Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

mardi 11 octobre 2016

MENSONGES ET MANIPULATIONS

NB Texte publié dans "Sud Quotidien" du 10 octobre 2016

Ainsi donc nous sommes dans le temps des mensonges et des manipulations politiques…

Rien de nouveau dans le monde, me dira-t-on : du prétendu coup d’éventail porté au « consul » de France par le dey d’Alger (1827), à la dépêche d’Ems (1870), pour ne nous en tenir qu’à l’histoire de la France, les politiques ont toujours usé de manœuvres et de  délations pour légitimer leurs forfaits. Plus récemment, c’est sur la base de fausses informations, c’est en produisant des documents fabriqués de toutes pièces pour l’occasion, que Bush et Sarkozy ont conduit les bombardements qui ont détruit l’Irak et la Libye et installé la guerre civile sur leurs territoires.

Les droits humains sont souvent habillés des dépouilles de sordides ambitions politiques…

Pourtant, jamais comme aujourd’hui les acteurs politiques, presque sans exception, les communicateurs souvent, qu’ils soient modernes ou « traditionnels », et même, de plus en plus, les personnes investies du titre de chef religieux, n’ont usé aussi abondamment de mensonges et de manipulations pour parvenir à leurs fins. Jamais comme aujourd’hui la « communauté internationale » n’a subi sans réaction vigoureuse autant de propos émaillés de menaces, d’injures et de falsifications de l’histoire que ceux par lesquels s’illustrent le premier ministre hongrois Viktor Orban ou Donald Trump candidat aux élections américaines…

Notre pays n’échappe évidemment pas à l’épidémie, et nos médias font chaque jour leurs choux gras des reniements, des calomnies, des déballages d’hommes et de femmes dont la seule vraie ambition est de faire parler d’eux. Mais nos mensonges et nos manipulations ne sont que menu fretin face aux constructions sophistiquées de ceux qui sont à la fois les gendarmes, les juges et les bien-pensants du monde. 

Nous nous en tiendrons à la France, parce qu’en dépit des ruptures formelles opérées il y a quelques décennies, elle  continue à peser  fortement sur notre vie, au plan économique, politique et médiatique. Il se trouve par ailleurs qu’elle vit ces moments privilégiés pendant lesquels prospèrent les excès de langage : une crise économique persistante et la proximité d’élections  décisives. Jusqu’ici les outrances verbales étaient surtout le fait des dirigeants du Front National et de quelques intellectuels « faussaires, experts en mensonge » selon les mots de Pascal Boniface, intellectuels fongibles  dont la cible préférée reste invariablement nous, les  étrangers, les immigrés et les musulmans. Mais le filon s’épuise et Eric Zemmour se pend à sa propre corde lorsqu’il affirme qu’aucun citoyen de France ne doit plus s’appeler Mohamed et que tous les Français doivent porter des prénoms français ! Autant dire que Dany Boon, né Hamidou, s’est fait débaptiser pour rien… Mais au fait c’est quoi un prénom « français », puisque Louis ou Henri, prénoms de plus de vingt rois de France, sont d’origine germanique ? Faudrait-il que des célébrités comme Johny Halliday ou Tony Parker ou les petits Kevin ou Ryan qui prolifèrent depuis peu sur le sol français retournent  dans les centres d’état civil? Cela réglerait-il d’ailleurs le problème car, même  en se faisant appeler René et Nicole (prénoms qui du reste sont d’origine latine et grecque),le dessinateur Enki Bilal ou la ministre Najat Belkacem ne parviendraient pas à faire oublier leurs « infamantes » racines bosniaque ou maghrébine ?

L’habit, dit-on chez nous, peut cacher le corps, pas la généalogie.

Mais si l’on peut abandonner Zemmour dans son trou, comme aurait dit Alain Badiou, on ne peut pas ne pas s’alarmer quand ce sont des femmes et des hommes politiques qui ambitionnent de diriger la France, qui, désormais, alimentent cette dangereuse surenchère.

François Fillon vante ainsi sans retenue les bienfaits de la colonisation.

Hervé Mariton veut effacer le droit du sol, vieux de plusieurs siècles.

Manuel Vals fait du burkini une affaire d’Etat quand, ailleurs, les chefs de gouvernement se donnent pour règle de ne pas régenter l’habillement de leurs concitoyens…

Mais le champion toutes catégories de ces dérives, l’adepte du « Donald Trumpisme », stratégie qui consiste à multiplier les bourdes et les provocations au point de donner le tournis à l’opinion qui reste toujours en retard d’une indignation, c’est un ancien président de la république française ! « Quelle inculture ! », aurait dit Mitterrand en parlant de Rocard. « Quelle vacuité ! », pourrait-on dire dans le cas de Nicolas Sarkozy qui s’attache à bafouer les valeurs sur lesquelles la France a bâti son crédit.

Sarkozy ignore que le mythe des ancêtres Gaulois est une invention du XIXe siècle, que c’est le contexte historique qui a fait préférer les Gaulois aux Francs et que dès le VIIe siècle toute connotation ethnique avait disparu entre les deux composantes.

Sarkozy ignore que la laïcité, arrachée au début du XXe siècle,  c’est aussi le respect mutuel, qu’elle garantit la liberté, y compris celle de s’habiller selon son choix, que les lieux publics sont des lieux de confrontation respectueuse et de débat et non d’exclusion. Il dresse les Français les uns contre les autres, il dresse contre la France ses amis qui ne sont pas Français mais francophones ou francophiles. Il n’est pas encore au pouvoir que déjà il somme les Gabonais, qui lui demandent des comptes, de rentrer chez eux !

François Hollande a dit publiquement que Trump n’était pas un « candidat politique sérieux » et que ses excès de langage provoquaient chez lui « un sentiment de haut-le-cœur ». La victoire de Trump, a-t-il ajouté, serait « dangereuse », parce que selon lui, les élections américaines sont des « élections mondiales »…

Les élections présidentielles françaises ne sont certes pas mondiales, mais elles sont largement « africaines » par les effets qu’elles peuvent avoir sur notre quotidien. S’ils avaient le sens de la répartie, s’ils voulaient faire preuve de courage politique et suivre le raisonnement de Hollande, les chefs d’Etats d’Afrique de l’ouest et du centre devraient d’ores et déjà proclamer à leur tour que le retour aux affaires de Sarkozy représente un « danger » pour la coopération franco-africaine.

Parce que ce serait le retour de l’homme qui a envahi la Libye contre l’avis de l’Union Africaine.

Parce que ce serait l’arrivée au pouvoir d’un homme prêt à renier tous ses engagements, qui aujourd’hui dit vouloir combattre la « tyrannie des minorités », terme qui ne désigne dans son esprit que la communauté musulmane, qui veut dans ce but, interdire le voile à l’université et dans les entreprises, supprimer les menus de substitution dans les cantines scolaires.

Parce que c’est celui qui, ignorant sans doute que 63% des immigrés qui entrent en France ont le niveau du baccalauréat, veut réduire « drastiquement » l’immigration, alors que l’Allemagne, qui n’a pas de « pré carré », a accueilli 1.200.000 étrangers sans s’effondrer.

C’est celui qui veut procéder à « l’assimilation » des immigrés, à marche forcée, et qui sans doute ignore aussi que la moitié d’entre eux sont d’origine européenne, comme l’étaient ses propres parents.

C’est celui qui veut suspendre le regroupement familial consacré pourtant par la Convention européenne des droits de l’homme.

C’est celui qui envisage de remettre en cause le droit du sol, alors que son père n’a acquis la citoyenneté française qu’en 1975, et qui est prêt à violer la constitution en autorisant la rétention administrative des personnes fichées S et le placement préventif des suspects…

Le premier Sarkozy, qui se disait gaulliste, a donné le discours de Dakar, le prochain, qui siphonne le programme du Front National, pourrait faire pire !



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