Texte Publié
dans « Sud Quotidien » du 26 aout 2015
Nous savons, au moins depuis Machiavel, que la politique
et l’éthique suivent souvent des chemins différents, voire divergents. L’homme
politique est fondamentalement a-moral puisque
pour lui, la vertu première c’est la capacité de saisir la bonne occasion, de
savoir tirer son épingle du jeu, par tous les moyens à sa disposition. Les
hommes politiques qui ne feraient profession que de bonté ou de rectitude iraient
tout simplement à la ruine. Ce qu’on a appelé « machiavélisme » sévit
sous tous les cieux, et à tous les temps et il suffit en effet de voir la connivence,
l’esprit de caserne qui règnent entre les hommes qui font de la politique un
métier, quand on les surprend à l’abri des témoins, pour comprendre qu’ils
appartiennent bien à la même secte.
« Il y a un temps pour la cruauté… »
Il nous faut donc,
pour commencer, récuser l’accusation souvent portée par les gouvernements occidentaux,
selon laquelle notre continent aurait le monopole d’actes de tortures et de
politiciens tortueux. En réalité, la seule vraie différence entre leurs pays et les nôtres,
c’est que chez eux, il y a un temps pour la cruauté et l’injustice alors que
chez nous, celles-ci sont souvent permanentes. Dans les faits, peu de
dirigeants africains sont mêlés à autant d’affaires de corruption que Nicolas
Sarkozy, ont couvert autant d’actes de torture sophistiquée que Georges Bush,
se sont livrés à autant d’empoisonnements ou de meurtres de leurs opposants que
les dirigeants israéliens. Ce qui fait notre malheur, c’est que chez nous, ces
excès ont été quelquefois non pas des moments de faiblesse, mais la marque de
fabrique de plusieurs régimes. Quant aux mœurs politiques, ce que nous appelons
« transhumance », n’est pas une spécificité sénégalaise, elle est
courante, voire banale, aux Etats-Unis, où Ronald Reagan avait été un militant
actif du parti démocrate avant d’être élu président républicain. En France, Bernard
Kouchner avait successivement milité au sein des jeunesses communistes, des
radicaux de gauche puis du parti socialiste, avant de devenir, sans état d’âme,
ministre du très populiste Sarkozy. Même De Gaulle, que l’on ne peut certes
soupçonner de « transhumance », a – par réalisme politique – renié
les promesses qu’il avait tenues aux Français sur le sort de l’Algérie lors de
son accession au pouvoir. On peut dire que, d’une certaine manière, la formule
qu’on lui prête et selon laquelle « les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts » relève du
machiavélisme…
C’est donc parce que le réalisme est la seule vertu
politique que l’on peut expliquer qu’en 2000, Djibo Ka ait préféré rejoindre
Abdou Diouf, avec lequel pourtant il s’était brouillé avec fracas,
plutôt que de rallier Abdoulaye Wade auquel aucun contentieux personnel ne
l’opposait. Il avait compris que dans une élection présidentielle, il n’y avait
qu’un seul vainqueur, et, après trente ans de militantisme politique et une
solide expérience des affaires, il croyait savoir dans quel sens soufflait le
vent. Non seulement il pensait miser sur le bon cheval, mais surtout il s’était
convaincu qu’il lui serait plus facile de retrouver la place de choix qu’il
avait exercée au sein du gouvernement socialiste, que d’en conquérir une autre
de haute lutte aux côtés d’une formation qui se proclamait libérale et dont les
lieutenants piaffaient d’impatience.
Il s’était trompé, parce qu’il avait ignoré la lassitude
de son peuple, il avait perdu son pari,
s’était vu dès lors contraint de jouer aux supplétifs de guerre. En 2015, sa situation est bien moins reluisante qu’elle
n’était en 2000. Il a perdu l’aura qui entourait le rebelle, que l’on suppose
toujours plus vertueux que le chef usé qu’il combat. Mais, surtout il a perdu
en route beaucoup de militants, beaucoup de ses moyens humains et matériels et
pratiquement son pouvoir de nuisance. Depuis trois ans, il ne s’était pas
contenté d’être à l’écart du pouvoir, il s’est intégré dans un front dont le
seul vrai ciment est la contestation de toutes les initiatives du gouvernement,
allant jusqu’à s’abstenir de condamner vertement le caillassage du véhicule du
premier citoyen de la République. C’est ce qui rend son ralliement
spectaculaire, mais on avait oublié que pour un homme politique, il y a
toujours quelque chose à faire dans la pire des situations, et c’est même
lorsqu’on a dos le mur qu’on est le plus efficace politiquement.
« Le courage n’est pas soluble dans le
calcul ! »
Mais encore faudrait-il que le jeu en vaille la chandelle
car, dans cette histoire, Djibo Ka n’a fait preuve ni de courage ni de vision
patriotique !
Cet acte, contrairement à ce que tentent de nous faire
croire tous les « transhumants », n’est pas un signe d’audace, car il
résulte d’un pari. « Le courage n’est pas soluble dans le
calcul », dit un philosophe, et dans la situation où se trouve aujourd’hui
Djibo Ka, son geste repose sur le double et improbable calcul qu’il peut
déstabiliser ses anciens amis et donner du sang neuf aux nouveaux.
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