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Publié dans Sud Quotidien du 15 mai 2018
En 1986, Fahd Ben
Abdel Aziz s’était proclamé « Gardien des Deux Saintes Mosquées ». Cela
n’ajoutait rien à ses fonctions de roi d’Arabie Saoudite et de chef du plus
riche pays arabe, mais, au-delà des deux sanctuaires, ce titre lui permettait
de se présenter aux yeux du monde comme
le défenseur des valeurs de l’Islam et de l’intégrité de ses lieux saints. Ce titre n’a plus aucun sens
aujourd’hui puisque ses successeurs acceptent et cautionnent le bradage du
troisième lieu saint musulman et prennent fait et cause pour celui qui a
perpétré ce crime et pour celui qui l’a inspiré. Ce n’est pas au souverain qui,
pour beaucoup de pays dans le monde incarne pratiquement l’Islam, même si sa
souveraineté sur La Mecque et Médine relève plus de l’accident historique que
de la légitimité, qu’il faut apprendre que Jérusalem a été la première Qibla, que le destin du Prophète est
intimement lié à ce site et que celui-ci estimait que la mosquée Al Aqsa était
l’une des trois destinations qui
méritent que l’on selle son cheval et entreprenne un grand voyage. Ce n’est pas
un hasard si Jérusalem porte en arabe le nom d’Al Quds, la « sanctifiée »…
L’indifférence, la
complicité pour tout dire, des rois saoudiens ne sont qu’une illustration parmi
d’autres de leur disqualification à porter un titre usurpé. L’Islam n’est pas
fait que de murs, il est aussi fait de vies humaines, d’hommes, de femmes et
d’enfants dont ils devraient aussi se préoccuper, et en quelques jours,
plusieurs dizaines d’entre eux ont été tués, plusieurs milliers ont été blessés,
à Gaza, quelquefois marqués pour la vie, pour avoir, les mains nues, contesté
l’occupation illégale de leurs terres. L’Arabie Saoudite est devenue une puissance
impérialiste qui use des mêmes méthodes, des mêmes armes que les puissances
européennes qui ont balkanisé le Moyen Orient et étouffé les mouvements de
libérations nationales. Ses dirigeants se distinguent plus souvent par les
frasques qu’ils affichent sur les lieux de plaisir européens plutôt que par
leur lutte contre l’islamophobie qui prospère dans le monde. Ils s’arment
abondamment, non pour combattre Israël dont le but affiché est de conquérir par
la force des terres occupées par les Arabes depuis deux mille ans, mais pour
détruire le seul pays de la région, l’Iran, dont la foi en l’Islam est
incontestable, mais qui a le tort de refuser le diktat de l’Occident et ses
modèles culturels. L’Égypte écrasée par une dictature militaire, le Liban étouffé
et pris en otage, la Syrie réduite à feu et à sang, l’Irak démantelée, le Yémen
condamné à la famine, la Jordanie harcelée, qui restera-t-il pour affronter la
force militaire israélienne qui désormais ne fait la guerre qu’aux civils,
contrairement à toutes les armées du monde ? La vérité, c’est que les
autorités saoudienne ont choisi leur camp et décidé de servir les intérêts des
Américains et d’être sous la bonne grâce des Israéliens.
Puisque, grâce aux
pétrodollars, l’Arabie Saoudite tient par la gorge les dirigeants des pays à
majorité musulmane, que reste-t-il aux populations de ces pays pour exprimer
leur colère et leur frustration ? D’abord affirmer haut et fort que leur
combat n’est pas que religieux et que la décision prise par le président
américain de transférer son ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem est une grave
entorse au droit international et une violation manifeste des accords
internationaux qui ont été à l’origine de la création de l’État d’Israël. L’Arabie
Saoudite s’était pourtant à l’époque, opposée à ce que les Palestiniens
considéraient comme une catastrophe, en proclamant, comme d’autres pays,
qu’elle violait le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Depuis
soixante-dix ans, et malgré tous les coups de force menés par Israël, le Conseil
de Sécurité des Nations-Unies, dont les Etats-Unis sont le membre le plus
influent, n’a jamais cessé de réitérer
l’interdiction de toute modification du statut de Jérusalem avant la conclusion
d’un accord de paix. C’est ce qui explique la déconfiture du gouvernement
américain, abandonné par ses plus vieux alliés lors de l’examen de sa décision
de reconnaître Jérusalem comme capitale de fait de l’Etat hébreu.
La protestation des
musulmans, et celle de tous les hommes attachés au respect des lois internationales,
devraient donc s’accompagner de mesures concrètes visant à maquer leur défiance
à l’endroit des autorités saoudiennes. Cela pourrait se traduire par la
proscription totale de tout déplacement à caractère religieux en Arabie qui ne
soit pas inscrit parmi les obligations recommandées par l’Islam, en particulier
les umra qui prennent une ampleur de
plus en plus grade. La mesure ne ruinera pas sans doute les finances
saoudiennes qui reposent sur d’autres ressources, mais elle aura une portée considérable
au plan symbolique. Mais après le massacre sanglant de ce 14 mai, date de l’inauguration
de l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem et qui a fait plus de cinquante morts
dont des enfants, en une seule journée, et sans préjuger de celui qui sera
commis le 15, jour de commémoration de la NaKba,
ce boycott sélectif ne devrait plus suffire. Parmi les devoirs du musulman il y
a aussi le refus de l’oppression et le refus de contribuer au pouvoir de ceux
qui gouvernent par l’injustice. Le pèlerinage annuel à La Mecque est certes une
des cinq prescriptions de l’Islam, mais on peut considérer qu’aujourd’hui La
Mecque est séquestrée et que ceux qui prétendent la garder trahissent le
symbole qu’elle représente. Elle est
même en danger pour la simple et bonne raison qu’il n’est pas exclu, au train
où vont les choses, qu’elle soit sous peu placée sous la garde non du roi
d’Arabie Saoudite, mais sous celle, directe et incontrôlable, des services de
sécurité israéliens, comme l’est déjà semble-t-il, l’aéroport de la capitale du
royaume. Autant dire qu’elle sera alors placée sous la responsabilité de ceux
qui chaque jour travaillent à miner la solidarité entre musulmans et à la
déconfiture de la Umma. Nous pouvons
donc considérer que ce n’est pas nous qui boudons La Mecque, mais que nous
constatons qu’elle nous est provisoirement interdite. Dieu qui pardonne tout,
nous pardonnera bien cette infidélité !
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