Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

jeudi 5 janvier 2017

ANNÉE NEUVE, VIEUX DÉMONS !

NB : Texte publié dans "Sud Quotidien" du 5 janvier 2017

Une année vient de s’achever et nous avons tous la crainte que celle qui commence ne soit gâchée par les pitreries de deux saltimbanques, deux bouffons, d’envergure fort différente, dont l’un vient de faire une entrée fracassante sur la scène politique à la surprise générale, et l’autre refuse de la quitter, au grand désappointement de tous les démocrates. Mais la dictature prédictive ayant subi de graves revers au cours de l’année écoulée, tous les espoirs ne sont pas perdus, y compris les plus fous. En revanche, il est peu probable qu’un miracle se produise dans notre vie quotidienne et, que d’un coup de baguette magique, l’année 2017 nous fournisse l’occasion de nous débarrasser de tous les vieux démons qui appartiennent à notre histoire et que nous traînons comme des boulets…

Il y a ainsi le démon de l’incivisme, illustrée par deux images d’anthologie qui devraient nous faire mériter l’oscar du chauffeur le plus imaginatif.   

Le premier est un chauffeur de taxi qui, empêtré dans les embouteillages de la circulation, ne trouve comme solution que d’engager sa voiture… sur la passerelle qui enjambe l’autoroute dont il sait pertinemment qu’elle est réservée aux piétons ! Le second, tout aussi acariâtre, tente un demi-tour digne de James Bond sur le vieux pont Faidherbe, à Saint-Louis, au risque de provoquer un carambolage qui lui ferait perdre le temps qu’il cherche  à gagner. Dire que sous la Grèce antique et même sous la Révolution française, des hommes ont été condamnés à mort ou à la déportation pour manque de civisme !

La discipline n’est pas en effet notre fort et les deux extravagances rapportées plus haut ne constituent qu’un petit échantillon, glané dans l’année qui vient de s’achever, de notre propension  à bafouer les règles du vivre en commun. Faire la queue devant un guichet, céder la priorité, s’abstenir de jeter un détritus dans la rue, de perturber le repos de ses voisins ou de squatter le trottoir ou la chaussée… ces petits gestes là, nous ne savons pas les faire et, mieux, nous les jugeons dérisoires ou fastidieux…

Il y a aussi le démon des pesanteurs sociales, syncrétismes où s’entrechoquent les dérives de nos traditions, de nos croyances et des mauvais exemples que nous empruntons aux autres. Toutes nos cérémonies familiales (baptêmes, décès, mariages et autres commémorations) ont fini par prendre la même allure, avec le même désordre dans l’organisation, la même profusion d’argent distribué avec ostentation à des gens qui ne sont pas dans le besoin, le même étalage de nourriture et de paroles servies dans le même brouhaha.

C’est ce démon qui a poussé un homme, qu’on dit pourtant bien intégré dans la famille qui l’emploie, à assassiner froidement sa patronne pour faire face aux obligations que lui imposent les rites sociaux. L’affaire est encore entre les mains de la justice, et il est sans doute prématuré de cerner le parcours du présumé coupable, mais il n’en demeure pas moins que notre société est minée par le paraître, les extravagances et le gaspillage, et qu’elle a bâti tout un échafaudage de codes qui ne sert que les profiteurs et ne favorise ni le développement ni le progrès social. L’Etat lui-même n’échappe pas à cette frénésie : chaque tournée présidentielle dans le pays profond coûte à la collectivité l’équivalent d’une école ou d’un dispensaire, chaque participation du gouvernement à l’un des grands rassemblements religieux (qui restent tout de même des manifestations d’ordre  privé !) avoisine ou dépasse le budget annuel de certains ministères…

Il y a également le démon des basses querelles, souvent vaines, quelquefois prématurées, toujours stériles, qui décrédibilisent nos hommes politiques et nous font croire que tout est mise en scène et que leur gloire passe avant le bonheur de la collectivité. Des députés qui se querellent en séance, s’étripent même, on voit cela dans des parlements qui revendiquent des siècles d’existence. Ce qui est inadmissible, c’est que chez nous, les débats parlementaires virent souvent en foires d’empoigne, qu’on s’insulte et qu’on s’interpelle sur des questions superficielles, que nos parlementaires oublient quelquefois que l’essentiel de leur mission est de contrôler et non de servir le pouvoir exécutif, que leurs débordements et leurs états d’âme donnent un mauvaise image de leur congrégation et humilient leurs mandants…

Le pétrole a sali et abîmé des régions entières, créé des oligarques corrompus et des misères extrêmes. Pétrole, qu’as-tu fait du Nigéria, du Venezuela ou du Tchad ? Le Sénégal n’a pas encore de pétrole, il n’a que des espérances de pétrole, certes fondées, mais aucune goutte de l’or noir n’est encore sortie de notre sous-sol. Mais voila que déjà cette arlésienne sème le trouble dans notre pays, suscite des soupçons, nourrit des ambitions personnelles, installe la zizanie et prend l’allure de règlements de comptes, voila même que l’on fait pointer à l’horizon la menace d’un conflit avec nos voisins. Il serait à l’honneur de notre gouvernement de rappeler qu’il ne faut pas vendre la peau …du phacochère avant de l’avoir tué et, pour prouver sa bonne foi, de réunir une véritable conférence nationale, sur le modèle de celles qui ont changé le cours de la vie dans plusieurs nations africaines, mais avec des objectifs ciblés, et dans laquelle les débats partisans seraient exclus…

Il y a enfin et surtout, sans que cette liste soit exhaustive, le démon de l’intolérance qui représente à mes yeux la menace la plus grave que notre pays aura à affronter dans les prochaines années.

Elle a fait en 2016 une résurgence inquiétante parce qu’elle ressemble plus à une tendance qu’à un incident de parcours. Elle n’est pas que religieuse, elle est plus largement la manifestation du refus de toute expression personnelle qui ne soit pas conforme à des règles préétablies et qui composent un dogme social. Ainsi il a fallu exfiltrer un imam, menacé de lynchage, parce que, semble-t-il, il avait émis des réserves sur la manière dont on commémorait au Sénégal la naissance du Prophète (PSL) ; fort différente de celle qui a cours dans les pays arabes. Pourtant le rôle d’un imam c’est, comme le rappelait l’un d’entre eux, « d’être un vecteur de savoirs, et non un donneur de leçons ». Ainsi des individus  ont été molestés, menacés de mort ou contraints de se cacher parce qu’ils avaient fait sur des comportements ou sur des hommes des commentaires ou des observations qui, à leurs yeux, n’étaient ni des insultes ni des blasphèmes. Pourtant en Islam, il n’y a d’infaillibilité que celle de Dieu et il est du devoir du croyant de combattre l’aliénation et l’instrumentalisation de la religion. Les meilleurs défenseurs de la tolérance, ce sont les croyants eux-mêmes et, au nom du précepte bien connu et selon lequel « c’est l’enfant de ta mère qui peut te dire que ton haleine est mauvaise », il appartient à ceux au nom desquels ces imprécateurs prétendent parler d’agir en sorte que le dialogue et la reconnaissance de nos différences soient préservés…


« C’est avec des mots, et non avec des idées, qu’on fait des vers ! » avait dit un poète à un mauvais rimailleur. C’est avec des actes forts, et non avec de belles paroles, que l’on peut changer le destin d’une nation. Souhaitons donc qu’en 2017 nous fassions, tous, l’effort de nous débarrasser de quelques uns de nos vieux démons…

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