NB : Texte publié dans "Sud Quotidien" du 6 décembre 2016
« A l’avenir, avait prédit Andy Warhol, chacun aura son quart d’heure de célébrité
mondiale ». Adama Barrow, qui vient d’être porté à la présidence de la
Gambie, a eu son moment puisqu’il a réussi
à renvoyer les faits et gestes des grands de ce monde en pages intérieures
de nos journaux et de ceux d’autres régions du globe, par exemple le
renoncement de François Hollande à la candidature aux élections présidentielles
françaises ou le coup de téléphone échangé entre Donald Trump et la présidente
de Taïwan. On ne savait rien de lui il y a quelques jours, sa vie, son parcours
sont désormais sondés, disséqués, commentés dans tous les médias. La divine
surprise qui lui a valu cette soudaine et fugace notoriété, ce n’est pas que
Yaya Jammeh ait eu moins de voix que lui, la divine surprise c’est que le
président sortant en ait fait le constat sans chercher à user d’autres recours
et qu’il se soit trouvé en Gambie un homme pour lui rappeler que face à
l’évidence il n’avait pas d’autre choix honorable… Sans doute les nations
méritent-elles plus que quinze minutes car, ce faisant, Yaya Jammeh et Momar
Alieu NJie, le premier malgré lui et le second en connaissance de cause, ont
fait que ce 2 décembre 2016 aura été véritablement la journée de la Gambie…
Une des leçons que
l’on peut tirer de la déconfiture d’un homme qui depuis plus de vingt ans
concentre entre ses mains tous les pouvoirs, y compris celui de vie et mort de
ses concitoyens, c’est que pour venir à bout de cette forme d’oppression, les
opposants et les militants de la bonne gouvernance doivent auparavant jeter
leur ego aux orties et travailler non pour leur propre gloire mais pour le
triomphe des principes qu’ils portent en bandoulière. Ils doivent accepter de
s’effacer, si nécessaire, derrière celui d’entre eux qui a le plus d’atouts, selon la conjoncture du moment, et quelquefois, de sacrifier leur
carrière au profit du bien commun. Trop souvent dans nos pays l’opposition est
une armée mexicaine au sein de laquelle chaque chef de parti brandit son image
et ses prétentions et entretient une escouade de laudateurs et de clients
auxquels il promet monts et merveilles. En Gambie, l’opposition a su faire
cause commune comme il convient dans les moments décisifs, elle a su échapper
au syndrome Gilchrist Olympio-Jean Pierre Fabre, éviter (pour le moment) les
querelles de chapelles et les reniements, elle a donné sa chance à un néophyte en politique plutôt que de se focaliser sur la primauté de
l’opposant historique…
Une autre leçon est
que les institutions ne valent que ce que valent les hommes et les femmes qui les servent. La
tournure des événements en Gambie aurait sans doute été différente s’il y avait
eu à la tête de la Commission électorale indépendante un homme docile ou zélé, prêt à tout pour
rester dans les bonnes grâces du régime. La vérité c’est qu’il n’y a pas, à
proprement parler, de justice indépendante, il n’y a pas d’instruments de
régulation infaillibles, en revanche il peut y avoir des juges et des régulateurs
qui savent résister aux pressions, celles des familles, celles de la rue,
celles des chefs religieux, celles des lobbies financiers, et bien sûr, celles
du pouvoir en place, et quelquefois au péril de leurs vies. Ceux là savent que,
selon l’expression d’Edward Abbey, « un patriote doit toujours être prêt à défendre son pays
contre son gouvernement… ».
Je n’ai pas épuisé
la liste des leçons que l’on peut tirer des événements de Gambie, mais il y en
a au moins une que je ne peux passer sous silence. On peut la formuler comme
suit : les hommes politiques, plus à l’aise dans l’esquive et dans
l’esbroufe, font souvent des paris dont ils ne mesurent pas l’ampleur
lorsqu’ils prennent Dieu à témoin et s’érigent en relais entre Lui et leurs
concitoyens. Yaya Jammeh s’était auto-attribué de multiples et ronflants titres,
dont ceux de Docteur et d’El Hadj, il se déplaçait dans les lieux les plus
profanes en tenant ostensiblement à la main un Coran, sans s’inquiéter de la
dangereuse confusion des symboles puisque l’autre main tenait ce qui ressemble
à un sceptre. Il aurait intérêt, maintenant qu’il a des loisirs, à bien
(re)lire le Livre Saint. Il y trouverait cette sentence : « Allah ne change rien chez un peuple tant que
ce peuple n’a pas procédé à son propre changement » (Coran XIII.11). Pour
le malheur du président défait, le temps était venu pour le peuple de Gambie de
ne plus accepter de supporter l’injustice et la tyrannie, et les élections
constituaient une formidable occasion pour le lui faire savoir. C’est surtout
maintenant, alors qu’il est redevenu un citoyen ordinaire, plus vulnérable et
moins entouré, que Yaya Jammeh, qui ne veut plus être que le paysan de Kanilai,
aura besoin, non de brandir le Coran, mais de se plonger dans sa lecture et de
solliciter le pardon de Dieu, à défaut de celui des hommes.
Mais il y a loin de
la coupe aux lèvres, car la transmission du pouvoir par des voies légales est
un phénomène inconnu en Gambie. Toutefois un deuxième quart d’heure de célébrité
serait des plus fâcheux pour Adama Barrow, et il faut souhaiter que son
investiture, dans deux mois, ne fera pas le gros des titres de la presse mondiale,
tout simplement parce qu’elle ne sera plus qu’une banale cérémonie protocolaire
et l’expression de l’alternance démocratique…
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