Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

mercredi 27 décembre 2017

MIGRATION ET DROIT D’ASILE : LES SOMMETS DE LA HONTE


Publié dans « Sud Quotidien » du 26 décembre 2017


Nous sommes au XXIe siècle et pourtant les affres et vilénies subies aujourd’hui par les migrants, et particulièrement ceux qui viennent d’Afrique, n’ont rien à envier à celles vécues dans des temps qu’on croyait révolus.

… Du désert à la montagne

Tout commence par  l’intraitable Sahara qui prend sa part : des corps sans sépulture, abandonnés au gré des pistes, quelquefois dépouillés de petites économies accumulées au moyen de sacrifices énormes et qui avaient survécu à la voracité  des passeurs.

Puis ce sont les marchés d’esclaves en Libye, que longtemps on a feint d’ignorer et où, pour quelques billets de banque, on peut faire l’acquisition de travailleurs taillables et corvéables à merci.

C’est aussi l’Algérie (L’Algérie !) où des rafles, voire des ratonnades, opérées au sein même des lieux de travail alimentent des cortèges de déportés jetés aux frontières, quelquefois en peine nature.

Ce sont les plages de Tunisie sur lesquelles gisent des corps défigurés et sans identité et que l’on enterre dans le sable, quand on est charitable, dans des sacs de plastique.

C’est la Méditerranée, nouveau cimetière des jeunes africains, qui à elle seule et pour les onze premiers mois de cette année, aurait englouti 3.000 hommes, femmes et enfants, en même temps quelquefois que les frêles esquifs qui les convoyaient.

Ce sont les marines européennes, à l’affut, qui font barrage aux navires des humanitaires, crient taïaut, comme à la chasse à courre, rabattent les naufragés vers les plages, les contraignent à retourner à leur point de départ, c’est-à-dire vers la mort et la servitude.

Quand ils croient être au bout du désespoir, les migrants doivent affronter l’inconfort et la promiscuité  des camps de tri et des zones de transit, tenter de survivre dans les « jungles », se contenter des abris arrachés aux  tunnels et aux stations de métro, n’être plus que des silhouettes recroquevillées, des zombies perdus, sales et affamés qui fuient à la moindre alerte…

Il y a désormais une épreuve  nouvelle sur le chemin des migrants africains. Puisque les routes et les voies ferrées leur sont fermées, ils tentent l’impossible, au prix de leur vie, et pour passer d’Italie en France, affrontent un  danger inconnu : la haute montagne. On estime à 1.500 ceux d’entre eux qui, depuis quelques mois, se sont aventurés à escalader les sommets enneigés des Alpes, en baskets et en jeans et par -14 degrés. Les humanitaires qui tentent d’opposer leur aide et leurs secours à la répression des États, au moyen d’une « cordée solidaire », ont dit de cette tragédie qu’elle était « la honte des sommets ». Au printemps, ont-ils prédit, on découvrira des corps sous la neige…

 … Préserver la dignité

A Accra, à l’adresse de son hôte Emmanuel Macron, mais aussi à l’intention de tous ceux qui se posent en sauveurs, le président ghanéen, dont les propos ont été timidement relayés par les médias français, après avoir rappelé que la première destination des migrants africains c’était l’Afrique elle-même et que le phénomène migratoire est aussi vieux que le monde, a martelé des mots qu’on n’entend rarement dans la bouche des chefs d’États africains francophones. Les Africains, a-t-il dit, ne peuvent pas « continuer à faire des politiques sur la base des soutiens que le monde occidental voudrait bien leur donner». Cette  affirmation se vérifie chaque jour lorsqu’on évoque le sort des migrants en Europe. L’Union Européenne, qui en a fait un champ de bataille, a manqué à toutes  ses promesses. On peut même parler d’un autre « sommet de la honte », celui où ses membres avaient pris la ferme décision d’accueillir et d’intégrer 120.000 réfugiés. Des années sont passées et on n’en est qu’à 30.000 environ, la France, qui s’était engagée pour 30.000 réfugiés, en a reçu à peine 3.000 ! Les migrants  constituent un précieux filon pour les mouvements populistes européens qui ont désormais pignon sur rue, et l’arrivée au pouvoir (ou presque) d’un parti extrémiste en Autriche n’a soulevé aucun émoi à Bruxelles. Les migrants sont devenus la principale source de division entre Européens, provoquant des fissures entre les États et des fissures entre les citoyens d’un même pays, et les partisans d’un accueil plus généreux sont traités de traitres.

La politique européenne a consisté pour l’essentiel à  externaliser le contrôle du flux migratoire, à transférer les « hot spots » hors des frontières de l’Union, à exercer des pressions, des « chantages » disent certains, sur les pays de départ ou de transit de migrants… Certaines ONG n’ont pas hésité à accuser les dirigeants européens de « complicité » dans le traitement des migrants en Méditerranée et même en Libye.

A Ouagadougou, au cours du long one man show tenu devant un auditoire choisi, le président français avait jugé que le plus grand péril auquel auront à faire face nos populations, c’était « l’atteinte à la dignité humaine ». Il avait au préalable proclamé que « le ciment de l’amitié, c’est de commencer par tout se dire (…) et de prendre sa part de responsabilité ».

Prenons-le au mot.

En matière de traitement des migrants, la politique mise en place par son gouvernement  marque « un tournant déplorable » et se traduit par « des défaillances dans les droits fondamentaux ». Cet avis ne vient pas de n’importe qui, c’est celui d’une autorité institutionnelle française : le Défenseur des Droits. La dégradation des conditions d’accueil a commencé par des mots, par  le langage brutal tenu par  le ministre  de l’intérieur, numéro 2 du gouvernement, sur les SDF et  sur les organisations humanitaires en les sommant « d’aller exercer leurs talents ailleurs ». Elle s’est poursuivie par les mesquineries habituelles : destruction des abris et confiscation des couvertures à Calais, refus d’installation de toilettes ou d’eau dans les camps, accélération des expulsions et récemment tentative de viol des sanctuaires que représentaient les centres d’accueil d’urgence. Certaines ONG évoquent des actes de persécutions et de tortures. Enfin ce tournant sera bientôt parachevé par une loi  « asile-immigration », si brutale qu’elle a soulevé la révolte au sein même de la majorité et suscité l’ire d’organisations humanitaires qui ont réussi à faire reculer, partiellement, le gouvernement.

La France a transféré Calais à Agadez. Mais Agadez ne sera pas un hub qui donne accès à toutes les portes, elle sera la station terminus où se briseront toutes les espérances. La route vers l’Europe sera entr’ouverte pour ceux qu’on a appelés « migrants politiques », elle sera fermée pour les « migrants économiques », donc pour ceux qui viennent d’Afrique sub-saharienne. A moins qu’ils aient pris, au préalable, le soin d’installer la guerre civile dans leurs pays.


Il est temps pour l’Union Africaine d’avoir une politique en matière de migration.

lundi 11 décembre 2017

TRUMP, JERUSALEM ET LE SILENCE DES DIRIGEANTS ARABES

NB : Texte publié dans "Sud-Quotidien" du 11 décembre 2017.

Il l’avait promis, il l’a fait.

Nous avons tort de croire que Trump reculera et qu’il ne tentera pas de mettre en exécution les promesses, si absurdes soient-elles, qu’il avait prises pendant sa campagne électorale. Nous avons tort parce que la raison ou le bon sens ne sont pas le moteur de son comportement, il  a le complexe du paon, il ne se sent heureux que quand il fait la roue, jusqu’au jour où il s’emmêlera dans ses plumes. « J’étais fondamentalement opposée à  G. Bush, confiait récemment à la presse une vedette du showbiz américain, mais Bush était un être humain, il avait des faiblesses d’homme, avec Trump ce n’est plus la même chose… ». Elle ne croyait pas si bien dire puisqu’aujourd’hui des psychologues et psychiatres américains se posent des questions sur la santé mentale de leur président.

Donald Trump a donc décidé de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël et d’y transférer l’ambassade américaine. Il l’a décidé contre l’avis du monde entier, solennellement exprimé par les Nations-Unies, contre l’avis de son propre Secrétaire d’Etat, qui a tenté de minimiser la portée de ses propos, contre l’avis de son ministre de la défense et de son conseiller pour le Moyen Orient, contre les avis de la CIA et du FBI. Il aurait précipité sa déclaration pour noyer un poisson dans l’eau, et ce poisson c’est l’accusation de collusion avec la Russie pendant la campagne électorale. Il aurait pris sa décision pour respecter le contrat souscrit envers certains bailleurs de sa campagne, il aurait agi sous les pressions de son beau-fils et proche conseiller, juif orthodoxe au cœur du lobby israélien, de son vice-président, cheval de Troie des extrémistes évangélistes. Un chef d’État qui se dérobe à la justice ou qui agit sous influence a manqué à sa mission et on peut affirmer que, quelles que soient ses motivations, quel qu’ait pu être le poids de son entourage, Donald Trump a commis une forfaiture.

On ne peut pas en effet, quand on est à la tête d’une nation qui de par sa puissance et sa richesse devrait être le garant de la paix et de la justice dans le monde, balayer 2000 ans d’histoire, solder les comptes d’une cité aussi riche de symboles que Jérusalem par-dessus la tête de la moitié de ses habitants. On ne peut pas, quand on est un homme  investi de si hautes responsabilités, se permettre une aussi grossière erreur stratégique et penser que déposséder les uns les autres est une solution pour mettre fin à un conflit qui a usé toutes les diplomaties du monde. On ne peut pas comprendre qu’un homme qui dispose d’autant de moyens d’information que Trump, commette un aussi grave contresens historique. L’État d’Israël, né d’une idée coloniale, doit son existence aux Nations-Unies, il a été créé sur des bases qu’un seul de ses membres, fût-il le plus puissant, ne peut remettre  en cause, et les lois du monde condamnent l’annexion d’une prise de guerre. Trump a trahi les engagements des Etats-Unis et perdu toute crédibilité en tant qu’État-partie du règlement du conflit israélo-palestinien.

Il n’y a pourtant pas eu (encore) d’embrasement des rues à Gaza et en Cisjordanie, comme le prévoyaient les médias internationaux, et sans doute comme l’espéraient les autorités israéliennes, pour pouvoir encore une fois répondre aux jets de pierres par des tirs à balles réelles. Les Palestiniens ont compris qu’il leur fallait rester vivants (il y a eu  déjà quand même 4 morts) et que le décret de Trump ne signait pas la fin de leur résistance. Mais ils ont aussi été probablement douchés par le manque de réactivité des dirigeants des États arabes, tout occupés à bander leurs muscles contre l’Iran, non d’ailleurs, comme on le croit, parce qu’il est chiite mais parce qu’il est le seul à refuser le diktat politique et idéologique de l’Occident. Certains d’entre eux sont même accusés de complicité avec les Etats-Unis et les propositions de solutions qu’on leur prête tournent à la trahison.

La réalité c’est que la plupart des dirigeants des États arabes du Proche et Moyen Orient n’ont toujours pas compris que le vrai danger ne peut venir que d’Israël, ne serait-ce que parce que ce pays est toujours une nation en projet et que c’est le seul État du monde dont les frontières sont indéfinies. Ceux qui, aujourd’hui veulent annexer Jérusalem-Est, utiliseront les mêmes arguments bibliques pour, demain, s’approprier ce qu’ils appellent « Judée », c’est-à-dire Naplouse, et « Samarie », notamment Bethlehem, ou Hébron où déjà campent, au cœur même de la ville, 500 colons israéliens qui imposent  leur volonté à 200.000 Palestiniens, souvent par la force des baïonnettes, alors que leur présence est jugée illégale aux yeux de la loi internationale. Après demain, ce sera peut-être au tour de tout le Golan syrien (partiellement annexé, mais une fois encore sans effet juridique aux yeux de la communauté internationale) et, pourquoi pas, du Sinaï égyptien (Moïse !),  voire du Liban tout entier, de la Syrie, ou même d’une partie de l’Irak. Les frontières d’Israël sont contenues par une ceinture de sécurité élastique qui peut encercler un territoire allant de la Méditerranée au Golfe Persique…

Les propos de l’homme dont le plaisir suprême est d’allumer le feu et qui ne nous surprennent ni par leur vacuité ni par leur brutalité ni par leur morgue, ne doivent donc pas nous détourner de l’essentiel. Le combat des Palestiniens  concerne tous les hommes, parce que c’est un combat contre  l’usurpation par les armes et le vol à coups de dollars de territoires et de terres habités depuis des millénaires sans interruption. C’est le combat contre l’injustice et contre l’apartheid et pour le respect des lois internationales et chacun d’entre nous devrait, à l’exemple de Caton  l’Ancien, commencer tous ses propos par la même formule liminaire : « la Palestine vivra ! ».


Ce n’est pas pour autant une raison pour ne pas continuer à contenir et isoler Donald Trump. Le mieux ce serait évidemment qu’il quitte une place qui n’est pas faite pour lui et, à défaut d’autres ressources, on pourrait faire appel au pouvoir mystique de celui qui dit être à l’origine des déboires de Wade, Diouf, Jammeh et même Marine Le Pen. Faire tomber Trump serait faire œuvre pie…