Le mois d’octobre qui vient de s’achever a été marqué par la tenue de
quatre consultations électorales, dans plusieurs régions du continent africain,
et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’exercer son droit de vote ne
signifie pas nécessairement que l’on vit dans un pays démocratique.
On a parlé de « divorce à l’italienne », de « mariage à
l’anglaise », on devrait aussi parler « d’élections à l’africaine ».
Un rite initiatique
Organiser une élection, solliciter l’avis du peuple, ce n’est souvent en
effet, sous nos cieux, que se soumettre à une formalité ou à une représentation,
nécessaires pour se faire accepter par « la communauté
internationale », qui, comme on le sait, se réduit à une demi douzaine de nations.
Les gouvernants africains s’y engagent donc sans conviction, leurs peuples s’y
plient quelquefois sans en avoir la culture ni en comprendre l’esprit, mais
qu’importe, c’est le prix à payer pour se faire accepter dans le cercle des
nations dites démocratiques...et échapper aux sanctions. Car, ici comme
ailleurs, on ne punit que les faibles, comme l’a montré récemment encore, dans
un autre domaine, la mansuétude des Américains vis-à-vis d’Israël, dont l’armée
a exécuté en un mois plus de soixante jeunes palestiniens armés de couteaux, et
leur intransigeance à l’endroit du Burundi coupable de tuer des opposants !
En Afrique, dans la majorité des cas, l’épreuve des urnes commence donc et
se termine par des humiliations.
Le premier de ces actes est la recherche du financement même des élections.
Combien de fois a-t-on entendu un gouvernement africain dire qu’il lui manque
tant de milliards pour « boucler » le budget d’une consultation
électorale et lancer un appel désespéré
vers ses partenaires du Nord ? Nos gouvernants sont incapables de
budgétiser les élections qu’ils organisent et quand ils le font, ils sont dans
l’impossibilité de tenir leurs engagements. Les élections sont l’occasion de
dépenses faramineuses, nécessitent l’acquisition de matériels parfois
superflus, non rentabilisés car renouvelés à chaque consultation… et comme dans
toutes les règles de la vie, celui qui paye a son mot à dire.
Si l’examen a lieu en Afrique, les notes sont décernées au Nord…
La deuxième humiliation survient aux termes de la consultation, lorsque les
gouvernants africains sont suspendus au verdict des grandes puissances. Les
élections africaines ont ceci de particulier que si l’examen a lieu en Afrique,
les notes sont, comme il y a plus d’un demi-siècle, décernées au Nord. Une
élection réussie, c’est celle qui a reçu l’approbation de Barak Obama, de la
fondation Carter ou d’Amnesty International. Pour mériter cette sanction, nos
gouvernants essuient donc une humiliation intermédiaire entre les deux déjà
citées : c’est celle de la présence d’observateurs étrangers qui, en
tenues de vacances, ont accès jusqu’au tréfonds des bureaux de vote, alors que
tout est déjà consommé ! Dommage que les Africains n’aient pas les mêmes privilèges,
qu’ils n’aient pas eu droit de regard sur les tripatouillages de bulletins de vote qui, en 2000, ont
contraint la puissante Amérique à recourir à des recomptages manuels en
Floride ; ni au referendum précipitamment organisé par les Russes en
Crimée, en mars 2014 ; qu’ils n’aient pas été invités aux élections dans
les « cités » de la grande banlieue parisienne, celles où quelquefois
un habitant sur trois est exclu du scrutin par la loi, non pour contrôler la
sincérité des votes, qui reste incontestable, mais pour vérifier que les
Français « issus de l’immigration »,
les parents de Bouna, de Ziad et des autres, ont bénéficié des mêmes
opportunités pour s’imprégner de l’enjeu électoral et exercer leurs
droits !
Les élections qui se sont tenues en Guinée-Conakry, en Côte d’Ivoire, au Congo-Brazzaville
et en Tanzanie n’ont pas dérogé aux règles habituelles. Comme de coutume, elles sont marquées par la victoire des pouvoirs en place,
par « KO au premier
tour », en reprenant un des
slogans des partisans de Alassane Ouattara.
Comme de coutume aussi, elles sont contestées par l’opposition qui n’en
reconnait ni la sincérité ni la transparence.
Mais la vraie spécificité de ces trois scrutins, c’est le caractère quasi
miraculeux des résultats proclamés.
En Guinée, le miracle ce n’est pas la victoire du candidat sortant, c’est
qu’elle ait été acquise si tôt. Les Guinéens ont-ils été transfigurés au point
d’élire dès le premier tour, malgré Ebola et les pénuries, un homme qui il y a
cinq ans, n’avait rassemblé à ce stade, autour de son nom que 18% des voix,
dans un pays où, nous disait-on, chacun vote pour son ethnie et où aucune
ethnie n’est majoritaire ?
En Côte d’Ivoire, le miracle ce n’est pas, la reconduction dès le premier
tour du candidat sortant, c’est le fait qu’il ait fait mieux que Houphouët en
1990, c’est le taux à la soviétique d’un président dont le titre de gloire, une
croissance économique qui est loin d’être inclusive, ne peut faire oublier l’échec
de la réconciliation nationale.
Quant à l’approbation massive par les Congolais de la prolongation du
mandat, jusqu’en 2031 s’il le souhaite, d’un homme qui, trente ans durant, a conduit
leurs destinées, elle tient du prodige divin !
Au Sénégal, à deux reprises, aux élections présidentielles, le candidat
sortant a été sorti par son challenger. C’est un rare privilège, unique en
Afrique francophone, et il nous appartient à tous de le sauvegarder. Mais nous
ne serons aux portes de la démocratie que lorsque nous pourrons nous passer de
subventions, d’observateurs et d’onctions étrangers. Quant à ceux qui comptent
sur les miracles, qu’ils sachent que les miracles n’ont lieu qu’une fois. Lorsqu’on
refuse les concessions que Mathieu Kérékou avait, avec pragmatisme et lucidité,
acceptées en 1989, on finit comme Blaise Compaoré !
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