Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

mardi 29 mai 2018

DE CHEIKH YASSINE A AHED TAMIMI : PALESTINIENS, PARDONNEZ-NOUS NOTRE LACHETE !



NB : Publié dans Sud Quotidien du 26 mars 2018

Le monde entier sait que depuis soixante-dix ans, le peuple palestinien est écartelé entre d’une part des camps de fortune disséminés au Liban, en Jordanie ou ailleurs et, d’autre part un territoire rongé par des colonies illégales implantées par un État qui n’a que mépris et arrogance à son endroit.

Tout le monde sait que cet état, Israël, est le seul au monde à avoir été créé ex nihilo par une résolution des Nations-Unies, injuste et illégale, en contradiction flagrante avec le préambule de la Charte de l’institution à laquelle elle a été imposée au moyen d’un chantage exercé par les États-Unis.

des violations multiples

Tout le monde sait que pourtant Israël n’a jamais cessé de bafouer cette résolution et que depuis sa création, c’est l’un des pays qui a le plus souvent bénéficié du veto d’un membre permanent du Conseil de Sécurité, le seul qui a toujours refusé d’appliquer les décisions de l’Assemblée Générale dont les plénipotentiaires ont été récemment traités d’imbéciles par son Premier Ministre à l’occasion du débat sur le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem jugé « nul et non avenu » par la grande majorité des votants (128 voix contre 9).     

Tout le monde sait que depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, Israël est le seul État qui ne s’est agrandi qu’en annexant des territoires conquis par les armes, ce qui est pourtant formellement condamné par la communauté internationale.

Tout le monde sait qu’Israël est le seul État qui pratique l’assassinat ciblé visant des populations civiles, dans les territoires occupés, à Gaza ou ailleurs dans le monde. Ces exécutions extra-judiciaires violent les lieux les plus saints et n’épargnent pas les personnes handicapées. Il y a exactement 14 ans, un missile israélien abattait, au sortir d’une mosquée où il venait d’effectuer la prière de l’aube, Cheikh Yassine, vieil homme aveugle, paraplégique depuis l’âge de 12 ans, et avec lui  9 spectateurs, car Israël  se soucie peu des dégâts collatéraux. A côté de ces meurtres spectaculaires, il y a ceux qui se font par des méthodes sophistiquées indétectables, comme ce fut probablement le cas de Yasser Arafat.

Le monde entier sait qu’Israël est le seul gouvernement qui pratique la punition collective qui permet de dynamiter une maison familiale sous prétexte que l’un de ses habitants est  responsable d’une agression ou d’un attentat. Les lois israéliennes permettent d’abattre impunément un mineur pour jet de pierres ou de condamner à  douze (12) ans de prison le jeune palestinien coupable d’une agression au couteau contre un soldat israélien.

la violence institutionnalisée

Israël est le seul pays au monde dans lequel les mineurs, tous détenus pour des motifs politiques, représentent un vingtième de la population carcérale, tout au moins dans les prisons réservées aux Palestiniens. C’est le seul pays où ils  sont jugés par des tribunaux  militaires, en l’absence de témoins, et l’UNICEF a reconnu qu’ils étaient victimes de mauvais traitements « institutionnalisés » par la justice militaire.  

Tout le monde sait que depuis la chute de l’apartheid, Israël est le seul État ouvertement raciste du monde, non seulement parce qu’il se proclame « État juif », mais aussi parce que la minorité arabe autochtone qui y vit est privée de l’essentiel de ses droits, interdite dans certains secteurs économiques et politiques. C’est le seul pays au monde dont le Parlement peut, par une majorité des deux tiers, exclure un tiers de ses membres, et notamment les députés arabes israéliens.

Israël est issu de l’immigration, il a dans son ADN la condamnation de la déportation, et pourtant son Premier Ministre n’hésite pas à sommer  20.000 africains réfugiés dans son pays à choisir entre la prison et la déportation, et il pousse la provocation jusqu’à affirmer que les immigrés africains sont pires que les jihadistes qui  étaient jusque-là pour lui l’horreur absolue, et que par leur prolifération, ils pourraient tout simplement mettre en péril la judaïté d’Israël.

« En Israël pousse un racisme proche du nazisme à ses débuts ! ». Cette grave accusation est proférée par un citoyen israélien qui a combattu plusieurs fois pour son pays, Zeev Sternhell. Pour illustrer son propos, cet historien spécialiste de l’extrême droite, membre de l’Académie israélienne des Sciences et des Lettres, évoque  tout à la fois la « cruauté » du gouvernement de son pays envers les non-juifs, les conditions de vie déplorables des populations vivant dans les territoires occupés, et surtout la détermination d’Israël « à briser les espoirs de liberté et d’indépendance des Palestiniens ».

Israël est devenu un monstre qui, après avoir collaboré avec les gouvernements racistes d’Afrique du Sud, s’allie aujourd’hui avec les régimes européens les plus réactionnaires, la Hongrie ou la Pologne, dont les gouvernements veulent remettre en cause la démocratie et ses fondements.

Pour Zeev Sternhell, la Palestine est devenue tout simplement « un camp de concentration » et le soldat israélien un « garde chiourme » qui combat des populations civiles. Cette dérive qui choque même la plupart des sionistes historiques, trouve sa dernière manifestation dans l’arrestation et la détention d’une adolescente de 17 ans, Ahed Tamimi, accusée d’avoir « giflé et bousculé » un soldat israélien. Douze chefs d’accusation avaient été retenus contre elle, mais en réalité, elle et les siens font l’objet d’un véritable acharnement. Son père, qui a fait la prison à neuf reprises, était resté une semaine dans le coma après avoir été battu par des soldats israéliens, les mêmes qui ont tué sa tante et défiguré son cousin par une balle de caoutchouc. La moitié des habitants de son village a  séjourné dans les prisons israéliennes, et à cette torture physique et morale s’ajoutent des sévices économiques puisque le village est progressivement dépossédé de ses terres cultivables et de la seule source d’eau qui l’alimentait. Ahed Tamimi n’a pas giflé un soldat, dit son père, elle a giflé un informe qui pour la millième fois violait sa demeure.

Le verdict la condamnant à 8 mois de prison ferme et à une forte amende a été proclamé la veille du jour anniversaire de l’assassinat de Cheikh Yassine. Elle a dû plaider coupable non parce qu’elle reconnaissait ses torts mais parce que c’était la seule voie offerte aux Palestiniens, parce qu’elle ne pouvait pas bénéficier d’un procès équitable, qu’elle ne pouvait pas se défendre conformément aux normes de droit.

Hollywood avant Jérusalem

Le monde sait tout cela et le monde, les États, les organisations continentales les institutions internationales… se taisent ou, dans le meilleur des cas, se contentent de vagues protestations. Le symbole de cette indifférence et de cette trahison est illustré par la tournée qu’effectue le prince héritier d’Arabie Saoudite aux États-Unis. Alors que chaque visite d’un Premier Ministre israélien dans ce pays est l’occasion de mobiliser des fonds et des lobbies pro-israéliens, le dirigeant de fait de la première puissance arabe, le « Gardien des Lieux saints de l’Islam », la seule voix du Moyen Orient qui compte en Occident, à l’exclusion d’Israël, préfère consacrer une partie de son temps aux lieux de distraction américains plutôt qu’à défendre la cause palestinienne.

C’est sans doute ce qu’a compris la jeunesse palestinienne que symbolise Ahed Tamimi : face à la lâcheté du monde, désormais la Palestine « farà da  » …



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