NB : Texte paru dans "Sud Quotidien" du 9 juillet 2015
Il y
a près de vingt siècles, les Romains
inventaient le Limes : une barrière faite de fossés, de palissades ou de murs, destinée
à les protéger contre les incursions de ceux qu’ils appelaient les
« Barbares », c’est-à-dire tous ceux qui n’étaient pas de culture
grecque ou romaine. Le limes n’a pas résisté aux hordes d’Attila, et d’autres,
mais il reste toujours des Barbares, à cette différence près que ceux
d’aujourd’hui ce sont les migrants, les déplacés venus du Sud réputé prolifique
et instable. Pour prévenir donc une nouvelle invasion barbare, les nations
riches d’Occident élèvent des barrières bien plus sophistiquées que le limes romain,
des murs de béton, de fer et d’électronique.
Il
est revenu, le temps des murs…
L’Espagne
a construit autour de Ceuta et Melilla des murs sur lesquels se brisent les
rêves des jeunes sub-sahariens. Faut-il le rappeler : ces enclaves sont des « colonies » en
terre africaine, elles ont été acquises par la force et maintenues dans le
giron espagnol au mépris des lois qui, depuis plus de cinquante ans, imposent
aux anciens colonisateurs de restituer les terres qu’ils s’étaient appropriées
par le sabre et le fusil. Comme elle n’est pas à un paradoxe près, l’Espagne
s’agrippe à ses enclaves mais revendique la restitution de Gibraltar par les
Anglais !
Israël
a fait pire, car cet Etat est devenu
expert en matière d’humiliation et de torture. Il a donc construit un mur de
plus de 700 km qui a la particularité d’empiéter pour 85% dans le territoire
cisjordanien et de couvrir à lui seul près de 10% de la superficie d’un Etat
reconnu par la grande majorité des nations du monde ! Ce mur, censé
protéger, notamment, des colonies juives, elles-mêmes illégales, est considéré
comme un « mur de la honte », un « mur
de l’apartheid » et, en 2003, l’Assemblée Générale de l’ONU a
condamné sa construction pour des raisons à la fois politiques et humanitaires…
Depuis
2002, les Etats-Unis, pays d’immigrants par excellence, ont commencé la
construction d’un mur sur leur frontière méridionale pour tenir à l’écart les « Latinos » attirés
par la splendeur du Texas ou de la Californie. Le pays qui revendiquait le privilège
d’être la patrie de tous ceux qui avaient soif de liberté est désormais
inaccessible derrière une barrière de cylindres d’acier et de béton haute de 5 mètres,
bardée de projecteurs et de caméras…
L’exemple
venant de haut, des pays européens, qui ne sont ni des îlots de prospérité ni
des terres d’immigration particulièrement attrayantes, se sont mis eux aussi à
élever des murs à leurs frontières contre les flots de migrants désormais assimilés
à des criminels. C’était déjà le cas de la Grèce, c’est celui de la Bulgarie
qui toutes deux, tentent de fermer le point de contact de deux des plus
vieilles civilisations du monde. Mais le pire est à venir puisque la Hongrie se
propose de construire un mur à sa frontière avec… la Serbie, c’est-à-dire non
plus aux frontières orientales du vieux continent, mais en son sein même,
coupant l’Europe comme elle ne l’a jamais été depuis l’occupation ottomane !
Voila
que la petite Tunisie s’y mêle, dit-on…
Ces
murs contre la liberté ne sont pas seulement des ouvrages dont la vocation est
d’être enjambés un jour ou l’autre, ce sont aussi des édifices ruineux, au
point que l’on peut se demander si cela ne coûterait pas moins cher à ces pays d’organiser un accueil simplement humain de ceux qui frappent à leurs portes
plutôt que d’ériger des barricades pour les contenir. Les murs de Ceuta et
Melilla ont coûté à l’Espagne 47 millions d’euros et leur entretien revient à 10 millions d’euros par
an. La barrière israélienne représente
un investissement d’un milliard d’euros. Quant aux barrages construits à la
frontière américano-mexicaine, ils ont coûté 20 milliards de dollars au trésor
des Etats-Unis !
Comme
les temps changent !
Il y a
quelque trente cinq ans, des Européens se mobilisaient pour une opération
baptisée « Un bateau pour le Vietnam ». Il ne s’agissait pas
alors seulement de secourir les
immigrants qui frappaient à leurs portes, il fallait sauver des naufragés
perdus loin de leurs côtes, dans l’Océan Pacifique. C’était plus qu’un accueil,
c’était une invitation qui répondait à un idéal d’humanisme.
Il y
a vingt cinq ans, les Européens fêtaient dans l’enthousiasme la chute du mur de
Berlin, exprimant ainsi leur volonté de mettre fin à toute confiscation de la
liberté des hommes à toujours rechercher le bonheur et des raisons de vivre…
L’immigration
assimilée à une fuite d’eau !
Aujourd’hui cette générosité fait place à une real-politique
indifférente à la misère du monde et qui gagne toutes les capitales européennes.
Les Européens qui s’étaient enrichis par la conquête du monde se
recroquevillent désormais dans leur pré carré : 130.000 migrants font
trembler 500 millions d’hommes et de femmes !
Aujourd’hui,
Nicolas Sarkozy se rit et fait rire son monde de ces désespérés qui assiègent
l’Europe en les comparant à une fuite d’eau. C’est immonde, parce qu’il s’agit
d’êtres de chair et de sang, de femmes, d’hommes et d’enfants qui pour la
plupart n’ont pas choisi de partir, mais ont fui devant une débâcle dont
Sarkozy, et d’autres, sont responsables. Parce que beaucoup parmi eux ont
d’abord besoin de soins, traumatisés qu’ils sont, physiquement et moralement,
par un départ précipité, l’abandon de
leurs familles, de leurs maisons, de leurs biens si maigres soient-ils, par des
conditions de voyage inhumaines. Les abandonner à leur sort est un crime de non
assistance à personnes en danger !
La
Grèce efface les migrants !
Mais
si les propos de Sarkozy sont cruels, ils expriment une réalité : le sort
des migrants n’intéresse plus grand monde en Occident. De toutes façons,
« il n’y a rien à faire ! », a affirmé récemment
un membre de l’Académie Française, sauf à laisser les migrants se noyer dans le
cimetière méditerranéen et à contenir les rescapés dans des camps. Il a suffi
que la crise grecque atteigne son paroxysme pour que les migrants disparaissent
des écrans : on ne sait plus depuis une semaine ce que sont devenus ceux
d’entre eux qui squattaient sur les rochers de Vintimille ou dans les squares parisiens.
L’Occident a bien trop à faire, il lui faut renforcer d’autres murs, invisibles
ceux là mais bien réels, faits de mépris et d’égoïsme, ceux qui sépareront toujours
les pauvres des nantis et dont le dernier a pour mission de confiner dans un
lazaret ce qui avait été le berceau de la civilisation occidentale : la
Grèce !
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