Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

lundi 11 décembre 2017

TRUMP, JERUSALEM ET LE SILENCE DES DIRIGEANTS ARABES

NB : Texte publié dans "Sud-Quotidien" du 11 décembre 2017.

Il l’avait promis, il l’a fait.

Nous avons tort de croire que Trump reculera et qu’il ne tentera pas de mettre en exécution les promesses, si absurdes soient-elles, qu’il avait prises pendant sa campagne électorale. Nous avons tort parce que la raison ou le bon sens ne sont pas le moteur de son comportement, il  a le complexe du paon, il ne se sent heureux que quand il fait la roue, jusqu’au jour où il s’emmêlera dans ses plumes. « J’étais fondamentalement opposée à  G. Bush, confiait récemment à la presse une vedette du showbiz américain, mais Bush était un être humain, il avait des faiblesses d’homme, avec Trump ce n’est plus la même chose… ». Elle ne croyait pas si bien dire puisqu’aujourd’hui des psychologues et psychiatres américains se posent des questions sur la santé mentale de leur président.

Donald Trump a donc décidé de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël et d’y transférer l’ambassade américaine. Il l’a décidé contre l’avis du monde entier, solennellement exprimé par les Nations-Unies, contre l’avis de son propre Secrétaire d’Etat, qui a tenté de minimiser la portée de ses propos, contre l’avis de son ministre de la défense et de son conseiller pour le Moyen Orient, contre les avis de la CIA et du FBI. Il aurait précipité sa déclaration pour noyer un poisson dans l’eau, et ce poisson c’est l’accusation de collusion avec la Russie pendant la campagne électorale. Il aurait pris sa décision pour respecter le contrat souscrit envers certains bailleurs de sa campagne, il aurait agi sous les pressions de son beau-fils et proche conseiller, juif orthodoxe au cœur du lobby israélien, de son vice-président, cheval de Troie des extrémistes évangélistes. Un chef d’État qui se dérobe à la justice ou qui agit sous influence a manqué à sa mission et on peut affirmer que, quelles que soient ses motivations, quel qu’ait pu être le poids de son entourage, Donald Trump a commis une forfaiture.

On ne peut pas en effet, quand on est à la tête d’une nation qui de par sa puissance et sa richesse devrait être le garant de la paix et de la justice dans le monde, balayer 2000 ans d’histoire, solder les comptes d’une cité aussi riche de symboles que Jérusalem par-dessus la tête de la moitié de ses habitants. On ne peut pas, quand on est un homme  investi de si hautes responsabilités, se permettre une aussi grossière erreur stratégique et penser que déposséder les uns les autres est une solution pour mettre fin à un conflit qui a usé toutes les diplomaties du monde. On ne peut pas comprendre qu’un homme qui dispose d’autant de moyens d’information que Trump, commette un aussi grave contresens historique. L’État d’Israël, né d’une idée coloniale, doit son existence aux Nations-Unies, il a été créé sur des bases qu’un seul de ses membres, fût-il le plus puissant, ne peut remettre  en cause, et les lois du monde condamnent l’annexion d’une prise de guerre. Trump a trahi les engagements des Etats-Unis et perdu toute crédibilité en tant qu’État-partie du règlement du conflit israélo-palestinien.

Il n’y a pourtant pas eu (encore) d’embrasement des rues à Gaza et en Cisjordanie, comme le prévoyaient les médias internationaux, et sans doute comme l’espéraient les autorités israéliennes, pour pouvoir encore une fois répondre aux jets de pierres par des tirs à balles réelles. Les Palestiniens ont compris qu’il leur fallait rester vivants (il y a eu  déjà quand même 4 morts) et que le décret de Trump ne signait pas la fin de leur résistance. Mais ils ont aussi été probablement douchés par le manque de réactivité des dirigeants des États arabes, tout occupés à bander leurs muscles contre l’Iran, non d’ailleurs, comme on le croit, parce qu’il est chiite mais parce qu’il est le seul à refuser le diktat politique et idéologique de l’Occident. Certains d’entre eux sont même accusés de complicité avec les Etats-Unis et les propositions de solutions qu’on leur prête tournent à la trahison.

La réalité c’est que la plupart des dirigeants des États arabes du Proche et Moyen Orient n’ont toujours pas compris que le vrai danger ne peut venir que d’Israël, ne serait-ce que parce que ce pays est toujours une nation en projet et que c’est le seul État du monde dont les frontières sont indéfinies. Ceux qui, aujourd’hui veulent annexer Jérusalem-Est, utiliseront les mêmes arguments bibliques pour, demain, s’approprier ce qu’ils appellent « Judée », c’est-à-dire Naplouse, et « Samarie », notamment Bethlehem, ou Hébron où déjà campent, au cœur même de la ville, 500 colons israéliens qui imposent  leur volonté à 200.000 Palestiniens, souvent par la force des baïonnettes, alors que leur présence est jugée illégale aux yeux de la loi internationale. Après demain, ce sera peut-être au tour de tout le Golan syrien (partiellement annexé, mais une fois encore sans effet juridique aux yeux de la communauté internationale) et, pourquoi pas, du Sinaï égyptien (Moïse !),  voire du Liban tout entier, de la Syrie, ou même d’une partie de l’Irak. Les frontières d’Israël sont contenues par une ceinture de sécurité élastique qui peut encercler un territoire allant de la Méditerranée au Golfe Persique…

Les propos de l’homme dont le plaisir suprême est d’allumer le feu et qui ne nous surprennent ni par leur vacuité ni par leur brutalité ni par leur morgue, ne doivent donc pas nous détourner de l’essentiel. Le combat des Palestiniens  concerne tous les hommes, parce que c’est un combat contre  l’usurpation par les armes et le vol à coups de dollars de territoires et de terres habités depuis des millénaires sans interruption. C’est le combat contre l’injustice et contre l’apartheid et pour le respect des lois internationales et chacun d’entre nous devrait, à l’exemple de Caton  l’Ancien, commencer tous ses propos par la même formule liminaire : « la Palestine vivra ! ».


Ce n’est pas pour autant une raison pour ne pas continuer à contenir et isoler Donald Trump. Le mieux ce serait évidemment qu’il quitte une place qui n’est pas faite pour lui et, à défaut d’autres ressources, on pourrait faire appel au pouvoir mystique de celui qui dit être à l’origine des déboires de Wade, Diouf, Jammeh et même Marine Le Pen. Faire tomber Trump serait faire œuvre pie… 

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