NB : Texte publié dans "Sud Quotidien" du 5 janvier 2017
Une année vient de
s’achever et nous avons tous la crainte que celle qui commence ne soit gâchée
par les pitreries de deux saltimbanques, deux bouffons, d’envergure fort
différente, dont l’un vient de faire une entrée fracassante sur la scène
politique à la surprise générale, et l’autre refuse de la quitter, au grand
désappointement de tous les démocrates. Mais la dictature prédictive ayant subi
de graves revers au cours de l’année écoulée, tous les espoirs ne sont pas
perdus, y compris les plus fous. En revanche, il est peu probable qu’un miracle
se produise dans notre vie quotidienne et, que d’un coup de baguette magique,
l’année 2017 nous fournisse l’occasion de nous débarrasser de tous les vieux
démons qui appartiennent à notre histoire et que nous traînons comme des
boulets…
Il y a ainsi le
démon de l’incivisme, illustrée par deux images d’anthologie qui devraient nous
faire mériter l’oscar du chauffeur le plus imaginatif.
Le premier est un
chauffeur de taxi qui, empêtré dans les embouteillages de la circulation, ne
trouve comme solution que d’engager sa voiture… sur la passerelle qui enjambe
l’autoroute dont il sait pertinemment qu’elle est réservée aux piétons ! Le
second, tout aussi acariâtre, tente un demi-tour digne de James Bond sur le
vieux pont Faidherbe, à Saint-Louis, au risque de provoquer un carambolage qui
lui ferait perdre le temps qu’il cherche
à gagner. Dire que sous la Grèce antique et même sous la Révolution
française, des hommes ont été condamnés à mort ou à la déportation pour manque
de civisme !
La discipline n’est
pas en effet notre fort et les deux extravagances rapportées plus haut ne
constituent qu’un petit échantillon, glané dans l’année qui vient de s’achever,
de notre propension à bafouer les règles
du vivre en commun. Faire la queue devant un guichet, céder la priorité,
s’abstenir de jeter un détritus dans la rue, de perturber le repos de ses
voisins ou de squatter le trottoir ou la chaussée… ces petits gestes là, nous
ne savons pas les faire et, mieux, nous les jugeons dérisoires ou fastidieux…
Il y a aussi le
démon des pesanteurs sociales, syncrétismes où s’entrechoquent les dérives de
nos traditions, de nos croyances et des mauvais exemples que nous empruntons
aux autres. Toutes nos cérémonies familiales (baptêmes, décès, mariages et
autres commémorations) ont fini par prendre la même allure, avec le même
désordre dans l’organisation, la même profusion d’argent distribué avec
ostentation à des gens qui ne sont pas dans le besoin, le même étalage de
nourriture et de paroles servies dans le même brouhaha.
C’est ce démon qui
a poussé un homme, qu’on dit pourtant bien intégré dans la famille qui l’emploie,
à assassiner froidement sa patronne pour faire face aux obligations que lui
imposent les rites sociaux. L’affaire est encore entre les mains de la justice,
et il est sans doute prématuré de cerner le parcours du présumé coupable, mais
il n’en demeure pas moins que notre société est minée par le paraître, les
extravagances et le gaspillage, et qu’elle a bâti tout un échafaudage de codes
qui ne sert que les profiteurs et ne favorise ni le développement ni le progrès
social. L’Etat lui-même n’échappe pas à cette frénésie : chaque tournée
présidentielle dans le pays profond coûte à la collectivité l’équivalent d’une
école ou d’un dispensaire, chaque participation du gouvernement à l’un des
grands rassemblements religieux (qui restent tout de même des manifestations
d’ordre privé !) avoisine ou dépasse le
budget annuel de certains ministères…
Il y a également le
démon des basses querelles, souvent vaines, quelquefois prématurées, toujours
stériles, qui décrédibilisent nos hommes politiques et nous font croire que
tout est mise en scène et que leur gloire passe avant le bonheur de la collectivité.
Des députés qui se querellent en séance, s’étripent même, on voit cela dans des
parlements qui revendiquent des siècles d’existence. Ce qui est inadmissible,
c’est que chez nous, les débats parlementaires virent souvent en foires
d’empoigne, qu’on s’insulte et qu’on s’interpelle sur des questions
superficielles, que nos parlementaires oublient quelquefois que l’essentiel de
leur mission est de contrôler et non de servir le pouvoir exécutif, que leurs
débordements et leurs états d’âme donnent un mauvaise image de leur
congrégation et humilient leurs mandants…
Le pétrole a sali
et abîmé des régions entières, créé des oligarques corrompus et des misères extrêmes.
Pétrole, qu’as-tu fait du Nigéria, du Venezuela ou du Tchad ? Le Sénégal
n’a pas encore de pétrole, il n’a que des espérances de pétrole, certes fondées,
mais aucune goutte de l’or noir n’est encore sortie de notre sous-sol. Mais
voila que déjà cette arlésienne sème le trouble dans notre pays, suscite des
soupçons, nourrit des ambitions personnelles, installe la zizanie et prend
l’allure de règlements de comptes, voila même que l’on fait pointer à l’horizon
la menace d’un conflit avec nos voisins. Il serait à l’honneur de notre
gouvernement de rappeler qu’il ne faut pas vendre la peau …du phacochère avant
de l’avoir tué et, pour prouver sa bonne foi, de réunir une véritable
conférence nationale, sur le modèle de celles qui ont changé le cours de la vie
dans plusieurs nations africaines, mais avec des objectifs ciblés, et dans
laquelle les débats partisans seraient exclus…
Il y a enfin et
surtout, sans que cette liste soit exhaustive, le démon de l’intolérance qui
représente à mes yeux la menace la plus grave que notre pays aura à affronter
dans les prochaines années.
Elle a fait en 2016
une résurgence inquiétante parce qu’elle ressemble plus à une tendance qu’à un
incident de parcours. Elle n’est pas que religieuse, elle est plus largement la
manifestation du refus de toute expression personnelle qui ne soit pas conforme
à des règles préétablies et qui composent un dogme social. Ainsi il a fallu
exfiltrer un imam, menacé de lynchage, parce que, semble-t-il, il avait émis
des réserves sur la manière dont on commémorait au Sénégal la naissance du
Prophète (PSL) ; fort différente de celle qui a cours dans les pays
arabes. Pourtant le rôle d’un imam c’est, comme le rappelait l’un d’entre eux,
« d’être un vecteur de savoirs, et
non un donneur de leçons ». Ainsi des individus ont été molestés, menacés de mort ou
contraints de se cacher parce qu’ils avaient fait sur des comportements ou sur
des hommes des commentaires ou des observations qui, à leurs yeux, n’étaient ni
des insultes ni des blasphèmes. Pourtant en Islam, il n’y a d’infaillibilité
que celle de Dieu et il est du devoir du croyant de combattre l’aliénation et
l’instrumentalisation de la religion. Les meilleurs défenseurs de la tolérance,
ce sont les croyants eux-mêmes et, au nom du précepte bien connu et selon
lequel « c’est l’enfant de ta mère
qui peut te dire que ton haleine est mauvaise », il appartient à ceux
au nom desquels ces imprécateurs prétendent parler d’agir en sorte que le
dialogue et la reconnaissance de nos différences soient préservés…
« C’est avec des mots, et non avec des idées,
qu’on fait des vers ! » avait dit un poète à un mauvais
rimailleur. C’est avec des actes forts, et non avec de belles paroles, que l’on
peut changer le destin d’une nation. Souhaitons donc qu’en 2017 nous fassions,
tous, l’effort de nous débarrasser de quelques uns de nos
vieux démons…
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