Saoudite aux États-Unis. Alors que chaque visite d’un Premier Ministre israélien dans ce pays est l’occasion de mobiliser des fonds et des lobbies pro-israéliens, le dirigeant de fait de la première puissance arabe, le « Gardien des Lieux saints de l’Islam », la seule voix du Moyen Orient qui compte en Occident, à l’exclusion d’Israël, préfère consacrer une partie de son temps aux lieux de distraction américains plutôt qu’à défendre la cause palestinienne.

C’est sans doute ce qu’a compris la jeunesse palestinienne que symbolise Ahed Tamimi : face à la lâcheté du monde, désormais la Palestine « farà da  » …



TRUMP ET LA SOLITUDE DE L’AFRIQUE



NB : Publié dans Sud Quotidien du 26 janvier 2018

Cela fait donc un an que « N° 45 », comme l’appelle l’écrivain américain Paul Auster qui se refuse à prononcer le nom de Trump, exhale sa rancœur conte les artistes, les sportifs, les intellectuels, les femmes, les minorités et sa dernière salve, destinée à l’Afrique, ne se distingue des précédentes que parce que cette fois il refuse d’assumer et fait le dos rond. Mais, cette fois, le plus choquant, le plus blessant, ce n’est pas l’insondable vulgarité de ses propos, c’est le silence du monde, de celui qui s’est autoproclamé « communauté internationale» et qui décide du sort de l’univers et qui n’a pas dit mot, ferme et significatif, face à l’outrage subi par un milliard d’hommes et de femmes ! Imaginez en revanche - (imaginez seulement !) - que le président iranien, par exemple, profère les mêmes mots et que cette fois l’insulte soit adressée à l’Etat d’Israël, et au-delà, à tous les Juifs, car ce n’est pas un hasard si Trump, dans sa diatribe, associe Haïti à l’Afrique, la référence est évidente : il parle des Noirs en général. Le monde, dans ce cas improbable, se serait carrément arrêté de tourner ! A Washington, à Paris, à Londres, à Bruxelles, à Ottawa, à Rome et au Vatican et peut-être même à Riad, des déclarations outrées auraient été publiées  par les instances les plus élevées, lues devant un aéropage de journalistes, les représentants diplomatiques du pays insulteur auraient été convoqués pour se faire remettre de vigoureuses protestations soulignant l’immense contribution du pays et du peuple outragés à l’enrichissement spirituel et au progrès de l’Humanité. Comme à leur habitude, les présidents africains auraient embouché les mêmes trompettes et poussé le zèle jusqu’à exprimer leur colère dans la rue, comme ils l’avaient fait à Paris, place de la République. Bien sûr, dans cette hypothèse, le monde entier aurait raison de marquer sa désapprobation, mais alors pourquoi, lorsqu’il s’agit de l’Afrique, toutes ces sommités se contentent de messes basses, de vagues commentaires, quand elles ne font pas semblant de n’avoir rien entendu ?

Dieu : quel grand malheur que d’être pauvre et de ne pas avoir la bombe atomique !

2000 mensonges en un an !

Pourtant les propos de Donald Trump ne sont ni nouveaux ni même d’une  certaine manière surprenants de la part  d’un homme qui non seulement ne sait rien de l’histoire du monde, mais surtout ne sait pas qu’il ne sait pas et ne veut pas apprendre. Il n’y a donc pas de quoi fouetter un chat, le poids d’une insulte dépend aussi de la qualité de l’insulteur. De toutes façons il n’y a pas  à s’offusquer des sentences rendues par un homme dont 75% des affirmations sont des contrevérités et qui, selon la comptabilité établie par les médias américains, a commis deux mille mensonges en un an ! Il suffit donc que nous tenions ses propos pour ce qu’ils sont et que nous gardions en mémoire ce proverbe selon lequel il n’y a pas à se consumer de honte parce que votre hôte vous a servi votre repas dans une écuelle de chien, ce qui serait infâmant ce serait de le manger.

Le seul homme humilié par les propos de Trump, c’est son ambassadeur à Dakar qui a ses racines dans cette terre que celui qu’il représente tient en si piètre estime…

Néanmoins, sur le principe, on attendait tout de même que les « gardiens de l’état-civil » des valeurs universelles fassent mieux que de froncer les sourcils et qu’ils expriment leur indignation à haute et intelligible voix, quel que soit l’offenseur. A commencer par la France où un seul homme politique, Jack Lang, a osé retourner à Trump son insulte. Pourquoi la France tout particulièrement ? Parce que c’est elle que nous entendons le plus souvent et que c’est sa langue que nous comprenons le mieux. Parce que  sur ces questions, elle est plus bavarde que d’autres nations et qu’elle se dit être « la patrie des droits de l’Homme ». Nous en avons eu l’illustration encore  récemment quand, dans  son très long discours à Ouagadougou, son président, après avoir prédit que  c’est en Afrique que « se télescopent tous les défis contemporains », avait solennellement déclaré que la France entretenait avec  notre continent « un lien historique indéfectible, écrit de souffrances, de déchirements mais aussi de fraternité et d’entraide ».Pouvait-il dès lors continuer à traiter en ami un homme qui insulte ses frères et à serrer sans gêne la main de Donald Trump  ? A cette question essentielle, un de ses ministres a donné une réponse de godillot, ce qui prouve que dans ce domaine, les choses n’ont guère changé. La vérité c’est qu’Emmanuel Macron a dû oublier ses promesses de fraternité active, comme il a oublié celles qu’il avait faites en affirmant qu’Angela Merkel  avait « sauvé la dignité collective » de l’Europe en accueillant un million de migrants, comme il avait promis de tourner la page de la Françafrique. Ce sont ces engagements trahis que lui rappellent la tribune signée de syndicalistes, d’humanitaires et d’intellectuels français ainsi que la lettre cinglante que lui a adressée l’écrivain Alain Manbanckou.

« Africains, si vous parliez ! »

Mais peut-on faire des reproches aux autres quand l’Afrique elle-même garde le silence ! Car l’autre scandale de cette affaire, c’est la passiveté des outragés. « Africains, si vous parliez ! », n’avait cessé de crier Mongo Béti, de toutes ses forces et, dix-sept ans après sa mort, ce cri n’est toujours pas entendu. On ne les a pas entendus, ou s’ils ont parlé ils l’ont fait en demi-mots, les chefs des Etats africains qui ont vocation à occuper l’un des postes de membre permanent du Conseil de Sécurité que revendique notre continent : Nigéria, Afrique du Sud, Égypte, etc. La vérité c’est que l’Afrique n’a plus de grandes voix qui tonnent fort et défient tous les arrogants, il n’y a plus de chef d’Etat pour tenir le discours que Patrice Lumumba avait infligé au roi des Belges, il n’ y a plus de Gamal Abdel Nasser, qui aurait eu cent ans aujourd’hui, il n’y a plus de Kwame  Nkrumah ou de Thomas Sankara, et Nelson Mandela est mort.

C’est donc l’honneur du Président et du  gouvernement du Sénégal d’avoir, par écrit et suivant une procédure diplomatique appropriée, pris le risque d’exprimer la désapprobation de la nation. C’est bien d’un risque qu’il s’agit quand on voit le chantage que le président américain et son ambassadeur aux Nations-Unies exercent sur tous les pays qui contestent la politique étrangère des Etats-Unis. Soyons tous prêts à l’assumer !