Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

mardi 10 novembre 2015

BAZARS !



Texte publié dans « Sud Quotidien » du 8 septembre 2015

Selon des estimations fiables, il meurt un émigré toutes les deux heures en Méditerranée depuis le début de cette année ! Chaque jour, ils sont des dizaines, quelquefois des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants à perdre la vie sur ce cimetière marin, noyés sur de frêles esquifs, asphyxiés dans les cales, achevés par la faim ou la soif, jetés par-dessus bord par plus forts qu’eux, et il a suffi du corps d’un petit garçon échoué sur une plage pour, enfin, susciter la commisération, réveiller les consciences, transformer subitement les « migrants » en « réfugiés » ! Comme si ce n’était pas la vie qui était sacrée, mais que ce qui fait la différence entre les victimes  c’était leur identité, leur âge et, surtout, l’exploitation médiatique que l’on pouvait tirer de leur mort. Le petit Aylan n’est pas la première petite victime arabe de la barbarie, puisqu’il y a quelques semaines, un petit palestinien était brûlé vif par des colons israéliens, ce n’est pas le premier enfant mort en Méditerranée, mais avec lui on tient enfin une image « déchiffrable » et qui a le mérite d’être photogénique !

Malheureusement un choc émotionnel ne suffit pas pour changer l’ordre du monde  et le petit syrien ne sera pas le dernier enfant à trouver la mort dans ce terrible exode de deux cent mille désespérés qui sèment le trouble en Europe, mettent en émoi et « submergent » (selon Marion Le Pen) ses 500 millions d’habitants. Les Européens ne s’entendent plus sur rien, ni sur les causes du désastre et les remèdes à apporter, ni sur les moyens à mettre en place, ils s’empoignent sur les quotas, sur les frontières, sur le sens qu’il faut donner aux valeurs qu’ils tentent pourtant d’imposer aux autres. Gares fermées, camps improvisés, discrimination entre les refugiés, exploitation de la misère des populations errantes auxquelles on vend un vélo pour une fortune, propos racistes, gesticulations et revirements…, on a honte pour cette partie de l’Europe transformée en bazar et qui oublie qu’elle-même fuyait vers l’ouest il y a quelques années. L’honneur des Européens est aujourd’hui entre les mains de quelques irréductibles bonnes volontés qui se sacrifient pour le préserver et qui, en Allemagne notamment, imposent la solidarité aux autres.

Pourtant après la vindicte contre les passeurs et leurs complices, les sorties contre les gouvernements corrompus ou incompétents des pays de départ des migrants, la condamnation des extrémismes religieux qui se nourrissent de ce désordre, il n’est que temps de situer la responsabilité des gens « bien intentionnés », qui savent tout sur tout et décident pour les autres, ces spécialistes de la géopolitique et du bonheur des hommes, pin-up des médias comme Bernard-Henri Lévy, gouvernants comme les présidents Bush et Sarkozy ou le Premier Ministre Blair, dirigeants d’organisations internationales, telles l’ONU ou l’OTAN, qui, les premiers, ont  ouvert la boite de Pandore…

Ils nous avaient dit que le Soudan, issu de la colonisation anglaise et au sein duquel cohabitaient arabes musulmans du nord et noirs majoritairement chrétiens du sud, ne pouvait pas rester uni. 

Ils avaient subitement découvert que Saddam Hussein, qu’ils avaient armé pour mener contre l’Iran une guerre par pays interposé, représentait un danger pour l’humanité, qu’il avait la deuxième armée du monde, possédait des « armes de destruction massive », et qu’il fallait l’abattre et dissoudre toute l’armée irakienne !

Ils  avaient réalisé que Kadhafi, qui avait exigé et obtenu de planter sa tente à quelques encablures de l’Elysée, et Assad, qui avait été l’invité d’honneur de la commémoration du 14 juillet, étaient devenus absolument infréquentables !
Jamais pourtant ils n’avaient livré les vrais fondements de leurs motivations qui étaient loin d’être humanitaires : le Soudan du Sud reposait sur une mer de pétrole, l’Irak était devenue un pays émergent et allait s’élever au rang d’une Corée du Sud arabe, la Syrie était le seul allié arabe de l’Iran, et Kadhafi était tout prêt de quitter la Ligue Arabe pour doper l’Union Africaine  et faire contrepoids aux monarchies du Golfe…

Le Soudan a donc été démantelé, divisé en deux Etats, l’Irak a été envahie et au prix de cent mille civils tués, son président a été traqué et pendu, la Libye a été bombardée par une coalition internationale, contre l’avis de l’Union Africaine, Kadhafi capturé, torturé et exécuté, Assad est cerné et son pays démantelé avec la complicité des extrémistes religieux que l’on pourfend par ailleurs.

Le trust de cerveaux  compétents qui prétendait savoir ce qui était bien pour le Soudan, l’Irak, la Libye, la Syrie, pour eux-mêmes et pour le reste du monde, est-il aujourd’hui prêt à répondre de son bilan et à reconnaitre qu’un « homme compétent devient un homme qui se trompe… dans toutes les règles » ?  Le Soudan du Sud, le plus jeune Etat du monde créé par ses soins, est désormais considéré comme l’Etat le plus sanguinaire et le plus arbitraire. L’Irak est devenue un Etat tribal où la majorité condamne les minorités à l’exil, et tout particulièrement la minorité chrétienne qui, seule, semble préoccuper l’Occident. La Syrie se désagrège sous les bombardements de l’armée, des rebelles et des envahisseurs extrémistes. La Libye, jadis terre d’accueil, est devenue un enfer pour ses habitants et une passoire  pour les miséreux… Le même désordre menace tous leurs voisins et ce bazar là est sans commune mesure avec celui qui s’installe dans les Balkans.

Alors toutes les victimes collatérales de ce chambardement ont pensé, tout naturellement, qu’il fallait aller chercher secours auprès des Zorro qui disaient agir pour leur bien en débarquant chez eux : ils se sont rués aux portes de l’Europe ! Mais, au moins jusqu’à il y a quelques jours, l’Europe n’était prête à leur offrir que des larmes, la souffrance et l’humiliation.

L’histoire des réfugiés est d’abord une histoire de cocus !

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