Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

jeudi 5 janvier 2017

LE QUART D’HEURE DE GLOIRE DE ADAMA BARROW

NB : Texte publié dans "Sud Quotidien" du 6 décembre 2016

« A l’avenir, avait prédit Andy Warhol, chacun aura son quart d’heure de célébrité mondiale ». Adama Barrow, qui vient d’être porté à la présidence de la Gambie, a eu son moment puisqu’il a réussi  à renvoyer les faits et gestes des grands de ce monde en pages intérieures de nos journaux et de ceux d’autres régions du globe, par exemple le renoncement de François Hollande à la candidature aux élections présidentielles françaises ou le coup de téléphone échangé entre Donald Trump et la présidente de Taïwan. On ne savait rien de lui il y a quelques jours, sa vie, son parcours sont désormais sondés, disséqués, commentés dans tous les médias. La divine surprise qui lui a valu cette soudaine et fugace notoriété, ce n’est pas que Yaya Jammeh ait eu moins de voix que lui, la divine surprise c’est que le président sortant en ait fait le constat sans chercher à user d’autres recours et qu’il se soit trouvé en Gambie un homme pour lui rappeler que face à l’évidence il n’avait pas d’autre choix honorable… Sans doute les nations méritent-elles plus que quinze minutes car, ce faisant, Yaya Jammeh et Momar Alieu NJie, le premier malgré lui et le second en connaissance de cause, ont fait que ce 2 décembre 2016 aura été véritablement la journée de la Gambie…

Une des leçons que l’on peut tirer de la déconfiture d’un homme qui depuis plus de vingt ans concentre entre ses mains tous les pouvoirs, y compris celui de vie et mort de ses concitoyens, c’est que pour venir à bout de cette forme d’oppression, les opposants et les militants de la bonne gouvernance doivent auparavant jeter leur ego aux orties et travailler non pour leur propre gloire mais pour le triomphe des principes qu’ils portent en bandoulière. Ils doivent accepter de s’effacer, si nécessaire, derrière celui d’entre eux qui a le plus  d’atouts, selon la conjoncture  du moment, et quelquefois, de sacrifier leur carrière au profit du bien commun. Trop souvent dans nos pays l’opposition est une armée mexicaine au sein de laquelle chaque chef de parti brandit son image et ses prétentions et entretient une escouade de laudateurs et de clients auxquels il promet monts et merveilles. En Gambie, l’opposition a su faire cause commune comme il convient dans les moments décisifs, elle a su échapper au syndrome Gilchrist Olympio-Jean Pierre Fabre, éviter (pour le moment) les querelles de chapelles et les reniements, elle a donné sa chance à un néophyte en politique plutôt que de se focaliser sur la primauté de l’opposant historique…

Une autre leçon est que les institutions ne valent que ce que valent  les hommes et les femmes qui les servent. La tournure des événements en Gambie aurait sans doute été différente s’il y avait eu à la tête de la Commission électorale indépendante  un homme docile ou zélé, prêt à tout pour rester dans les bonnes grâces du régime. La vérité c’est qu’il n’y a pas, à proprement parler, de justice indépendante, il n’y a pas d’instruments de régulation infaillibles, en revanche il peut y avoir des juges et des régulateurs qui savent résister aux pressions, celles des familles, celles de la rue, celles des chefs religieux, celles des lobbies financiers, et bien sûr, celles du pouvoir en place, et quelquefois au péril de leurs vies. Ceux là savent que, selon l’expression d’Edward Abbey, « un  patriote doit toujours être prêt à défendre son pays contre son gouvernement… ».

Je n’ai pas épuisé la liste des leçons que l’on peut tirer des événements de Gambie, mais il y en a au moins une que je ne peux passer sous silence. On peut la formuler comme suit : les hommes politiques, plus à l’aise dans l’esquive et dans l’esbroufe, font souvent des paris dont ils ne mesurent pas l’ampleur lorsqu’ils prennent Dieu à témoin et s’érigent en relais entre Lui et leurs concitoyens. Yaya Jammeh s’était auto-attribué de multiples et ronflants titres, dont ceux de Docteur et d’El Hadj, il se déplaçait dans les lieux les plus profanes en tenant ostensiblement à la main un Coran, sans s’inquiéter de la dangereuse confusion des symboles puisque l’autre main tenait ce qui ressemble à un sceptre. Il aurait intérêt, maintenant qu’il a des loisirs, à bien (re)lire le Livre Saint. Il y trouverait cette sentence : « Allah ne change rien chez un peuple tant que ce peuple n’a pas procédé à son propre changement » (Coran XIII.11). Pour le malheur du président défait, le temps était venu pour le peuple de Gambie de ne plus accepter de supporter l’injustice et la tyrannie, et les élections constituaient une formidable occasion pour le lui faire savoir. C’est surtout maintenant, alors qu’il est redevenu un citoyen ordinaire, plus vulnérable et moins entouré, que Yaya Jammeh, qui ne veut plus être que le paysan de Kanilai, aura besoin, non de brandir le Coran, mais de se plonger dans sa lecture et de solliciter le pardon de Dieu, à défaut de celui des hommes.

Mais il y a loin de la coupe aux lèvres, car la transmission du pouvoir par des voies légales est un phénomène inconnu en Gambie. Toutefois un deuxième quart d’heure de célébrité serait des plus fâcheux pour Adama Barrow, et il faut souhaiter que son investiture, dans deux mois, ne fera pas le gros des titres de la presse mondiale, tout simplement parce qu’elle ne sera plus qu’une banale cérémonie protocolaire et l’expression de l’alternance démocratique…


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