Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

mardi 29 mai 2018

TRUMP ET LA SOLITUDE DE L’AFRIQUE



NB : Publié dans Sud Quotidien du 26 janvier 2018

Cela fait donc un an que « N° 45 », comme l’appelle l’écrivain américain Paul Auster qui se refuse à prononcer le nom de Trump, exhale sa rancœur conte les artistes, les sportifs, les intellectuels, les femmes, les minorités et sa dernière salve, destinée à l’Afrique, ne se distingue des précédentes que parce que cette fois il refuse d’assumer et fait le dos rond. Mais, cette fois, le plus choquant, le plus blessant, ce n’est pas l’insondable vulgarité de ses propos, c’est le silence du monde, de celui qui s’est autoproclamé « communauté internationale» et qui décide du sort de l’univers et qui n’a pas dit mot, ferme et significatif, face à l’outrage subi par un milliard d’hommes et de femmes ! Imaginez en revanche - (imaginez seulement !) - que le président iranien, par exemple, profère les mêmes mots et que cette fois l’insulte soit adressée à l’Etat d’Israël, et au-delà, à tous les Juifs, car ce n’est pas un hasard si Trump, dans sa diatribe, associe Haïti à l’Afrique, la référence est évidente : il parle des Noirs en général. Le monde, dans ce cas improbable, se serait carrément arrêté de tourner ! A Washington, à Paris, à Londres, à Bruxelles, à Ottawa, à Rome et au Vatican et peut-être même à Riad, des déclarations outrées auraient été publiées  par les instances les plus élevées, lues devant un aéropage de journalistes, les représentants diplomatiques du pays insulteur auraient été convoqués pour se faire remettre de vigoureuses protestations soulignant l’immense contribution du pays et du peuple outragés à l’enrichissement spirituel et au progrès de l’Humanité. Comme à leur habitude, les présidents africains auraient embouché les mêmes trompettes et poussé le zèle jusqu’à exprimer leur colère dans la rue, comme ils l’avaient fait à Paris, place de la République. Bien sûr, dans cette hypothèse, le monde entier aurait raison de marquer sa désapprobation, mais alors pourquoi, lorsqu’il s’agit de l’Afrique, toutes ces sommités se contentent de messes basses, de vagues commentaires, quand elles ne font pas semblant de n’avoir rien entendu ?

Dieu : quel grand malheur que d’être pauvre et de ne pas avoir la bombe atomique !

2000 mensonges en un an !

Pourtant les propos de Donald Trump ne sont ni nouveaux ni même d’une  certaine manière surprenants de la part  d’un homme qui non seulement ne sait rien de l’histoire du monde, mais surtout ne sait pas qu’il ne sait pas et ne veut pas apprendre. Il n’y a donc pas de quoi fouetter un chat, le poids d’une insulte dépend aussi de la qualité de l’insulteur. De toutes façons il n’y a pas  à s’offusquer des sentences rendues par un homme dont 75% des affirmations sont des contrevérités et qui, selon la comptabilité établie par les médias américains, a commis deux mille mensonges en un an ! Il suffit donc que nous tenions ses propos pour ce qu’ils sont et que nous gardions en mémoire ce proverbe selon lequel il n’y a pas à se consumer de honte parce que votre hôte vous a servi votre repas dans une écuelle de chien, ce qui serait infâmant ce serait de le manger.

Le seul homme humilié par les propos de Trump, c’est son ambassadeur à Dakar qui a ses racines dans cette terre que celui qu’il représente tient en si piètre estime…

Néanmoins, sur le principe, on attendait tout de même que les « gardiens de l’état-civil » des valeurs universelles fassent mieux que de froncer les sourcils et qu’ils expriment leur indignation à haute et intelligible voix, quel que soit l’offenseur. A commencer par la France où un seul homme politique, Jack Lang, a osé retourner à Trump son insulte. Pourquoi la France tout particulièrement ? Parce que c’est elle que nous entendons le plus souvent et que c’est sa langue que nous comprenons le mieux. Parce que  sur ces questions, elle est plus bavarde que d’autres nations et qu’elle se dit être « la patrie des droits de l’Homme ». Nous en avons eu l’illustration encore  récemment quand, dans  son très long discours à Ouagadougou, son président, après avoir prédit que  c’est en Afrique que « se télescopent tous les défis contemporains », avait solennellement déclaré que la France entretenait avec  notre continent « un lien historique indéfectible, écrit de souffrances, de déchirements mais aussi de fraternité et d’entraide ».Pouvait-il dès lors continuer à traiter en ami un homme qui insulte ses frères et à serrer sans gêne la main de Donald Trump  ? A cette question essentielle, un de ses ministres a donné une réponse de godillot, ce qui prouve que dans ce domaine, les choses n’ont guère changé. La vérité c’est qu’Emmanuel Macron a dû oublier ses promesses de fraternité active, comme il a oublié celles qu’il avait faites en affirmant qu’Angela Merkel  avait « sauvé la dignité collective » de l’Europe en accueillant un million de migrants, comme il avait promis de tourner la page de la Françafrique. Ce sont ces engagements trahis que lui rappellent la tribune signée de syndicalistes, d’humanitaires et d’intellectuels français ainsi que la lettre cinglante que lui a adressée l’écrivain Alain Manbanckou.

« Africains, si vous parliez ! »

Mais peut-on faire des reproches aux autres quand l’Afrique elle-même garde le silence ! Car l’autre scandale de cette affaire, c’est la passiveté des outragés. « Africains, si vous parliez ! », n’avait cessé de crier Mongo Béti, de toutes ses forces et, dix-sept ans après sa mort, ce cri n’est toujours pas entendu. On ne les a pas entendus, ou s’ils ont parlé ils l’ont fait en demi-mots, les chefs des Etats africains qui ont vocation à occuper l’un des postes de membre permanent du Conseil de Sécurité que revendique notre continent : Nigéria, Afrique du Sud, Égypte, etc. La vérité c’est que l’Afrique n’a plus de grandes voix qui tonnent fort et défient tous les arrogants, il n’y a plus de chef d’Etat pour tenir le discours que Patrice Lumumba avait infligé au roi des Belges, il n’ y a plus de Gamal Abdel Nasser, qui aurait eu cent ans aujourd’hui, il n’y a plus de Kwame  Nkrumah ou de Thomas Sankara, et Nelson Mandela est mort.

C’est donc l’honneur du Président et du  gouvernement du Sénégal d’avoir, par écrit et suivant une procédure diplomatique appropriée, pris le risque d’exprimer la désapprobation de la nation. C’est bien d’un risque qu’il s’agit quand on voit le chantage que le président américain et son ambassadeur aux Nations-Unies exercent sur tous les pays qui contestent la politique étrangère des Etats-Unis. Soyons tous prêts à l’assumer !







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