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NB :
Texte publié dans « Sud-Quotidien » du 26 juillet 2018
Un jeune homme de 22
ans qui escalade à mains nues quatre étages d’un immeuble pour venir au secours
d’un petit enfant suspendu dans le vide : c’est un geste courageux qui
redonne espoir à tous ceux qui doutaient qu’il y’ait encore au monde des hommes
capables de sacrifier leur vie pour sauver un inconnu.
Vidéo virale
et buzz !
Quand on apprend que
ce jeune homme est un sans-papiers, presqu’un SDF, victime à la fois de la
misère installée dans son pays par des politiciens incompétents ou véreux et de
l’indifférence des nantis, on a chaud au cœur. On peut être blessé par la vie,
avoir les poches vides et le ventre creux et conserver une grande âme.
Quand ce geste est
filmé en direct, se mue en vidéo virale versée sur tous les réseaux sociaux du
monde, qu’il fait le buzz sur la toile, il devient un spectacle, il éveille des
compassions, il sert d’aliment aux médias, il excite les politiques. Il devient
incontrôlable, il peut même se retourner contre celui qui l’avait accompli.
Quand le protagoniste
de cette histoire, qui est vite devenue une sitcom à plusieurs épisodes, est décoré
par la plus haute autorité municipale de la ville où s’est déroulée sa prouesse,
on dit :
« C’est naturel après tout, les médailles sont
faites pour ça ! ».
Encore que dans son cas, on pourrait peut-être
évoquer la complainte des Tirailleurs Sénégalais, comblés de récompenses
symboliques, et qui murmuraient entre eux
:
« Assez de médailles, nous voulons des
sous ! ».
Quand les autorités
du pays de « des-accueil » dans lequel le jeune
immigré était entré par effraction lui proposent de le « régulariser », comme si jusque-là
il était déréglé telle une rivière sauvage, on dit :
« Bravo ! C’est justement ce qu’il
cherchait, et qu’il n’aurait sans doute pas obtenu par d’autres voies… ».
Quand les mêmes
autorités lui offrent l’occasion d’apprendre un métier, de trouver un travail, on dit :
« Tant mieux ! Il n’en espérait peut-être
pas tant, mais c’était bien cela le but de la périlleuse aventure qui l’avait
poussé à traverser cinq pays, un désert et une mer au prix de sa
vie ! ».
Quand c’est le Chef
de l’Etat lui-même, président « jupitérien » de la « 5e
puissance mondiale », qui le reçoit, sous les lambris de son palais, on se
dit :
« Pourquoi pas ? D’autres qui ont commis
les mêmes actes de bravoure ont eu moins de chance parce que les médias les
avaient ignorés. Mais c’est de bonne guerre, cela s’appelle de la com. Les
hommes politiques font leur marché où ils peuvent, ils font flèche de tout
bois. Ils se collent comme des ventouses aux évènements et aux hommes
susceptibles de leur faire gagner des voix, de faire monter leur côte de
popularité ! ».
Un tête à tête avec un jeune noir en jeans et chemisette,
diffusé aux heures de grande écoute, peut bien contribuer à rassurer les banlieues,
à faire taire ceux qui vous traitaient d’arrogant ou de « président des
riches » !
Des dollars
contre du CFA !
Quand ce président
lui propose, tout de go, non pas de devenir citoyen d’honneur de son pays, mais
de jeter ses racines au rebut et de se faire « naturaliser », alors on
dit :
« Holà ! Halte ! ».
Parce que, faut-il le
préciser, on est en France et non au Canada, et qu’en France, où le
communautarisme est une obsession, se « naturaliser » ne signifie pas « s’intégrer » en sauvegardant sa différence, mais, comme l’a
rappelé Nicolas Sarkozy, « s’assimiler »
à la culture dominante, se couper de ses racines au point de n’avoir plus pour
ancêtres que les Gaulois !
Parce que France ou
pas, il y a comme une erreur de jugement. La naturalisation ne peut pas figurer au tableau
des décorations, entre la Légion d’Honneur et le Mérite Agricole, elle ne
s’accroche pas au revers d’un boubou… pardon d’une veste ! Dans la rue, ce
que le policier voit, c’est d’abord la couleur de la peau.
La naturalisation,
c’est comme une conversion religieuse, on n’y va pas avec une main posée sur
votre collet comme si on était conduit au tribunal. Julien Green, écrivain
américain né et mort en France, n’a jamais cédé à ceux qui lui proposaient de
se naturaliser français.
La naturalisation ne
doit être ni une perche qu’on tend au naufragé, ni du miel pour attraper les
mouches. Elle ne doit faire l’objet ni de pressions ni de chantage, et on a vu
ce qu’a couté à l’athlète Françoise Mbango sa transhumance de sa nationalité d’origine
à la nationalité française…
Parce que c’est
indécent de faire une telle offre à un jeune homme tout frais émoulu de son
village, ébloui et subjugué par les flashes et le décorum. Les cadeaux n’ont de
valeur que lorsqu’on peut les refuser et il n’est pas sûr que Mamoudou Gassama,
puisque c’est de lui qu’il s’agit, ait les moyens de refuser d’être Français. A
son âge et dans sa situation, on peut difficilement résister lorsqu’on vous
propose d’échanger vos francs CFA, monnaie captive d’un espace étriqué, contre
des dollars acceptés sur tous les marchés du monde. Pour un africain comme lui,
le passeport français n’est pas seulement un sésame qui lui ouvre les portes de
la France, il lui permettra, paradoxalement, d’être désormais mieux accueilli à
l’entrée même de son pays d’origine…
Cet « Adjugé ! » est donc
insupportable, de même qu’est inadmissible cette sorte d’OPA sur le petit soninké et qui vise, peut-être, à
court-circuiter d’autres offres, y compris celle de Hollywood, toujours friand
d’idoles…
Parce que c’est méprisant.
Il y a peu, toujours en France, de jeunes Américains ont fait preuve d’actes
tout aussi admirables et sauvé des dizaines de vies peut-être. On a célébré
leur courage, déroulé le tapis à leurs pieds, mais personne n’a osé leur
proposer d’échanger leur nationalité américaine contre la nationalité
française. Gassama n’est pas un apatride, il a un pays, une nationalité, mais
sans doute a-t-on jugé qu’ils étaient indignes d’un héros.
Parce que c’est
suspect. Le pays qui offre une nouvelle identité à Gassama est celui-là même
qui presse les étudiants africains qui y poursuivent leurs formations, et qui
contrairement au jeune immigré sont de culture française, à regagner prestement
leurs pays d’origine dès la fin de leurs cursus. Il est vrai que Gassama est
appelé à servir dans des secteurs d’activités dont ses citoyens ne veulent pas,
en tout cas, avant lui, un autre malien, Cheikh Modibo Diarra, qui deviendra un
astrophysicien de renommée mondiale, n’avait pas bénéficié des mêmes privilèges
et avait dû s’expatrier aux Etats-Unis.
Parce que c’est aléatoire.
Christiane Taubira avait démissionné du gouvernement pour marquer son
opposition au projet de déchéance de la nationalité, mais l’idée fait son
chemin, et il n’est pas impossible qu’elle revienne sur le tapis et fasse
l’objet d’une loi. Cela signifie que si demain, par malheur, malchance ou accident,
Gassama commettait un crime avec la complicité d’un « Français de France », lui seul se
verrait appliquer une double peine et,
gros Jean comme devant, se verrait expulser vers son pays d’origine.
Parce qu’une grande
nation comme la France doit faire passer ses principes avant ses intérêts.
Mamoudou Gassama est en danger de se brûler des ailes qui ont grandi trop vite,
il convient non de le pousser à «déraciner
son cœur », mais au contraire de l’inviter à ne pas oublier d’où
il vient. Ce qu’on attend de lui, s’il est l’homme qu’il a donné l’impression
d’être, c’est qu’un jour, « plein
d’usage et de raison » acquis dans le pays qui
lui a rendu tous ces honneurs, il puisse faire ce qu’avait fait Miriam Makéba. Elle
avait choisi d’être plus utile à son pays d’origine qu’à son pays d’accueil,
d’être une voix contre l’apartheid, elle avait préféré être « Mama Africa »
plutôt que la Madone de Beverly Hills.
A moins qu’on ne
considère que tout ce qui est bon en Afrique doive nécessairement s’expatrier…