Texte publié dans « Sud Quotidien » du 8
septembre 2015
Selon des estimations fiables, il meurt un émigré toutes
les deux heures en Méditerranée depuis le début de cette année ! Chaque jour,
ils sont des dizaines, quelquefois des centaines d’hommes, de femmes et
d’enfants à perdre la vie sur ce cimetière marin, noyés sur de frêles esquifs,
asphyxiés dans les cales, achevés par la faim ou la soif, jetés par-dessus bord
par plus forts qu’eux, et il a suffi du corps d’un petit garçon échoué sur une
plage pour, enfin, susciter la commisération, réveiller les consciences,
transformer subitement les « migrants »
en « réfugiés » ! Comme
si ce n’était pas la vie qui était sacrée, mais que ce qui fait la différence
entre les victimes c’était leur
identité, leur âge et, surtout, l’exploitation médiatique que l’on pouvait
tirer de leur mort. Le petit Aylan n’est pas la première petite victime arabe
de la barbarie, puisqu’il y a quelques semaines, un petit palestinien était
brûlé vif par des colons israéliens, ce n’est pas le premier enfant mort en
Méditerranée, mais avec lui on tient enfin une image « déchiffrable »
et qui a le mérite d’être photogénique !
Malheureusement un choc émotionnel ne suffit pas pour
changer l’ordre du monde et le petit
syrien ne sera pas le dernier enfant à trouver la mort dans ce terrible exode
de deux cent mille désespérés qui sèment le trouble en Europe, mettent en émoi
et « submergent » (selon
Marion Le Pen) ses 500 millions d’habitants. Les Européens ne s’entendent plus
sur rien, ni sur les causes du désastre et les remèdes à apporter, ni sur les
moyens à mettre en place, ils s’empoignent sur les quotas, sur les frontières, sur
le sens qu’il faut donner aux valeurs qu’ils tentent pourtant d’imposer aux
autres. Gares fermées, camps improvisés, discrimination entre les refugiés, exploitation
de la misère des populations errantes auxquelles on vend un vélo pour une
fortune, propos racistes, gesticulations et revirements…, on a honte pour cette
partie de l’Europe transformée en bazar et qui oublie qu’elle-même fuyait vers
l’ouest il y a quelques années. L’honneur des Européens est aujourd’hui entre
les mains de quelques irréductibles bonnes volontés qui se sacrifient pour le préserver
et qui, en Allemagne notamment, imposent la solidarité aux autres.
Pourtant après la vindicte contre les passeurs et leurs
complices, les sorties contre les gouvernements corrompus ou incompétents des
pays de départ des migrants, la condamnation des extrémismes religieux qui se
nourrissent de ce désordre, il n’est que temps de situer la responsabilité des
gens « bien intentionnés », qui savent tout sur tout et décident pour
les autres, ces spécialistes de la géopolitique et du bonheur des hommes,
pin-up des médias comme Bernard-Henri Lévy, gouvernants comme les présidents
Bush et Sarkozy ou le Premier Ministre Blair, dirigeants d’organisations
internationales, telles l’ONU ou l’OTAN, qui, les premiers, ont ouvert la boite de Pandore…
Ils nous avaient dit que le Soudan, issu de la
colonisation anglaise et au sein duquel cohabitaient arabes musulmans du nord
et noirs majoritairement chrétiens du sud, ne pouvait pas rester uni.
Ils avaient subitement découvert que Saddam Hussein,
qu’ils avaient armé pour mener contre l’Iran une guerre par pays interposé,
représentait un danger pour l’humanité, qu’il avait la deuxième armée du monde,
possédait des « armes de destruction massive », et qu’il fallait
l’abattre et dissoudre toute l’armée irakienne !
Ils avaient
réalisé que Kadhafi, qui avait exigé et obtenu de planter sa tente à quelques
encablures de l’Elysée, et Assad, qui avait été l’invité d’honneur de la
commémoration du 14 juillet, étaient devenus absolument infréquentables !
Jamais pourtant ils n’avaient livré les vrais fondements
de leurs motivations qui étaient loin d’être humanitaires : le Soudan du Sud
reposait sur une mer de pétrole, l’Irak était devenue un pays émergent et
allait s’élever au rang d’une Corée du Sud arabe, la Syrie était le seul allié
arabe de l’Iran, et Kadhafi était tout prêt de quitter la Ligue Arabe pour
doper l’Union Africaine et faire
contrepoids aux monarchies du Golfe…
Le Soudan a donc été démantelé, divisé en deux Etats,
l’Irak a été envahie et au prix de cent mille civils tués, son président a été
traqué et pendu, la Libye a été bombardée par une coalition internationale,
contre l’avis de l’Union Africaine, Kadhafi capturé, torturé et exécuté, Assad
est cerné et son pays démantelé avec la complicité des extrémistes religieux
que l’on pourfend par ailleurs.
Le trust de cerveaux compétents qui prétendait savoir ce qui était
bien pour le Soudan, l’Irak, la Libye, la Syrie, pour eux-mêmes et pour le
reste du monde, est-il aujourd’hui prêt à répondre de son bilan et à
reconnaitre qu’un « homme compétent devient un homme qui se trompe… dans
toutes les règles » ? Le Soudan du Sud, le plus jeune Etat du
monde créé par ses soins, est désormais considéré comme l’Etat le plus
sanguinaire et le plus arbitraire. L’Irak est devenue un Etat tribal où la
majorité condamne les minorités à l’exil, et tout particulièrement la minorité
chrétienne qui, seule, semble préoccuper l’Occident. La Syrie se désagrège sous
les bombardements de l’armée, des rebelles et des envahisseurs extrémistes. La
Libye, jadis terre d’accueil, est devenue un enfer pour ses habitants et une
passoire pour les miséreux… Le même
désordre menace tous leurs voisins et ce bazar là est sans commune mesure avec
celui qui s’installe dans les Balkans.
Alors toutes les victimes collatérales de ce
chambardement ont pensé, tout naturellement, qu’il fallait aller chercher
secours auprès des Zorro qui disaient
agir pour leur bien en débarquant chez eux : ils se sont rués aux portes
de l’Europe ! Mais, au moins jusqu’à il y a quelques jours, l’Europe n’était
prête à leur offrir que des larmes, la souffrance et l’humiliation.
L’histoire des réfugiés est d’abord une histoire de
cocus !
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