Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

samedi 27 octobre 2018

ARABIE SAOUDITE - ISRAËL : MEME COMBAT, METHODES DIFFERENTES !



NB : Texte publié dans Sud-Quotidien du 27 octobre 2018

Une affaire américaine ?
Depuis des années, grâce à des armes fournies par les grandes puissances, la monarchie saoudienne se livre au Yémen à des exactions assimilées à un crime de guerre, provoque la plus grande crise humanitaire du monde, affame des populations et les prive des soins de santé élémentaires, mais il a fallu l’odieux assassinat de Jamal Khashoggi pour qu’enfin les grandes démocraties occidentales froncent les sourcils et menacent Riyad de sanctions. En réalité ces manifestations d’humeur, quelquefois feintes, ne sont ni vraiment fermes ni totalement désintéressées. Si l’homicide d’un journaliste saoudien dans l’enceinte du consulat de son pays a fait la une des journaux d’Europe et d’Amérique du Nord, c’est d’abord parce qu’il était chroniqueur dans l’un des plus prestigieux et des plus influents journaux américains, qu’il était lu et commenté par les milieux politiques, et notamment par les membres du Congrès. De ce point de vue, l’affaire Khashoggi est d’abord une affaire américaine, un affront fait à la première puissance mondiale et on pourrait dire que c’est devant les tribunaux américains que devrait ester en priorité la famille du journaliste.
Ce n’est pas en effet la première fois que le nouvel homme fort de l’Arabie Saoudite prend des libertés avec le droit et la justice et jamais cela n’a provoqué un tel flot d’indignation. Il a retenu prisonnier le chef d’un Etat indépendant, il a pris en otage et dépouillé sans jugement de hautes personnalités de son pays qui ont dû racheter leur liberté, il aurait même éliminé physiquement des membres de la très prolifique famille royale mécontents de sa promotion, trop rapide et irrégulière, ou qui étaient hostiles à ses réformes et à son autoritarisme. Mais tant qu’il ne s’en prenait qu’à ses voisins arabes ou aux opposants établis sur le sol de son royaume, il pouvait échapper aux foudres de ses amis occidentaux…
Aujourd’hui ceux-ci le condamnent plus ou moins ouvertement, mais toujours à contrecœur. Leurs hommes politiques annoncent le boycott du « Davos du désert », mais leurs hommes d’affaires n’adoptent pas forcément la même position. A titre d’illustration de cette mauvaise foi, le ministre des finances français proclame haut et fort qu’il sera absent à Riyad, mais la première entreprise française, en termes de chiffres d’affaires, Total, y sera bien représentée par son patron…
Business must go on !
Les  menaces des grandes puissances restent donc contenues dans les limites du raisonnable et de la realpolitik, et Angela Merkel, qui dans ce drame comme dans celui des migrants, est décidément le « seul homme » de l’Union Européenne, est bien la seule à proposer des mesures aussi radicales que le gel des exportations d’armes. Tout le monde fait semblant d’ignorer que le Parlement européen avait voté une résolution interdisant la vente d’armes à des états comme l’Arabie Saoudite et qu’un pays européen, la Suède, était allé plus loin en décidant de mettre fin à toute coopération militaire avec ce pays. Mais homicide ou non, la France pour sa part, a annoncé son président pour clore le débat, continuera à vendre des armes à l’Arabie Saoudite, même si elle devine qu’elles servent aussi à écraser les mouvements d’humeur des populations locales et à l’anéantissement des populations du Yémen, même si elle n’ignore pas que le commerce des armes est le plus corrompu du monde (1% des échanges internationaux, mais 40% de la corruption). Elle continuera donc à se livrer à l’humiliante chasse aux contrats en déléguant à Riyad ses plus hautes autorités, à tenter de conserver ses rangs de troisième vendeur d’armes de la planète et de troisième fournisseur de machines de guerre à l’Arabie Saoudite, qui est son deuxième acheteur, et à compter sur  ces transactions pour réduire son déficit commercial et maintenir en vie son industrie d’armement.
« Une affaire de subalternes ! »
Le sordide sacrifice humain d’Istanbul ne serait donc qu’une « affaire de subalternes », un règlement de comptes conduit à l’insu du plein gré du roi saoudien et surtout de son fils. Si la « communauté internationale » se rallie à cette interprétation, le royaume saoudien rejoindrait alors Israël, qui était jusque-là le seul Etat à pouvoir assassiner de (supposés) opposants civils, mutiler des jeunes gens ou opprimer tout un peuple sans jamais encourir sa condamnation. Cela conforterait l’alliance objective qui unit désormais Riyad et Tel-Aviv qui poursuivent le même objectif d’asservissement des pays du monde arabe, s’arment contre le même ennemi « historique », s’appuient sur le même protecteur. Cette complicité a poussé les autorités saoudiennes à commettre ce qui dans leur cas est une forfaiture puisque, seul au monde, le prince héritier était allé jusqu’à proposer aux Palestiniens une capitale de remplacement à la place de Jérusalem !
Mais si les objectifs sont les mêmes, les méthodes divergent et dans ce domaine, l’Arabie Saoudite a beaucoup à apprendre de son allié qui, grâce à son art de changer les règles internationales quand elles ne l’arrangent pas et à l’extrême sophistication de ses exactions, a presque réussi à faire  oublier sa barbarie.
Les cruautés auxquelles se livre l’Arabie Saoudite au Yémen, n’ont rien à envier à celles qu’Israël commet à Gaza qui est le territoire au monde qui compte le plus de jeunes estropiés. Ici l’armée israélienne tire délibérément sur les jambes d’enfants qui brandissent contre elle des lance-pierres et comme le reconnait un officier israélien offusqué par ces méthodes, il ne s’agit pas de bavures. En effet les cibles sont si proches des fusils que ce n’est pas un hasard si les balles visent des genoux.
Assassiner ou torturer un opposant civil, des ressortissants étrangers sans liens avec des organisations militaires, c’est une des raisons d’être du Mossad. Qu’on se rappelle par exemple des savants atomistes iraniens exécutés par ses soins entre 2010 et 2012. Ils travaillaient pourtant sur des programmes nucléaires civils et  non militaires, mais le seul fait qu’ils soient des chercheurs reconnus dans la recherche militaire ou la physique quantique était insupportable pour les dirigeants israéliens.
Israël n’a certes pas « démembré » Mordechai Vanunu, technicien nucléaire qui avait été le premier à révéler dans la presse des détails sur le programme nucléaire de son pays auquel il reprochait l’invasion du Liban, mais il lui a fait subir une torture morale inhumaine. Kidnappé à Rome, ce qui en soit est un acte condamnable, condamné à 18 ans de prison, il avait été tenu en isolement total pendant 11 ans, bien avant l’invention des camps de torture de Guantanamo. Depuis sa «  libération », il est devenu au vrai sens du terme, un prisonnier d’opinion, auquel il est interdit de quitter son pays et même la résidence où il est sous surveillance, voire de parler à un étranger et il est envoyé en prison chaque fois qu’il exprime un point de vue…
Tous ces abus, tous ces brigandages sont passés comme lettres à la poste et Israël n’a eu besoin ni de s’excuser ni de nier sa responsabilité !
Si le très pressé prince, communément appelé MBS, survit à son premier vrai baptême de feu, il devra bien s’imprégner de cette vérité qu’en politique aussi l’action seule ne suffit pas, il y a aussi la mise en scène…