Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

mardi 5 mars 2019

ET SI VOUS NOUS PARLIEZ DE L’ECOLE ?


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NB Texte publié dans « Sud Quotidien » de 12 janvier 2019

L’école constitue rarement le plat de résistance des campagnes électorales et ne fait souvent qu’une pâle figuration dans les professions de foi des candidats. Dans les discours des politiciens, elle est souvent ravalée au rang de ces petites danseuses de l’Opéra dont s’entichaient au XIXe siècle, en France, quelques opulents bourgeois qui les comblaient de parures, d’ailleurs plus clinquantes que de qualité, avant de s’en lasser vite pour retourner à leurs vieilles habitudes.

L’école vaut mieux que les éléphants blancs et les belles envolées et il ne sert à rien de couvrir le pays de lycées et d’universités si, au préalable, l’éducation n’est pas replacée à la seule place qu’elle mérite : celle d’une irremplaçable ressource économique. Nous devons sortir de notre coquille, avoir l’ambition de tenir compte de ce qui se fait ailleurs et qui fonctionne. Mais avant de redonner à l’éducation sa vraie place dans nos politiques de développement, nous devons réparer les erreurs commises au cours de la courte histoire de notre système éducatif hérité de la colonisation. Nous avons commis l’erreur de croire que nous pouvions bâtir une école nationale efficace et populaire qui ne reposerait que sur une langue étrangère, quelles que soient par ailleurs ses qualités et son audience internationale. Nous avons cru que le seul but de l’école était de délivrer de diplômes, alors que sa vocation principale est de former l’esprit. Le résultat, c’est que nous avons bien des milliers de diplômés en espagnol, en géographie, en droit, en bureautique… qui encombrent nos foyers et nos pôles emplois et auxquels notre économie ne peut offrir aucun débouché. C’est le moment de nous remémorer la question qui hantait Amadou Hampathé Ba : « Quel diplôme il avait, celui qui a inventé le diplôme ? ».

Nous avons eu tort de préparer notre jeunesse au monde d’aujourd’hui, en appliquant, avec des années de retard, les réformes initiées par ceux que nous prenons pour modèles. Double erreur parce qu’il nous fallait forger nos propres outils et parce qu’il fallait former notre jeunesse à affronter le monde de demain et que demain, nous dit un grand penseur et pédagogue, « est une puissance cachée ». Les fautes en éducation sont de celles qui se payent le plus cher et c’est pour cette raison que ceux qui aujourd’hui prétendent à la charge la plus élevée dans la conduite des affaires de la nation devraient avoir pour priorité de sauver le soldat école. Parce que dans notre monde globalisé l’école, chez nous comme ailleurs, a perdu son monopole. Elle n’est plus la seule à instruire les jeunes, elle est concurrencée, démonétisée, déstabilisée, souvent dépassée, par la rue, les spectacles, les modes, les médias et les réseaux sociaux qui occupent notre horizon et ont désormais plus d’influence sur la jeunesse que les éducateurs institutionnels. Parce que chez nous tout particulièrement, les établissements scolaires tous niveaux confondus, du moins ceux qui relèvent de l’autorité publique, sont mal préparés à relever le défi que leur opposent ces sources d’information et d’éducation, symboles d’un monde en perpétuel changement. Ils sont généralement dans un environnement malsain, cernés de souks ou ouverts aux divagations d’animaux, privés d’installations aussi primaires que de simples toilettes, dépourvus d’équipements scientifiques performants. Ils sont dans la plupart des cas servis par des personnels qui y travaillent sans vocation et souvent par défaut, formés quelquefois à la va vite, frustrés par leurs maigres salaires et le manque de considération qui entoure leur métier. Ils fonctionnent avec des outils pédagogiques et des méthodes qui sont rarement en phase avec les progrès accomplis depuis des décennies, suivant des méthodes et des programmes qui invitent à la répétition et non à la création. On comprend pourquoi les parents sont réticents à engager leurs enfants dans des voies qu’ils considèrent sans issues, alors qu’ils ont sous les yeux des modèles dont la réussite, matérielle, s’est faite hors de l’enseignement institutionnel.

On comprend aussi que nos jeunes aient besoin d’arguments pour fréquenter ces écoles délabrées, sans attraits, et quand ils y sont, pour y rester le temps nécessaire pour recevoir une formation qui les prépare à gagner leur vie et à participer au développement de leur pays. On croit souvent que l’école publique est un luxe, que les sommes qui lui sont consacrées sont excessives et on cite le montant de son budget comme un sacrifice suprême. Pourtant, dans le pays qui a le meilleur système éducatif du monde, la Finlande, il n’y a pas d’enseignement privé, l’école est totalement gratuite, de même que sont gratuits le transport des élèves, leur restauration en cantines scolaires ou l’assistance aux handicapés. Et l’Etat n’est pas ruiné pour autant parce que le budget de l’éducation est bien géré… On croit que le classement des nations les plus développées ne se fait que sur la base du PIB, alors que le plus significatif est celui qui est basé sur les performances des systèmes éducatifs. Aujourd’hui il est plus important d’être bien représenté dans le classement de Shanghai que de figurer dans le G 20 !

Le vrai scandale aujourd’hui, celui qui doit mobiliser toutes nos énergies, c’est celui de la grande dissemblance des éducations qui caractérise notre monde. Un gouffre nous sépare des nations développées que nous ne pouvons pas combler en empruntant le long chemin qu’elles ont suivi pour être à la pointe du progrès. Nous devons sauter des étapes aller plus vite, accéder directement aux techniques les plus performantes et c’est possible parce qu’elles sont un patrimoine universel. Mais cette dissemblance sévit aussi dans notre propre pays, entre les villes et les campagnes, la capitale et les périphéries, et partout les minorités, les handicapés, les pauvres sont laissés à l’abandon. Sait-on par exemple que les lycées des régions les plus éloignées de Dakar se caractérisent tous, outre les insuffisances soulignées plus haut, par le fait qu’aucun d’entre eux ne peut dispenser un enseignement scientifique de qualité, faute notamment de professeurs aptes à l’assurer ? Une bonne école, c’est une école qui a de bons enseignants… Le droit à l’éducation est plus important que le droit de vote, parce que c’est de l’éducation que dépend notre avenir.

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